I.2. Choisir et être choisi

Un bilan largement positif

Une question de notre questionnaire proposait aux répondants de caractériser leur recrutement dans l'institutorat, en choisissant parmi quatre items ( 297 ) :

Le tableau suivant indique les valeurs obtenues en fonction de la période de recrutement et du genre :

Tableau 83 : Type de choix selon la période et selon le genre
  1952 – 1962 1962 – 1972 1972 – 1982 1982 – 1992 Ensemble
en % F H F H F H F H F H
choix explicite 69 59 54 51 31 43 33 43 47 50
transition 13 11 29 21 46 24 53 50 34 21
pis-aller 6 13 7 15 19 27 0 0 9 17
autre 6 13 11 4 0 4 7 0 6 6
nr 6 4 0 10 4 3 7 7 3 5
Ensemble 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100
Lecture : 69% des femmes recrutées entre 1952 et 1962 indiquent que leur recrutement résulte d’un choix explicite.
Note : le faible effectif des répondants recrutés dans la dernière période (N=29) limite la validité des valeurs de la colonne correspondante.

On note d’abord que la moitié des répondants retiennent l’item "choix explicite" pour caractériser leur recrutement (sans écart important entre les hommes et les femmes). Un quart de l’effectif caractérise son choix du métier d’instituteur comme une "transition" mais on remarque que cet item concerne un tiers des femmes et seulement un cinquième des hommes. L’écart selon le sexe s’inverse pour l’item "pis-aller" qui est retenu par un sixième des hommes et moins du dixième des femmes. Le dernier item ("autre") est choisi par une fraction très faible des répondants, et sans écart entre les sexes. On retient des réponses recueillies que la moitié des entrées dans l’institutorat résulterait d’un choix explicite et qu’un tiers des femmes (mais seulement un cinquième des hommes) envisageaient déjà une reconversion professionnelle au moment de leur recrutement.

On note dans ce tableau une évolution très nette des réponses en fonction de la période de recrutement. Au fil du temps, l’item "transition" devient prépondérant au détriment de "choix explicite" dans un premier temps et au détriment de "pis-aller" dans un second temps. On peut définir trois périodes : avant 1962 l’item "choix explicite" est prépondérant et les autres items sont également marginaux ; de 1962 à 1982 les items "transition" et "pis-aller" augmentent de concert ; après 1982 c’est l’item "transition" qui est prépondérant. On voit ainsi se profiler trois tendances : durant la période la plus ancienne une carrière stable dans l’institutorat constitue la perspective dominante ; durant les années soixante et soixante-dix la stabilité est de moins en moins choisie mais plutôt acceptée ; à partir des années quatre-vingt la résignation cède la place au projet de reconversion. En comparant les colonnes concernant les femmes puis celles concernant les hommes, on constate que les évolutions générales fluctuent assez peu selon le genre.

Par ailleurs, les résultats de l’enquête montrent que le type de choix est nettement corrélé au mode de recrutement. L’item "transition" est retenu par moins du cinquième des personnes recrutées par concours de niveau collège, mais par près du tiers des personnes recrutées directement et par près de la moitié de celles recrutées par concours de niveau deug. On retient aussi que les écarts selon le genre sont plus faibles que ceux relevés en fonction du mode de recrutement, que les premiers modulent les seconds mais sans remettre en cause les tendances.

Comme nous l’avons déjà signalé, les modes de recrutement sont fortement liés au genre, à la période de recrutement et à l’origine sociale. Le tableau suivant permet d’observer les liens entre ces trois variables :

Tableau 84 : Type de choix selon l’origine sociale et le genre
  inférieure moyenne supérieure Ensemble
en % F H F H F H F H
choix explicite 48 56 47 38 50 41 47 50
transition 33 18 47 23 35 31 34 21
pis-aller 8 16 7 23 4 20 9 17
autre 10 5 0 9 4 6 6 6
nr 3 6 0 6 8 2 3 5
Ensemble 100 100 100 100 100 100 100 100
Lecture : 48% des femmes d’origine sociale inférieure indiquent que leur recrutement résulte d’un choix explicite

On note que les répondants d’origine sociale inférieure retiennent plus souvent que les autres l’item "choix explicite". Les répondants d’origine sociale supérieure accordent quant à eux une plus large place à l’item "transition". On note dans ce tableau que les répartitions varient peu parmi les femmes selon l’origine sociale, alors que les réponses des hommes fluctuent plus nettement selon l’origine sociale. On constate également que certains écarts entre les sexes ne sont pas stables d’un groupe social à un autre. Dans le groupe inférieur par exemple, l’item "choix explicite" est plus fréquent pour les hommes que pour les femmes (48%-56%), mais dans les deux autres groupes c’est l’inverse (47%-38% et 50%-41%).

Notons pour finir que la question s’adresse à des personnes qui, toutes, ont quitté la classe en cours de carrière et qui choisissent pourtant à moins de 25% en moyenne l’item "transition" pour caractériser leur recrutement !…

Une autre question portant sur le recrutement demandait au répondant de réagir à une série d’éléments détaillés de motivation du recrutement ( 298 ) :

La figure qui suit indique les items les plus souvent retenus par les répondants, avec une fréquence supérieure au tiers :

Figure 48 : Éléments de motivation choisis par les répondants
Figure 48 : Éléments de motivation choisis par les répondants

Domaine : éléments les plus souvent choisis parmi une liste de vingt propositions (fréquence supérieure au tiers)
Lecture : 63% des répondants ont coché l’item "contact avec les enfants"
Note : Le signe # indique les items correspondant à un choix contraint

Dans cette liste des items les plus souvent choisis par les répondants, on note que les éléments liés aux fonctions professionnelles ("contact avec des enfants", "utilité sociale", "fonction d’enseignement", "liberté d’initiative") s’équilibrent avec les items liés à l’aspect pratique du recrutement ("études payées à l’École normale", "nécessité d’avoir un emploi rapidement", "vacances", "sécurité de l’emploi").

Nous ne reprenons pas ici l’analyse des choix selon le sexe, le mode ou la période de recrutement et l’origine sociale présentée en détail à propos des deux éléments précédents de la perception du recrutement. Notons cependant que les choix ne différent nettement selon le sexe que pour deux items : "études payées à l’École normale" (F 44% ; H 63%) et "vacances" (F 38% ; H 49%). Rappelons que 36% des femmes et seulement 20% des hommes ont été recrutés par entrée directe sans passage par l’École normale, ce qui explique sans doute largement le premier écart dans les choix des éléments de motivation.

En reprenant les items barrés par ordre de fréquence, nous aboutissons à la figure suivante qui indique les propositions de motivation le plus souvent rejetées par les répondants :

Figure 49 : Éléments de motivation rejetés par les répondants
Figure 49 : Éléments de motivation rejetés par les répondants

Domaine : éléments les plus souvent rejetés parmi une liste de vingt propositions (fréquence supérieure au tiers)
Lecture : 60% des répondants ont barré l’item "échec dans un autre secteur"

L’item le plus souvent rejeté par les répondants concerne le recrutement motivé par un échec dans un autre secteur. Notons que ce résultat ne coïncide pas exactement avec ceux concernant les cursus avant recrutement, qui indiquaient une présence non négligeable d’abandon d’études en cours de cycle (cf. Tableau 81 : Niveau d’études au moment du recrutement page 597). Cependant, l’examen détaillé des réponses montre que ce sont surtout les répondants recrutés par concours (et tout spécialement au niveau collège) qui ont rejeté cet item. L’image du recrutement la plus souvent rejetée par les répondants est ici aussi celle d’un choix contraint ou par défaut, considérant le métier d’instituteur comme un pis-aller (ce choix est revendiqué à la première question par seulement 15% des répondants).

Nous ne reprenons pas ici l’analyse des items rejetés selon le sexe, le mode ou la période de recrutement et l’origine sociale. Notons cependant que les rejets ne différent nettement selon le sexe que pour deux items : "appartenir au corps des instituteurs" (F 57% ; H 49%) et "souvenirs de la scolarité primaire" (F 33% ; H 42%). Les femmes de notre population d’enquête semblent donc être moins attachées que les hommes à leur appartenance au corps des instituteurs... et suivre la règle générale qui veut que les filles aient dans l’ensemble de meilleurs résultats scolaires que les garçons, et gardent par conséquent de mauvais souvenirs de l’école moins souvent qu’eux…

Dans le questionnaire, plusieurs échelles d’attitude permettaient aux répondants d’indiquer comment ils avaient ressenti leur recrutement et comment ils pensent que leur entourage l’avait ressenti, en termes de réussite et en termes de promotion sociale (cf. texte du questionnaire en annexes).

Afin de simplifier les tableaux de données, nous ne retenons que le total des choix négatifs (points A ou B ou C), le choix moyen (point D) et le total des choix positifs (points E ou F ou G). Nous aboutissons ainsi aux résultats présentés dans le tableau suivant :

Tableau 85 : Sentiment de réussite selon le recrutement et le genre
  Femme Homme Ensemble
en % négatif mitigé positif négatif mitigé positif négatif mitigé positif
collège 4 13 83 2 12 84 3 13 84
bac 13 22 61 18 24 56 17 23 59
deug 11 44 44 20 30 40 18 39 43
direct 11 41 41 9 47 44 10 46 43
Ens. 10 28 57 10 23 65 10 24 63
Lecture : parmi les femmes recrutées au niveau collège, 4% expriment un sentiment d’échec personnel face à leur recrutement, 13% un sentiment mitigé et 83% un sentiment de réussite.

On note dans ce tableau que les jugements positifs du recrutement en termes de réussite sont beaucoup plus fréquents parmi les personnes recrutées par concours de niveau collège. Les recrutements au niveau deug et par entrée directe correspondent à des taux de jugements positifs inférieurs de moitié, les recrutements au niveau baccalauréat correspondent à une situation intermédiaire. On note dans ce tableau que les écarts selon le mode de recrutement restent globalement stables parmi les femmes et parmi les hommes.

Comme nous l’avons vu précédemment, les modes de recrutement sont largement dépendants de l’époque, mais pas totalement puisque le concours de niveau baccalauréat et les entrées directes ont traversé les décennies. Nous complétons donc notre étude par l’analyse des évolutions de la perception du recrutement selon les périodes de recrutement :

Tableau 86 : Sentiment de réussite selon la période et le sexe
  Femme Homme Ensemble
en % négatif mitigé positif négatif mitigé positif négatif mitigé positif
1952-1962 13 19 63 0 15 85 3 16 81
1962-1972 4 29 64 12 23 60 11 26 62
1972-1982 19 23 54 15 27 57 16 27 57
1982-1992 7 47 40 7 29 57 7 44 49
Ensemble 10 28 57 10 23 65 10 24 63
Lecture : parmi les femmes recrutées entre 1952 et 1962, 13% expriment un sentiment d’échec personnel face à leur recrutement, 19% un sentiment mitigé et 63% un sentiment de réussite.

On note dans ce tableau que les réponses sont en majorité du côté des perceptions positives du recrutement en termes de réussite personnelle, plus nettement parmi les hommes que parmi les femmes. Mais les jugements positifs sur le recrutement diminuent régulièrement au fil du temps pour passer de huit sur dix à moins de la moitié. Durant la dernière période, les jugements positifs continuent de diminuer au profit des avis mitigés, mais l’évolution des avis négatifs s’inverse. On note des écarts selon le genre : parmi les hommes, l’évolution est forte entre les deux premières décennies et faible ensuite, alors que, parmi les femmes, l’évolution de la perception est sensible sur l’ensemble des périodes. Remarquons que l’évolution chronologique donnée par ce tableau n’est pas identique à celle qui découle des fluctuations des modes de recrutement.

Voyons, pour finir sur ce point, les variations du sentiment de réussite selon l’origine sociale :

Tableau 87 : Sentiment de réussite selon l’origine sociale et le genre
  Femme Homme Ensemble
en % négatif mitigé positif négatif mitigé positif négatif mitigé positif
inférieure 13 23 63 7 15 76 8 18 74
moyenne 13 47 33 13 30 53 13 38 49
supérieure 4 31 58 16 31 53 12 31 57
Ensemble 10 28 57 10 23 65 10 26 63
Lecture : parmi les femmes d’origine sociale inférieure, 13% expriment un sentiment d’échec personnel face à leur recrutement, 23% un sentiment mitigé et 63% un sentiment de réussite.

En ce qui concerne l’origine sociale, on ne sera pas surpris de noter que c’est parmi les personnes d’origine sociale inférieure que les jugements sont les plus positifs, mais on notera que c’est l’origine sociale moyenne qui est associée aux jugements les plus réservés. Pour ce qui est des variations selon le genre, on constate dans le tableau que c’est parmi les femmes que ce décalage dans le groupe social moyen est le plus marqué, mais le faible effectif de ce sous-groupe (N=15) limite la portée de ces répartitions.

Une autre échelle demandait aux répondants d’indiquer non plus leur sentiment de réussite mais leur sentiment de promotion sociale. Reprenons rapidement les grandes tendances de leurs réponses sur ce point, sans les détailler autant que pour la réponse précédente.

Le sentiment de promotion sociale est encore plus fortement variable selon le mode de recrutement puisque les jugements positifs passent de 81% parmi les personnes recrutées au niveau du collège, à 5% parmi celles qui ont été recrutées au niveau deug. Les recrutements au niveau baccalauréat et par entrée directe correspondent à des taux de jugements positifs proches de la moitié. Les écarts de jugement selon le mode de recrutement ne sont pas stables entre les hommes et les femmes, la prédominance des jugements positifs parmi les hommes ressortant plus nettement au niveau collège et pour l’entrée directe. L’évolution du jugement sur le recrutement selon la période de recrutement est encore plus marquée, puisqu’à la première période de recrutement aucun répondant n’émet de jugement négatif et seulement un sixième un jugement mitigé alors qu’à la dernière période plus de la moitié des répondants sont dubitatifs, et seulement le quart choisit un item positif. Examinons la répartition des réponses selon l’origine :

Tableau 88 : Sentiment de promotion selon l’origine sociale et le genre
  Femme Homme Ensemble
en % négatif mitigé positif négatif mitigé positif négatif mitigé positif
inférieure 10 33 58 2 10 86 5 16 79
moyenne 7 47 47 9 49 38 8 48 42
supérieure 8 58 19 10 45 45 9 49 36
Ensemble 9 43 44 5 28 65 7 33 59
Lecture : parmi les femmes d’origine sociale inférieure, 10% expriment un sentiment de descension sociale face à leur recrutement, 33% un sentiment mitigé et 58% un sentiment de promotion sociale.

Le sentiment de promotion sociale est fortement lié à l’origine sociale, ce qui ne surprend pas beaucoup. En détaillant les données obtenues, on constate que les origines sociales inférieures sont nettement discriminantes par rapport aux groupes moyens et supérieurs qui différent peu entre eux. On remarque que les écarts constatés globalement sont encore plus marqués parmi les hommes avec une évolution des jugements positifs qui varient pratiquement du simple au double. Ici encore, le faible effectif des femmes du groupe moyen (N=15) limite la portée des valeurs des trois cases correspondantes.

Notes
297.

 Selon des modalités issues de notre enquête préliminaire et inspirées de recherches antérieures, en particulier BERGER Ida, 1979, Les instituteurs d'une génération à l'autre, PUF

298.

 Liste établie après une enquête préliminaire par entretiens exploratoires auprès de quelques personnes.