Deux autres échelles d’attitude demandaient aux répondants de transcrire les réactions de leur entourage par rapport au recrutement en termes de réussite personnelle et en termes de promotion sociale. :
Il est à noter que l’on n’obtient pas les réactions directes de l’entourage, mais bien la perception que le répondant en avait au moment de l’enquête, ce dont nous devons tenir compte dans notre analyse. Sans entrer dans le détail des résultats à cette question, passons rapidement en revue leurs grandes tendances.
La comparaison avec les valeurs obtenues pour le sentiment propre des répondants montre une augmentation importante des jugements positifs. Alors que 58% des femmes et 65% des hommes portent un jugement positif sur leur recrutement, ils imputent respectivement à 74% et à 80% un tel jugement à leur entourage. On retrouve des écarts dans le même sens en ce qui concerne le sentiment de promotion sociale. La variation est plus marquée chez les femmes que chez les hommes : les jugements positifs entre la réponse à titre personnel et la réponse imputée à l’entourage passent parmi les femmes de 44% à 63% et de 65% à 77% parmi les hommes.
Comme pour les réponses concernant le sentiment personnel, la perception du sentiment dominant de l’entourage varie fortement selon le mode de recrutement. Ici encore, le recrutement au niveau collège est associé à la perception la plus positive et celui au niveau deug à la perception négative, avec un écart proche du simple au double. Les écarts entre les hommes et les femmes viennent tempérer les écarts selon le mode de recrutement, mais sans les remettre en cause. Le sentiment de promotion sociale dans l’entourage donne des répartitions globalement comparables avec celles qui sont recueillies à propos de la réussite personnelle.
En suivant les périodes de recrutement, les jugements imputés à l’entourage varient encore plus fortement, puisque l’on passe de 91% à 55% en ce qui concerne les items positifs et de 3% à 17% pour les items négatifs ou médian, sans écart important selon le genre. Comme pour les jugements à titre personnel, les écarts selon les périodes de recrutement augmentent lorsque l’on passe de l’observation du sentiment de réussite à celle du sentiment de promotion sociale. De la période de recrutement la plus ancienne à la plus récente, les imputations négatives passent de 3% à 28% pendant que les positives chutent de 90% à 38%. L’évolution des répartitions est beaucoup plus marquée parmi les femmes que parmi les hommes. Par exemple, les items positifs représentent les trois-quarts des choix des femmes dans la première période et seulement un cinquième dans la dernière (ce qui représente une diminution au tiers de la valeur de départ), alors que, parmi les hommes, les choix des mêmes items positifs passent de 94% à 57% (ce qui représente une diminution à 60% de la valeur de départ).
négatif | mitigé | positif | ||||
en % | Femme | Homme | Femme | Homme | Femme | Homme |
inférieure | 8 | 3 | 8 | 4 | 83 | 91 |
moyenne | 13 | 9 | 20 | 17 | 53 | 70 |
supérieure | 8 | 22 | 15 | 12 | 65 | 67 |
Ensemble | 8 | 9 | 11 | 9 | 74 | 80 |
Lecture : parmi les femmes d’origine sociale inférieure, 8% répondent que leur entourage a perçu leur recrutement comme un échec personnel, 8% choisissent l’item moyen et 83% un item positif. |
Comme pour les réponses à titre personnel, le groupe inférieur est nettement différencié des deux autres, avec une prédominance marquée des items positifs. On constate que les écarts de répartition selon l’origine sociale sont plus marqués pour les hommes que pour les femmes.
On voit que les sentiments de promotion sociale imputés à l’entourage dépendent très largement de l’origine sociale, dans un sens qui ne surprend pas : les items positifs sont choisis plus souvent par les personnes d’origine sociale inférieure tandis que les items négatifs le sont par les personnes d’origine sociale supérieure. Notons toutefois que près de la moitié des répondants d’origine sociale supérieure choisissent un item positif pour transcrire le sentiment de leur entourage en termes de promotion sociale (alors, qu’objectivement, leur recrutement ne peut pas être assimilé à une promotion sociale). Mais sans doute peut-on penser que le recrutement dans le premier degré leur permet d’échapper à une menace de déclassement social et constitue à ce titre un dénouement jugé positivement par comparaison. Les écarts selon l’origine sociale sont plus marqués parmi les femmes (chez qui la fréquence des items positifs est divisée par trois entre les origines sociales inférieure et supérieure) que parmi les hommes (chez qui le même rapport n’est que de 1,6).
La figure suivante permet de résumer les valeurs recueillies avec les deux échelles d’attitude concernant la réussite personnelle :
Lecture : 1% des répondants indiquent avoir ressenti leur recrutement comme un échec complet ; 2% des répondants imputent ce même jugement à leur entourage.
On remarque d’abord que les perceptions négatives représentent moins de 10% des réponses et que la répartition diffère nettement entre les perceptions personnelles et celles qui sont imputées à l’entourage. L’item G de réussite totale n’est choisi que par 14% des répondants mais imputé à l’entourage dans plus du tiers des réponses.
Cela relève d’une tendance assez générale que l’on retrouve fréquemment dans les réponses aux questions ouvertes et les entretiens : le choix du métier est jugé plutôt positivement au regard de critères personnels, mais il apparaît surtout comme "le choix de la raison" permettant de satisfaire les aspirations familiales. Les parents ont souvent une perception plus positive de l’institutorat que la génération suivante, puisque l’image sociale de la profession a largement évolué dans le temps (en particulier avec la massification de la scolarité et son extension au-delà du primaire).
Les parents sont également plus sensibles à des éléments de carrière comme la sécurité de l’emploi que des collégiens ou des étudiants. Mais le recrutement reste fortement positif au niveau personnel : le choix est souvent celui de la raison, il impose parfois de renoncer à des voies plus prestigieuses et plus risquées, en revanche –et les répondants insistent souvent sur ce point– il ne se réduit presque jamais à un "utilitarisme" où la rationalité axiologique s’effacerait au profit de la rationalité instrumentale ( 299 ).
Si l’on dresse un bilan global des perceptions du recrutement, on peut noter que l’analyse du choix du recrutement ne porte que sur les réponses fournies au moment de l’enquête, sans chercher à isoler le poids de la reconstruction. L’image ainsi recueillie est largement positive, avec un choix explicite du recrutement, un sentiment de réussite majoritaire et des réactions de l’entourage présentées comme largement favorables. Rappelons également que dans notre population d’enquête les perceptions du recrutement sont, contrairement à ce que l’intuition laisserait supposer, globalement plus positives parmi les hommes que parmi les femmes. Ainsi, le métier d’instituteur n’est pas toujours choisi (ou du moins pas sans réserve ou regret), mais il est massivement accepté et assumé dans ses dimensions essentielles.
Pour reprendre la distinction de Max Weber entre rationalité en finalités et rationalité en valeurs.