II.1. Des effets de générations et de périodes

Pour examiner l’évolution de la mobilité professionnelle en cours de carrière au fil du temps, on peut se tourner vers les sources utilisées au chapitre deux pour quantifier les taux de départs. Dans le fichier de paye national, les données analysées au chapitre deux concernaient uniquement les personnes âgées de moins de 30 ans en 1978. Examinons à présent les données disponibles pour l’ensemble des personnes présentes dans le fichier en 1978 :

Tableau 90 : Mobilité en 1994 selon l’âge en 1978 (en %)
  moins de 30 ans 30-34 ans 35-39 ans 40-44 ans
constants 57,9 55,1 30,1 4,5
mobiles 31,8 36,3 45,8 10,1
sortis en 1994 10,3 8,6 24,1 85,4
total 100,0 100,0 100,0 100,0
Champ constant : enseignants présents en 1978 dans le fichier de paye
Lecture : Parmi les enseignants du premier degré âgés de moins de 30 ans en 1978, 31,8% avaient changé de profession en 1994, en restant dans l’Éducation nationale.
Source : GUILLOTIN, 1997, op. cit. page 47

La dernière colonne du tableau ("40-44 ans") doit être considérée à part puisque les enseignants âgés de plus de quarante ans en 1978 avaient atteint ou dépassé en 1994 l’âge de 55 ans, qui est l’âge de départ à la retraite pour les instituteurs ( 300 ). Dans cette colonne, les départs à la retraite sont dominants, et la valeur 85,4 sur la ligne "sortis en 1994" correspond soit à un départ à la retraite, soit à un départ de l’Éducation nationale vers une autre position professionnelle en fin de carrière.

On peut penser que les reconversions professionnelles en fin de carrière sont peu nombreuses par rapport aux départs à la retraite, mais les données disponibles ici ne permettent pas de distinguer ces deux configurations pour quantifier leur importance respective : les autres approches quantifiées de la mobilité professionnelle en cours de carrière des enseignants du premier degré permettent de reprendre cet aspect particulier. On peut enfin constater dans cette colonne que les instituteurs encore en activité professionnelle en 1994 sont plus souvent "mobiles" que "constants" (respectivement 10,1% et 4,5%).

La colonne "35-39 ans" correspond à des personnes qui sont dans la seconde moitié de leur carrière. On constate dans cette colonne une forte augmentation du taux des "mobiles" (36,3% à 45,8%) et surtout du taux des "sortis" (8,6% à 24,1%). Cette très forte augmentation du nombre des sorties de l’Éducation nationale (case soulignée dans le tableau) correspond soit à un départ de l’Éducation nationale vers une autre position professionnelle en milieu de carrière, soit à un départ anticipé à la retraite. Le départ à la retraite peut en effet concerner les "35-39 ans" puisque les femmes peuvent demander à bénéficier de leur droit à la retraite au bout de quinze ans de carrière à condition d’être mère d’au moins trois enfants. Cette forme très particulière de mobilité professionnelle réservée aux institutrices mères de famille ne peut pas être chiffrée précisément à partir des données disponibles dans cette enquête : comme dans la colonne précédente, d’autres approches quantifiées permettent de mesurer cet aspect particulier de la mobilité professionnelle en cours de carrière des enseignants du premier degré.

La ligne "sortis en 1994" ne donne donc des indications sur le taux de sortie de l’Éducation nationale vers une autre position professionnelle que pour les deux premières tranches d’âge (moins de 35 ans) qui ne sont pas concernées par le départ à la retraite en 1994. Dans ces deux premières colonnes (cases grisées de la ligne "sortis en 1994"), on note une légère diminution du taux de sortie, qui n’est pas forcément significative au regard des remarques qui viennent d’être faites.

En reprenant les valeurs de la ligne "mobiles" (qui correspond à la mobilité interne de notre typologie) on constate une forte augmentation de la mobilité. Cet accroissement recouvre l’accès aux "postes à profil" et à la "mobilité fonctionnelle", tels que nous les avons définis dans notre typologie et qui sont marqués par un recrutement "à l’ancienneté" et ne sont souvent accessibles qu’après une longue période d’exercice en position standard.

Cette première analyse temporelle des données disponibles fait apparaître clairement des effets d’âge mais ne permet pas de séparer clairement les effets de génération des effets de période. En effet, le fait de se centrer sur les tranches d’âge en début de période conduit à considérer des durées de carrière variables selon l’âge en début de période. Une autre démarche permet de corriger ce biais, comme nous allons le voir à présent.

Pour éviter d’avoir à comparer des carrières de durée variable et pour préciser les effets de période, on peut délimiter trois périodes de huit ans entre 1978 et 1994 et examiner la mobilité des enseignants âgés de moins de trente ans en début de chacune des périodes. On peut ainsi mesurer l’évolution de la mobilité en début de carrière en fonction de la période, entre 1978 et 1994, et aboutir aux données présentées dans le tableau suivant :

Tableau 91 : Le devenir des instituteurs selon la période
  1978-1986 1982-1990 1986-1994
instituteur 80,3 82,9 78,1
directeur 7,5 7,4 7,6
professeur d’école ns ns 1,7
sortis 6,8 7,1 9,4
Champ variable : instituteurs âgés de moins de 30 ans en 1978 ; instituteurs âgés de moins de 30 ans en 1982 ; enseignants âgés de moins de 30 ans en 1986
Lecture : parmi les instituteurs âgés de moins de 30 ans en 1978, 6,8% n’étaient plus dans l’Éducation nationale en 1986.
Source : GUILLOTIN, 1997, op. cit. page 48

Cette seconde approche des données montre que le flux des sortants en début de carrière semble s’accroître parmi les instituteurs. Les données correspondantes pour les directeurs, bien que de plus faible amplitude, indiquent la même tendance (valeurs relevées dans un autre tableau de l’auteur : 3,6%, 3,9%, 5,5%). Ainsi les affirmations sur une diminution des départs de l’institutorat –souvent avancées au regard de la "crise du marché de l’emploi"– doivent-elles être reconsidérées et tempérées par ces données empiriques.

Comment expliquer cette augmentation du taux de départ ? Les éléments d’explication que l’on peut avancer sont à rechercher dans les évolutions de l’institutorat durant les périodes considérées. Au fil de nos analyses, nous avons rencontré des éléments de réponse à plusieurs reprises et en particulier à propos des modalités du recrutement des enseignants du premier degré dans la section précédente consacrée au recrutement initial. La suite du chapitre nous permettra de détailler cette évolution, dont nous établirons un bilan dans la conclusion de ce chapitre.

Une autre approche de l’axe temporel consiste à examiner non plus les évolutions globales de la mobilité en cours de carrière mais les temporalités dans les carrières individuelles de mobilité. C’est ce que nous allons entreprendre dans la section qui suit.

Notes
300.

 et pour les fonctionnaires ayant exercé pendant au moins quinze ans les fonctions d’instituteur avant de rejoindre d’autres positions administratives, selon la "règle des 15 ans" qui conserve l’avantage acquis en termes de droit à pension.