Des bilans de fin de carrière qui divergent selon le genre

Reprenons tout d’abord les résultats du suivi d’une cohorte après son départ à la retraite, tels que nous les avons utilisés au chapitre deux pour évaluer les taux de départ :

Tableau 96 : Mobilité professionnelle de cohortes d’instituteurs du département de l’Oise, hors exeat (en %)
types de mobilité Femmes Hommes Ensemble
(estimation)
position standard 60 42 55
mobilités internes
dont de métier
promotion
catégorielle
7
1

6
40
5
1
33
16
2

13
mobilité externe 4 7 5
dossier perdu 29 11 24
total 100 100 100
Source : calculs de fréquence à partir de CACHEUX op. cit. pp. 101-105
Calcul : Les cases "ensemble" donnent des moyennes pondérées calculées selon un taux de féminisation de 75% : ((effectif féminin x 3) + effectif masculin) / effectif pondéré total
Lecture : parmi l’échantillon des femmes ayant obtenu le CAP d’institutrice en 1950 dans le département de l’Oise et n’ayant pas bénéficié d’un exeat, 60% ont terminé leur carrière professionnelle dans une classe primaire, 7% ont effectué une des mobilités internes, 4% ont effectué une mobilité externe et 29% ne figurent plus dans les archives départementales.

L’observation de ce tableau montre qu’il existe des différences significatives entre les hommes et les femmes, puisque les fréquences de mobilité divergent fortement selon le genre. Le départ à la retraite depuis la position standard dans une classe primaire concerne six femmes sur dix et seulement quatre hommes sur dix. Les différentes formes de mobilité concernent à peine plus d’une femme sur dix et près de cinq hommes sur dix, tandis que les pertes d’information dans les archives départementales touchent trois femmes sur dix et un homme sur dix.

Afin d’avoir une vue d’ensemble de ces données, on peut en produire une représentation graphique, qui facilite les comparaisons :

Figure 52 : Mobilité professionnelle sur la durée d’une carrière
Figure 52 : Mobilité professionnelle sur la durée d’une carrière

Source : tableau précédent
Lecture : parmi l’échantillon des femmes ayant obtenu le CAP d’institutrice en 1950 dans le département de l’Oise et n’ayant pas bénéficié d’un exeat, 60% ont terminé leur carrière professionnelle dans une classe primaire, 7% ont effectué une des mobilités internes, 4% ont effectué une mobilité externe et 29% ne figurent plus dans les archives départementales.

Cette présentation synthétique montre que les taux de mobilité calculés sur l’ensemble de la cohorte masquent deux situations complètement divergentes parmi les femmes et parmi les hommes. On peut en retenir que, dans les situations dûment répertoriées en fin de carrière, la mobilité professionnelle semble concerner un cinquième des enseignants, mais touche un instituteur sur deux et une institutrice sur dix.

Les deux différences les plus saillantes concernent la mobilité interne et la perte d’information dans les archives départementales. D’une part, les hommes monopolisent largement la mobilité interne (dans un rapport supérieur à cinq pour une) et d’autre part les "dossiers perdus" concernent près d’une femme sur trois et seulement un homme sur dix.

L’étude des filières internes de l'institutorat au chapitre cinq et l’examen des mobilités hiérarchique et catégorielle au chapitre six nous ont permis de noter les variations de la mobilité interne selon le genre.

Quelles particularités des carrières féminines peuvent expliquer que le taux de "dossier perdu" par les archives départementales soit presque trois fois plus important parmi les femmes que parmi les hommes ? On peut constater que trois dispositions réglementaires concernent presque exclusivement les femmes : la disponibilité (c'est-à-dire le congé sans solde) pour suivre son conjoint ou pour élever ses enfants, l’exeat (c'est-à-dire le changement de département) pour suivre son conjoint et la retraite anticipée.

Les deux premiers dispositifs administratifs sont accessibles à tous les enseignants sans distinction, mais nos pointages dans les archives de la Loire montrent que le recours à ces deux possibilités est presque exclusivement féminin (avec un taux de féminisation supérieur aux trois quarts des demandes). Comme le travail à temps partiel, ces possibilités de changer de département d’exercice ou de bénéficier d’un congé sans solde pour des raisons familiales ne sont pratiquement utilisées que par des femmes. Rares sont les hommes qui considèrent leur traitement d’instituteur comme un "second salaire" et qui y renoncent pour ne pas entraver la carrière de leur conjointe (en demandant une disponibilité ou un exeat pour suivre leur conjointe) ou pour se consacrer à l’éducation de leurs enfants.

Les seuls recours masculins que nous avons rencontrés lors de notre enquête correspondent en fait à des stratégies de prudence, qui consistent à demander une disponibilité au motif officiel de suivre sa conjointe ou d’élever ses enfants mais avec l’objectif réel d’exercer une autre profession sans avoir à démissionner trop rapidement de l'institutorat. La disponibilité n’interdisant pas d’exercer une activité professionnelle, elle permet de "tenter sa chance sans brûler tous ses vaisseaux", en gardant durant plusieurs années le droit de revenir à l'institutorat en cas d’échec. Et l’on voit bien que ces parcours masculins de reconversion professionnelle utilisant les dispositions administratives "comme un parachute" (dixit un répondant) n’ont rien de commun avec les recours féminins aux mêmes dispositifs dans des parcours qui conduisent à la position de "mère au foyer" et constituent donc un abandon de toute carrière professionnelle.

La retraite anticipée ou “retraite proportionnelle” est (du moins au moment de rédiger ces lignes…) une disposition réservée exclusivement aux femmes ayant élevé ou moins trois enfants ( 304 ). Elle permet au bout de quinze ans de service (soit moins de la moitié de la carrière) de partir à la retraite à sa demande et de percevoir une pension sans attendre l’âge légal de la retraite (soit 55 ans pour les instituteurs et 60 ans pour les professeurs d'école). Le cadre réglementaire de la retraite proportionnelle restreint fortement les possibilités d’entamer une seconde carrière et nous n’avons rencontré que deux cas de réorientation professionnelle (vers le travail social et vers l’artisanat) dans notre enquête par questionnaire. Les très nombreuses retraites proportionnelles que nous avons repérées dans le fichier informatique de gestion de notre département d’origine correspondaient toutes à des sorties définitives de l’emploi.

Notes
304.

 Selon des modalités ouvertes aux militaires de carrière, qui semblent y avoir souvent recours pour entamer une seconde carrière "dans le civil".