Un métier de classes moyennes, loin des “oblats de l’école

Tout d’abord, la scolarisation de l’ensemble d’une génération ayant fortement augmenté au fil des décennies, l’accroissement des taux de fréquentation de l’enseignement secondaire puis supérieur a conduit à une relative banalisation des cursus longs et à la dévaluation sociale des diplômes (et particulièrement du baccalauréat). Même dans les milieux socialement défavorisés, l’accès à l’enseignement secondaire ne passe plus par des "arrangements sociaux" comme ceux que proposait l'École normale avec le concours à quinze ans et les opportunités de continuations d’études. Frédéric Charles a relevé tous les changements de postures des enseignants du premier degré lorsque l’on est passé des “oblats de l’école” qui devaient tout à l’école (y compris certaines formes de mobilité en cours de carrière !) aux “nouveaux normaliens” entretenant des relations beaucoup plus distanciées avec leur groupe professionnel d’appartenance (provisoire ?).

La mobilité professionnelle en cours de carrière est fortement liée aux origines sociales des enseignants du premier degré, dont de nombreuses études ont noté le “lent embourgeoisement” ( 312 ). Si l’on observe la situation actuelle, on peut retenir que, globalement, le recrutement social des enseignants du premier degré passe d’une prédominance du groupe social inférieur parmi les plus de quarante ans à une forte présence du groupe supérieur conjuguée à une égalité numérique entre les groupes inférieur et moyen parmi les moins de trente ans ( 313 ). La répartition des origines sociales parmi les professeurs d'école s’écarte de plus en plus de celle de la population active française pour converger avec celle des autres enseignants.

Ces évolutions conjuguées conduisent à penser qu’à l’avenir, on ne rencontrera plus guère ni “le choix de la raison” –opéré avec (ou par) les parents que nous avons présenté dans la première section de ce chapitre– ni les nombreux effets de lignée que nous avons examinés dans le chapitre sept.

Notes
312.

 BERGER Ida, 1979, Les instituteurs d'une génération à l'autre, PUF – BERGER Ida & BENJAMIN Roger, 1964, L'univers des instituteurs, Editions de Minuit – CHARLES Frédéric, 1988, Instituteurs, un coup au moral !, Ramsay – GEAY Bertrand, 1999, Profession : instituteurs. Mémoire politique et action syndicale, Seuil – PEYRONIE Henri, 1998, Instituteurs : des maîtres aux professeurs d'école, PUF

313.

 Les répartitions entre classes supérieure, moyenne et inférieure s’établissent ainsi en 1994 : parmi les moins de trente ans S=25%, M=42%, I=33% et parmi les plus de quarante ans S=15% M=30%, I=55%. Pour de plus amples développements, voir notre chapitre sept et THÉLOT Claude, 1994, « L'origine sociale des enseignants », Éducation & formations N°37.