Rôles actantiels ou le récit lu comme une quête

L’analyse structurale du récit définit plusieurs types d’actants, et l’on doit noter qu’un actant peut correspondre soit à une personne (« actant individuel » selon Greimas, ici le père du narrateur, et l’actant la figure paternelle) soit à plusieurs personnes (« actant collectif » selon Greimas, ici les enseignants du premier degré et l’actant les pédagos). Mais la notion d’actant n’est pas équivalente à celle de personnage et encore moins à celle d’individu, car une même personne –un même « acteur » dans la terminologie consacrée– peut endosser plusieurs « rôles actantiels » dans le récit. Reprenons la définition du concept d’actant :

‘« L’actant peut être conçu comme celui qui accomplit ou qui subit l’acte, indépendamment de toute autre détermination. Ainsi, pour citer L. Tesnière, à qui ce terme est emprunté, "les actants sont les êtres ou les choses qui, à un titre quelconque et de quelque façon que ce soit, même au titre de simples figurants et de façon la plus passive, participent au procès". Dans cette perspective, l’actant désignera un type d’unité syntaxique, de caractère proprement formel, antérieurement à tout investissement sémantique et/ou idéologique. [...] »
A.J. Greimas, J. Courtés, 1979, Sémiotique, Hachette, entrée "actant"’

Un actant ne se définit jamais isolément, mais est constitué dans un ensemble de relations qui le relie aux autres actants du récit. Ces relations entre actants permettent de définir un système de places (de rôles actantiels), selon une grammaire narrative qui permet de générer la structure sous-jacente commune à tous les récits. Dans les grandes lignes, le modèle actantiel détermine la structure générale d’un récit de la manière suivante :

Figure 1 Schéma représentant le modèle actantiel
Figure 1 Schéma représentant le modèle actantiel

Dans ce modèle, un récit manifeste les relations établies entre des rôles actantiels : le DESTINATEUR indique au SUJET quel est l’OBJET de sa quête et quel en est le destinataire ; l’adjuvant est celui qui aide le sujet dans sa quête et l’opposant celui qui l’entrave.

La structure narrative de base comprend quatre types d’énoncés :

la manipulation, dans laquelle le destinateur influence le vouloir-faire du sujet ;

la compétence, dans laquelle le sujet affronte une épreuve qualifiante et acquiert par là un savoir-faire ;

la performance, dans laquelle le sujet affronte l’épreuve principale et montre par là un pouvoir-faire ;

la sanction, dans laquelle le sujet remet l’objet de valeur au destinataire, en retour le judicateur lui accorde la reconnaissance : le sujet est reconnu et acquiert un savoir portant sur sa propre valeur. Ce don/contredon met un terme au contrat établi dans la manipulation.

On peut remarquer que le premier et le dernier élément concernent le plan cognitif (établissement et sanction du contrat, persuasion et évaluation), tandis que les deux autres concernent le plan empirique de l’action (réalisation du contrat). On doit noter enfin que les éléments narratifs ne sont pas toujours tous présents dans un récit donné, et qu’une production langagière –comme un entretien biographique de recherche– peut renvoyer à plusieurs structures narratives.

Afin de tenir compte de ce qui vient d’être dit, sans pour autant mettre en œuvre une analyse sémiotique exhaustive, tâchons de passer d’une analyse inductive en termes de personnages à une analyse déductive en termes de rôles actantiels. En considérant toutes les unités élémentaires codées en actant, on voit émerger deux pôles dont l’un est positif et l’autre négatif, par rapport au narrateur et à son action. Sur le versant positif, se trouvent les intervenants qui incitent le narrateur à aller de l’avant, qui l’aident ou l’encouragent. Sur le versant négatif, se trouvent les interventions marquées par le mépris, la critique, la remise en cause ou l’entrave à l’action du narrateur. Cela renvoie aux rôles actantiels adjuvants opposants, mais la structure du récit ne se réduit pas à une simple opposition dichotomique, puisque certains actants en opposition ont servi de déclencheur et relèvent moins du rôle de l’opposant dans le plan pragmatique que de celui de destinateur dans le plan cognitif. On a vu au chapitre trois que l’on peut définir trois pôles actantiels dans le récit de Daniel, autour de l’approbation, l’autorisation et le conflit.