Mais prendre au sérieux ce que disent les acteurs sociaux et comment ils le disent, ne signifie pas que l’on va être dupe des limites du matériau recueilli et du statut du texte analysé. Nous sommes confrontés non seulement à une réponse provoquée par l’entretien, mais aussi à un discours construit dans le cadre de la situation sociale d’interaction que constitue inévitablement un entretien. Il s’agit d’une situation sociale préparée et provoquée par le chercheur, dans laquelle le répondant produit des énoncés dont il tente de maîtriser les effets pour garder le contrôle de l’interaction. Nous avons eu l’occasion, durant l’analyse des récits, de pointer des éléments de discours relevant assez directement des conditions sociales de sa production, et par lesquelles le locuteur ne se contente pas de décrire objectivement sa biographie professionnelle, mais tente de contrôler le sens de la situation sociale de l’entretien par des dénégations, par des allusions ou par des affirmations destinées à influencer le destinataire réel (la personne du chercheur participant à l’entretien) ou virtuel (les destinataires de la recherche). Il convient en effet de rappeler que « toute parole –si importante que soit sa valeur référentielle et informative– se formule aussi à partir d’un "qui je suis pour toi", "qui tu es pour moi" ; l’action qu’elle engage se manifeste à travers des actes illocutoires. » ( 342 ). On voit donc que l’analyse d’un entretien biographique de recherche doit non seulement examiner le contenu manifeste de ce qui est dit, mais également s’intéresser au contenu latent manifesté dans les effets de discours manipulant l’implicite, la connotation, la dénégation et mobilisant la fonction phatique ou illocutoire du langage.
FLAHAULT F., 1978, La parole intermédiaire, Seuil (p.50)