Transcriptions des entretiens

Alain

Pour essayer de compléter le questionnaire, je voudrais savoir comment vous vous expliquez que vous êtes arrivé là où vous êtes aujourd’hui.

Donc, un peu mon parcours professionnel depuis le début ?

Oui et, à votre avis, qu’est-ce qui a fait déclic dans votre trajectoire ?

Ce que je veux bien essayer de faire c’est de raconter les grandes lignes de mon itinéraire professionnel et puis vous m’interrompez, vous me posez des questions si vous le voulez, pour avoir des précisions. Je passe le bac en 77, et je m’inscris en faculté de biologie. Donc, comme tout étudiant en faculté avec peu d’idées préconçues si ce n’est que j’étais effectivement branché par la biologie et que je me destinais plus ou moins aux Eaux et Forêts, enfin à l’époque c’était ça. Et puis, comme aussi beaucoup d’étudiants en faculté, relativement dérouté par le travail universitaire. Et donc voilà, au bout de quelques mois j’étais en situation de recherche de réorientation. Et à ce moment là, j’ai rencontré X. Y. <prénom, patronyme> –qui à l’époque faisait de la formation– par un concours de circonstances, j’ai rencontré X. Y. et j’ai travaillé avec lui dans des animations d’été. On faisait du théâtre ensemble et on faisait des animations et bon, on a été amenés à parler un peu de son boulot, à lui, qui, à l’époque, était prof de français en collège. Et sur ces discussions d’été, sur ce théâtre, sur ces animations, sur les contacts avec les gamins pendant les vacances, j’ai passé le concours de l’Ecole normale. Un peu suite à une rencontre fortuite. Et donc j’ai été admis à l’Ecole normale. C’était l’époque où on passait l’Ecole normale en... il suffisait d’avoir le bac, c’était la première année de la formation en trois ans. Et là à l’Ecole normale de N. <ville>, ça s’est passé plus ou moins bien. C’est-à-dire que c’était une promotion essentiellement féminine, donc c’était facile pour un garçon de se faire remarquer. Donc voilà, j’ai eu des contacts assez privilégiés avec des profs que je côtoie encore aujourd’hui, <prénom patronyme> prof d’histoire géographie, avec qui j’ai pas mal travaillé...

Et puis après, c’est la carrière d’un instituteur... titulaire mais sans poste fixe donc j’ai fait essentiellement des décharges de direction dans l’ouest de N., pendant une dizaine d’années. Pendant une dizaine d’années, en essayant de me fidéliser toujours un quart de décharge. Bon, ben, dix ans, où je mise essentiellement sur le côté relation pédagogique, c’est-à-dire que, outre la formation initiale Ecole normale, je n’avais pas grand chose d’autre comme terrain théorique d’approfondissement. Donc c’est vraiment une formation sur le tas, où, effectivement, entre les différentes personnalités des enseignants rencontrés, les directeurs et les publics concernés, j’ai acquis une relative maîtrise de la classe finalement. C’est-à-dire dans la mesure où j’intervenais très-très ponctuellement, bon, il fallait une certaine souplesse, une adaptabilité qui, je pense, ont forgé effectivement ce qui sera pour moi un atout plus tard.

C’est vrai que lorsque je vais me retrouver une douzaine d’années plus tard titulaire d’une classe –toujours dans l’ouest de N. à O.– bon ben j’arrive dans une équipe. Titulaire d’une classe, ça n’a pas posé de problèmes, j’ai très vite pu faire ma place dans cette équipe. Et c’est à partir de ce moment là, donc c’est au bout de dix ans de métier que j’ai ressenti la nécessité d’approfondir un peu un certain nombre de points théoriques entrevus rapidement à l’Ecole normale. J’ai mesuré le risque de routine, d’enlisement dans le métier. Donc, là, ben il y a différentes pistes qui se sont offertes à moi, j’ai fait un certain nombre de stages de formation continue, avec madame A. inspectrice de l’Education nationale... C’est un peu la mise en place des cycles... c’est-à-dire que moi j’ai vécu... Bon j’étais encore non titulaire d’une classe à l’époque de la mise en place des cycles. Mais, bon, et dans la mesure où les choses se font lentement, je suis arrivé dans une équipe au moment où vraiment on essaye de réfléchir un peu sur la mise en place des cycles.

Vous pouvez me préciser l’année, ou la période ?

Quand j’arrive, c’est en 93 à peu près. Donc cette nécessité de mettre en place la loi d’orientation, et puis des conflits –enfin des conflits... des discussions– enfin si, les conflits que ça pouvait générer entre différents personnels, un petit peu liés à l’âge et à la formation, cette confrontation... m’ont amené justement à essayer d’étayer un petit peu mes assises théoriques. Donc... ben, stages de formation continue, sciences de l’éduc. et puis le CAFIPEMF que j’ai passé il y a donc trois ans. Mais dans l’esprit, c’était toujours... au départ, il y a 5 ou 7 ans c’était vraiment dans une perspective de ressourcement intellectuel pour éviter de continuer de faire la classe en... Bon, parce qu’on parvient effectivement à une relative maîtrise technique de la classe, c’est-à-dire qu’on vit dans un confort intellectuel et physique. C’est-à-dire que le matin, j’arrivais en classe c’était rôdé, les gamins de l’école me connaissaient, bon dans la mesure où ce n’était pas... où la situation n’était pas difficile, bon c’était très-très confortable. Donc c’était la volonté dans un premier temps de rompre ce côté routinier...

Est-ce que vous pouvez m’en dire plus sur votre choix "sciences de l’éducation" ? Est-ce que vous pouvez expliciter ce que vous êtes allé y chercher et ce qui vous avez effectivement trouvé ?

Je n’ai pas trouvé exactement parce que... ça restait l’université et que j’ai de mon échec... –puisque ça reste un échec, ça reste quand même un échec pour moi mes premières années après le bac– j’ai une espèce de cicatrice finalement, qui fait que je suis... je suis relativement allergique à l’université et au côté obligé d’un certain nombre de passages d’UV, de mémoires. Enfin il y a tout un côté strict qui ne me convient pas dans la mesure où justement, depuis... enfin depuis que je suis enseignant, j’ai un côté très autodidacte, très éclectique. C’est-à-dire que je peux me passionner très-très vite pour une chose. Je peux faire de l’astronomie pendant trois ans à fond, construire une lunette, passer des nuits à l’observatoire, et puis du jour au lendemain ça disparaît. Donc j’acquiers comme ça un certain nombre de connaissances mais qui ne sont jamais... validées... sur un plan universitaire ou professionnel. Et du coup, je cultive un peu ça par défaut, c’est-à-dire que je... j’ai du mal à mener des projets à terme quoi. Alors, que ce soit des projets personnels ou finalement des projets professionnels ou universitaires.

Donc, votre inscription en sciences de l’éducation, c’était pour trouver une validation universitaire, voire prendre une revanche sur...

Oui, oui, tout à fait, il y avait un besoin –bon maintenant il existe toujours un peu mais...– il y a un besoin de validation... voyez, de validation scolaire finalement de... mon parcours. C’est-à-dire que j’ai... je suis devenu un expert entre guillemets, grâce à une certaine pratique, grâce à une réflexion, grâce à un minimum de formation, mais cette expertise n’est pas validée par un diplôme. Donc, ça c’est... alors en même temps c’est aussi –et là encore plus cette année où j’ai pu le cultiver mais tout en vivant de temps en temps de manière un peu douloureuse ce manque de reconnaissance universitaire– c’est toute cette ambiguïté que je trimballe avec moi depuis... mais qui est plus de l’ordre psychanalytique que professionnel, mais que je trimballe avec moi, quoi

Quand vous êtes allé en sciences de l’éducation, vous aviez déjà passé le CAFIPEMF ?

Non, non c’était bien avant.

Est-ce que vous vous attendiez à renforcer une expertise professionnelle, à avoir quelque chose de vraiment décalé, ou... sur quelles représentations ?

Oui, c’était pour un renforcement d’expertise, pour un approfondissement sur un plan théorique, c’était une nécessité de prendre du recul par rapport à une pratique. Mais là aussi, à travers les différents cours rencontrés en sciences de l’éduc, il y avait des tas de choses qui étaient trop éloignées de mes préoccupations de terrain pour avoir un écho et pour pouvoir justement m’y astreindre : je vais dire, les cours de statistiques, des choses comme ça me... et puis le.. bon, et puis ce qui est vrai pour tous les étudiants de sciences de l’éduc, une surcharge de travail importante quoi. Donc euh... voilà et puis ben le... euh...

Et le moment du déclic, le moment où vous avez ressenti que vous alliez partir, que vous étiez en train de quitter la classe ?

La volonté de changement, de quitter la classe, encore que je voulais... que... dans mon esprit ce n’est pas quelque chose qui devait être en rupture mais je voulais... je voulais euh... dégager une espèce de mi-temps. C’est-à-dire la perspective de faire de la formation d’adultes, d’enseignants et de continuer quand même d’avoir un pied dans la classe avec les gamins, c’était vraiment une perspective qui me séduisait tout à fait. Donc c’est vrai que dans cette idée, le CAFIPEMF était pour moi une évidence, avec en ligne de mire –enfin, en ligne de mire, disons que je pensais à– passer le concours d’IEN très rapidement parce que j’avais besoin, sur un plan personnel, de... d’être... de rencontrer, d’être confronté, de côtoyer des adultes. C’est-à-dire que le côté euh... la relation unique à une classe, unique à des enfants, à de jeunes enfants, n’était pas envisageable pour moi sur 37 ans.

C’était l’élément central en somme, ce qui vous...

C’est-à-dire que ce que j’avais vécu, si vous voulez, ce qui s’est passé c’est que quand je ressens ce besoin de... d’approfondissement théorique, c’est aussi quand même une manière de dire « attention maintenant avec les gamins »... « tu as été jusqu’où tu pouvais aller dans la connaissance de toi, dans la connaissance de la classe, et si tu dois continuer comme ça, tu vas... » Bon, il y avait des moments de patience qui étaient beaucoup plus raides qu’avant, des situations que je remettais en place sans me poser trop de questions. Donc, je faisais référence à mes années de début, un peu à mes années d’engagement un peu militant vis à vis de l’école en me disant : « quand tu feras ce métier d’une manière un peu répétitive, et sans enthousiasme majeur, il sera bon d’arrêter ». Donc dans la mesure où j’avais fait déjà une bonne dizaine d’années, sans forcément vouloir quitter la classe, il y avait nécessité de donner un plus. Et dans un deuxième temps, là ça faisait 17 ou 18 ans que je faisais la classe, il y avait nécessité aussi de quitter un peu la classe pour pouvoir garder du plaisir à y retourner, c’est à dire que j’avais besoin de... Bon, j’ai pris une direction. Déjà le fait d’avoir une direction, d’avoir un quart de temps consacré à la gestion d’une équipe, à la rencontre, me permettait quand même d’avoir une optique d’ouverture sur les autres qui était nécessaire, quoi, de pas rester... dans la classe. Je ne pouvais pas envisager 37 ans ½ face à des élèves, quoi.

Si j’essaye de reformuler ce qui vous a finalement mis en mouvement –sans que vous le sachiez forcément dès le départ– c’est le sentiment de maîtriser, qu’il n’y avait plus nécessité d’un engagement personnel important...

Oui, l’engagement était toujours là, je n’ai jamais été en classe en situation de déprime ni de mal être, pas du tout. Je veux dire la relation avec les gamins restait bonne, l’entente avec les parents restait sympathique, j’étais bien dans mon job. Mais je mesurais –bon, à travers aussi ce que je pouvais voir autour de moi– entre les collègues et les discussions que l’on pouvait avoir avec d’autres collègues de mon âge, la nécessité à la fois d’une re-mobilisation intellectuelle, ça je crois que c’est fondamental, et puis l’âge venant enfin un peu... comment dire ? Le côté emploi du temps de ce boulot, c’est-à-dire d’être... [la contrainte horaire ?] la contrainte oui d’être là de 8h20 à 11h30, c’est... En termes horaires cette année je travaille vraisemblablement beaucoup plus mais en même temps avec une liberté de gestion du temps qui vaut, qui vaut pas mal, quoi. Et donc, je me disais « j’ai 40 ans, bon il faut que j’envisage des portes qui me permettent de pouvoir justement mettre un petit peu de souplesse dans tout ça, pour éviter de me retrouver à 55 ans en faisant huit heures et demi quatre heures et demi, les vacances etc. ». Il y avait un côté un peu routinier, fonction publique qui me faisait un petit peu peur.

Sur le point très précis des contraintes, vous pouvez le mesurer maintenant mais est-ce que, lorsque vous étiez en poste dans une classe, c’était un élément que vous arriviez à expliciter déjà ou est-ce que vous le reconstruisez aujourd’hui ?

Non, non, la contrainte temps, la contrainte emploi du temps était et a toujours été très forte. Elle devenait de plus en plus forte, quoi. Mais ce n’est pas reconstruit, ça c’était vraiment... Bon, autant le ressourcement théorique et intellectuel, bon, –dans la mesure justement, bon, où l’enseignant a du temps de libre– bon, j’avais un ressourcement personnel possible, mais la gestion du temps, et la nécessité de rencontrer d’autres interlocuteurs que des enfants était absolue. D’autant que, effectivement quand je suis entré dans le métier, je n’étais pas père de famille et je suis devenu père de famille. Il y avait une espèce de continuité entre ce que je vivais professionnellement et ce que je vivais à la maison, qui devenait... Bon, je quittais des gamins de six - douze ans pour retrouver les miens qui avaient quatre - huit ans. Bon, enfin j’avais envie de rencontrer des adultes, quoi. Donc, il y avait une sorte de recherche d’équilibre important.

Vous disiez tout à l’heure qu’à un moment vous vous êtes dit « il faut que j’envisage des portes » qu’est-ce que vous aviez envisagé ?

Ben c’était... alors, sur le coup, ça été un peu chronologique et classique, c’est-à-dire que j’ai demandé une direction. Donc l’entretien de directeur plus la direction que j’ai obtenue deux ou trois ans plus tard... la direction ensuite le CAFIPEMF et puis –si j’avais continué– c’était de passer le concours d’IEN. Je l’aurais peut-être passé cette année, vraisemblablement cette année...

Et ici ? est-ce que vous pouvez retracer l’historique, comment êtes-vous arrivé ici ?

Alors ici, c’est très rapide et là aussi très... très fortuit. C’est que euh... Donc XY. <professeur de Lettres cité au début> est nommé directeur en mai juin. Donc il sera effectivement directeur à la rentrée. Dans le cadre de l’action Z., le ministre lui a confié le pilotage de Z. –on va dire comme ça– et dans le cadre de Z., il y a une recherche qui doit être menée sur un échantillon d’écoles. (...) Donc il fait appel à deux personnes : un chargé de mission –A.B. <prénom patronyme> qui est IEN– et il voulait associer à A.B., inspecteur, un directeur de terrain. C’est-à-dire, dans son idée, qu’il voulait quelqu’un qui soit capable d’avoir une vision très pragmatique de l’Ecole tout en ayant un peu réfléchi sur la question. Donc, là... le fait que j’ai travaillé avec lui, dans différents domaines depuis une vingtaine d’années fait tilt. C’est-à-dire que ce n’est pas sur les compétences particulières ou... c’est... Effectivement, il y a une relation... oui, c’est fortuit. Des directeurs d’école sur N., il y en a beaucoup, simplement on est peu à avoir travaillé avec lui de manière continue depuis vingt ans.

Et de votre côté, ça a fait tilt aussi ? car en termes de perspectives de carrière, sans être carriériste, on peut...

Tout à fait, en termes de perspectives de carrière, alors je ne me suis pas du tout posé... et alors là très sincèrement, d’autant plus que justement en termes de carrière, ce n’était pas forcément le meilleur choix. Je ne me suis absolument pas posé la question en termes de carrière. Je me la suis posée en termes d’expérience, formation personnelle... [c’est l’aventure, presque]. Tout à fait l’aventure et puis le côté blanc seing que j’aurais pu donner à X.Y., c’est une totale confiance en l’homme et en ses idées quoi. Donc... et puis aussi, bon, ce n’était pas quelque chose qui m’engageait pour la vie. C’est-à-dire que pour moi, c’est une étape, c’est un petit moment, c’est avec plaisir que je suis là. J’ai passé une année à la fois riche et des fois difficile et des fois... bon. Mais à aucun moment, je n’ai été amené à regretter mon choix. Alors, ce qui était marrant finalement, c’est que j’ai reçu un coup de fil fin août de l’IA qui me proposait un poste de conseiller pédagogique auprès de l’IEN adjoint sur les publics migrants. J’étais en vacances, j’attendais plus ou moins une lettre de confirmation de l’IA par rapport à mon poste –bon, parce que c’est passé par les tuyaux du ministère, donc dans le département, ils n’étaient pas forcément au courant fin août–. Je reçois un coup de fil, pensant que, effectivement, c’était pour mon détachement, enfin pour ma mise à disposition ici, et on me proposait un autre poste. Donc finalement, au moment où... enfin, c’est ce que je disais avec des collègues et puis en famille, un instituteur, un directeur d’école qui se voit proposer deux postes la même année, ça court pas les rues. Donc, euh...

C’est quelque chose que j’ai déjà rencontré, des personnes qui voient tout d’un coup plusieurs portes s’ouvrir au même moment...

De toute façon, si je n’avais pas été mis à disposition ici, je n’étais pas en classe à la rentrée, puisque j’étais à l’inspection académique. Ce qui –là, en termes de carrière effectivement– était plus classique et plus...

Parce qu’ici... votre statut, c’est un détachement ?

Cette année, c’était une mise à disposition, c’était la formule la plus rapide. Donc j’ai une mise à disposition renouvelée pour l’année prochaine. Sachant que j’ai fait, alors là en termes purement financiers, une demande de détachement que j’ai donnée aujourd’hui à partir du premier janvier 2000. C’est-à-dire que si tout se passe comme prévu, je devrais être détaché pour un an au premier janvier 2000. C’est aussi une histoire financière : c’est que moi dans l’histoire, j’ai perdu beaucoup d’argent, parce que j’étais directeur d’école avec des indemnités et des heures sup. mairie et que là, j’ai été mis à disposition sur la base de prof d’école. Donc pour cette année, j’ai un manque à gagner, dans la mesure où quand on est détaché, il y a a priori un échelon, voire deux, on ne sait pas encore exactement, le temps du détachement. Bon, cet échelon compenserait en partie l’indemnité.

Il y a beaucoup de détachés dans le ministère ?

Alors, de détachés du premier degré, très-très peu. Justement, une des volontés (...), c’est d’arriver à faire en sorte que la recherche donne possibilité à des enseignants du premier degré –dont beaucoup ont des cursus universitaires ou sont en situation de recherche– d’être détachés. Donc, on est très peu du premier degré (...)

Et les détachés ont un contrat annuel ?

Alors, jusqu'à présent, les conditions, je ne les connais pas trop... d’après ce que j’ai pu comprendre, c’était un détachement de cinq ans renouvelable, mais la volonté de X.Y., c’est de faire une fois trois ou une fois quatre, enfin un détachement de trois ou quatre ans, le temps d’une recherche à peu près et renouvelable une fois seulement. Actuellement, il y a des gens qui sont ici depuis très longtemps. La volonté de X.Y., c’est d’avoir un noyau assez restreint, que l’on pourrait appeler noyau dur, de personnes qui gardent la mémoire, et puis un deuxième cercle concentrique, où, là, on aurait des personnes détachées quatre ans renouvelable une fois, donc des chercheurs (...) Et d’après ce que j’ai pu observer cette année, ça me paraît être une formule très intéressante, on éviterait d’avoir des chercheurs dits professionnels qui ont effectivement quitté l’enseignement depuis tellement longtemps, qui ont des compétences de recherche fortes, mais où il est difficile d’expliquer que cette recherche doit être au service de pratiques de terrain, et que les pratiques de terrain doivent interroger ces chercheurs : il doit y avoir une double irrigation quoi. Or, si les gens sont dans un domaine depuis trop longtemps, et trop coupés du terrain et, en plus, essentiellement universitaires, il est difficile de pouvoir répondre à des préoccupations du collège, du lycée et du premier degré.

Et vous, votre situation ?

Moi, ma situation, renouvellement de ma mise à disposition pour l’année prochaine, avec, éventuellement, mais ce n’est pas acquis du tout, parce que ça dépend de tas de... facteurs budgétaires et administratifs, un détachement d’une fois quatre ans. (...) Le court terme pour moi, c’est... on est engagé pour trois ans sur la recherche, donc moi, mon objectif c’est de mener à bien cette recherche. Là, on a mis un an à mettre en place toute une logistique, (...) ce n’est pas simple... ça a été plus long qu’on le pensait, pas plus compliqué mais plus long. C’est-à-dire qu’il a fallu... il y a une machine lourde... j’ai pu mesuré... Alors là pour moi c’est tout le côté formateur de cette année, j’ai vu effectivement... enfin je ne... j’avais une connaissance du système éducatif, mais du côté de l’Ecole, du côté des enseignants, le côté pédagogique. Cette année j’ai vu le système éducatif du côté administratif, j’ai appris beaucoup, beaucoup là dessus. Et en termes professionnels si demain je dois être IEN, si je dois passer le concours, j’ai une bonne formation de terrain. J’ai rencontré tout au long de l’année des IA, des recteurs, des IGEN, donc j’ai vu leurs boulots, j’ai vu leurs compétences, j’ai vu... j’ai vu des tas de choses, j’ai vu leurs limites, leurs incompétences parfois, donc j’ai vu une large... [l’arrière boutique en quelque sorte ?] Oui, j’ai vu l’arrière boutique, ça c’était très intéressant, c’était très formateur, pour le coup, en termes purement personnels et si je dois... Bon et pour moi statutairement, il faudra que je puisse bouger un peu, et si une des pistes possibles, c’est l’inspection, et bien j’ai vu beaucoup, beaucoup de... l’arrière boutique.

Donc, c’est l’aventure, mais pas une rupture complète ?

Non, non, parce que j’aurais passé trois quatre ans, vraisemblablement trois ans qui me permettront d’embrayer, et qui me permettront d’embrayer peut-être d’une manière plus forte que si, justement... et certainement moins classique parce que j’aurais vu des tas de choses, j’ai vraiment vu l’arrière boutique dans tous ses recoins et à tous ses niveaux. J’aurais eu un cursus classique, de promotion sociale entre guillemets... bon ben voilà... [une promotion interne ?] Une promotion interne : c’est un bon IEN, il a connaissance des pratiques, mais j’aurais vraisemblablement plafonné. Là, je ne serai pas un meilleur bonhomme, mais disons que j’aurais une connaissance du terrain, une connaissance des enjeux qui se jouent, également une capacité... bon, j’ai pris vraisemblablement un peu de poids d’avoir pu... d’être en dialogue avec des interlocuteurs aussi différents que des inspecteurs généraux, des IEN, des IA, le ministre... c’est très-très formateur.

Et est-ce que ça a changé votre vision du métier d’instituteur, comment est-ce que vous le voyez maintenant ?

Je dirais peu encore, peu. La seule chose que ça a mise au jour c’est justement cette inertie des transformations des pratiques. C’est-à-dire que je comprenais mal pourquoi l’Ecole, globalement, avait autant de difficultés à bouger, tout au moins à essayer de se transformer en vue de transformations extérieures. Et ça m’a permis de comprendre pourquoi c’était aussi compliqué. Parce que, effectivement, il y a une machine très-très lourde, des enjeux de personnes très forts, ces enjeux sont multipliés par un très grand nombre. C’est-à-dire que j’ai mesuré que, finalement, l’enseignant dans sa classe est au bout d’une chaîne, alors on ne va pas le mettre tout en bas parce que ce n’est pas forcément en termes de hiérarchie forcément, mais il est au bout d’un maillon. Pour moi, je le perçois comme le dernier maillon d’une grande chaîne, alors, qui a ses qualités mais qui... qui a surtout les défauts d’un certain développement, c’est-à-dire que pour arriver à proposer des modifications sur le terrain, de proposer à un enseignant de transformer des pratiques, une organisation, il faudrait que cette chaîne fonctionne différemment. Et je me suis même souvent fait la réflexion de me dire « imaginons une espèce de fiction où, pour une raison ou pour une autre, il n’y aurait plus d’enfants de moins de seize ans en France, et bien toute cette arrière boutique pourrait continuer de fonctionner un certain temps avant même de se rendre compte qu’il n’y a plus d’élèves. » Donc, j’ai découvert ça, donc, qui n’est pas une découverte fondamentale pour l’humanité, mais disons que je comprends mieux maintenant pourquoi c’est aussi difficile de transformer... ce monde scolaire.

Et sur l’ensemble de votre carrière et de vos pratiques, finalement, quelle vision vous avez du métier d’instituteur ? Tout à l’heure vous avez parlé de la difficulté à modifier les pratiques, à diffuser les innovations... Est-ce qu’il y a d’autres choses qui vous semblent importantes ?

Non, la seule chose –mais ça peut paraître un peu prétentieux– c’est qu’à travers les différentes rencontres que j’ai pu faire, alors là en termes de rencontre de terrains et justement de connaissance un petit peu de ce qui se fait à droite et à gauche, j’ai un petit peu mesuré tout le chemin parcouru, tout mon chemin professionnel. C’est-à-dire que toutes les difficultés que l’on rencontre à mettre en situation un certain nombre de données à l’Ecole. Ne serait-ce que le travail en équipe, en partenariat, de modification des pratiques. J’ai l’impression d’avoir fait ce travail tout seul, ou par la chance de contacts dans une équipe un petit peu plus dynamique, d’avoir fait une grande part du chemin, et donc l’éclairage de cette année vient un peu conforter ce que je faisais en classe ou en équipe.

Et cette expérience que vous avez, est-ce que ça vous paraît à la marge ou représentatif ?

A la marge, c’est justement ce... ce qui conforte ça, c’est parce que, effectivement ce qui est proposé sur un plan de cadrage théorique, d’orientation... La loi d’orientation de 89 n’est pas du tout... mise en œuvre quoi. Donc, le fait que moi, personnellement, ou à travers les équipes que j’ai pu rencontrées, qu’on ait pu travailler dans ce sens là et aboutir, pas forcément à des résultats mais à des situations qui aujourd’hui peuvent paraître complètement novatrices, moi, me conforte dans le bien fondé du boulot que je faisais, mais surtout montre, oui, que l’on était complètement à la marge. Je dirais que dix pour cent des écoles en France fonctionnent de cette manière, quoi, de manière un petit peu authentique, réfléchie, constructive, ouverte, et beaucoup continuent de jouer à la maîtresse, quoi.

Et en termes de profession, l’arrivée des PE, les changements du mode de recrutement, est-ce que ça vous paraît avoir de l’impact ?

Moi, j’y ai cru, j’ai beaucoup misé là-dessus, puisque je suis arrivé à une période un peu charnière, où à la fois on était déjà différent par rapport au public existant et en même temps pas encore complètement différent, dans la mesure où on a été pris après le bac, où il y avait encore l’Ecole normale, où les profs que l’on a eu, c’était encore ceux qui y avaient été etc. etc. bref, on était un peu dans une zone charnière, donc j’ai misé beaucoup sur les jeunes arrivants... et bien ça n’a pas les effets escomptés. Pour moi, une des hypothèses que je peux faire et que l’on peut faire, beaucoup arrivent dans ce métier d’une part par défaut. C’est-à-dire que, autant la génération qui m’a précédé et encore la mienne, sans parler de vocation, il y a une volonté de militant politique ou autre de transformer un peu la société en transformant l’Ecole –même si ça peut paraître un peu naïf– autant beaucoup de nos collègues arrivent maintenant par défaut et surtout, ce qui est d’autant plus difficile je crois, avec un statut social de classe moyenne. Or les difficultés qu’ils rencontrent à l’école sont des difficultés qui ne sont pas liées à la classe moyenne. Or je crois que pour saisir les difficultés de l’école, ou d’une certaine société, il faut soi-même être un petit peu partie prenante de cette difficulté. Alors soit d’un point de vue purement intellectuel, militant, ou politique, ou syndical, soit parce que soi-même on a un peu le pied dedans. Mais ce qui a fait peut-être la force des hussards noirs de la République, c’est qu’ils étaient issus du public auquel ils s’adressaient. Or actuellement un enseignant prof d’école lui-même fils d’enseignant n’a pas forcément une capacité très forte à comprendre qu’on n’est plus forcément dans une période d’enseignement, et qu’il faut accepter de voir les choses un peu différemment quoi. D’autant que le recrutement par hausse de salaire et de statut social ne s’est pas accompagné d’une différenciation de formation, c’est-à-dire que je crois aussi, mais là aussi c’est pour dédouaner mes jeunes collègues, que la formation n’est toujours pas... à la fois la formation initiale et puis après la hiérarchie proposée n’est pas conforme aux exigences que moi je me fais de ce métier.