Christian

Donc, ce qui m’intéresse surtout, c’est le moment où vous avez décidé de faire autre chose. Souvent, c’est connecté à la façon dont on est devenu instituteur. Mais, ça dépend.

Oui, oui, je comprends. Au-delà de ce qui pourrait paraître un peu un hasard de circonstances. Pour vous il n’y a pas de hasard forcément. C’est certainement ce que vous essayez de comprendre. Y a-t-il du hasard dans ce genre de situation ?

Et vous, comment le comprenez-vous ?

On pourrait dire, il y a un hasard dans les choses de la vie, entre le non-dit, les actes manqués, c’est tout ça, quoi ? Oui, oui, d’accord, ça y est, je comprends. Alors en décembre 1978, j’ai quitté –pour être précis, je n’ai pas décidé, j’ai quitté– l’Education nationale au grand dam de mes proches qui ne comprenaient pas ce choix. Peut-être que moi, je ne le comprenais pas non plus, certainement à l’époque… Il y a une partie du hasard, à savoir que, pendant que j’étais instituteur… je m’occupais bénévolement d’un atelier photo, dans une association sur mon quartier, et le directeur de cette association était un bon copain que j’avais eu comme animateur dans les centres aérés de la même ville, lui en tant qu’animateur, moi en tant que directeur, et il me dit : « Christian, je pars faire l’armée, et l’animation, il n’y a pas d’avenir dans l’animation municipale, ça ne m’intéresse pas : au retour de l’armée, je reste dans la fonction municipale, mais je vais faire tous les concours administratifs ». Moi, j’étais toujours convaincu de l’animation, la preuve c’est que j’y suis toujours d’une certaine manière. Et j’ai dit, écoute, ça tombe bien, ton poste m’intéresse et j’en ai marre de l’Education nationale. Je n’arrive pas à y faire ce que je veux. Donc, il m’a fait rencontrer le secrétaire général de l’Education nationale. Ca c’est la période de novembre-décembre 1978. Qu’est-ce qui s’est passé avant novembre décembre 1978, c’est-à-dire avant cette concrétisation ? Des hasards… En 1968, quand j’ai passé le bac, ma foi, comme beaucoup d’étudiants, comme beaucoup de jeunes, je ne me suis pas réjoui d’avoir le bac, bon maintenant que je l’ai, bon qu’est-ce que je vais en faire ? Pour moi, ce n’était pas une explosion de joie, c’était plus une nouvelle préoccupation qui m’arrivait dessus, et… j’aimais bien jouer avec les enfants plus jeunes que moi, mais pour leur apprendre, pour leur montrer. J’insiste là-dessus parce que je crois qu’il n’y a pas de hasard de ce point de vue là, mais ces choses-là je ne les ai comprises que plus tard, quand j’ai fait des CV entre autres, et avec le recul en regardant un CV on voit une sorte de colonne vertébrale qui se construit, une logique, et en fait c’est vrai que j’étais un peu dépourvu, j’ai donc fait un bout d’études. Comme il arrive très fréquemment, j’ai fait des études un petit peu… dans le sens que voulaient mes parents, ce n’était pas forcément mon sens, mais comme moi, je n’avais encore pas déterminé ce que je voulais, j’étais comment dirais-je, influençable. Donc en fait, c’est fréquent, les parents voudraient que l’enfant se réalise dans ce qu’ils n’ont pas pu réaliser eux-mêmes. C’est un classique du genre, et j’étais dans le classique.

C’était quoi comme études ?

J’ai fait langues orientales, Langues O. Par contre ce qui est vrai, c’est que je ne voulais pas aller en fac, c’était le bordel en 1968 et j’ai horreur du bordel. Je n’ai jamais aimé l’école. Je n’ai jamais aimé l’école : ma mère m’emmenait au martinet à l’école, ça faisait rire tout le village ! Et ça surprenait en même temps que je sois bon élève, parce qu’une fois qu’on y est, il faut y être, quoi, bon. Donc s’il faut y être, je fais bien les choses, même si j’y vais à contrecœur, il y a quelque chose… j’ai un mécanisme qui est fait comme ça quoi. Même si quelque chose ne me plaît pas, même si c’est une contrainte, je la ferai bien. Je ne sabote pas. Et j’ai fait pareil dans ma démarche, j’ai fait des études parce que… bon, et puis en plus, ça faisait plaisir à ma mère, ça ne me coûtait rien de lui faire plaisir. Non, mais c’est vrai, ces motivations-là, on les comprend, mais c’est gênant. Moi, par la suite quand j’ai eu affaire, un petit peu, à aider les jeunes, à faire de l’orientation, quand j’étais directeur de mission locale, j’insistais beaucoup à ce qu’ils ne fassent pas ce que moi, j’ai considéré, me retrouver dans un piège, c’est-à-dire, un manque de discernement personnel sur des choix et donc une trop grande malléabilité de… comment je dirais, de décideur extérieur.

De tout accepter, quoi.

Parce que, en plus, j’ai un tempérament assez têtu, mais je suis en même temps relativement souple, j’ai cette ambivalence. Je suis souple, à condition qu’on sache me prendre. Si on me prend à contre-poil, alors là on n’obtient rien, mais on peut me demander beaucoup de choses, même si ça ne m’intéresse pas, même si ça ne me plaît pas, mais si on sait faire, je le ferai pour faire plaisir. Mais ça, ce n’est pas forcément une bonne chose. Et c’est comme ça que je me suis retrouvé à l’Education nationale. Je sentais que cela faisait plaisir à mon milieu familial qui voyait là une accession sociale, une sécurité dans une période où, donc là, c’était un peu après Langues O., quand j’ai commencé un peu à patauger, je me suis souvenu que ça aurait fait plaisir à ma mère qui n’était plus là, que mon père ça lui faisait plaisir pour ces raisons-là, et puis parce qu’il avait le souci que je me case rapidement, parce que bon, on ne s’entendait pas, donc, il fallait que je devienne vite autonome. Et moi en plus, bon, l’Education nationale, pourquoi pas, hein ? Pour tout ce que je viens de dire, un petit peu de malléabilité, mais en plus, parce que j’y croyais vraiment. Je croyais vraiment que j’allais rencontrer l’élite. Vraiment, même encore maintenant, c’est quelque chose qui est très présent en moi. Je croyais vraiment que j’allais rencontrer des gens cultivés, des gens qui allaient discuter fortement. 1968, bon… ça m’a marqué, bien que n’en n’ayant pas été un acteur, comment dirais-je, actif. Mais j’ai baigné dedans, par la force des choses, et 1968, ça a été quand même un grand mouvement, au-delà de la contestation, ça a été quand même un grand mouvement d’échange, d’idées, de spontanéité…

de création ?

De création. Il ne faut pas en voir simplement les pavés et compagnie. Il y a eu une envie. Moi, je parle pour moi, à mon niveau, qui n’ai pas manipulé les pavés… Il y a eu cette espèce de bouffée d’oxygène bon qui est retombée après. Bon. C’est de l’histoire ça, avec un grand H. Et j’ai été… d’ailleurs en soi, c’est intéressant, parce qu’il y a quelques émissions où l’on refait un petit peu un retour, mais très prudent parce que tout le monde a encore peur quand même de ce qu’on a frôlé en 1968. Il y a Goupil qui est ressorti, mais on sent qu’il est très marqué d’ailleurs, sur ce que sont devenus les gens de 1968, à part ceux qui sont devenus des chefs d’entreprise, et qui ont complètement tourné le dos à leur idéal. Mais même ceux-là… Il y a eu un idéal qui a marqué cette courte génération qui avait entre 18 et 25 ans. On est resté quand même un peu marqué par ça. Enfin il me semble, je parle un peu pour moi. Donc, je suis entré dans l’enseignement un peu par le hasard des choses parce que je naviguais entre deux eaux sans plus trop savoir ce que j’allais faire à la suite de Langues O. Par chance j’étais, comment dirais-je, dans le bahut où j’avais fait mes études, mais comme pion, et c’était toujours la même assistante sociale qui me connaissait depuis très longtemps, qui m’a un petit peu repoussé là-dedans parce que je n’avais plus de guide –mon milieu familial étant désagrégé– et j’y suis rentré. Donc un peu par le hasard, mais pas franchement non plus, comme je le disais tout à l’heure. Je suis un peu brouillon, parce que ce n’est pas évident…

Mais ça ne fait rien, je remettrai dans l’ordre.

Mais pas tout à fait par le hasard, parce qu’il y avait quand même pour moi, je me souviens bien, et puis c’est quand même quelque chose que j’ai toujours en tête, je peux faire quelque chose qui ne me plaît pas franchement, mais je ne ferai pas quelque chose qui me déplaît. Je ne savais pas, je ne peux pas dire si ça me plaisait vraiment. Ce qui me plaisait, donc comme je vous disais, c’était la rencontre que j’espérais au niveau des gens, et puis c’était transmettre. Transmettre un savoir. Avoir des jeunes autour de moi, et ça, ça a duré puisque c’est le travail que je fais, et tous, tous les métiers que j’ai faits depuis ont été des métiers de contact, mais un contact où l’on donne. Directeur de mission locale, ça veut dire que je m’occupe des gens qui sont dans la merde. M’occuper d’un centre de loisirs, ça veut dire que j’apporte des bases éducatives, parce que je suis convaincu que cela aide à être un citoyen, ça aide à être un adulte, etc. donc je suis très marqué par ça.

Donc, vous voyez une cohérence.

Le nombre de fois où j’ai des copains qui sont chefs d’entreprise qui m’ont dit : « Mais quand tu nous parles de tes méthodes de travail, pourquoi tu n’es pas mieux payé ? ». Mais je n’en ai rien à foutre de ne pas gagner de l’argent ! Ca m’embête de mal gagner ma vie, mais ça ne m’empêche pas de vivre. Ca m’embête en terme d’injustice parce que j’estime que ce que je fais, malheureusement, c’est du social, donc c’est dévalorisé, mais moi dans ma logique, le social, ça vaut autant que de vendre un produit commercial. Et d’ailleurs… Ca, c’est plus récent, et parfois je choque un peu, mais c’est un prof que j’ai eu dans le DEFA. J’ai passé le DEFA par la suite. Donc je ne me suis pas arrêté sur mes… –pas sur mes lauriers parce que je n’en avais pas justement– et j’ai essayé quelque part d’ajouter… Et dans le DEFA, j’ai eu un prof d’économie. Donc le DEFA, c’est un diplôme d’animation en cours d’emploi qui draine essentiellement des acteurs sociaux, qu’ils soient animateurs ou éducateurs. Et lui nous disait –et j’en suis convaincu– : « Vous vendez un produit qui est très particulier, mais n’oubliez jamais que vous vendez un produit ». Et moi je suis convaincu de ça, et parfois quand j’en parle, je vois des gens qui rentrent bien dans ce discours, et d’autres qui sont quand même très surpris. Du point de vue social, on ne peut pas parler d’un produit commercial. Je suis désolé, mais à partir du moment où il y a une relation marchande, elle est peut-être particulière mais une relation marchande puisqu’il y a de l’argent qui transite, même si c’est une subvention qui est complétée quand même par une participation des familles, il y a donc bien, et moi j’insiste sur cela parce que c’est ça qui me fait dire : « on doit être très performant sur ce que l’on vend ». Il n’y a pas de raison que ce ne soit que la relation commerciale habituelle qui soit performante (en plus, elle ne l’est pas). Mais nous, dans le public et particulièrement dans ce que nous vendons de produit social, on doit justement avoir des méthodes aussi sophistiquées que dans le privé pour vendre une voiture, etc. On doit être aussi sophistiqué parce que c’est ce l’on va amener de plus au public qui, lui, n’a pas les moyens d’acheter plus cher. Alors là on décolle peut-être un petit peu de vos préoccupations sur l’enseignement.

Ca, c’est une rupture par rapport à votre expérience dans l’Education nationale, quand même ?

Oh, ce n’est peut-être pas une rupture, c’est une prise de conscience ultérieure, par déformation complémentaire.

Oui, parce que beaucoup de gens reprochent aux enseignants de vivre un peu dans une bulle, en vase clos, par exemple les phénomènes économiques, ils y sont complètement étrangers …

Moi, je ne suis pas sûr que ce soit une rupture par rapport à l’époque où j’étais enseignant. Le problème, c’est que quand on est dans l’enseignement –et ça je l’ai ressenti quand j’ai quitté l’enseignement– j’ai eu l’impression d’ouvrir les yeux sur le monde. Je ne savais pas ce qu’était une mairie. J’entrais dans une mairie… C’est vrai que je suis entré dans un bon endroit, quelque part parce que je suis entré dans une mairie, c’est-à-dire que là on est au plus proche de la vie quotidienne du citoyen. Une mairie, elle gère tout ce qui est le quotidien du citoyen, contrairement à la fonction publique d’Etat, puisque là l’employeur, au niveau de l’Etat, il est très diffus, il est loin, il est dans les ministères, etc. Là mon employeur –qui est le décideur local– je le vois régulièrement, il me donne des ordres en transmission directe, ça ne passe pas une chaîne : le ministre, il est loin. C’est quelqu’un, si on n’allume pas la télé, on ne met même pas une image sur son nom. Là… c’est quelque chose qui m’avait frappé quand j’ai quitté l’Education nationale. L’Education nationale, je me suis aussi beaucoup posé la question après en être sorti, j’ai essayé de comprendre ce que j’y faisais. En fait, je me suis rendu compte que pour beaucoup d’enseignants, et moi personnellement, si j’étais ministre au lieu de faire certaines réformes qu’ils font maintenant, je ferai la réforme qui a eu lieu, mais très-très peu de temps : faire en sorte que les enseignants ne soient pas pendant toute une partie de leur vie devant le bureau, face au tableau et que l’autre partie de leur vie, ils soient le dos au tableau, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas changé d’univers. Je pense que les enseignants il faut les envoyer dans d’autres secteurs professionnels.

Ca s’est fait à une époque. Au milieu des années 70, je crois.

Oui, c’était obligatoire. Mais pas pour tous les corps enseignants, c’était surtout pour le technique.

Dans le technique, il y a des gens qui ont fait un an de stage et d’ailleurs, ça les a souvent marqués.

Et après, ils ont essayé de ne pas continuer l’enseignement, en sachant pourquoi, en connaissance de cause. Là, je me suis rendu compte par la suite qu’en fait un enseignant, qu’est-ce qu’il crée ? il ne crée rien. Un artisan va créer, il a sa force d’imagination, et il la traduit par son savoir-faire, même si c’est un type qui est à la chaîne, il va créer, parce qu’il participe à l’ensemble d’une construction. L’enseignant, certes, il contribue à créer… c’est déjà plus délicat à dire, un futur citoyen. Quand il est bon et quand il a les moyens. Attention, je ne voudrais pas mettre tout sur le dos des enseignants. Ils sont dans un contexte qui n’est pas évident. Le ministère quand il a fini de payer les enseignants, il n’a jamais d’argent pour donner les moyens complémentaires. Le ministère gère essentiellement la masse salariale, mais tous les moyens… Moi je me souviens, quand on allait en réunion pédagogique : mais c’était super ce qu’on allait faire ! Mais quand on retourne dans sa classe, et qu’on se dit mais mince, j’ai cinq francs par enfant, et encore, ce sont les parents qui me les ont donnés pour faire ceci. Bon, maintenant, il y a beaucoup de mairies qui contribuent. Ici, à F., la mairie contribue très largement, mais dans un tout petit village de 300 habitants. Bon. Donc déjà, l’école, elle n’est pas égalitaire pour tout le monde, ne serait-ce que de ce point de vue là. Il y a des écarts et moi à un moment donné, je me suis dit, mais l’enseignant, il ne fait tout simplement que régurgiter ce que tout son parcours préalable, quand il était sur le banc à la place de ses élèves, on lui a fait ingurgiter, mais de lui-même, il ne crée rien. Il n’a jamais eu l’occasion d’aller mesurer la vérité de ce qu’il raconte. Ce qui fait qu’un beau jour d’ailleurs, quand l’histoire change, si on nous dit que Charles Martel n’a pas arrêté les Arabes à Poitiers puisque maintenant, il y a une nouvelle thèse qui semble opposer les historiens. Bien sûr que ça on ne peut pas aller le vérifier mais je veux dire, gardons l’image, ça ne lui fait pas d’état d’âme à l’enseignant, pendant des années il va raconter un truc, pendant des années il va raconter le contraire, parce que les instructions… en fait c’est un applicateur d’instructions. Moi, j’ai compris que c’est ça qui me gênait en fait. Mais je l’ai compris après en être parti. Ca me gênait en fait de rabâcher des trucs sur lesquels je n’étais pas actif.

Vous n’aviez pas de prise là-dessus.

Les choses que l’on m’a reprochées quand j’ai été inspecté, c’est amusant. Ce sont les choses sur lesquelles j’intervenais de manière concrète. Entre autres, j’ai eu une inspectrice qui est venue un jour, et qui m’a dit, bon elle commence à me demander mon programme, etc. ce que je faisais. C’était l’époque où on commençait à faire de l’éveil, c’est-à-dire qu’il ne fallait plus parler d’histoire, de géographie, de sciences nat., tout ça devait s’articuler, etc.

Les sujets d’études. C’est ça ?

Oui, c’était la notion d’éveil, c’était les années 70. Alors moi, j’ai amené mon vélo, parce que j’étais passionné, je suis toujours passionné de vélo. Alors je faisais un cours de mécanique avec les enfants, c'est-à-dire que les enfants démontaient : je leur donnais des clés et ils démontaient le vélo. Donc c’était en école primaire, donc le genre de truc qui ne se faisait pas, hein ! Et donc à partir de là, on étudiait le cercle. C’est facile, on faisait du vocabulaire : le cercle, le rayon de la roue, on le reprend en géométrie. Je faisais le décloisonnement. Sauf que là elle m’a dit : « mais attendez, vous n’êtes pas en colonie de vacances » elle me l’a dit carrément. Je ne suis pas en colonie de vacances, mais ce n’est pas grave. Je dis, on parle du rayon, on parle du cercle, je fais du vocabulaire, je fais de la géométrie. Ah non, non. Une autre fois, elle revient m’inspecter et j’avais une classe qui était un peu située comme ça, c’est-à-dire en bordure de champ, on fait des repérages avec les enfants, et j’amène mon propre matériel, c’était toujours avec mon propre matériel, sinon on faisait rien : alors là j’ouvrais le livre, et je les faisais ânonner sur le livre et le tableau. Donc, je faisais l’effort d’amener mon matériel. Et là je monte un labo photo, et en même temps j’amène mon matériel photo et je fais faire des prises de vues aux enfants, sur la floraison, le bourgeonnement, etc. C’est un autre inspecteur, je crois, qui était venu, et était en plus spécialisé pour l’enfance inadaptée, donc je ne pensais vraiment pas qu’il allait me faire ce genre de réflexion, il m’a dit texto : « vous n’êtes pas dans une MJC, vous pliez vos gaules et vous vous fixez sur le programme ». Bon, quelques semaines après, j’ai eu mon CAP, je suis allé le voir et je lui dis : « tenez, votre programme et votre CAP, vous pouvez en faire ce que voulez, je m’en vais ». Et je crois que c’est ça, quoi, je veux dire que moi, j’aimais pour les enfants un enseignement qui ne soit pas uniquement un truc… une digestion livresque. Alors par la suite quand je racontais, comme je vous le raconte, ce genre d’anecdotes à des gens qui sont toujours dans l’Education nationale (j’ai beaucoup de relations à l’Education nationale, y compris des inspecteurs) ils me disent : « tu es venu trop tôt ». Tant pis, l’essentiel, c’était de ne pas partir trop tard.

Oui, donc, même si vous n’en avez pas eu conscience sur le coup, ce qui vous a fait partir c’était un peu ça, c’est-à-dire avoir des contraintes…

Le cadre, c’est le cadre. Je vais même vous dire, on donne une certaine image de l’armée, je n’en dirai pas plus… [une caricature ?] Et bien, maintenant, moi par rapport à ce que j’ai pu voir, observer, l’armée est une administration, n’oublions pas que toutes les administrations se ressemblent. C’est caricatural dans l’armée, mais moi je peux dire que les réflexions de l’inspecteur que j’ai entendues, ça valait une réflexion d’un caporal chef. Quelque part… Alors bon, ça évolue peut-être, là je suis peut-être un peu passéiste. Mais quand je vois sur quoi les enseignants se battent encore, je me dis que ça n’a pas bougé depuis 25 ans. Ils en sont toujours avec des problèmes de pédagogie, l’école ne s’est toujours pas resituée par rapport à l’évolution. Est-ce qu’elle enseigne, est-ce qu’elle éduque, est-ce qu’elle apprend, elle ne sait toujours pas. Qu’est-ce qu’elle cultive ? Il faut un petit peu de tout ça. Et moi, je trouve au contraire, l’école s’est plutôt renfermée sur elle-même malgré tous les discours qui disent qu’elle s’ouvre, etc. Moi, je ne la vois pas en ouverture. Avec les partenaires extérieurs que sont des associations comme ici, non, ils viennent utiliser. Ce n’est pas pareil. Mais ne serait-ce qu’entre le mois de janvier et le mois de juin de cette année : « de toutes façons, la pédagogie ça ne vous concerne pas –en parlant de moi, qui suis directeur d’un centre éducatif– la pédagogie ça ne vous concerne pas, c’est notre affaire ». Vous vous dites que là, on n’a pas bougé. Alors je ne suis pas trop méchant, mais des fois, quand ça me gonfle, je dis la pédagogie c’est peut-être votre affaire, apparemment, il y a aussi la pédophilie, alors là, oui mais là c’est de la provocation quand on a des réflexions cons, on devient con. C’est pas difficile d’être con ! Et je dis, l’illettrisme aussi, c’est votre affaire. Mais ça ne vous gêne pas ça. Il y a 20% d’enfants qui deviennent illettrés arrivés en troisième, mais ça ne vous remet pas en cause. C’est vrai que là, quand je dis ça, ça veut dire que je bloque le discours. Bon, mais il y a des moments où l’on n’a plus envie de discuter. Et c’est là où j’ai été très déçu des enseignants, parce que je n’attendais pas ce genre de discours des enseignants. Combien de fois, j’ai entendu… Quand moi je suis entré, j’espérais avoir des gens d’une grande culture, d’une ouverture. Je vous le dis honnêtement. Je n’ai jamais rencontré un milieu aussi pauvre culturellement. Ou bien, ils se prennent pour une élite culturelle, et ils ont des abonnements à des trucs, mais plus pour se situer dans une façade sociale, économique, quoi. On va se montrer plus ou moins, au théâtre, au machin, ou quelque chose. Mais, très fréquemment, j’ai été très surpris du manque de culture des enseignants. Ils ont une très grande connaissance, c’est normal, c’est la moindre des choses, on leur demande de recracher tout un tas de bouquins qu’ils connaissent. Donc, ils connaissent tous les départements, les préfectures, ça il n’y a pas de problèmes. Ca, c’est de la connaissance.

Ce n’est pas de la culture.

Pas de la culture. Et à quel moment j’ai pu discuter dans le cadre professionnel d’enseignant sur des problèmes profonds, qui abordent les cultures musicales, des trucs comme ça, etc. ? Pff ! De temps en temps, parce qu’il y a un enseignant qui aime ça, mais je veux dire le système de la formation des enseignants, je ne sais pas comment sont les IUFM, mais j’ai quelques amis qui y sont, dont une qui est prof à l’IUFM de Chambéry m’a dit, quand je discute comme ça avec elle. Elle me dit : « Christian, tu ne serais pas surpris de voir que ça n’a pas bougé par rapport aux EN. On a mis des critères en plus pour faire entrer les étudiants, mais ça ce sont des critères… »

universitaires, il leur faut un cursus universitaire préalable.

Et quand on entend des gens autour de nous, comme j’ai pu l’entendre dire, « j’ai une classe d’abrutis ». Moi, je n’ai jamais dit : « j’ai une classe d’abrutis ». Un jour, une inspectrice vient et me dit : « c’est un scandale ! votre classe est en retard sur le programme ». Et puis, elle regarde, parce qu’on avait à l’époque, je ne sais pas comment ça se fait maintenant, l’obligation d’avoir dans le cahier journal, mais aussi des graphiques sur les tranches d’âges, etc. Elle me dit : « comment ça se fait, plus de la moitié de votre classe est en retard ? ». Mais attendez ce n’est pas moi qui les avais… Moi je suis là pour trois mois, je suis remplaçant. Voilà, quand on voit ce genre de réactions… J’avais une enfant, c’était un CE2, qui aurait dû être en sixième. Est-ce que c’est de ma faute ? C’était une petite Yougoslave. Dans la classe, j’avais tout un tas d’enfants, on était dans un milieu en région parisienne, style les Minguettes, et là, il est évident que les enfants prennent du retard. Qu’un inspecteur vous fasse le reproche qu’ils sont tous en retard, vous êtes en retard sur le programme, vous vous dites, bon, ça va quoi, je ne peux pas discuter avec ces gens-là.

Vous m’expliquez comment vous êtes parti, mais si on revient un peu en arrière, vous n’avez pas terminé sur votre recrutement, comment vous avez choisi, comment ça s’est passé concrètement

Comment ça s’est passé concrètement, ça s’est passé un petit peu par hasard. C’est-à-dire qu’il y a le prof de russe du lycée où j’étais pion qui est tombé en arrêt maladie, et puis le proviseur qui m’a dit : « mais au fait, vous avez fait Langues O. » et puis c’était le moment où j’étais un petit peu… donc dans une période très mouvementée. J’étais un bouchon au milieu de l’Océan. Je ne savais plus trop où j’en étais, ce que j’allais faire de mon diplôme de Langues O. Tout ça, parce qu’en fait, Langues O. c’est bien, mais si on n’a que ça, ce n’est rien. Ce qui m’est arrivé. Bon, ça c’est le problème d’avoir suivi la volonté du père. Lui, il était content, il avait un fils qui avait fait Langues O. Il ne s’était pas rendu compte, qu’il m’avait foutu quelque part dans une voie de garage ou alors, qu’il fallait qu’il assume jusqu’au bout, et qu’il puisse me donner les moyens d’aller..

Vers l’excellence, quoi

Oui. A ce moment-là, il n’avait plus qu’une seule idée en tête, c’est que je dégage de sa vie. Bon, mais peu importe, c’est comme ça. L’essentiel, c’est de ne pas devenir délinquant quand on vit ce genre de choses. Et j’avais le sport qui m’a évité ce genre de dérive. Donc, le proviseur me dit : « est-ce que vous voulez faire le remplacement ? Je téléphone à l’inspection si vous êtes d’accord ». Lui ce qu’il voyait : il me faut quelqu’un. Les parents râlent, j’ai quelqu’un. Il ne savait pas si j’étais bon ou pas bon. Et je me suis retrouvé donc maître auxiliaire de russe comme ça pendant deux ans. Donc finalement, pas que sur ce bahut, puisque, du coup, je suis rentré dans le cursus de l’inspection académique. Peut-être que si j’avais fait les démarches officielles, je n’aurai jamais obtenu un poste, c’est comme ça. Là c’est un peu le hasard. Et puis, là-dessus, le prof est revenu, il a repris son poste, et puis, moi on s’est posé la question qu’est qu’on va faire de monsieur C. C’est vrai que je dois dire quand même que j’ai eu la chance qu’on ne me balance pas comme ça une fois que l’éponge est usée. Autant le proviseur que l’assistance sociale du lycée donc, ils m’ont dit : « bon, écoute, tu ne vas pas redevenir pion. Il faut maintenant que tu te décides à faire quelque chose quand même, que tu concrétises tout ça ». Mais j’étais quand même toujours indécis sur mon avenir et c’est de là qu’on m’a proposé donc d’être conseiller d’éducation. Surgé, quoi <rire> la bête à abattre ! Alors Surgé, dans les années 1968-1974, ce n’était vraiment pas… c’est très formateur, mais ce n’était pas de tout repos, surtout en région parisienne, et surtout dans la ville où j’étais, où les bahuts faisaient la une des journaux. Bon c’est clair, nous, on a une bombe qui a explosé…

Vous étiez un peu aux premières lignes

Ah oui, on était aux premières lignes. Mais moi, j’ai eu chaud quand la bombe a explosé, je venais juste de… la sonnerie d’une heure trente venait de retentir, je venais de surveiller la rentrée des élèves dans leurs classes, je rentre dans mon bureau, j’entends une déflagration… Mais ce n’était pas une bombinette, il y a la moitié de l’escalier qui a volé en éclats, et une minute trente avant, je passais dans cet escalier. Les barres de fer qui font les rampes d’escalier étaient fichées dans le béton.

Ah oui d’accord, ce n’était pas un pétard d’élève.

Non, ce n’était pas un pétard d’élève, mais ça avait été posé par des élèves. C’est clair et net. Il y a eu des enquêtes, tout ça. Je n’ai jamais eu le résultat. C’était très chaud. Le bahut où j’étais, c’était très-très chaud. Et même les flics n’y entraient pas. L’inspecteur qui venait en civil, dialoguait, et les flics étaient sur le pourtour. La caserne des CRS était à 50 m. Dans tout ça, il y avait une sacrée ambiance. Mais bon, j’ai pris le poste, en me disant il fallait bosser déjà, mais dans ma tête, c’était quand même toujours du provisoire, ça. C’était un peu… C’était du provisoire parce que je ne me voyais pas y rester, sans savoir d’ailleurs…

Quand vous avez accepté, vous ne vous êtes pas vu vous installer dans une carrière de surgé ?

Non, pas encore.

Ca a duré longtemps ?

Surgé, ça a donc duré deux ans. C’est avant ou après, je ne sais plus, c’est après que j’ai fait russe. Et là déjà russe, ça commençait à me plaire. Et manque de chance, donc, comme à chaque fois, il y a des titulaires dont le poste est mis au mouvement, des titulaires qui prennent le poste, et comme là-dessus je n’étais pas titulaire, et puis c’était le moment où il fallait passer de nouveaux concours pour être conseiller d’éducation, et que je commençais à en avoir marre de tous ces concours que l’on me demandait de passer alors que j’estimais que j’avais fait quand même mon taf d’études, et que j’avais montré que j’étais sérieux sur le terrain, pas forcément très compétent, et encore qu’on ne m’a jamais reproché quoi que ce soit. Avec le recul, je me dis que j’étais loin d’être compétent, mais c’est normal : j’avais quoi, quand j’étais surgé, j’avais 22 ans. On est jeune à 22 ans.

Et en fait, vous avez improvisé la fonction, en la faisant ? pas de formation ?

<rire> Je ris, parce que c’était tellement dur que la principale du collège où j’étais, elle, ne s’en sortait pas. C’était mon ancienne prof d’anglais, en plus. Moi, je la connaissais. Je me disais, ce n’est pas possible. Elle allait voir les élèves. Je vous l’avais dit, la situation très violente que c’était. Elle allait voir les élèves : « Mais mes petits, il ne faut pas faire ça, mais pourquoi... » Je me disais, elle va se faire assassiner. En fait, ils étaient gentils. Ils ne l’ont jamais assassinée, mais ils l’ont tellement usée, qu’au bout de quatre mois, elle est partie en longue maladie. De dépit, la directrice a dit : « l’inspection ne la remplace pas… puisque c’est ça, je prends un arrêt ! ». Elle est partie quatre mois pour aller adopter un enfant en Iran. Donc, elle a eu un congé spécial de quatre mois. Moi, tout jeune débarqué, 22 ans, je me retrouve… [seul dans la boutique]. Seul dans la boutique, alors, on me dit, non ce n’est pas grave, si vous avez un problème vous appelez le proviseur du lycée qui est au-dessus qui lui n’en avait rien à cirer. Il avait sa boutique.

Il avait déjà assez de soucis peut-être

Alors j’ai fait comme j’ai pu. Mais ce n’est pas grave. C’est un bon apprentissage. On se retrouve coincé entre tout le monde. Entre l’administration, les élèves, les parents d’élèves et les profs. On est le carrefour de tous les mécontentements. Non, je n’ai pas été très bon dans ce poste de surgé, non. C’est normal, je veux dire… pff ! pas formé, balancé là-dedans, sans consignes, enfin bref. Mais je ne regrette pas, ce passage. Donc après, il y a eu cet épisode de russe. Là-dessus, donc le prof a été renommé, On m’a proposé à nouveau conseiller d’éducation, mais à l’époque j’ai refusé parce qu’il fallait aller à l’autre bout du département, je me suis dit par la suite que j’aurais dû accepter. C’est un super joli village. A l’époque, j’avais toutes mes activités, tous mes copains, je ne voulais pas quitter tout ça. Et aller à 80 km... Je vois maintenant, 80 km, ce n’est rien. Mais on est comme ça à vingt ans… Et donc c’est là qu’on m’a dit : « est-ce que vous voulez être instituteur ? ». Et là c’est drôle parce que… quand j’ai pris mon premier poste je me suis dit : « tiens, là je rentre vraiment dans le monde du travail ». C’est un peu comme si ces deux fois deux, quatre années précédentes avaient été des galops d’essai pour me resituer. Et là instit, d’entrée de jeu, sans savoir non plus ce que c’était… Mais je me suis souvenu de mes instits à moi qui m’avaient enseigné et pour lesquels je gardais beaucoup… d’estime et une grande image. Je me suis dit : « c’est un beau métier. Pourquoi, je n’y ai pas pensé plus tôt ? ». Et là je me suis dit, là je rentre dans le monde du travail. Là je me suis dit, ça y est ! j’arrête de tâtonner.

De faire des choses provisoires ?

Et puis, bon, ma foi, ça n’a duré que cinq ou six ans. Parce que là, j’ai… Bon là c’est le cadre, quoi. Le métier d’instituteur, c’est un très-très beau métier. Le métier d’enseignant en général d’ailleurs. C’est très beau, comme métier. Je veux dire, on transmet les choses, on donne ce qu’on a. Mais alors, c’est fait dans des conditions… Mais je ne regrette pas

Je vous ai coupé, pardon. Mais si j’essaie de reformuler, vous aviez une haute idée des enseignants, et vous avez souvent été déçu, par les inspecteurs, les enseignants ?

Je n’ai pas retrouvé, ni dans les conditions de travail, ni auprès des collègues… l’idée que j’avais, qui était peut-être les enseignants de mon époque, quand j’étais enfant.

Le regard des enfants qui est un peu idéalisé, non ?

Oui, tout à fait. Je n’ai pas retrouvé ça. Ils n’étaient peut-être pas terribles les enseignants que j’ai eu, hein ! <rire>

Avec les yeux de l’enfant…

Moi je crois qu’ils étaient bons, parce que j’ai maintenant 50 ans, et je sais que ce que j’ai pu apprendre par la suite, une fois que je n’ai plus eu affaire à eux, c’est parce qu’ils m’avaient donné toutes les bases pour pouvoir continuer mon apprentissage. Ce n’est peut-être pas aussi vrai maintenant.

Vous aviez l’impression d’avoir les clés pour pouvoir continuer ?

Oui, oui. Quand ils m’ont lâché, je savais voler. C’était à moi de vouloir voler, c’était à moi de vouloir compléter ce qu’ils avaient mis en place.

Et vous avez exercé quand même pendant plusieurs années ?

Cinq ans comme instit, deux ans comme prof de russe. Bon, prof de russe, c’est trop particulier pour que je puisse en parler en termes de…

Mais sur la carrière d’instit pendant cinq ans ?

Sur la carrière d’instit, moi j’ai essayé de refaire ce que mes anciens instits m’avaient fait. J’ai repris les mêmes méthodes, j’ai repris les mêmes bouquins, ce qui déplaisait. Ce qui déplaisait : on m’a fait des réflexions d’ailleurs là-dessus. Alors, là aussi ça m’a… Je me souviens toujours d’une anecdote : Je vois un jour un élève arriver avec un petit bout de papier, un élève de la classe du directeur, « l’inspecteur est dans nos murs ». Je savais que je n’étais pas inspectable, j’étais là pour une semaine, je me dis « qu’est-ce qu’il veut me dire par là ? ». Je continue mon cours, et tout. Et puis, à la récréation, je lui dis : « pourquoi vous m’avez fait passer un petit bout de papier ? » « parce qu’en fait, l’inspecteur, il écrit des bouquins, on ne s’en sert pas, mais quand il arrive, il faut les mettre sur le bureau, ça lui fait plaisir ». Là je trouve que c’est grave, c’est grave comme type de démission, c’est grave comme absence de personnalité. Et je pense que tout enseignant c’est quelqu’un qui doit avoir de la personnalité. Si on veut transmettre quelque chose, il faut être convaincu de ce que l’on transmet. Il y a des endroits où ce n’est pas très grave si l’on n’a pas de personnalité. On est un exécutant bête et con. On touche sa paie en fin de mois. Là il y a des métiers où il faut avoir de la tripe et quand on fait ce genre de choses, je me dis : « mais elle est où la tripe ? ». Parce que c'est comme ça que le système perdure. C’est comme ça que les inspecteurs continuent à faire cette espèce de pluie et de beau temps, et que tout le monde baisse l’échine en se disant on s’en fout, dans une heure il n’est plus là. Et alors, il est là pendant des années, malgré tout. Parce que le système, est-ce qu’il faut ou est-ce qu’il ne faut pas le changer, à un moment donné ? Moi je trouve que c’est médiéval de se faire inspecter de cette manière. Moi, je suis inspecté tous les jours dans mon travail. Si les parents ne sont pas contents, je le sais tout de suite. Si mes collègues ne sont pas satisfaits de moi, ils vont me le dire tout de suite. Ca c’est de l’inspection permanente, ça ne me gêne pas, ça.

C’est une évaluation

C’est une évaluation continue. Moi un mec qui déboule et qui n’a jamais enseigné et qui va commencer à me dire comment il faut faire, ça ne passera pas. Et autrefois, au moins les inspecteurs sortaient du cadre des instits. Ce n’est plus vrai maintenant.

Il y en a encore, j’en ai rencontré quelques-uns, mais c’est peut-être moins courant qu’avant

C’est beaucoup moins courant qu’avant. Donc ce sont des gens qui ont un parcours, on en revient toujours au parcours théorique. Un parcours universitaire, certainement brillant. Ils n’ont pas retroussé les manches, ils n’ont pas été en face d’une classe. Si, lors d’un stage, ça n’a rien à voir. Même un stage de trois mois, ce n’est pas être instit. Ce n’est pas avoir fait le métier et de dire, je suis parti de ce métier. Moi, maintenant, par exemple, je ne ferai plus animateur de théâtre, c’est fini, je n’ai plus la fibre, je n’ai plus la "niac" comme on dit. Je suis un théoricien maintenant de l’animation. Je suis un gestionnaire de l’animation. J’ai vieilli à partir du terrain et ça j’y crois.

Ca donne une sorte de…

Parce que quand un animateur essaie de me faire prendre des vessies pour des lanternes, il se rend compte très vite que ça ne passe pas là. Non seulement je vais lui donner des discours, peut-être à un moment donné, de la rhétorique un peu artificielle, mais si on va plus loin, je vais quand même lui donner des exemples, ou je vais redescendre sur des exemples de terrain, parce que je les ai ces exemples, je les ai vécus. Je ne vais pas rester dans l’artificiel. Ca, c’est important. Et à partir de là, effectivement, vous, vous vous faites plus respecter et admettre. Moi, le respect c’est se faire admettre, c’est plus important.

Sur ce qui vous a fait partir, il me semble que…

Eh bien, disons que –dans un premier temps– je suis parti parce que mes postes étaient pris par des titulaires. Donc, je me suis retrouvé… on m’a proposé d’être instit. Donc, j’étais remplaçant, et puis après, j’ai passé le CAP. Et ce qui m’a fait partir de l’enseignement, donc c’est ça. Je n’y trouvais pas mon compte. Quand moi, je pensais qu’effectivement j’amenais quelque chose d’un petit peu, même pas original, mais que je me servais de moyens originaux pour faire le programme en fait, et qu’on me disait, « mais vous n’êtes pas dans une colonie de vacances », ou « Ce n’est pas une MJC ici », alors qu’en fait… Je me souviens toujours des années après, je dirigeais un centre culturel et une jeune femme vient me voir et me dit : « est-ce que vous ne seriez pas monsieur C. ? –Oui pourquoi ? –Vous me reconnaissez ? –Excusez-moi, vraiment non ». Elle me donne son nom. Ah oui, c’était une élève brillante que j’avais eu dans une ville. Elle me dit : « qu’est-ce que c’était bien ce que vous nous faisiez ! ». Et elle, elle se souvenait de trucs dont moi je ne me souvenais plus. « Vous nous faisiez des cours de secourisme ». Bien oui, à l’époque, je faisais du secourisme, et ben je faisais du secourisme avec les enfants. Je m’occupais des danses folkloriques… pendant qu’un groupe faisant du hand-ball, un autre groupe faisait des danses folkloriques. Je leur transmettais en premier ce que moi déjà je vivais personnellement. Bon, et ce n’était pas hors programme. Je veux dire que je faisais rentrer ça dans des trucs où il n’y avait pas forcément un programme. Quand il y avait le programme de maths et le programme de français, il n’y avait pas de problèmes, je suivais le programme. Mais, je veux dire quand il s’agissait d’éveil, tous les moyens étaient bons pour faire de l’éveil.

Oui, c’était en plein dans les instructions officielles, en fait.

Oui, surtout avec ce qu’ils ne disaient pas, c’est qu’ils vous laissaient croire qu’il n’y avait pas de programme en éveil, mais au bout du compte, ils en voulaient quand même un, mais ils ne le disaient pas. Ca, bon, par la suite, j’ai compris qu’en fait on ne refait pas l’administration. Même quand elle essaie de s’ouvrir, c’est un réflexe, un petit peu comme les chiens avec ces fameuses laisses, il ne faut pas que ça aille trop loin. Mais en plus, moi je n’ai vraiment pas l’impression que j’allais loin. Je me servais de trucs que je maîtrisais. C’était plus facile, en plus pour moi. Et comme c’était inhabituel, les enfants, je captais mieux leur attention. Parce que pour eux, faire entrer un vélo de course dans une classe, ça ne s’était jamais vu.

C’était la fête

C’était la fête, mais en plus, ils y venaient tous. Il n’y en avait pas un qui allait faire le singe. Je n’avais pas besoin de faire de discipline. J’amenais des trucs, c’était nouveau pour eux. Un vélo de course, un labo photo. C’était tellement nouveau que je n’avais plus besoin de faire de discipline. Et pour moi, enseigner, animer, ce sont des choses qui sont en plus très proches, hein. Moi, je continue d’une certaine manière à faire de l’enseignement. Je veux dire, l’enseignement justement ce n’est pas réservé à l’Education nationale.

Ce n’est pas un monopole ?

Ce n’est pas un monopole. Tout le monde enseigne. La famille… Après, il y a différentes façons. Les contenus changent ou se complètent, et l’éducatif aussi. Maintenant, il y a tout un tas de structures qui éduquent, qui animent, qui enseignent. Bon, et moi j’étais dans ce genre de truc.

Le moment du déclic, le moment où vous vous êtes dit, cette fois je m’en vais. C’est sur quelle modalité, qu’est-ce que vous...

Oh, c’est une accumulation ! C’est une accumulation et puis je me suis retrouvé dans une école où les collègues étaient vraiment très désagréables, où je sentais où l’on me faisait faire tout ce que les autres ne voulaient pas faire parce que j’étais le dernier arrivé… Plus les réflexions de l’inspecteur. Bon, j’ai dit ça va, bon… Et puis, cette accumulation, et quand même cette opportunité de mon collègue qui quittait son poste, et je me disais bon, et bien voilà je vais faire de l’animation. Mais j’ai longuement réfléchi d’ailleurs. A un moment donné, je me suis dit, est-ce que je vais faire une orientation plutôt éducateur ? et en fait j’avais aussi pas mal de copains et de copines qui étaient éducateurs, et <rire> –il ne faut pas le dire– je les trouvais déjà un peu dérangés.

C’est un milieu qui…

Est-ce que c’est le milieu qui voulait ça, mais ils avaient tous des problèmes et des problèmes pas possibles, et puis ils les compliquaient. C’était un milieu où je voyais que les choses… on baignait bien dans le conflit, et j’ai horreur de ça. Alors je me suis dit non, non. Mais je me suis posé la question, qu’est-ce que je fais, animateur ou éducateur, puisque là, j’avais fait le choix quand même de quitter l’Education nationale. J’avais l’opportunité d’être animateur, donc directeur d’un centre d’animation, et aussi la possibilité de repiquer deux années d’études pour faire un diplôme d’éduc’ spé’. J’avais quand même fait quelques stages dans un IMPRO en Côte d’Or pour voir un peu plus de près le milieu éducatif. J’ai dit non, non, laissons tomber tous ces gens-là. Ils marchent à côté de leurs pompes, quoi ! Et puis en plus, je les trouvais parfois même méchants… avec leur public. Peut-être pour se préserver d’ailleurs. Je ne pense pas que les gens soient méchants fondamentalement. Il est vrai qu’à un moment donné, à force de voir la misère, il faut se rendre un peu dur pour se préserver, et pour durer. Et bon, donc, j’ai fait le choix d’animateur.

Et là, c’est un poste qui avait quel statut ?

Municipal.

Donc vous avez demandé un congé de disponibilité ?

J’ai démissionné. J’ai carrément démissionné. Ce que je ne referai pas ! <rire>

Sans précautions, quoi, parce que la plupart du temps les gens prennent plusieurs options.

Aucune. Aucune, non ! D’abord, ça, c’est le problème de la jeunesse, on est quand même un peu violent dans nos réactions quand on est jeune. Enfin, le problème de la jeunesse. Quand j’ai démissionné, j’avais quoi, 27 ou 28 ans. Je peux dire maintenant que, quand même, on est jeune à 28 ans.

Vous avez démissionné en juin pour commencer en septembre ?

Non, non, j’ai démissionné en décembre. Quand j’ai eu mon CAP, je suis allé voir mon inspecteur, un lundi matin. Il m’a dit : « bon, j’ai un poste pour vous ». Je lui ai dit : « ce n’est pas la peine, vous pouvez garder tout votre fatras. Et puis voilà mon CAP, démerdez-vous ! » et puis j’ai claqué la porte et je suis parti. Mais je savais que j’avais mon poste de l’autre côté.

Oui, vous aviez l’assurance de…

Non, je ne suis pas fou quand même.

J’ai rencontré quelqu’un qui a démissionné en juin, et qui ne savait pas ce qu’il allait faire...

Non, moi j’ai toujours eu le souci d’avoir du travail. C’est d’ailleurs certainement l’une des raisons pour lesquelles je suis fonctionnaire. Ce n’est pas pour glander. C’est parce que j’ai toujours eu peur d’être chômeur. Dès l’adolescence, et pourtant il n’y avait pas de crise économique comme maintenant, et pourtant j’entendais quand même qu’il y avait des gens qui ne trouvaient pas de travail. Ca c’était quelque chose que je vivais très mal. Pour moi, fonctionnaire, j’aurais toujours du travail. Donc je suis parti dans ces conditions, je suis parti dans ces conditions. Il y avait cette opportunité de poste. Par contre ! si c’était à refaire, je ne le referais pas de la même manière. Je regrette beaucoup qu’à l’époque, et pourtant j’avais beaucoup de relations avec mes collègues du syndicat, à l’Education nationale… Mais personne –mais là aussi, ce n’est pas un hasard– personne ne m’a dit : « écoute, tu viens d’avoir ton CAP, fais encore un an, il y a des possibilités ». J’ai su bien après qu’il y avait des possibilités. De détachement sur des postes de directeur de colonies de vacances, avec –comment dirai-je ?– l’UFOVAL, des organismes comme ça. En plus, moi j’ai bossé avec ces gens-là par la suite qui sont devenus des collègues, et qui avaient eu un peu la même préoccupation que moi, c'est-à-dire que ce n’est pas qu’ils refusaient d’enseigner, c’est qu’ils refusaient d’enseigner dans les conditions qu’on leur demandait, et dans ce cas ils préféraient… En plus, le rapport, dans l’animation, le rapport à l’enfant est beaucoup plus fort, il est totalement différent.

C’est éducatif. On ne se pose pas la question...

Et l’enfant est beaucoup plus partant. C’est plus facile. L’enfant est beaucoup plus partant que quand il faut lui faire ingurgiter de force une règle de grammaire. Et si j’avais su qu’il y avait ces possibilités d’être détaché, soit sur une mission culturelle, parce que j’étais déjà très-très branché sur les problèmes culturels à l’époque, puisque je m’occupais d’un cinéma d’art et d’essai. Puisque j’ai appris par la suite qu’il y avait des missions culturelles à l’Inspection académique. Mais bien sûr qu’on n’en parle pas ! C’est tous ceux qui grenouillent autour des inspecteurs qui… Ces petits postes sont tellement peu nombreux qu’il ne faut pas en parler. Voilà ! Donc n’ayant pas connaissance de toutes ces petites possibilités d’échappatoire... Bon j’ai dit : « allez hop, je vous laisse votre boutique et je m’en vais faire autre chose ! ».

Donc, comme prise de risque, c’était quand même assez important, par rapport à quelqu’un, qui assure une transition...

C’était limité, j’avais un travail. En prise de risque, il y en a eu une autre, et que je ne mesurais que bien plus tard. C’est que dans un premier temps, la mairie m’a donné des primes pour que j’ai le même salaire, que je n’ai pas une perte de salaire et ça par contre, tout le monde le savait sauf moi : les primes ça disparaît. Et au fur et à mesure que j’ai passé des concours –cette fois de l’administration communale– on me supprimait les primes. On me disait : « bon maintenant que vous avez votre concours… ». Donc j’ai gardé le même salaire pendant des années... <changement de face de K7> Je suis contre les carriéristes, mais je pense qu’il ne faut pas être naïf non plus. Et j’étais assez naïf. Il m’a fallu repasser tous les concours depuis le départ. Et parce qu’en plus, j’avais été embauché dans une filière inadaptée, il y a des grades où j’ai eu le concours, on n’a pas pu me nommer. Il y a des textes dans la fonction publique qui sont vraiment très vicieux, et on ne les connaît que quand on est dans la merde.

le dos au mur…

Oui, oui, moi un jour on m’a dit : « bon écoutez, vous occupez un poste d’attaché. Vous avez fait la formation, mais on ne pourra pas vous nommer, parce que vous venez de tel cadre d’emploi, il y a trop d’écart d’indice, on ne pourra pas vous nommer ». Et je fais le travail ! Vous savez, il y a de quoi être démotivé.

quand on dit fonctionnaire égale sécurité, ce n’est pas... C’est une carrière un peu chaotique…

Moi, je pensais que dans la fonction publique, on était tous égaux, et qu’après, il n’y avait plus qu’à bosser. Ce n’est pas vrai, il n’y a rien d’égal dans la fonction publique. Il y a autant d’inégalités qu’entre un patron et ses employés. Si vous êtes bien vu vous avez des petites primes qui vous arrivent, vous avez un avancement qui passe bien vite. Si vous avez le malheur d’avoir votre franc parler, ça se ralentit déjà. Et puis, il y a des tas d’informations qu’on oublie de vous donner qui sont statutaires, mais que... La rétention d’informations existe bien et peut avoir aussi de grosses incidences sur votre déroulement de carrière. Et quand vous êtes mal embauché, comme moi je l’ai été, on ne peut pas dire que c’est parce que j’avais été désagréable, là quand on vous embauche, on n’a pas d’avis sur vous : a priori, si on vous embauche, c’est qu’on vous aime bien. Mais quand on vous embauche d’une telle manière au plus bas de ce qui existe, tout simplement parce que ça va coûter moins cher… Le type qui vous embauche, il le sait que votre carrière, elle est foutue. C’est toute la carrière après. Parce que ça... Encore dans le privé… Dans le privé, vous êtes mal embauché, vous faites vos preuves et allez hop on va vous remettre sur un poste, et vous renégociez. Dans le public, on va vous dire, mais c’est le cadre, la progression de carrière, etc. et comme ça démarre très-très lentement et au plus bas, c’est fini jusqu’au bout. C’est pour ça que moi, et bien tant pis, j’en ai fait les frais. Tant pis pour moi. Mais tous les jeunes que j’ai eu quand je faisais de l’insertion professionnelle, je leur disais ce que je vous dis là. Faites très-très attention, et avant d’accepter un poste, regardez bien si vous êtes embauché à ce que vous valez et au poste qu’on vous donne. Parce que même dans la fonction publique, ça se fait ce genre de choses. On embauche les gens au plus bas. Et ce n’est pas récupérable après, puisque tout le principe de la fonction publique, c’est le vieillissement de carrière par...

et après vous êtes resté longtemps sur le même poste ?

A M., je suis resté trois ans sur ce poste de directeur de maison de quartier, puis ensuite deux ans comme directeur de centre culturel, j’ai ensuite fait un passage de six mois comme directeur adjoint du service de l’accueil, mais bon, parce qu’ils avaient fermé le centre culturel, il y avait une très grosse restructuration et un conflit politique, enfin bref ce genre de choses qu’on a l’habitude de vivre quand on est dans la fonction territoriale, donc il fallait me recaser puisque j’étais titulaire, et ensuite, je suis passé sous-directeur, c'est-à-dire directeur adjoint du service jeunesse avec pour mission… Parce qu’il y avait en fait un gars qui était... ça avait été décidé par l’élu, c’était son ancien collaborateur qui était directeur, et en fait dans les six mois qui ont suivi, on est passé tous les deux codirecteurs, et régulièrement on changeait nos fonctions, c'est-à-dire que lui avait parfois l’insertion professionnelle, moi parfois l’insertion sociale, et l’année d’après on permutait.

C’était dans un grosse municipalité ?

Oui, oui. En région parisienne. A l’époque, M. était en plus réputé pour toutes ses initiatives en matière sociale. Ce n’était pas un laboratoire comme Grenoble, mais il y avait de grosses initiatives qui se faisaient, notamment sur tout le secteur jeunesse. On a été quand même très souvent cité. Moi, je sais qu’à un moment donné, je recevais beaucoup de gens qui venaient voir comment on avait mis les choses en place, etc. notamment en matière d’insertion professionnelle. On avait un taux de réussite de plus de 45% sur le placement des jeunes.

C’était dans le début des années 1980 ?

1983, 1987.

Une période où ça commençait à être un peu difficile pour les jeunes

Oh oui, c’était déjà très difficile. Donc on est parti d’une PAIO pour devenir mission locale, mission économique. C’était l’objectif de départ et c’est vrai qu’on a bien marché là-dessus. Là-dessus, j’ai des souvenirs… mon souvenir professionnel le meilleur, c’est celui-là.

La mission locale d’insertion, le rapport Schwartz ?

Voilà, c’est ça.

Vous avez fait ça pendant plusieurs années ?

Cinq ans. Mais avec vraiment une très grosse cohérence. Un élu qui était épouvantable à vivre, un élu professionnel, puisque c’est un professionnel et un politique, il ne vit que par ça. Ce n’est pas comme certains élus qui ont un autre métier par ailleurs. Par contre, quelqu’un qui a été très-très clair sur les moyens apportés, lui nous a dit dès le départ : « de toutes façons ma carrière politique, ce sera sur votre résultat. Vous n’avez pas le droit de le louper ». C’était le discours d’entrée de jeu. C’est à prendre ou à laisser. Mais j’en garde le meilleur souvenir professionnel. C’est là où j’ai eu les moyens qui ont suivi avec la volonté politique.

L’antithèse de l’enseignement ?

Oui, ou même de ce que je vis dans d’autres mairies. Les élus disent oui, oui, il faudrait qu’on fasse ça... et quand il faut monter au créneau contre les collègues pour avoir le budget, ils n’y vont plus. Et après, ils viennent en nous disant, et bien on ne peut pas faire ça. Non, lui il n’hésitait pas. Mais il fallait bosser. Dans le service, quand quelqu’un ne bossait pas, il le dégageait.

Il n’y a pas que les idées, parce que très souvent, le problème c’est qu’on se paye d’idées, quoi.

Non, non. Lui de toutes façons, il savait que son existence à long terme passait par la réussite. Les municipales de 1983 je crois, c’était ça. Toute la mairie, enfin toute la ville, toute l’équipe municipale basait toute sa campagne là-dessus. On avait intérêt à être performant et c’est vrai qu’on l’a été. Et lui maintenant, il est sénateur, il est parti sur cette initiative.

et sur quelle logique on passe de l’animation à la mission locale ? puisque, la mission locale, c’est plutôt du travail social.

Travail social, insertion professionnelle. <silence>

J’ai rencontré un directeur de mission locale qui n’a pas du tout le même parcours. Pour vous, c’était interne à la mairie ?

J’étais donc en voie de garage au service de l’accueil, et puis il fallait donc créer cette délégation à la jeunesse. Il est allé voir le maire en disant : « il me faut du monde. Dans la mairie, quels sont les moyens que je pourrais prendre ? ». C’est toujours la même chose d’ailleurs, quand vous créez quelque chose, en général on essaie de prendre chez le voisin. Parce que l’on évite de… ça fait toujours mauvais genre de créer des moyens supplémentaires. Combien ça coûte ou combien ça va nous coûter. Alors ma foi si on dépossède le voisin, il va gueuler, mais en attendant, on est à budget constant. C’est un peu ça. Donc, et bien on lui a dit... Lui a dit : « moi, je veux des gens qui bossent, je veux les gens qui aient des compétences ». On lui a dit, bon il y a C. là, il est en voie de garage. En plus moi, je gueulais, parce que ce n’était pas du tout mon secteur le service de l’accueil à la mairie. Les fiches d’état civil, tous ces trucs-là, j’en avais strictement rien à faire, et comme on m’avait promis que c’était provisoire, et que je trouvais que le provisoire durait depuis six mois et que c’était trop long. On savait que je n’étais pas à ma place là où j’étais et que j’étais quand même un peu repéré comme un spécialiste de la jeunesse, des jeunes. Premièrement, par mon parcours d’instit et deuxièmement j’étais quand même entraîneur d’athlétisme à l’époque, avec des résultats, donc j’étais quand même un peu connu. Donc avec aussi cette approche et ce côté formateur. Donc voilà. Il a dit bon. Il m’a fait appeler. Et c’est là où il m’a mis le marché en main. Ou bien, tu restes dans ton truc là, ou bien tu bosses avec moi. Lui je ne le connaissais pas, je n’avais aucun indice sur lui. Parce que auparavant il était chef de cabinet du maire, mais du style un petit peu Mazarin. On ne le voyait pas, il était dans l’ombre. Et après, j’ai appris à le connaître. Il fallait voir comment il fonctionnait.

Vous n’avez pas tellement hésité. C’était soit faire un travail créatif, soit tenir les fiches d’état civil.

Oui, oui, du moment qu’on me parlait d’un problème de jeunesse ça me plaisait. Donc je ne savais pas où je mettais les pieds. J’ai vu après que c’était très-très dur. Parce que lui était vraiment exigeant, odieux. J’ai vu comment il balançait le personnel. Il ne fallait pas se louper. Il est arrivé un jour, il est arrivé avec un pavé comme ça. Il me dit c’est le projet de loi qu’on débat au Sénat à la fin de la semaine sur l’apprentissage. Je veux que tu me fasses une note de synthèse. Je lui ai dit : « attends, ça ne fait pas partie de mon boulot, je ne suis pas ton chargé de communication au Sénat ». Il me dit ouais, mais l’autre il n’est pas capable de le faire. Si tu ne le fais pas, tu dégages.

C’était relativement direct

Il était direct ! Il l’est toujours d’ailleurs. Il est toujours très connu pour ce genre de comportement. Bon et puis au bout du compte, je n’ai pas regretté parce qu’il y avait quand même, finalement… Ce travail était formateur pour moi, et puis ça m’a permis de savoir ce qui allait se présenter en terme d’insertion professionnelle sur la partie apprentissage. Ce n’était pas un travail qui était totalement étranger à ma fonction. Par contre, ce n’aurait pas été normalement à moi de le faire.

Et il y a une autre rupture dans votre parcours professionnel, c’est de ne pas rester dans le secteur social et revenir à l’animation. C’est un choix personnel, ce sont les hasards de la vie ?

Oui alors, il y a les hasards. A un moment donné… j’en ai eu marre de la région parisienne. Et puis on en était arrivé un petit peu à... J’ai eu un phénomène de fatigue aussi, parce que gérer des cas… parce qu’on parle des jeunes, mais… Il faut avoir été en contact. Moi je dis qu’il n’y a pas plus que 5% dans les jeunes que j’ai vus pendant des années… sur un vivier entre 1 800 et 2 200 jeunes qu’on avait quand même en fréquentation, dont environ 900 réguliers, c'est-à-dire tous les mois il y avait au moins 900 jeunes qu’on voyait régulièrement. Tout ça, ça fait du monde. Bon, moi je peux dire que même si à un moment donné, j’avais un peu le discours ambiant : Ouais, les jeunes sont des feignants, s’ils le voulaient il y a du boulot. Parce que ça gagne quand on entend ça un peu régulièrement tous les soirs. On le dit moins fort que les autres, mais on finit par le dire un peu. Mais quand je me suis retrouvé au contact de cette réalité au travers de la mission locale et bien quand j’ai quitté la mission locale, je pouvais dire qu’il n’y avait pas plus de 5% de jeunes fumistes, vraiment indécrottables, feignants ou autre. Les autres, ce sont des jeunes qui sont dans une galère vraiment pas possible et qui méritaient qu’on essaie de trouver des solutions pour eux… Et quand on fait ça pendant cinq ans, on ne peut pas être fonctionnaire. En tout cas, moi je n’ai jamais considéré qu’être fonctionnaire, c’est se foutre dans un coin et attendre la retraite. Donc quand je n’ai plus la fibre, je n’ai plus la fibre. Là encore, personne n’a compris quand j’ai dit je m’en vais. Parce que –avec l’autorisation du maire– j’étais invité à faire des conférences à l’IUT Carrières sociales à Paris pour des assistantes sociales, des animateurs ou des éducateurs. J’étais invité à faire des conférences sur les problèmes de la toxicomanie et de l’insertion à l’Institut supérieur de la police qui était à Orsay, pas très loin de chez nous, et dans ces cas-là on n’a pas intérêt à dire des conneries, parce que ces gens-là, ils ont une vision très théorique. Il faut que ça cadre avec ce que moi je dis, sur le terrain. Ca peut être en opposition. Je ne peux pas être fantaisiste. Il fallait être très performant. Donc on avait réussi… par ce travail, ce résultat de l’ensemble de la mission locale à être demandé pour théoriser sur nos pratiques. Ce qui est quand même une grosse reconnaissance, et c’est vrai que je me faisais plaisir. Là, je me faisais plaisir énormément d’être invité comme ça, à des colloques. Ou bien on a organisé aussi des colloques sur l’emploi, sur le bassin d’emploi, des choses comme ça avec les entreprises. A un moment donné j’ai été détaché, comment dirais-je, chargé de mission du sous-préfet, pour être… l’interface entre les organismes de formation et les organismes consulaires. Parce qu’en fait toutes ces choses-là étaient complètement cloisonnées. Donc d’un côté, vous mettez énormément d’argent pour les dispositifs d’insertion professionnelle, on travaille avec des organismes, on passe des conventions. Et puis de l’autre côté, vous avez le monde économique. Ce n’était pas en adéquation ça. Et moi j’avais fait donc un rapport en disant qu’il y avait donc un problème à ce niveau-là. C'est-à-dire on peut former des jeunes, si les entreprises n’ont pas confiance dans les jeunes qu’on forme, ils continuent à être demandeurs d’emploi. Donc il fallait qu’on crée des passerelles pour que les chefs d’entreprises fassent comme moi au départ, ne continuent pas à dire, les jeunes sont des feignants, les jeunes et les moins jeunes, parce que les chômeurs pour les chefs d’entreprises sont des feignants, ce sont ceux qui ne veulent pas bosser. C’est le discours ambiant ça, et on ne peut pas les convaincre. On ne peut les convaincre qu’en créant les passerelles et qu’en faisant rencontrer ces gens-là qui petit à petit changent d’avis en disant et bien oui, tiens c’est vrai que… Donc ça été ma dernière mission sur la mission locale, ça été de faire cette interface et de faire se rencontrer autour de réunions institutionnalisées ces chefs d’entreprise et tout. Et puis il y a eu d’autres expériences qui ont été par exemple, quand une entreprise voulait s’installer sur la ville on avait mis en place un canevas. Bon ça ne s’est pas fait du jour au lendemain, on a eu des expériences malheureuses. Et puis quand même à un moment donné, ça s’est concrétisé, notamment avec Leroy-Merlin et puis avec un autre groupe qui s’appelait "moins x%" (c’est des trucs dégriffés). On a créé une zone commerciale, il n’y avait que "moins x%". Vous voyez. Mais là, à la suite d’expériences difficiles et parfois négatives, on avait poursuivi, on ne s’était pas arrêté là-dessus et on avait passé des contrats avec les entreprises. On vous fournit la plate-forme, les réseaux c'est-à-dire eau gaz, électricité, c’est gratuit. Mais vous vous engagez auprès de la mission locale à un plan de formation du personnel, vous devez prendre 50% des jeunes dans cette formation, 50% des jeunes qui sont les demandeurs d’emploi passant par la mission locale. Au début, ça a plus ou moins bien marché, et à la fin on avait renégocié ça, mais vraiment très-très pointu, c'est-à-dire que par exemple avec Leroy-Merlin qui ne voulait pas, parce que c’est une grosse boîte, on a dit : la formation elle sera faite sous l’autorité d’un organisme de formation avec lequel on a l’habitude de travailler, mais c’est votre maîtrise qui seront les formateurs. Et là ils ont été d’accord. En fait on s’était rendu compte petit à petit, que ce dont les boîtes avaient peur c’est que l’on forme des jeunes mais qu’ils ne soient pas en adéquation avec leur attente y compris, je dirais, avec la philosophie de la maison. Ce n’était pas évident, parce que les syndicats n’aimaient pas ce genre de truc parce que ça voulait dire que l’on formait des gens maison. Oui mais le jour où ils seront au chômage ? Et ben le jour où ils seront au chômage, ils ne seront pas plus dans la merde qu’ils ne le sont maintenant. Moi c’est ce que je leur répondais : « vous préférez qu’ils restent au chômage, ou plutôt qu’on leur donne une opportunité d’être quand même formés ? » Même s’ils sont formés très-très proches de Leroy-Merlin. Le type, s’il n’est pas con, un jour ou l’autre il ira chez Casto. Il est capable d’aller chez Casto. Ou chez le cousin, mais enfin bon. Et là on a eu des résultats. Vous voyez des choses qui étaient quand même vachement valorisantes.

Et donc oui, c’est pour ça que c’est un peu surprenant de s’en aller quand on est en situation de réussite.

Parce que je suis comme ça : j’ai eu envie de partir en province. Et je me suis dit, c’est l’âge où je peux encore le faire. Après, je n’aurai plus envie. Après je vais me fonctionnariser, je vais ronronner si je reste comme ça dans cette espèce de confort. Oui, j’ai eu envie à nouveau de tourner une page. Il faut dire que jusqu’alors, je changeais à peu près tous les trois quatre ans de poste… pas tout à fait par hasard. A un moment donné, je faisais comprendre… Pour la ville de M., par exemple, j’y suis resté neuf ans, mais j’ai fait trois postes différents. C’est qu’à un moment donné, quand je sentais… c’est moins vrai maintenant, mais c’est l’âge. Mais à un moment donné, quand je sentais que je n’avais plus grand chose, que je ne m’amusais plus en fait. Bien sûr on n’a jamais tout mis dans un travail. Mais à un moment donné, il faut savoir si vraiment on apporte quelque chose et si ça vous apporte quelque chose. Et quand je commençais à me poser ce genre de questions, je me disais il est temps que je fasse mes valises.

Vous commencez à avoir fait le tour, au moins de l’essentiel.

Voilà. Il ne faut pas se dire, oui j’ai encore ça à faire. Il faut que je reste parce que j’ai encore ça à faire. Ca ce sont de faux arguments parce qu’on n’a pas vraiment envie de bouger quoi. C'est-à-dire on reste velléitaire. A un moment donné « allez hop ». Et donc c’est comme ça que j’ai dit que, quitte à changer… Comme sur M. j’avais quand même… Il n’y avait que le service des sports et le service scolaire que je n’avais pas faits. Dans les choses que j’étais capable de faire. Que le service scolaire ça ne m’intéressait absolument pas, parce que gérer de la cantine scolaire et des logements d’instits, ça ne m’intéressait vraiment pas. Le reste c’était du centre aéré, je l’avais déjà fait. Le reste c’était du sport, le directeur du service des sports venait d’arriver. Il n’était pas près de lâcher sa place, et je n’avais absolument pas envie de lui faire lâcher sa place. Je n’en aurais pas eu les moyens de toutes façons, et puis ça ne me venait pas à l’idée. Enfin bon, bref, j’ai fait le tour de la question, j’ai dit : « et si je partais en province ». Et là, bon, je savais où je ne voulais pas aller. Je ne voulais pas aller sur la façade Atlantique. Je voulais venir en région Rhône-Alpes, parce que c’était mon truc, parce que j’avais mes attaches familiales sur la Savoie. Donc j’ai attendu un certain temps une opportunité de poste jusqu’à ce que j’arrive dans la banlieue de M., pour gérer sports et culture. Donc là, il n’y avait pas de hasard. C’était des postes qui me plaisaient. D’abord parce que je suis un pratiquant sportif, et le domaine culturel me plaisait. J’ai dirigé un équipement culturel. Et comment je suis arrivé à F. ? parce qu’il y avait un phénomène de relations qui ne passaient plus à la mairie où j’étais. Au départ, je ne voulais pas venir à F., et puis bon enfin.

Oui mais là ce sont des opportunités, de carrière, de poste

Bon, centre de loisirs, si ça m’avait déplu je n’y serais pas venu. Au départ, j’ai refusé le poste ici, au départ. Je ne l’ai pas refusé pour ce qu’il était en tant que tel. Moi, il y a des gens qui m’ont dit : « mais tu te rends compte, tu es passé à la culture, tu es passé à des choses valorisantes. Tu vas gérer un centre aéré ! ». Pour moi, il n’y a pas de choses dévalorisantes ou valorisantes. Essayer de donner à des enfants des choses qui vont peut-être leur rester toute leur vie, je ne le saurai jamais. Ca c’est le propre de l’éducation, on ne le saura jamais. Mais peu importe, on a fait pour le mieux. Et pour moi, ce n’est pas dévalorisant. C’est pour ça que mes parcours, pour moi, ce sont des infléchissements, alors que vu de l’extérieur, pour certaines personnes, ce sont des ruptures. Pour moi, ce ne sont pas des ruptures. Il n’y a pas de rupture. Je gère des choses, et je les gère avec l’intérieur de moi-même. Ca me plaît ou ça ne me plaît pas. Quand ça ne me plaît plus, je repars sur autre chose. Mais il n’y a pas de choses plus valorisantes qu’une autre. La culture pour moi n’est pas forcément un truc valorisant par rapport à animer des enfants. Surtout qu’en plus, la culture c’est quoi ? ça va être des choix qui vont être soit collectif soit individuel. Il y a des choses plus ou moins bien, mais tout ça c’est tellement relatif : comment dirais-je… sur le banc, M.Dupont il va aimer ça, M. Durand qui est à côté de lui, va dire que c’est de la merde. Et puis la semaine d’après ce sera l’inverse. Et en quoi la culture, c’est plus valorisant qu’autre chose ? Moi, je dis que la culture c’est presque une philosophie de vie. Ce n’est pas quelque chose qui nous sert à nous positionner sur une échelle sociale. Voilà comment donc mon parcours peut sembler un peu sinueux. Mais si on le regarde bien, on s’aperçoit je suis toujours sur un parcours –comme je disais au tout début– où je donne quelque chose. Je reçois hein, mais je n’en parle pas, parce que ce serait trop difficile à… mais je reçois certainement, je reçois. Et c’est ce qui fait que je suis… –un peu moins maintenant parce qu’il y a l’âge– mais j’ai été longtemps très passionné. Ce n’est pas parce que j’ai seulement donné, j’ai reçu beaucoup. Maintenant que les enfants me disent bonjour dans la rue, ça ne m’embête pas, je suis content, ça me fait plaisir. Pourtant j’ai cinquante ans, on pourrait dire : « il est marteau ce mec-là, il y a des enfants qui le prennent pour un grand-frère ! ». Qu’est-ce que ça peut faire ? Ca veut dire que la relation, elle passe. Mon travail, il n’est pas mauvais. La relation, elle passe. Moi, je n’ai pas ce regard que peut-être ont les gens habituels, sur les choses…

Est-ce que vous avez encore l’impression qu’il y a une connexion, que vous pouvez réinvestir votre expérience d’instituteur dans ce que vous faites aujourd’hui ?

D’une manière très terre à terre, je dirais que mon expérience de l’Education nationale, déjà elle m’a servi dans mon CV. Parce que à tort ou à raison je crois que ça rassure un employeur : « tiens, il a été enseignant ! ». Parce que tout le monde critique l’Education nationale, mais quand on dit j’ai été enseignant dans un CV –c’est amusant je l’ai remarqué de nombreuses fois– ça n’a plus la même connotation. « Oui, j’ai embauché un ancien enseignant ». C’est d’ailleurs assez paradoxal ! Je ne sais pas si vous avez déjà remarqué ce genre de choses, moi je l’ai ressenti dans les entretiens que j’ai pu avoir à maintes reprises. Ah, mais vous avez été enseignant. Et alors la question, c’est pourquoi vous avez quitté ? Alors là !

Ah oui, ça, ça inquiète tout le monde. Je pense que parfois on vous pose encore la question. Non ?

Ca inquiète toujours tout le monde. Et les gens veulent bien savoir.Même encore maintenant, on me pose la question. Je dis tout simplement, parce que à un moment donné j’ai dit tout ce que j’ai pu vous dire quoi. Phénomène d’usure, etc. Alors, il faut être très vigilant avec le phénomène d’usure, parce que aussi mon parcours, ce qu’il a qui joue contre moi, c’est que malgré les apparences, les gens restent encore très classiques et se disent « oh là, celui-là c’est un instable ». On me l’a déjà dit dans des entretiens. Je dis, non, non, mais attendez, si vous prenez du recul sur mon parcours, vous allez vous rendre compte qu’il y a une colonne vertébrale, je ne l’ai pas toujours mesurée, mais maintenant je peux vous dire qu’il y a cette colonne vertébrale, comme je vous disais c'est-à-dire que quelque part, je vais dans des trucs où il y a une communication, un échange, une rencontre avec et vers les gens. Ce n’est pas un hasard. Je pourrais faire autre chose. Mais en fait, je me suis rendu compte que j’allais toujours dans ce genre de travail. Travail où l’on donne, travail où l’on communique, travail où l’on échange. Ca maintenant, ça va, je l’ai intégré. Je ne l’ai pas vu tout de suite, je n’en ai pas toujours eu conscience dès le départ de ça.

Ca se construit petit à petit ?

Oui, puis, un beau jour… Oui vous savez, comme on dit, il y a une époque où l’on regarde devant soi, puis il y a une époque où l’on commence à regarder derrière. Et quand on regarde derrière, on regarde ce que l’on a fait. Bon et c’est là à un moment donné. Je me suis dit, ah ben oui, quand même et j’ai vu les analogies des différents postes.

Ce n’était pas seulement du zigzag ?

Non, non, ce n’était pas seulement du zigzag, parce qu’à un moment donné j’en avais marre, je n’allais pas n’importe où, même si je zigzaguais, je ne retournais pas n’importe où. C’est aussi l’intérêt d’être fonctionnaire, c’est que, comme on a quand même une sécurité d’emploi entre… Je ne suis jamais en rupture avec la nécessité absolue de trouver quelque chose et n’importe quoi pour manger. Donc de ce fait mon parcours a cette espèce de cohérence qui n’est pas forcément visible. Après je voulais vous répondre sur autre chose que m’aviez demandée. C’était quoi ?

C’était sur les retours, les réactions des gens au fait d’avoir été instit.

Oui, il y a un retour

Les gens disent : « mais vous ne regrettez pas ? » Ca surprend beaucoup de gens.

Non, je ne regrette absolument rien.

Non je veux dire, souvent les gens de l’extérieur sont surpris, qu’un enseignant puisse quitter comme ça.

Moi, ce que j’ai craint quand j’ai quitté l’Education nationale, je me suis dit : « les vacances vont me manquer ». C’est la seule chose qui ne m’ait jamais manqué ! Parce que quand vous vous plaisez dans ce que vous faites, je ne dirais pas que l’on est en vacances tous les jours, mais le besoin de vacances est moins pesant et moins nécessaire. Et moi je conçois, que les enseignants, ceux qui font leur boulot, aient besoin de vacances. Le premier mois, c’est je refais le point, je me repose et je récupère. Et le deuxième mois, c’est un mois de vacances.

Et alors c’est quoi qui vous a manqué ? Si les vacances ne vous ont jamais manqué, c’est l’enseignement ?

Oui, pendant un temps j’ai regretté de ne plus transmettre en direct. Si je devais rechoisir une orientation, je ferais de l’enseignement pour adultes, maintenant, plus que pour les enfant, c'est-à-dire pas dans l’Education nationale. Ca va, j’ai compris que ça ne bougera pas avant très longtemps. Mais l’enseignement, je vais même vous dire, d’une certaine manière je continue à en faire. C'est-à-dire j’embauche beaucoup de gens, notamment d’une manière saisonnière, j’embauche des étudiants, je n’enseigne pas au sens où l’on peut le prendre… Non, non mais j’enseigne mon expérience. Comme ils sont jeunes, j’ai parfois avec certains des discours… quand ils me parlent de leurs études, des problèmes qu’ils rencontrent. J’enseigne mon expérience. Il faut que ça serve !

C’est le principe de l’enseignement. C’est de transmettre.

C’est le principe de l’enseignement. Et ce qui me reste encore de l’enseignement, c’est certainement le côté le plus positif que je garde –notamment de l’enseignement quand on est dans le primaire– on est dans un cadre très-très directif, beaucoup plus directif que dans le secondaire, en ce sens que quand on a une classe, on ne peut pas s’en décharger. Et j’en ai acquis très-très vite le souci d’être à l’heure, le souci d’être consciencieux. J’étais certainement consciencieux, mais je sais que mon passage en tant qu’instit, ça a encore accru ça.

Vous avez une certaine rigueur que vous avez l’impression d’avoir gardée.

Que j’ai gardée de l’enseignement… Et c’est ce qui rassure les employeurs, quelque part. On sait que l’enseignant, ce n’est pas quelqu’un qui s’arrête facilement. Je ne crois pas. Quand ils s’arrêtent de toutes façons, c’est qu’ils sont complètement HS. Et ça, je l’ai bien gardé, ça.

Oui c’est vrai, en fait, c’est un non dit, mais c’est peut être une image positive malgré toutes les critiques qu’on adresse aux enseignants, il y a quand même une image un peu positive, quand même il me semble.

Oui, oui. Ce ne sont pas des gens fantaisistes. Pas assez, parfois, on leur reproche. C’est le cadre qui ne leur permet pas toujours de l’être. Mais, d’un point de vue conscience professionnelle, ce ne sont pas des je m’en foutistes, en règle générale. Vous savez quand vous avez 25 ou 30 têtes devant vous, que vous le vouliez ou pas, vous vous en sentez responsable. De toute façon, ils ne vous font pas de cadeaux, les gamins. Vous ne pouvez pas vous dire, tiens je sors, je vais fumer ma clope et passer un coup de fil. A la limite maintenant, j’ai un travail qui me permet ce genre de choses. C’est très dur d’enseigner. Enseigner, vous avez cette pression par la présence des élèves et l’attente non dite ou dite qu’ils ont. D’ailleurs ce grand groupe que vous avez en face de vous, et bien quand ce n’est pas la récréation, il est bel et bien en face de vous, et ça vous remet à votre place que vous le vouliez ou pas.

On est sur le vélo, quoi, on ne peut pas s’arrêter de pédaler, sinon..

Sinon, ça tombe. Voilà. Et ça c’est quelque chose qui me reste ! Même si je n’ai plus cette contrainte.

Bien. Je pense qu’on a fait le tour. Et j’essaie de reprendre au fur et à mesure, je pense que vous avez été assez complet. A moins qu’il y ait encore quelque chose qui vous revienne ?

Non. Je dirais de toutes façons, mon parcours il est ce qu’il est. Je ne le regrette pas. Je l’aurais peut-être aménagé autrement dans certaines circonstances. En termes de résumé. A un certain moment, si j’avais eu d’autres informations..

En termes de carrière, vous avez presque le sentiment de vous être fait rouler

Je me suis fait rouler.

Il y a beaucoup de gens qui sont détachés dans une association, qui s’occupent d’un centre et qui se retrouvent à peu près dans le même métier que vous.

Oui, mais ils ont gardé tous leurs avantages.

Ils n’ont eu aucune prise de risque. Ils pouvaient en permanence...

Je n’ai pas su gérer ma carrière !

Finalement, vous avez eu de la chance, parce que vous avez pris un risque assez considérable !

J’ai pris un risque. C’est vrai quand même, si je regarde je me suis fait rouler. Parce que théoriquement je devrais gagner environ 30% à 40% de plus de ce que je gagne maintenant, si on ne m’avait pas roulé au début, si j’avais eu les connaissances statutaires.