Éric

[inaudible…] Je ne sais plus si je vous ai raconté, quand même, le pourquoi de mon arrivée à l’Ecole normale.

Non, je l’ai consulté avant de venir, c’était uniquement des renseignements très précis et vous mettiez à la fin « je préférerais qu’on se rencontre ».

Ah d’accord, très bien. Donc moi en fait je suis arrivé à l’Ecole normale, ce n’était pas tant parce que je voulais être instituteur, c’était beaucoup plus parce que… –c’est ce qui est arrivé dans bon nombre de familles– Et bien, j’ai eu mon père en particulier, qui aurait voulu être enseignant et qui n’a jamais pu l’être.

Oui, j’ai déjà entendu ça.

Donc, si un de ses fils, j’étais seul, j’étais fils unique à cette époque-là. Attendez, qu’est-ce que je raconte ? J’avais déjà un frère. Si en tout cas un de ses fils pouvait être instituteur, pour lui c’était répondre à un de ses vœux sincères. Donc je peux quand même dire que je suis arrivé dans ce métier, pas du tout par ma volonté. Donc, c’est vrai à l’époque on arrivait à l’Ecole normale avant le bac.

Donc vous avez été recruté très jeune.

Je suis entré en seconde. Pas en troisième, parce qu’en troisième j’avais tenu tête. En seconde, j’avais passé le concours en fin de troisième. C’est en fin de troisième. Je suis entré en première à l’Ecole normale. Et en fait je n’ai pas eu le concours. Je ne voulais pas l’avoir. En fait c’était assez facile de ne pas l’avoir.

Oui, c’était très facile ! Effectivement, j’ai rencontré plusieurs personnes qui m’ont dit « en douce, j’ai saboté parce que je n’étais pas très sûr d’avoir envie ». Et puis, vous êtes arrivé…

Et puis, la première année… En fait, il a fallu que dans le contexte familial, une tante qui était directrice d’école en retraite rappelle à mon père cette bonne voie qui aurait été la mienne d’être instituteur et, le ré-incite à ce que je passe une deuxième fois le concours et que je l’aie cette fois-ci. Là par contre, c’était assorti de menaces de mon père disant que si je ne l’avais pas, de toutes façons il faudrait que je trouve du travail. J’étais assez faible de caractère à cette époque-là, et c’était quelqu’un que je craignais énormément.

et puis vous étiez jeune, à cet âge là…

De toutes façons, j’avais quoi, 15 ans, même pas 14, presque 14 ans. Donc c’est vrai qu’à cet âge-là, on est quand même sous influence. Donc je n’ai pas vu d’autre alternative que d’avoir le concours. J’ai fait en sorte de l’avoir et c’est vrai que pour moi c’est une période assez difficile : –alors que mes études s’étaient toujours bien passées–les années avant le bac sont passées … déplorables… par une déprime…

A l’Ecole normale ?

Enfin je ne voulais pas du tout le faire, pendant ma période de déprime. Et puis cette fois-là c’est le directeur de l’Ecole normale qui m’a incité à aller jusqu’au bout parce qu’il ne comprenait pas pourquoi. <rire> Il ne comprenait pas ! Lui apparemment les matières qu’on nous faisait… ou autre, il n’aurait pas pu m’en empêcher. Il est vrai qu’en plus je lui donnais un sacré argument : c’est que tous les étés je passais deux mois comme moniteur de colonie de vacances, et de toutes façons je m’occupais de gamins. Donc pour lui, il n’y avait pas d’incompatibilités à s’occuper de gamins. Donc de me dire : « de toutes façons, quoi que vous vouliez faire vous devrez avoir le bac. Vous irez jusqu’au bac, et après vous verrez. »

C’est quoi alors qui vous retenait ?

Parce que tout gamin, je voulais faire architecte.

Les contacts avec les enfants, ça vous intéressait, mais pas pour en faire un métier…

Pas pour en faire un métier. Tout gamin, je dessinais des façades, je dessinais même des… j’hésitais entre le design automobile et l’architecture mais je savais que c’était un domaine où le dessin aurait de l’importance. Donc, mais pas instit. Donc du coup, je suis allé jusqu’au bac… Avec des difficultés, parce que j’ai raté mon bac la première année, j’ai redoublé et puis j’ai fini par l’avoir. Alors là quand j’ai eu le bac, je suis allé voir le directeur de l’Ecole normale : « écoutez maintenant j’ai le bac, maintenant je ne veux pas faire la formation professionnelle, je veux partir dans un autre boulot, ça ne m’intéresse pas ». Alors donc là le directeur à nouveau, de m’inciter : « non, non, ne faites pas cette connerie-là, vous êtes à l’Ecole normale, vous allez avoir un métier, vous savez bien quand on entre à l’Ecole normale, on sort instit. Allez jusqu’au bout et vous verrez après ». <rire>

Sur les rails !

Et voilà. Je suis pourtant quelqu’un de têtu mais j’étais quand même… De toutes façons qu’est-ce que j’allais faire et avec quels moyens, sachant que chez moi mes parents ne m’aideraient pas ? C’était quand même bigrement décisif, le milieu familial qui ne me portait pas. Donc, je me suis dit, une seule voie c’est d’y aller. Donc, j’ai suivi mes deux années de formation avec des difficultés, parce que quand même je pensais à autre chose, et puis je suis arrivé quand même, à l’époque on appelait ça comment… le certificat d’aptitude. C’est marrant le certificat d’aptitude pédagogique. Je ne sais pas comment ça s’appelle aujourd’hui, mais c’était ça à l’époque.

C’est le même sigle que pour les CAP.

Oui, oui tout à fait. C’est ça : C.A.P. Et puis s’en est suivi quatre années d’enseignement. La première année a été fabuleuse puisque j’ai vraiment eu une chance folle, je suis tombé dans un groupe scolaire excessivement dynamique à C. (ville) dans L’Aisne où de toutes façons je venais prendre un remplacement d’une personne qui était en congé maternité. Elle a dû prendre une année complète. Et avec une directrice qui, elle, allait prendre sa retraite, mais qui alors était d’une jeunesse intellectuelle fabuleuse, vraiment quelqu’un qui savait insuffler dans l’école toute cette dynamique dont les enseignants ne devraient jamais être à court, et c’est vrai que ça a été une année fabuleuse. Vraiment j’ai pu expérimenter des choses… C’était surtout ça mon envie : avec les gamins c’était d’arriver à essayer différentes choses du point de vue pédagogique. J’étais absolument dramatisé de voir que l’école fabrique des exclus. Donc ça si j’étais resté, ç’aurait été un de mes grands combats : comment faire pour que l’école –non pas réponde aux maux de la société, ce n’est pas son objet à la limite, sûrement pas– mais fasse que des enfants aient toutes les chances à travers la formation qu’ils suivent de s’en sortir, de trouver en eux-mêmes les forces et compétences pour y arriver, sachent les développer. C’est plutôt ça qui m’aurait intéressé de faire.

Donc s’adresser à des individus, pas une commande de la société.

Voilà. Et puis cette première année, justement, elle m’a permis un petit peu d’aller dans ce sens. Et puis, bien sûr, quand on démarre après on se heurte à l’un des grands maux de l’Education nationale française : c’est le fameux titulariat de poste. Que l’Education nationale garantisse d’avoir son emploi à vie, je trouve ça fabuleux, surtout par les temps qui courent, il faut l’admettre. Mais que vous soyez par contre titulaire d’un poste dans un endroit bien précis…

propriétaire…

Que dans nombre de cas, vous bloquez les situations, vous empêchez, je ne veux pas dire une expérience, mais que vous empêchez une cohérence pédagogique de se mettre en place. Je dis pour qui travaille-t-on, pour les enseignants ou pour les enseignés ? Et alors que s’est il passé ? Je ne voulais pas aller en campagne, parce que la campagne me faisait peur. J’avais besoin d’une certaine liberté de penser et d’agir… On sait très bien que la campagne ce n’est pas ça, bon. Vous êtes…

Sous le regard de l’autre ?

Votre vie est mise sur la place publique. Et moi j’avais envie d’autre chose. Seulement je ne me sentais pas assez fort à l’époque, tout au moins, avec plus de force, plus de maturité on peut arriver à passer outre. Mais quand on se cherche encore soi même, c’est encore normal à cet âge là. J’estimais qu’avoir un poste en ville, c’était mieux. Mais quand vous démarrez ! Alors là, pour avoir un poste en ville, sauf hasard comme le remplacement de quelqu’un, c’était le cas pour moi la première année. Donc je suis allé dans une petite ville. Sur un poste –je ne sais pas si ça existe encore aujourd’hui– qui s’appelait les titulaires remplaçants. J’y voyais un gros avantage, parce qu’en fait quand on démarre, quand on n’a pas d’expérience, on risque aussi de faire du mal, toujours aux gamins, donc après tout autant être sur un poste de remplacement. Au moins on peut imaginer que les expériences vont être courtes et que ce qu’on a raté à un moment donné, on pourra peut-être le réussir le moment d’après.

Et on ne prend pas de risques. Donc c’était rassurant pour vous.

Donc j’y voyais beaucoup d’avantages. Et en plus, ça présentait beaucoup d’avantages en termes de culture, de voir en très peu de temps, de voir différentes pédagogies mises en œuvre, d’en discuter avec des enseignants et de se faire très-très vite sa propre idée sur ce que devrait être son choix. J’ai fait ça, par contre la première année je suis tombé dans un groupe scolaire où il y avait un directeur facho, rétrograde… enfin, tout ce qu’on peut haïr chez un enseignant qui ne remplit pas son rôle. L’année a été dure, ça a commencé à me travailler : « qu’est-ce que tu fais là ? tu voulais faire autre chose… ». L’année d’après je suis revenu sur la commune où j’avais vécu quand même plus d’une douzaine d’années de ma vie. Et alors du coup, ça s’est à nouveau bien passé, parce qu’effectivement je n’étais pas en milieu hostile, je connaissais pas mal de gens, certains de mes collègues étaient mes anciens enseignants. Enfin, il y a eu une sorte de complicité qui est arrivée à se passer qui n’était pas inintéressante. Ça, ça m’a fait tenir une année. Et là j’avais toujours le poste de titulaire remplaçant. Donc je me baladais d’un poste sur l’autre quand même. Ce qui n’empêchait pas que parfois je quittais cette petite ville pour aller dans certaines petites communes de campagne, sur un remplacement de courte durée. Après ça s’est soldé par des remplacements au trimestre. Donc on arrivait quand même à mener une action pédagogique, on pouvait apprécier les retours, pendant trois mois. Et puis la quatrième année, j’étais à nouveau titulaire remplaçant, le premier trimestre j’ai fait des remplacements dans différents endroits… Alors ça commençait à me lasser à nouveau. Et j’ai eu une classe pour deux trimestres. Et là par contre, je sentais que je commençais à maîtriser un peu mieux le métier, j’avais un CE2, il me semble que j’arrivais à faire quelque chose avec, vraiment je sentais que j’arrivais à l’amener où je voulais aller. <silence> Et j’avais toujours envie de partir. Mais, si vous voulez, je que j’avais envie de faire, c’était partir sur un succès.

Partir contre eux, quoi ?

Après toute cette période dure, je ne voulais pas partir la tête basse, et cette fois ça été formidable. On a fini l’année scolaire avec les parents, tous les gamins réunis, on a rassemblé sur une soirée les choses qu’on pouvait montrer aux parents. On n’avait pas imaginé un seul instant qu’on allait construire une soirée. C’était d’autant plus amusant, qu’on ne s’était pas aliéné dans la préparation d’une fête, qu’on n’avait jamais pensé à ça. Et puis en fait, en y réfléchissant à mes moments perdus je me disais si on rassemblait ça, ça et ça, on pourrait faire une soirée, et inviter les parents. Et en fait ça s’est fini là-dessus, j’ai fini là-dessus. C'est-à-dire j’ai passé un concours juste avant pour faire un stage à la FPA, dans le domaine du bâtiment, donc métreur dessinateur, tous corps d’état, et je l’ai eu et du coup j’ai demandé une année de congé. Et en fait, l’idée c’était effectivement que je ne voulais pas quitter l’enseignement dans ce sens où je demandais un congé.

C’était du provisoire.

Je vais essayer, on verra bien, et si ça marche, et bien je quitterai.

Vous avez eu quel statut à ce moment-là. C’était une disponibilité complète ?

Mise en disponibilité qui, normalement, devait être sans solde. Mais il était prévu que les stages de FPA pouvaient être rémunérés. Il y a eu un petit épisode. Il a fallu que je me batte avec un député alsacien. Ça s’est passé à Colmar, par contre, mon stage. Et j’ai pu être payé pour ce stage. Je crois que c’est par le ministère du travail. Et j’ai fait ce stage de formation professionnelle qui durait une année. Et donc là je me suis dit : « je vais continuer, j’aimerais bien connaître les métiers du bâtiment ». Je cherchais à me faire embaucher dans une entreprise du bâtiment, donc là chez Bouygues. Dans la filiale rhône-alpine de Bouygues. J’avais dû vous le dire que j’étais originaire de…

Non

Je ne vous avais pas dit mon parcours. Moi je suis originaire du Nord de la France, du département de l’Aisne (02). J’avais passé l’Ecole normale à Laon. Et donc après j’ai enseigné dans l’Aisne pendant quatre ans. Et après, mon stage de FPA, je l’ai fait en Alsace à Colmar. J’ai trouvé une place à Lyon chez CCFC (entreprise de bâtiment filiale de Bouygues) où là j’ai travaillé pendant deux ans. Chaque année je demandais de prolonger : ou bien je demandais une réintégration et je suivais le mouvement, ou bien je prolongeais ma disponibilité. Et en fait, ça, après, je l’ai fait pendant onze ans. Normalement on a le droit à dix ans. Je ne regrette pas que l’on ait droit à dix ans.

Il y a un moment où l’on vous a mis devant le fait accompli, où on vous a demandé…

Voilà, tout à fait. On m’a demandé –donc onze ans après– on m’a dit : « mais que faites-vous à la rentrée, vous rentrez, ou vous ne rentrez pas ». J’ai dit « écoutez non » Entre temps, j’étais entré à l’Ecole d’architecture de Lyon. J’avais choisi justement Lyon pour ça. Je cherchais un employeur qui soit dans une ville où il y avait de l’architecture. Je ne voulais quand même pas abandonner mon idée de gamin comme ça, aussi vite. Alors donc je suis entré à l’Ecole d’architecture de Lyon, j’ai fait quatre ans. Je n’ai pas terminé parce que j’étais écœuré par l’environnement de ces études –alors que ça marchait bien : j’étais en cycle de diplôme de DCLG–. Je m’étais mis à mon compte en même temps pour travailler en tant que métreur dessinateur. Il s’est avéré que mon boulot s’est mis à accroître, et du coup entre les études qui ne me plaisaient pas avec les enseignants qu’il y avait sur Lyon, toujours passionné par Architecture, mais les études ne me plaisaient pas, le boulot qui me prenait de plus en plus de temps. En plus, j’étais responsable dans une association dont le but était de promouvoir l’architecture en direction du grand public. Donc j’avais trois statuts. A un moment donné, il a fallu que je fasse un choix. Donc là, j’ai mis le cap sur ce qui était à l’époque mon autre métier, dessinateur métreur, tous corps d’état. Et puis au fur et à mesure, mon métier s’est mis à virer sur la communication, parce que mon ancien employeur Bouygues a été mon premier client en tant que travailleur indépendant et sachant que j’étais en architecture, m’a demandé des prestations qui étaient à la marge de l’architecture, à savoir représenter un bâtiment, le mettre en perspective, le mettre en couleur pour en faire après une première page de couverture d’un dossier, pour après y faire un panneau d’expo, en faire dix, faire une expo, faire un stand. Tout compte fait, pour faire un métier qui n’était plus métreur, mais du dessin. J’ai eu une période transitoire où je ne faisais plus du tout métreur, mais du dessin. Je calculais des matériaux amenés sur un chantier.

Très technique, là.

Voilà. Et puis en même temps, à côté de ça, cependant, j’avais des côtés très créatifs. Je pouvais faire une page de couverture, installer des expos. Et puis jusqu'au jour où on m’a dit : « je préfère mille fois l’installation au côté technique ». Et alors on s’est mis à embaucher des gens qui ont complété mon savoir-faire dans le domaine technique. On avait les deux casquettes. C’était complètement atypique dans le paysage d’avoir une agence qui fasse du technique et de la création. Jusqu’au jour où on s’est dit : « mais attend qu’est-ce qu’on fait, on est égal à quoi ? » Là on a mis le cap sur la communication et la création graphiques. C’est comme ça qu’on est arrivé à ce que l’on est aujourd’hui, après une phase de difficultés, il y a six ans, de dépôt de bilan, à une période où le travail s’est raréfié. Comme on avait notre clientèle première dans le bâtiment, mon ancien employeur VNC, et puis après les portes se sont ouvertes chez les concurrents de Bouygues. C’était chez CCL, après Bernard, après SPI… des grands groupes du bâtiment. Et puis, tous se sont arrêtés en même temps, les chantiers se sont mis à geler en même temps.

Toute la partie technique, en fait ?

Par contre, on travaillait quand même aussi en création pour eux. Du coup, dans ces cas-là quand ça va mal, le premier poste sur lequel ils font des économies, c’est la communication. Après, j’ai découvert un nouveau métier pour moi, de management d’hommes et de femmes. On était huit à l’époque. La grosse remise en cause, dépôt de bilan. Il fallait qu’on continue à vivre, et comme entre temps, je n’avais pas donné ma démission de l’enseignement, ce dépôt de bilan c’est arrivé juste au moment, où je me suis dit, je vais peut-être reprendre l’enseignement.

vous l’avez envisagé…

Je me suis dit que je risquais de ne plus avoir de boulot dans ce métier-là. Je ne voulais pas me retrouver à la rue. A ce moment-là et bien tant pis, je demande un poste d’instit. J’ai entretenu l’Inspection académique dans ces termes-là. « Non, non. Vous avez passé les limites, il faut repasser le concours ». Voilà pour la petite histoire que vous n’aviez peut-être pas dans la description.

En fait, ça fait un enchaînement de plusieurs métiers. Au moins trois.

Au moins trois. Et aujourd’hui, on aborde un autre métier qui est le métier du conseil. Parce qu’on a gagné l’an dernier un concours qui s’est développé sur plus d’un an et qui amène d’autres chantiers de ce type-là où l’on vend du conseil. On vend du conseil. C’est là où ça va vous amuser, c’est quand la boucle se referme.

C’est de la formation ?.

Non, non. Mais par contre, l’an dernier, le concours que nous avons gagné consistait à… Le client qui est un parc naturel régional du Livradois-Forez entre Clermont-Ferrand et Thiers, cherchait ce qu’il a pu appeler un cabinet d’études, capable d’apports de créativité pour, en rencontrant des prestataires aussi différents que les petits musées installés sur le territoire, des apiculteurs, une femme qui fait du vitrail, une ferme pédagogique, une ferme équestre…

Les ressources du parc ?

Oui, oui, des prestataires qui s’étaient organisés pour recevoir des groupes d’enfants, des scolaires ou simplement des enfants accompagnés de leurs parents. L’objectif du parc était de dire, il faut absolument que l’on arrive à mettre ces activités en réseau, que l’on vérifie la portée exacte des activités proposées par ces prestataires aux enfants et qu’on décide de mettre en place un catalogue d’activités, d’animations, un catalogue d’animations à valeur pédagogique ajoutée, qui puisse fonctionner. Donc en fait il recherchait un cabinet qui puisse aller voir et visiter ces différents prestataires, d’abord en position de recul, voir ce qu’ils font, comment ils sont installés, comment ils reçoivent un groupe, et à travers les activités proposées, arriver à les recentrer, améliorer l’activité, et faire que demain ils fassent partie d’un ensemble de prestataires cohérents. Alors là c’est marrant parce que maintenant, en fait, on a touché la pédagogie.

Et ressortir votre CV, c’est un argument.

Ça a été un argument d’ailleurs. Ça a été un argument pour qu’on vienne. Et c’est vrai que de toutes façons, dans notre métier aujourd’hui, quels que soient ses variantes, il n’y a quasiment pas une seule affaire où on ne doit pas être des pédagogues, expliquer à nos clients notre métier, et leur ré expliquer le leur. En tout cas leur en parler dans d’autres termes pour qu’il soit intelligible.

Ça m’étonne ce que vous venez de dire, ça m’intéresse beaucoup. J’avais l’impression que vous étiez très, très loin de la pédagogie. Et vous me dites que vous pouvez recycler et réinvestir…

Ah mais non, mais attendez alors là, ! Si au départ j’étais loin de m’imaginer que le passage dans l’enseignement me resservirait, aujourd’hui, j’en suis absolument convaincu. Ne serait-ce que le fait d’avoir eu à s’adresser à un auditoire, tous les jours. Dans notre métier, on est confronté au quotidien au fait de savoir présenter un projet, parfois savoir le vendre quand on doit passer des concours. Alors là d’être plus pertinent que d’autres sur le fond du projet, ça c’est une force dans ce métier, de la communication que de savoir présenter les choses. Alors là, c’est sûr que la pédagogie m’a énormément servi et que le fait d’arriver à parler simplement à un auditoire jeune, nous permet aujourd’hui justement d’arriver à parler tout à fait simplement à un auditoire adulte.

Ça c’est en termes d’expérience et en termes de formation ? Vous m’avez parlé des classes avant le bac qui vous ont pesé, mais les deux années de formation professionnelle, comment vous avez vécu ça, après le bac ?

Ecoutez, le souvenir j’en ai et puis le… c’est toujours pareil. La capacité d’intégration que je peux avoir à cet âge-là ! Moi vraiment je garde un très mauvais souvenir de la formation professionnelle des enseignants, qui était quand même bien trop loin du terrain, même si, bien évidemment il faut traiter de matières que l’on n’abordera pas sur le terrain, c’est évident que l’on fera de la psychologie ou autre on doit se donner le temps de l’aborder autant par études livresques que par contacts avec l’enseignement. Mais par contre, en termes d’ouverture aux pédagogies diverses qui existaient, néant. Là ce n’était vraiment que de la bonne volonté de chacun de savoir ce qui se passait ailleurs.

C’était de l’auto-formation.

Ah oui, oui, complètement. J’ai vraiment eu l’impression que l’on était vraiment jeté dans la fosse aux lions pour arriver à s’en sortir, quoi. Et l’on n’était pas avec des gens qui étaient qualifiés pour nous aider à ça. Il y avait aussi un problème…

d’enseignants ?

Un problème d’enseignants en Ecole normale, de gens capables de tirer l’essence même des messages à passer aux futurs instits. C’était grave à ce niveau-là. C’est très grave.

Expliquez moi ça. Quelle perception vous en aviez. Ces enseignants, c’était des gens qui étaient originaires du secondaire, non ?

Du secondaire, oui tout à fait. Des gens originaires du secondaire. Ayant eu une promotion pour se retrouver enseignants à l’Ecole normale pour nous former. Bien souvent, c’était le cas. Et bien du coup il n’y avait pas toute cette pratique de l’enfant de primaire qu’ils n’avaient pas. Donc un… C’est vrai que je crois beaucoup dans l’expérience. Maintenant ça me paraît… Tous ceux qui disent que pour arriver à être un bon fonctionnel, il faut avoir fait le tour de la chaîne. Je dis : « oui ! Ça c’est vrai » J’y crois vraiment dans cette pédagogie là. Je vois que dans notre métier à nous, je suis plus en position de dirigeant de la boîte, donc du coup maintenant, il y a plein de casquettes que je dois avoir : de comptable, de commercial, etc. plein de choses. C’est important de passer dans les différents postes, de A jusqu'à Z, de voir quels sont les problèmes, etc. Et ça j’y crois vraiment. Je crois que si on a la chance d’avoir face à soi, la chance d’avoir des enseignants qui ont pu avoir une formation aussi en tant qu’instit ou en tout cas un bref moment où ils ont vécu face à des enfants. C’est hyper important. On avait des gens trop théoriques, qui étaient loin.

De la théorie, c’est ce que me disent beaucoup de gens, à part quelques individus qui sortaient du lot.

Oui, il y en avait bien forcément un ou deux qui sortaient du lot. Mais la grande… Par contre, ce n’était pas du tout mon propos à cette époque là. Comment est le recrutement ?

Il y a un concours de recrutement.

Mais sur quelles bases il était fait ce concours ?

strictement académiques.

Et le grand manque… <silence> Et aussi cette déconnexion par rapport à la vie.

La vie ?

La vie en général, la vie professionnelle. Bon, aujourd’hui c’est en train de changer d’après ce que je crois entendre dire. C’est pour ça que maintenant au moins par exemple, quand on reçoit les gamins de temps en temps pour une semaine ça c’est pour les actions en direction des élèves, je ne sais pas ce qui est fait pour les enseignants. Quand on voit maintenant un gamin qui est en troisième faire un parcours obligé d’une semaine dans une entreprise, c’est bien. Mais qu’est ce qui est fait d’autre en direction des enseignants pour avoir cette réalité de l’entreprise ? Cette réalité de la société aussi, parce qu’on sait bien que l’enseignant… et ça a été mon défaut aussi quand je l’ai été… Nous vivons tous en vase clos.

Ça vous l’avez ressenti ?

Ah bien oui, complètement. Moi j’étais toujours avec des instits. Et c’est vrai, il y a aussi un manque d’initiatives à ce niveau. Au niveau de l’inspection académique ou autres. On avait ces sacro saintes réunions, comment on appelait ça ?

Conférences pédagogiques.

Voilà, c’est ça, mais ça restait toujours dans le cadre de la pédagogie. Et jamais on n’aurait dit, « et bien tiens on va vous mettre pendant une semaine dans une usine, tiens ». Et l’année d’après je ne sais pas, on vous met sur un chantier du bâtiment pour voir comment ça se passe. Je suis sûr que cela aurait été passionnant. Je suis sûr que cela aurait été, mais alors, un régal… Et bon, et puis après, on voit comment on peut le traiter en classe, évidemment. Mais rien n’était fait pour nous donner un peu cette réalité qui maintenant est indispensable. Comment peut-on préparer des gamins à la vie si on n’a pas conscience de ce qui se passe en dehors de notre école ?

On les prépare à l’école, c’est la seule chose qu’on connaisse.

Ça n’a jamais été l’école de la vie.

Et c’est quelque chose qui vous a poussé à partir, ou que vous avez découvert une fois que vous avez été dehors ?

Non, non, ça a été une chose qui a participé à mon départ. Il y a plusieurs choses qui ont participé à mon départ. Comme j’avais eu quand même des bons moments, on va dire, dans les quelques expériences pédagogiques de ces quatre années, je pense que s’il y avait eu un climat beaucoup plus ouvert, je serais resté. L’inspecteur m’avait dit : « écoutez, non, vous êtes sûr que vous voulez démissionner… » Il sentait que j’avais envie de me battre et de faire des choses différentes, quoi. Alors, j’ai dit : « attendez, attendez, vu que tout est figé actuellement, je n’aurai pas assez d’une vie pour y arriver. Ce n’est pas moi qui vais me battre contre les syndicats pour dire que le titulariat de poste, c’est la connerie des conneries pour empêcher de faire que la pédagogie soit riche. Vous vous imaginez contre quoi je vais me battre. Je sais que c’est peine perdue ».

Oui, c’est une montagne…

Or ça pour moi, c’est une erreur. C'est-à-dire… qu’on donne des avantages aux gens, je veux bien. Qu’on en donne trop, que ça aille à l’inverse de ce pour quoi nous sommes faits, à savoir nous occuper des enfants, je dis non. Je me dis alors là on est allé trop loin, donc faisons autre chose. Moi, j’ai dit je ne pourrais pas. On avait tenté une année avec quatre copains instits, quatre ou cinq, on devait être cinq, puisqu’il y avait tous les niveaux, du CP au CM2, on s’est dit, « tiens nous on se sent bien, on a envie de travailler ensemble d’une façon cohérente ». Bon, expérimenter, à l’époque c’était Freinet. Et puis quelqu’un a dit écoute, moi j’ai une idée, on va profiter de la construction d’un nouveau groupe scolaire, ce n’est pas encore fait. On va donc prendre les choses à temps, avec l’inspecteur de la circonscription pour voir comment nous pourrions être nommés sur un groupe où il n’y a encore personne. L’inspecteur de la circonscription était d’accord, mais ça s’est arrêté à l’échelon du dessus : « Mais attendez, vous rêvez là, vous êtes jeunes et plein d’allant mais vous rêvez complètement. »

Il fallait suivre les règles ordinaires de nomination.

On a compris que pour arriver à mener une expérience qui pourrait être cohérente, il aurait fallu au moins une dizaine d’années, dix à douze ans d’ancienneté pour commencer à faire quelque chose. Ça a grandement participé à mon départ, en plus de mon envie d’enfance. J’ai vu qu’il y avait un bloc tellement figé. Je ne me sentais pas capable. Je n’avais pas envie de me battre pour ça. J’avais envie de me battre, mais pas pour ça !

Et dans les choses qui ont fait déclic, il y a d’autres éléments que vous avez ressentis ? Sur les collègues, sur les parents, Des choses qui vous ont poussé vers l’extérieur…

Et bien, c’est clair que je trouvais globalement… sur les collègues que je pouvais côtoyer, je trouvais qu’il y en avait quand même très, très peu de motivés et qui littéralement étaient là pour ça. Donc quand même il y avait une grosse majorité, on peut dire les trois quarts, bien les trois quarts, qui étaient là pour essayer de tenir l’emploi, parce qu’on leur avait dit… ils étaient issus de cette génération où leurs parents leur conseillaient de faire instit pour cette garantie d’emploi et ces sacro saintes vacances. Et ça, ça se sentait indéniablement… dans les discussions de cours d’école : « on ne va pas encore parler de pédagogie pendant la récréation ! » on ne parlait pas de la pédagogie pendant la récréation : « Dis donc ta caravane, tu l’as choisie chez qui cette année ? » J’exagère un peu, mais c’était quand même ça, je veux dire… je n’ai jamais senti réellement les gens motivés. En fait on sentait… mais je crois que c’est un problème tellement plus général qu’on retrouve ailleurs. Il n’est pas seulement lié aux instits, qu’on se rassure. On le voit partout ailleurs. Je l’ai vu dans notre petite entreprise, aujourd’hui, aussi. Il y a trop peu de gens qui savent pourquoi ils ont fait tel choix. Donc du coup, leur plus grande envie, c’est d’arriver à se sécuriser. Plus vite, on est sécurisé, plus vite on est rassuré sur ce que l’on fait. Donc plus vite on peut dire : « allez, ce que je fais… j’en reste là et je réemploie cette méthode d’année en année sans me remettre en cause ». La remise en cause, on sait bien qu’elle est génératrice de mal être.

C’est assez fatigant…

Voilà. Donc du coup ça se comprend. Mais ça je trouve que dans le milieu enseignant, parce qu’il est clos, parce que les gens ont une garantie de l’emploi, donc du coup on n’est pas amenés à se remettre en cause non plus. C’est vrai que le système aussi… Un des points qui m’a particulièrement agacé… Même si, bien sûr, –même on n’est pas là pour dire j’ai la plus belle note sur le tableau– le fait que dans le milieu, et tout le monde le dit, faire plus que le voisin, de toutes façons, globalement… c’est pareil ! Que vous fassiez un peu plus que celui d’à côté, de toutes façons on se retrouve au même niveau à la fin du compte. Donc du coup, c’est vrai que pour un certain nombre de personnes qui ont envie de baisser les bras, ils les baissent très vite.

Il n’y a pas de sanctions, ni positives, ni négatives.

Voilà. Ça aussi ça a participé à mon départ, le système de…

de l’emploi à vie.

Voilà.

Non seulement de l’emploi. Mais vous avez insisté plusieurs fois sur le poste, la classe pour la vie.

Voilà, tout à fait. Quoiqu’on fasse. C’est vrai que dans mon tempérament… A cette époque là, imaginer que mon chemin était tracé, c’était quelque chose qui me faisait relativement peur.

C’est ce que vous expliquiez au début, le fait d’être sur les rails dès le départ, c'est-à-dire en première ou en seconde.

Voilà, voilà, tout à fait.

Par exemple, vous avez signé un engagement. C’était quelque chose qui était effrayant, inquiétant ?

Tout à fait. Oui. Donc là, c’était par rapport aux enseignants. Bien évidemment, mais ça, ça n’aurait pas participé à mon départ plus que ce problème que l’enseignant vit par rapport aux parents. Il est clair que cette trop grande dissociation, qui est encore à l’ordre du jour, on en parle de plus en plus… Il y a le problème de se sentir complètement démuni par rapport à ce qu’il y aurait à faire avec les parents pour que l’éducation de l’enfant soit une réussite.

Et au contraire dans les choses qui vous retenaient, les choses que vous pouvez regretter…

Tout compte fait, les choses qui me retenaient, c’est quand même ce grand plaisir à voir évoluer les enfants de la première rencontre jusqu’au moment où on se quittait. De voir comment ils avaient pu acquérir d’autres savoir-faire, d’autres regards sur la vie, affûter leur regard sur la vie, ça me paraissait tout à fait intéressant. Et ça c’est vrai c’est une grande réjouissance de ce métier. Bon, l’autre réjouissance, c’est qu’effectivement chaque année, il y a de nouveaux fruits qui vous arrivent, et tout est à recommencer.

Donc l’éternelle jouvence.

Oui, mais ça c’est passionnant. Ça c’est réellement passionnant. Et c’est vrai que de toutes façons de la satisfaction, vous en avez énormément dans ce métier. C'est-à-dire qu’on ne peut pas…

les gens qui restent ne vont pas ressasser là-dessus, ce n’est pas…

Ça c’est un des points hyper positifs. Je n’ai même presque pas envie de parler des histoires d’avantages, machin : « je suis en vacances ou pas en vacances », ça me paraît… De toutes façons ces vacances, elles me paraissent méritées par rapport à la façon dont le boulot est prenant et fatigant, on sait très bien que ce n’est pas innocent si nombre d’enseignants se retrouvent dans les établissements psychiatriques bien avant de terminer. Bon je veux dire, l’histoire des vacances, ça… De toutes façons les enfants sont en vacances en même temps que les enseignants. Et puis de toutes façons l’enseignant n’a jamais fini, c’est un peu comme un architecte, c'est-à-dire si vraiment il pense à son projet, il ne va pas y penser le trois septembre quand il rentre. Donc ça le poursuit pendant ses vacances. Bien souvent, ça oriente ses vacances… et donc ça c’est bien pour ceux qui ne l’ont pas vécu de dire ça.

Parce que dans les personnes que je rencontre, plusieurs m’ont dit finalement… Quand les gens découvrent que j’ai été enseignant, ils réagissent en disant, mais pourquoi vous êtes parti ? vous ne regrettez pas ?

C’est toujours pareil. Les gens ne voient que la face visible, que la partie visible de l’iceberg, l’image… [même une image d’Epinal. L’instit c’est un peu…] C’est vrai que, surtout quand on arrive, face à sa classe, face à de nouveaux élèves, moi je suis désolé, ça fait une certaine angoisse comme l’artiste qui entre en scène. Ce n’est pas un boulot de tout repos. C’est bien pour les gens extérieurs au métier de dire ça.

Ce sont des choses que vous avez rencontrées ?

Oui mais attendez ma famille n’a strictement rien compris, ni pourquoi je quittais l’enseignement. Alors je les ai mis ! Je les ai mis dans un mal-être pas possible…

le malaise quoi

Ah, oui ! j’ai créé le malaise, et toutes tranches d’âge confondues. « Et pourquoi tu pars, tu ne te rends pas compte, tu as un métier. Tu as la sécurité de l’emploi, tu ne sais pas où tu vas. Tu risques d’être au chômage, et tout ». C’est le grand truc ça ! le risque du chômage. Je suis arrivé dans une boîte du bâtiment. Après je suis arrivé dans la boîte du bâtiment où ça marchait bien parce que chez Bouygues, j’avais une très forte progression en termes de poste et de salaire… Eux c’est pareil, ils m’ont demandé pourquoi je partais. « Mais qu’est-ce que vous faites ? » Alors vous vous imaginez, ils ont essayé de me retenir. Et puis mes parents ne comprenaient pas non plus. Ça marchait bien. « C’est une place sûre, ça marche bien ». Bon, j’avais aussi un certain niveau de vie. D’un seul coup, j’ai fait une croix. Je suis parti.

En prise de risque, c’était considérable ?

Je suis parti d’une situation où j’avais l’appartement, une voiture correcte, etc. un bon niveau de vie. Et puis du jour au lendemain, je suis parti à l’Ecole et j’étais comme les autres étudiants avec une voiture d’occase merdique, reprendre un appartement qui était sous la loi de 48 avec les chiottes sur le palier, pour avoir un appartement pas cher, pour pouvoir suivre mes études parce que je ne savais pas trop comment ça marcherait… Tu vois, démarrer quasiment à zéro.

Et en termes de rupture…

En termes de niveau de vie, je me suis retrouvé avec des gens dans l’immeuble qui étaient des familles au chômage, enfin des gens qui étaient beaucoup des cas sociaux et tout. C’est ça, les gens ne comprenaient pas : « mais qu’est-ce qu’il fout ? »

qu’est-ce qui le fait courir ?

Aujourd’hui on fait ça et on sait très bien que dans trois ou quatre ans, on refera autre chose.

Justement c’est la question que je voulais vous poser, à moins qu’on ait oublié des choses sur les enchaînements.

Non, je ne crois pas…

Donc, il y a eu quand même deux moments où vous vous êtes jeté à l’eau, quoi ? même presque jeté dans le vide. Parce que si je comprends bien, vous avez demandé le stage, et vous me disiez, le premier stage d’un an, vous n’aviez pas la certitude d’être payé, d’avoir un salaire, et vous l’avez eu. Donc en termes de prise de risque, c’était quand même assez considérable, quoi ?

Considérable, non, parce que je serais rentré dans l’Education nationale. Alors là, pour le coup, c’était quand même la grande facilité pour mon expérience.

Vous étiez…

Parce que quand j’étais chez Bouygues, c’est pareil. J’avais une politique de franc-parler que je n’entendais aucunement autour de moi dans l’entreprise. Parce que je savais très bien que si demain, ça n’allait pas, je pouvais repartir instit dès la rentrée suivante. J’ai dit des trucs à des chefs de service…

Vous vous êtes fait des petits plaisirs.

Ce n’était pas pour ça, je ne le faisais pas exprès. Je m’en rendais compte après. Je me disais mais, bon sang Eric, tu ne te rends pas compte, tu pousses un peu le bouchon loin quand même. J’avais un chef de service –qui, après, est devenu mon client, pour vous dire, que certains apprécient qu’on leur parle franchement– J’ai dit, attendez mais vous arrêtez, mais vous êtes un vrai fumiste. En plus, on était sur des plateaux, des bureaux paysagés, tout le monde entendait. Je ne le disais pas doucement, parce qu’il avait prétendu que j’avais fait un truc que je n’avais pas fait. J’ai dit excusez moi, vous êtes un fumiste. Ou bien vous le dites réellement, vous acceptez de tenir compte de ce que je vous dis, et je vous dis sincèrement, ou bien vous inventez une histoire et vous n’avez pas le droit de le faire. Et ça je le disais, parce que j’avais cette force-là qui me permettait de le dire, parce qu’effectivement je n’avais pas de risques, en fait. Non, contrairement à ce que vous dites, je n’avais pas de risques. Quand on sait que douze mois après, je pars prendre un boulot. Si on n’arrive pas pendant ces douze mois à trouver quelque chose, ! J’aurais fait n’importe quoi, j’aurais balayé, j’aurais fait n’importe quoi. Alors là, en fait la situation était vraiment favorable.