Hervé

Dans votre histoire professionnelle, qu'est-ce qui a été déterminant ? Est-ce qu'il y a eu des moments qui ont fait déclic d'abord pour choisir l'enseignement puis après pour choisir de le quitter ?

Je dirais d'abord qu'il y a en parallèle… des choses un peu fortuites… Il y a un mélange de choses fortuites et puis quelque part une continuité quand même aussi. Parce que moi initialement, si je repars du bac, j'étais plutôt littéraire de goût… et donc après le bac, j'ai fait une classe préparatoire… pour préparer Normale sup. en fait. Dans cette classe préparatoire, j'étais historien, j'avais pris une spécialité d'histoire parce que c'était… ma matière de prédilection. Donc moi j'ai une première formation littéraire. Donc, je me destinais déjà à l'enseignement parce qu'en faisant de l'histoire, bon, les débouchés sont… il n’y a pas que ça mais prioritairement, c'est l'enseignement, je voulais partir là-dedans. Et puis, en fait, c'était au milieu des années soixante-dix, donc à une époque où le recrutement était très bas, au niveau CAPES, et il se trouve donc que j'ai échoué…. au CAPES. En fait, j'ai planté deux fois, et après, bon… je n'ai pas persévéré. Donc il y avait ça, le fait… disons la difficulté, à brève échéance ça n’avait pas l'air de s'améliorer. Il y avait aussi un truc qui me gênait à l'époque, c'était le recrutement –enfin, il parait que ça a changé maintenant– donc c'était la perspective de se retrouver dans toute la France. Donc il y avait ça aussi qui me retenait un peu, parce que j'avais des exemples de gens qui se retrouvaient en Bretagne etc. et moi je suis très attaché à ma région, c'est vrai que ça ne me… ça ne m'a pas incité non plus à m'acharner. Donc finalement je me suis retrouvé un peu…. je me suis retrouvé en fait à chercher du travail parce qu'il fallait bien… il fallait vivre. Donc c'est pour ça que je dis qu'il y a une part fortuite, un peu, et disons d'abord un goût naturel : la preuve c'est que j'étais déjà parti dès le départ dans la direction de l'enseignement. Bon, j'aime bien les enfants, j'aime bien les contacts, tout ça, ça me plaît bien, ça allait bien dans ce sens là. Je pensais aussi que l'histoire n’était pas toujours enseignée d’une façon bien attractive, qu’il y avait peut-être moyen de faire des choses plus… de l'enseigner de façon plus attractive, disons. Bon et après j'ai cherché du travail, donc là j'ai pris… Le premier boulot que j'ai fait ça a duré un an, c'était assez alimentaire, je vais pas m'étendre dessus. Mais après, le deuxième, j'ai bossé, j'ai trouvé en fait un travail, je bossais pour la ville de A., au service information de la ville de A. Et c'est là qu’il y a de nouveau le hasard qui joue : en fait, ce service information, ils avaient monté un des premiers sites Minitel de France. D'accord ? Moi là-dedans j'étais embauché comme rédacteur, c’est-à-dire qu'en fait il y avait des informations, il fallait renseigner la base, et puis on avait un travail avec les collègues, travail de formation, de mise en forme, de mise en page. D'accord ? Et puis de formation avec les utilisateurs. Donc je me suis retrouvé là-dedans. Là, j'avais un premier contact avec l'informatique quelque part, parce que derrière, il y avait un outil informatique. Au point de vue technique, je ne connaissais rien du tout, j'ai travaillé avec des informaticiens à ce moment-là, et puis… bon, ça a été un premier contact avec l'informatique. Et puis il s'est trouvé que ce projet… Il y a eu un changement municipal, ils ont abandonné le projet, ils ont licencié, on s'est plus ou moins séparé, bref, c'est tombé à l'eau, et donc je me suis retrouvé de nouveau… devant un choix… sur le marché de l'emploi. Avec au moins cette circonstance que j'avais droit à un certain nombre de mois de chômage, j'avais le droit de les cumuler avec une formation, donc j'avais devant moi une année grosso modo. Je savais que je pouvais ré attaquer une formation d'un an. Donc alors là je me suis renseigné, et puis grosso modo j'avais le choix entre faire une année de Sciences Po. pour préparer des concours administratifs. J'aurais pu faire ça, une année de préparation aux concours. Et puis j'avais la possibilité de faire l'IUT d'informatique en année spéciale. C’est-à-dire, il y a un certain nombre d’IUT, soit vous êtes admis niveau bac pour une formation en deux ans, soit –si vous êtes titulaire d'un deug– sur dossier, on peut vous admettre en année spéciale et ça dure un an. J'ai eu de la chance, ils m'ont pris, surtout que j'avais un deug d'histoire, donc ce n’était pas gagné. Donc j'ai été pris, et puis, je me suis dit : « là au moins je suis sûr qu'à la sortie j'ai un diplôme, un diplôme qui vaut quelque chose ». Alors que sur l'autre option, bon, je préparais des concours, et quand on passe des concours… Donc, je me suis dit : « là je vais assurer » et voilà comment je suis parti dans l'informatique. Il y a d’abord eu un premier contact à la mairie et après la possibilité… d'avoir cette formation. Et après j'ai fait cette formation, j'ai eu mon DUT et je me suis retrouvé en fait à la fin de l'IUT… Et là c'était un peu bizarre parce qu’il y avait d'autres personnes dans la même promo que moi <silence> En fait, je ne sais pas pourquoi, eux, ils s'étaient inscrits au concours de l'Ecole normale…

après la formation en informatique ?

Oui, à la fin de l'année. Pourquoi, eux, je ne sais pas. Moi, je sais pourquoi : c'est parce que jusqu'à la fin je n’étais pas certain d'avoir ce diplôme, donc je me suis dit… Ils m'ont parlé de ça, je me suis dit : « pourquoi pas ? Instit, moi ça me déplairait pas. Si jamais je n’ai pas mon diplôme, je vais toujours passer le concours, on verra bien ce que ça donne ». Donc, à la rentrée suivante, on est tous allé passer le concours, et on l'a tous eu. Bon, et, en fait, c'était un concours… je pense qu'il n'existe plus. Pareil, c'était pour des gens qui avaient un niveau… c'était un niveau deug à l'époque je crois… Je me souviens plus du nom de ce concours, vous allez retrouvez ça je pense. Il y avait le concours niveau terminale, classique, trois ans de formation, et un concours niveau deug avec un an de formation : un an sur le terrain et derrière un an de formation

La formation s'appelait FIS deug

Peut-être bien. Donc moi j'ai fait ça, d'accord ? Et il se trouve qu'à la rentrée, ce qui se passait, ils nommaient les gens au fur et à mesure, quand ils avaient besoin de gens sur le terrain, on n'était pas nommé comme ça, ils nommaient en fonction des besoins. Donc, en fait, ce que je veux dire par là, c'est qu'il y avait le concours et puis derrière c'était étalé dans le temps, donc, pendant un certain temps, je n’ai rien eu. Donc, on parlait de… Et moi, je cherchais du boulot…

Vous n'avez pas essayé d'entrer…

Si, bien sûr, en informatique, puisque j’avais eu mon diplôme. En ayant mon diplôme, j'ai dit « bon, on y va, quoi ! » et j'ai trouvé du boulot tout de suite.

En informatique ?

En informatique, oui, et donc j'ai trouvé du boulot sur A. et alors ça ne s'est pas très bien passé, ce n’était pas une… Enfin, ce qui s'est passé, c’est que j’étais… On m'a envoyé en mission en Normandie, donc assez loin de A… je partais pratiquement toute la semaine, j'avais un garçon assez jeune à l'époque. Et puis à un moment donné, ça ne me plaisait pas quand même… je ne me sentais pas très bien sur ce travail. Et à ce moment-là le rectorat m'a contacté en me disant : « et bien voilà, on vous propose un poste sur A. à partir de… ». C'était le vendredi pour le lundi (ou le lundi pour le vendredi je ne sais plus)

Sans formation ?

Ah oui, là c'était ça, de toutes façons on nous mettait sur un poste sans formation. Voilà.

C'était à quelle époque de l'année ?

Alors ça c'était en janvier, si je me souviens bien, au début du second trimestre. Et ils m'ont dit : « qu'est-ce que vous faites, oui ou non ? il faut nous dire oui ou non maintenant. » Et moi j'ai dit oui. Parce que j'ai dit : « laissez-moi réfléchir un peu », la secrétaire m'a dit : « non, non, vous devez répondre tout de suite. » Je n’avais pas envie de continuer sur le poste où j'étais. Heureusement j'étais encore en période d'essai, donc il n’y a pas eu de difficultés. J'ai dit à mon patron : « écoutez, je quitte la boite » pas eu de problème, et le vendredi je me suis retrouvé devant ma classe, voilà. Donc ça s'est bien passé. J'ai fait six mois jusqu'à la fin de l'année sur deux classes de maternelle, deux demi postes, c'était deux personnes qui étaient à mi-temps qui se complétaient.

Et qui ont pu vous aider ?

Oui, et j'avais quand même un inspecteur, un IDEN qui est venu me soutenir un peu, et j'en ai un super souvenir, vraiment, c’est un excellent souvenir cette période, ça s'est très bien passé. Après ça, et bien, l'année d'après c’était la formation à l'Ecole normale. Sur la formation à l'Ecole normale par contre, j'ai des choses à dire parce que, en fait on se retrouvait… Nous, ayant passé six mois, sept mois, huit mois sur le terrain, ayant déjà pour un grand nombre d'entre nous une expérience professionnelle auparavant…

Avant de débuter dans les classes ?

Oui, un bon tiers, et le reste des gens qui avaient déjà deux ou trois ans de fac, donc un profil de gens déjà plus mûrs… que ceux qui faisaient l'EN en sortant du bac, d'accord ? Et c'est là qu'on s'est rendu compte… je dirais, de l'inadéquation de l'enseignement en Ecole normale…

C'était une formation spécifique ou vous étiez avec les autres ?

Non, c'était une promo spéciale, on n'était pas avec les autres.

Vous aviez une formation qui était vraiment différente ?

C'était une formation en un an, déjà. Donc, forcément, j'imagine qu'ils avaient du faire un choix dans le programme. Je ne connaissais pas le programme normal des.. Mais bon, on avait toutes les matières : du français, des maths etc.

Vous avez réagi comment, par rapport à votre expérience ?

Alors, ce que j’ai ressenti vraiment, en résumé, disons… je vais être franc, je dirais qu'il y avait un tiers de profs valables… et deux tiers soit d'incapables, soit de gens… qui n'apportaient pas ce qu'on attendait en fait. Et ça, à mon avis, ça s'explique assez facilement, c'est que la plupart ne connaissaient pas l'école primaire, tout simplement. Et notamment, ce qui m'a le plus étonné, c'est que c'était des gens qui n'avaient pas enseigné en école primaire.

C’était majoritairement des enseignants du secondaire qui passaient un concours de recrutement.

Tout à fait. Bon moi je veux bien, bien sûr, ils travaillaient avec des instituteurs etc. Mais je trouve que quelque part, il y a un vice à la base.

Et donc ça ne s'est pas très bien passé ?

Non ça s'est très bien passé, j'ai eu mon…

Et, collectivement, il y a eu des réactions ?

C'était… On a essayé de se faire entendre, et puis, en fait, il n’y a pas eu de clash parce qu’en fait, il y a une inertie… A un moment donné, il y a eu une prof notamment qui était vraiment… En revenant sur les catégories que j’ai décrites, il y avait quelques profs… Bon, un truc très simple : on avait un IDEN qui nous faisait… En début d'année on nous a demandé de choisir une UV : ce qu'on voulait faire maternelle ou primaire. C'était un truc un peu général disons, un peu transversal. Les autres profs, c'était prof de Français, prof de maths, cette UV, c'était un peu transversal, et donc on nous a dit vous choisissez. Moi ça me plaisait bien, ça m'avait bien plu, donc j'ai choisi maternelle. Et le premier jour, on travaillait avec l’IDEN qui était responsable de l’UV, il s'est présenté, il nous a dit : « est-ce que vous avez des questions à poser ? » Je lui ai dit : « est-ce que vous pouvez nous parler de votre expérience en maternelle ? » Et il a répondu : « et bien je n’en ai pas, j'en ai aucune ».

Même pas comme inspecteur ?

Non, il était, on l'avait mis là-dessus, boum, hop et vogue la galère ! Donc, déjà ça, moi… Au moins c'était franc, on savait à quoi s'en tenir. Ceci dit son UV, elle n’était pas… il a fait ça sérieusement. Mais quelque part, c'est vrai que ça laisse perplexe. Bon les profs qui étaient bien… Comme par hasard, moi j'ai trouvé qu'il y en avait un qui était bien, très concret, c'était un gars qui était un ancien instit, qui était ensuite devenu certifié, et lui, quand il parlait d'une classe, il savait ce que c'était, d'accord ? Et bon, c'était vraiment un gars qui était… Quand on lui parlait de problèmes qu'on avait eu, il était capable de répondre. Alors, ce n’est pas pour ça qu'il allait nous donner des modes d'emploi, bien sûr, il y avait un dialogue, on voyait que c'était quelqu'un qui savait de quoi il parlait, quoi. Et c'est ça justement qui faisait défaut à la majorité des profs. C’est-à-dire quand on leur posait des questions précises, je vois par exemple en… on avait une prof qui était plutôt… comment dire ? sur tout ce qui était psychologie, les stades de développement, etc. pas une matière directement… On leur disait : « bon ok, mais par rapport à telle situation, qu'est-ce qu'on fait, comment vous réagiriez, vous ? » La réponse c'était : « on n'est pas là pour vous donner des recettes, ce n’est pas notre boulot ». Mais c'était un peu une échappatoire, quoi. Bon quand même, quelques personnes, en histoire on avait une prof qui était bien, en français, en dessin quelqu’un de vraiment bien. Mais, quand même, je pense que le problème c'était ça. Des profs qui faisaient leur travail sérieusement mais auxquels je reprocherais de ne pas assez connaître le terrain, de manquer de bouteille, de pratique, je pense que ça c'est un handicap. Et puis alors, il y avait des profs ! alors là, c’était carrément… C'était des gens qui étaient là depuis trente ans, qui attendaient leur retraite, qui avaient un enseignement, alors là… Je pense qu'ils devaient faire le même depuis… Et là on a essayé de peser, de réagir, de dire bon, nous on n'est pas d'accord, ça ne nous intéresse pas, on veut que vous fassiez autre chose…mais inertie… inébranlable…

Vous étiez nombreux ?

On était une trentaine.

et sur l'ensemble de l'Ecole normale ?

Je me rends pas compte, c’est-à-dire… je ne sais pas.

Vous n'aviez pas de contacts avec les autres ?

Ah non, non, non, on se croisait dans les couloirs quoi.

Il n’y avait pas de contacts, pas de cours communs…

Non, aucun cours commun, on était complètement séparés. Mais y avait au moins trois classes, trois années, quoi. Alors, est-ce qu’il y avait plusieurs classes, je ne sais pas du tout, je ne sais pas, faudrait vous renseigner auprès de l'Ecole normale, l'IUFM. Donc ça c'était quand ? En 85/86 si vous voulez avoir la date, j'ai fait la formation en 85/86. Et puis pour en terminer sur ce prof, il y a eu un cours où vraiment on a dit non parce que c'était une personne qui était assez remarquable par… comment dire… par son étanchéité quoi. Elle arrivait à faire un cours où visiblement personne n'écoutait etc. mais inébranlable quoi. Et un jour, on avait essayé de l’arrêter et de dire, bon… et de parler et c'est elle qui a fini par gagner, quoi. Elle est arrivée, elle a presque fait une crise de larmes, on s'est dit : il n’y a rien à en tirer, c'est pas la peine. Donc elle a continué son enseignement, son U.V. sur un trimestre jusqu'au bout, elle n’a pas dévié d'un iota, et on est resté comme ça. On savait que de toutes façons ce n’était pas la peine d'aller voir la direction parce que… c'est comme ça, point, quoi ! C’était clair… On n'allait pas changer de prof, personne n'avait le moyen de la faire changer dans sa façon de travailler.

Vous aviez quel statut ? Vous étiez fonctionnaires stagiaires ? Vous aviez une évaluation à la fin de l’année ?

Oui, bien sûr, oui on avait l'examen du CAP. Voilà. Sinon par rapport à la direction, on a eu très peu de contact avec eux mais enfin on en a eu sur un point bien précis. C'est que les collègues sur l'année précédente, ils n’avaient pas touché l'indemnité logement parce qu'en fait à l'époque pour les gens qui étaient à l’Ecole normale, c'était le conseil général qui payait l'indemnité logement, et puis l'année d'avant le conseil général avait supprimé la ligne budgétaire. Donc les collègues, leur indemnité logement ils ne l'avaient pas eue. Donc nous, on avait été informé de ce point-là, et en fait on a agi en conséquence, par des délégations au conseil général, on a demandé à voir les responsables, les élus chargés de l’enseignement etc. Et on a demandé aussi… on s'est dit : « quand même, la direction de l’Ecole normale il semblerait assez logique qu'elle nous appuie » alors là zéro. Zéro. On a fini par avoir gain de cause…

Sans la direction ?

Oh la direction, alors là, le directeur de l’Ecole normale ne s'est pas manifesté, ou alors si il s'est manifesté, on ne l'a pas su. Et puis, bon, on a fini par avoir gain de cause, on a touché nos indemnités après un rude combat. Et puis l’année d’après ils ont de nouveau supprimé l'allocation, et après je n’ai pas su ce qui c’était passé. Voilà sur le chapitre Ecole normale. Donc à la suite de ça, et bien ma foi, on est rentré au mouvement, et puis donc comme tout le monde on s'est retrouvé sur des postes… exotiques, éloignés de A. Il y a peut-être aussi une remarque, c’est que <département> c’est… Ce qui est clair c'est que A. c'est excentré, ce n’est pas très central, dans un point à l'est, et il y a tout ce qui est à l'ouest, notamment Z. et toute la plaine : Z., Y. etc. Il y a beaucoup de postes qui sont loin de A. et qui sont pas demandés évidemment. Alors, je ne parle même pas du nord du département… bon il y a pas mal d'endroits. C'est les effets pervers du mouvement, quoi, basé uniquement sur l'ancienneté, en résumé. Donc en fait les postes qu'on demandait, c'était des postes géographiquement éloignés, dans des écoles relativement difficiles, on ne peut même pas dire vraiment ça… parce que moi, je ne me plains pas. Enfin bon, résultat, je me suis retrouvé nommé à Z. à 95 km de mon domicile, avec un jeune enfant et une compagne sur A. et j'ai fait une année comme ça. Alors ce que j'ai oublié de dire, c’est que pendant l’Ecole normale, en fait dès que j'ai terminé mon IUT, je me suis inscrit au CUFA. Alors le CUFA en fait, c’est… je ne sais pas si vous connaissez, c'est pour la formation pour adultes, qui est rattaché… qui est sur le campus universitaire, ça doit être Centre Universitaire de Formation pour Adultes. Donc ils font à la fois des formations pour passer l'équivalent du bac pour des gens qui n’ont pas le bac et qui veulent reprendre des études, ils leur font une remise à niveau qui leur permet d'avoir l’EUSEU et donc derrière, un cursus universitaire. Et puis il y a un certain nombre d'enseignements plutôt techniques mais pas exclusivement, à partir du niveau bac + 2. Donc ils font l'équivalent d'un deug, l'équivalent d’une maîtrise… Je me suis inscrit au niveau maîtrise, puisque mon DUT me donnait une équivalence, j'avais l'équivalence d'un DUT, non : j'avais mon DUT donc j'avais l'équivalence de leur diplôme qui était au même niveau et donc j'ai pu attaquer directement le niveau maîtrise donc bac +3 et +4. Je l'ai fait en même temps que je faisais l’Ecole normale. J'étais aidé par le fait que j'avais deux autres collègues, qui étaient titulaires du DUT et qui avaient passé le concours de l’Ecole normale et donc on s'est retrouvé tous les trois à aller au CUFA. Donc c'est vrai que ça nous a aidés à… nous répartir les cours etc. Donc en parallèle, j'ai continué l'informatique quelque part…

Vous aviez une idée derrière la tête ? c'était pour ne pas perdre votre acquis ou…

Je me suis dit un DUT… Pourquoi j'ai fait ça ? Parce qu'en fait je me suis retrouvé un peu dans le mouvement.

Tout à l'heure vous m'avez dit que vous êtes allé à l’Ecole normale un peu parce qu’il y avait des gens que vous connaissiez…

Non, moi ce n’est pas ça, c'est des gens qui m'ont parlé de cette possibilité, que je ne connaissais pas et moi, en fait, ça rejoignait une de mes préoccupations, qui était : « si je n’ai pas mon diplôme, qu'est-ce que je fais ? Je vais me retrouver en fin de chômage, et à retrouver du boulot sans qualification ».

Donc c'est un choix, pas collectif, mais…

Non moi je l'aurais fait, même si j'avais été seul à faire cette formation, je serais allé passer le concours. Simplement, si vous voulez, ce qui a été fortuit, c'est qu'il y a des gens assez proches qui m'ont dit : « ben tiens, nous on s'inscrit au concours » Je me suis dit : « tiens ce n’est pas une mauvaise idée, quoi, c'est quelque chose qui m’intéresse, je vais faire ça. Je préfère ça plutôt que d'aller à l'ANPE, avec la loterie que ça représente. »

L'inscription parallèle avec l'Ecole normale, c'est déjà plus surprenant…

Là, par contre c'était plus, effectivement, le fait qu'on se retrouve à trois, des gens qui étaient moins sûrs de…

De leur désir de rester ?

Oui, bon, plus ou moins, on se disait aussi que c'était… il y avait le plan informatique pour tous, il y avait des choses… c'était dans l'air. On s'est dit, il y aura peut-être moyen de conjuguer les deux, il y avait aussi cette idée-là…

A l’intérieur de l'éducation nationale ?

Oui, voilà. Moi, j’avais un mémoire à faire, je l'ai fait sur informatique et enseignement : informatique en maternelle, j'avais fait. Donc, vous voyez… En se disant, il y a peut-être des places à prendre…

Est-ce que c’était une stratégie pour partir, comme certains qui, dès l’Ecole normale, avaient l'idée de ne pas rester instits ?

Non, non. Non, ce n’était pas mon cas. Non, ce n’était pas comme ça, ce n’était pas aussi tranché. <silence> Donc voilà. J'ai fait cette année à Z.

Donc là, pas question de continuer des études, je suppose ?

Alors, j'ai essayé et j'ai vite vu que… parce que là j'étais au milieu du guet par rapport à cette maîtrise, donc j'ai essayé et j'ai bien vu que de toutes façons en étant à Z., forcément, je ne rentrais pas tous les jours : 200 km par jour, ce n’était pas la peine. Donc j'avais trouvé un appartement de fonction sur place au bout d’un moment et je rentrais le mercredi, quoi. Et bon, c'était vraiment dur, quoi, parce que… <silence>

C’était quel poste, quel niveau ?

Alors là, j’avais des… J'étais en primaire, et j'étais titulaire remplaçant.

Vous n'aviez pas une classe à l'année ?

Non, mais, grosso modo, j'ai eu une demi classe toute l’année et l'autre mi temps, j'ai fait deux classes… En plus j'ai eu deux fois le même niveau, j'ai eu des CM1, on s'était arrangé avec les instits, je faisais les mêmes matières sur les deux classes, donc ça ne me faisait pas une surcharge de travail immense.

Il y avait surtout le problème géographique, en fait ?

Oui, là ça s'est bien passé, j'ai un très bon souvenir d'une de mes deux classes, on avait bien accroché, une classe assez dure, puisqu’on était en… avec des gamins assez turbulents, pas méchants, mais plutôt… agités disons, dont j'ai gardé un bon souvenir, vraiment, alors qu'ils étaient fatigants, plus fatigants que l'autre classe, mais l'autre classe ne m'a pas laissé beaucoup de souvenir, de satisfactions.

Oui, quand finalement ça se passe bien dans un contexte difficile, c’est…

Oui, mais en maternelle, j'avais une classe qui était vraiment difficile, et une classe qui était vraiment du gâteau en centre ville, vraiment les deux extrêmes. Et là j'ai un super souvenir de cette classe de centre ville, c’était des gamins vraiment… il y avait des individualités… attachantes quoi. Et un groupe classe qui était super, alors que les autres je n'en ai pas gardé un bon souvenir parce qu'ils étaient plus agités, c'était crevant, on sortait de là… Je ne me souviens pas de grand chose de cette classe. Alors qu'en primaire c'était le contraire, donc, il n’y a pas de règles en fait. Quand j'entends des gens qui parlent de l'enseignement… je dis « ce n’est pas aussi simple que ça, quoi ». Il y a des classes difficiles avec qui on va accrocher, il va se passer quelque chose, et des classes où ça se passe bien et on n’en retient rien, quoi. Voilà, ça se passe, il ne se passe pas grand chose, là… c’est… des individualités, un groupe qui est dynamique ou qui ne l'est pas, c'est difficile à expliquer, ça se passe comme ça. Je pense que c’est aussi le fait qu'on s'entend avec l'enseignant ou pas, parce qu’un groupe il va peut-être bien s'entendre avec l'un et pas avec l'autre, c'est vrai, il y a beaucoup de paramètres. Voilà, et puis en dernier trimestre, j'ai fait un travail avec l'IDEN. J'avais une IDEN vraiment très bien, super, je me souviens plus de son nom, une dame qui… Madame D. <patronyme>, qui était vraiment une personne… Bon alors là, je parle de mon expérience, par rapport à la classe, moi j'étais content de ce travail. Ce qui était dur c'était d’être séparé de mon gamin et de mon amie toute la semaine quoi, de les voir… en pointillé, quoi. Il était petit, ce n’était pas évident. Les déplacements, toute l'année, par tous les temps : la route de Z., je la connais par coeur, je la refais de temps en temps comme ça. Bon il y avait ça, et c'était l'année de la grève contre les directeurs. Et ça, c'est un très bon souvenir. Parce qu’on s’est tous retrouvés, il y avait vraiment une grosse mobilisation, les gens étaient vraiment très motivés… Donc ça c'était bien, parce que les gens se sont retrouvés, ça a vachement bougé. Alors là par contre, c'est intéressant, il y a eu contact avec les syndicats, et notamment le secrétaire départemental qui s’appelait T. <patronyme>. Et qui était vraiment, pour moi l'archétype du bureaucrate, c'était vraiment invraisemblable quoi. Moi, j'avoue que ça m’a… c'était très éclairant parce que… on s'est rendu compte qu'ils en avaient vraiment rien à foutre, de ce que pouvait penser la base. On a eu une réunion une fois. Monsieur T. était à la tribune avec un micro, nous on n'avait pas de micro. On a du gueuler pour qu'il arrête, pour que le micro descende dans la salle et que les gens puissent intervenir. C’était vraiment… c'était une caricature, quoi. Je pense que le syndicat… je pense qu’il y a eu une rupture à ce moment là.

Beaucoup d'instituteurs ont changé leur regard, dans beaucoup de départements les instituteurs se sont mis à discuter dans les écoles, à se réunir en AG…

Le secrétaire dans l'école où j'étais, il y avait un délégué syndical, je ne sais plus, ça a été le clash là aussi, c'était : « le SNI a décidé qu’on ne fait plus grève, donc on ne fait plus grève ». 80% des instits sur Z. étaient partisans de continuer, mais eux… on arrête, quoi. Vraiment il y a eu des ruptures je pense, à ce moment là. Et par contre ouais, c'est vrai qu'il y a eu aussi… c’est un très bon souvenir, quoi. Oui parce que, effectivement, les gens se sont retrouvés, il y avait des gens de toutes les générations. Je me suis retrouvé en AG avec les personnes à qui je faisais le mi-temps. C'était bien, quoi, parce que les gens étaient vraiment motivés, vraiment motivés. Ils s'impliquaient sur… Bon, c’était sur un point particulier, en même temps c'est vrai qu'on parlait d'autres choses, on n’était pas limités là-dessus quoi… Parce qu'après on a essayé de discuter, d'expliquer aux parents pourquoi on était contre, de dire que ça allait contre… Parce que, en fait quelque part, cette histoire des directeurs, ça allait complètement à l'encontre de ce que moi je voyais comme évolution nécessaire du métier. C’est-à-dire, pas à l'encontre, mais pas du tout dans le sens de, pas forcément à l'encontre, mais pas du tout dans le sens de ce dont on avait besoin.

Ce n’était pas un point de détail, c'était très symbolique le statut de maître directeur.

Cette autonomie, le fait d'introduire une hiérarchie qui n'existait pas, je trouvais ça très malsain… J'ai un peu du mal maintenant à me… enfin bon, c'était un peu cette histoire d'ouverture sur… Le prétexte, c’était l’ouverture sur les acteurs sociaux, « na, na, na », les directeurs un peu chefs d'entreprise, tous ces parallèles, je trouvais ça complètement débile, comme si… On n'avait pas attendu, les gens étaient assez convaincus de ce besoin de s’ouvrir… et ça se faisait, et il n’y avait absolument pas besoin d'avoir une pression de ce type. Et ce qu'on trouvait aussi, c'est qu’introduire une hiérarchie qui n'existait pas, enfin bon, vraiment, c'était…

ça changeait le métier ?

Oui, on pensait que vraiment ça donnait un… nous, déjà au niveau de l'école, on voyait plus de rapports avec les gens, mais des rapports d'égalité, pas des rapports pilotés par une personne hiérarchiquement supérieure, ce n’était pas du tout ça l'esprit qu'on avait en tête. Alors, je pense que ce n’était pas non plus une crispation sur un… mode de fonctionnement qu'on ne voulait pas changer, ce n’était pas du tout ça. Ce n’était pas de dire : « ouh là là, une réforme… » non pas du tout, parce que je pense qu'il y avait beaucoup de gens qui étaient convaincus qu'il fallait essayer de travailler par niveau, que l'instit ne soit pas enfermé dans sa classe sans communication avec les collègues. Donc là aussi, il y a eu des tensions parce qu’il y a des gens qui n’ont aucune envie… Et là j'ai deux ou trois anecdotes par exemple… D'abord, on avait un directeur qui était complètement dingue, mais vraiment. C'était un fou, c'était mon directeur, mais… Alors ça déjà, anecdote, le jour de le rentrée on fait la pré rentrée, le lendemain, on accueille les élèves tout ça, et à dix heures on se retrouve dans la cour. Et moi, jeune instit, je débarque dans l’école…. et il y avait le directeur, la première chose qu'il me dit, il arrive en se frottant les mains : « ah, y’en a deux ou trois, je leur appris à vivre ! » d'un air un peu sadique… c'était… c'était ses premiers mots, à dix heures le premier jour. Et ça m'est arrivé une ou deux fois d'aller dans sa classe : la terreur ! c'était la terreur, c'était comme ça : pas lever la tête… Et ce gars-là, il avait dû être enlevé d’une autre école, parce qu’il y avait eu des problèmes, il s’était fait taper dessus par des grands frères, il était vraiment grave. Et ce mec, c’était le style, il nous faisait passer les circulaires, il m’était arrivé de ne pas la transmettre, je l’avais laissée sur mon bureau, je n’avais pas pensé à la transmettre. Il est entré comme un furieux dans ma classe, en plein cours, il a jeté, je ne sais plus ce qu’il avait, le cahier de liaison, je ne sais plus ce que c’était, en hurlant « y’en a marre ! ». J’ai des gamins qui ont pleuré, tellement il les a… et il est parti. Il ne s’est jamais excusé.

Ça ne donnait pas envie de donner des pouvoirs en plus aux directeurs ?

Et donc ce monsieur, les crédits de l'école qui étaient attribués par la mairie… il avait tout dépensé pour acheter des dictionnaires à sa classe : il ne restait rien pour le reste des collègues, zéro. Et ça, on en a parlé à notre IDEN –quand même !– et impossible de faire quoi que ce soit. Donc là aussi, j'ai eu deux ou trois choses qui m'ont un petit peu… bon, je me suis dit… je trouvais qu'il y avait des trucs un peu bizarres dans le fonctionnement de l’Education nationale. C’est de se dire : « bon, ce monsieur il est là… finalement, à part s’il blesse un gamin, s’il fait un truc qui dépasse les bornes, il va être là… C'est vraiment un type… On va l'avoir sur le dos, et puis il va avoir des gamins » C'est ça surtout, moi que je voyais aussi. Parce que, bon, nous on en avait le deuil, hein. C'est clair qu'on ne risquait pas de développer quoi que ce soit avec lui, ce n’était pas possible, et de toutes façons on n'en avait aucune envie, et c'était un peu dommage, parce qu'il y avait des… un instit très, très… par contre c’était vraiment très divers, parce qu’à l'opposé de ça il y avait un gars en CP qui faisait un boulot remarquable, mais vraiment remarquable. Le genre de gars, on se dit que c’est un modèle quelque part. Quelqu'un qui s'impliquait énormément, et qui donnait envie de s’impliquer, d'accord ? A coté de ça, il y avait une dame pas loin de la retraite, qui faisait son boulot très sérieusement, très honnêtement… bon, mais qui faisait la même chose depuis longtemps, mais bon, ce n’est pas une critique. A côté de ça, il y avait aussi une instit, alors elle, elle faisait la même chose depuis trente ans sans changer un iota, elle avait sa classe… J'exagère un peu, depuis quinze ans, et alors là, c'est encore un autre cas de figure. Il s'est trouvé qu'à la rentrée il y a eu une classe supplémentaire de créée, ils ont nommé sur le poste une autre personne, quelqu'un qui venait d'être recruté sans formation. La personne qui avait le CE1 ne voulait pas prendre le CP… en fait ce qui s'est passé c'est la chose suivante, c'est que ils ont dit « tiens, on va mettre cette autre personne sur le CP ». L'inspecteur a dit non, pas question de mettre quelqu'un sans expérience sur le CP. Moi j'étais dans le même cas de figure, première année d'enseignement, donc il fallait trouver dans l'équipe. Ce n’était pas celui qui avait déjà un CP, ce n’était pas le directeur, il restait trois personnes. Alors, ça s'est réglé de façon sanglante entre eux, le directeur, n’en parlons pas, c'était un caractériel. Finalement la personne qui avait le CE1 depuis quinze ans s’est retrouvée nommée d’autorité sur le CP. Et bien, cette personne-là avait commandé des bouquins, des livres neufs pour sa classe de CE1, elle les a mis sous clé. Et le collègue qui est arrivé derrière, n’a jamais pu les avoir : c’est grandiose quand même ! Elle n’a jamais voulu donner le moindre coup de main, pour démarrer la classe. Il s'est démerdé, il avait une classe, il n’y avait pas assez de chaises…

[…]

On allait dans les écoles, pour remuer les gens, faire le tour des écoles, et là j'ai eu l'occasion d'aller dans une école au centre de Z., donc une école… bien, une école recherchée, des gens en fin de carrière, et j'ai vu des gens, mais… usés, quoi. Ça m'avait frappé, j'ai discuté avec des instits qui nous ont dit : « ah oui, c’est bien, vous avez raison, c'est vrai ce que vous dites ». Mais je sentais que eux, ils avaient baissé les bras, ils disaient : « encore quelques années, on va bientôt sortir de là »… et voilà quoi. Ça, ça m'avait marqué, je me suis dit : « punaise, quand même c'est un métier… visiblement, c’est dur de rester intègre jusqu’au bout ». <silence>

C'était votre premier contact avec le métier comme titulaire, par rapport à la première année où c’était un peu…

Oui, mais bon, c'est vrai que là aussi… j'avais de bons contacts avec les collègues, de très bons contacts même, c'était bien, j'avais été épaulé et tout. La première année, là vraiment… bien intégré, bien aidé par les collègues. <silence> C'était vraiment sans problème. C'est plutôt cette année sur le terrain où j’ai vu… des profils, les parcours un peu différents des collègues…

Et donc, vous étiez à Z., tout le temps ?

Oui j'étais à Z., toute cette année là. Et au dernier trimestre, avec l'IDEN, cette fameuse IDEN, une personne remarquable, qui allait complètement dans le sens de ce que je trouvais bien de faire, qui nous a appris à faire des préparations etc. qui nous a montré… On a travaillé concrètement sur des choses… Des choses qui nous manquaient, parce que quelque part, c'est des choses qu'on ne nous avait pas vraiment apprises à l’EN. Des choses très concrètes, comment on fait une préparation : on choisit un sujet, comment on choisit un document, comment on prévoit de fractionner ça en différentes séances… Tout ce travail, là, c’est de la technique, c’est technique ça, c'est un savoir faire. Et bien, ça, on ne l'apprend pas à l'EN… On ne l'apprend pas, alors que c'est des choses importantes. Alors, après, on va l’apprendre parce qu’un collègue va nous dire : « tiens ce travail », il va nous passer des choses. Tout ce travail, comment dire, tous les documents qu'il faut produire pour travailler correctement, on ne nous apprenait pas à les mettre au point, à les réutiliser, tout ça, c'était chacun dans son coin… Alors ça aussi, quand je parle de travail d’équipe, de travailler au niveau de l’école, tout ça, essayer de mettre en commun tout ce travail au lieu de rester dans son coin… Arriver à avoir des documents qui puissent circuler, il y a tout un truc là dessus. Je ne sais pas, maintenant ça se fait peut-être un peu plus, je pense qu'avec internet, il y aurait des trucs super à faire…

Ça commence à entrer un peu dans les mœurs, c'est peut-être un problème de culture ?

Il y a une énergie incroyable qui est gaspillée… et en même temps, il y avait une indépendance. Et c’est ça qui était un peu bizarre : on n’avait pas envie de ce rapport hiérarchique, justement parce qu’on voulait être responsable de sa classe, et quelque part… on n’avait pas de compte à rendre quoi, enfin du moins…

Sauf à l'inspecteur.

Oui mais ce n’était pas un rapport… c'était une personne… Il y avait quand même une liberté. Alors, effectivement, il y avait un contrôle, ce qui est normal. J’estime qu’il faut qu’il y ait évaluation quelque part… Mais ce n'est pas contradictoire avec le fait de travailler en collaboration, de travailler avec des collègues de la même école, de différentes écoles, sur des ateliers, sur des préparations en commun, ce n’est pas du tout contradictoire à mon avis. Mais je pense qu'au niveau de la génération classique dont je faisais partie c’était bien dans l'esprit, et je pense en plus que c'est une évolution nécessaire. On ne peut pas rester comme ça. Le fait de s'ouvrir, disons les instits vers des collègues et aussi le fait de faire éclater les barrières entre les classes, entre les niveaux. C’est-à-dire, sortir de « je suis au CP, je suis au CE1, etc. » et d'arriver à… l’histoire des groupes de niveaux quoi. Et dire : je suis au CP mais comme je suis bon, je suis vachement bon en maths, je vais avec les CE1 pour faire des maths pendant un trimestre. Et, inversement, je suis au CE1 mais en maths, je suis pas encore bien d’aplomb, donc je vais aller travailler un peu avec les CP.

C’est la nouvelle organisation en cycles

C’est ce qui se fait naturellement dans une classe à plusieurs niveaux : le cadre de la classe, il éclate. Et puis, ça veut dire coopération avec les collègues forcément aussi. Et ça veut dire aussi plus de boulot : ben oui, parce qu'il y a de la concertation, il y a des choses qu’il faut régler. D'autant plus, si on passe du temps sur la concertation, autant mettre au maximum en commun, tout ce qui est documents, essayer de capitaliser tout ça. Parce que c'est un peu ridicule sur, par exemple, l'apprentissage de la multiplication chacun va refaire sa progression. Je ne dis pas, c'est vrai que chacun peut amener quelque chose, mais quelque part il pourrait y avoir des choses qui soient mises en commun, puis adaptées. Il y a tout un boulot, je sais pas… Les stens –les stencils–faits à la main : c'est aberrant, quoi. Je trouvais qu'il y avait une déperdition d’énergie, du temps passé… Moi, je préparais des carbones, il y avait toujours une connerie, une faute d'orthographe, il fallait que je recommence… Maintenant, je vois avec le PC, on fait son document, on le corrige… Il y avait seulement une école où on pouvait… comment ça se passait ? A partir d'un document, on pouvait faire le stencil, il y avait une machine. En plus un truc à la main, moi je ne suis pas un cador en écriture alors, ça faisait des trucs pas très chouettes.

Et donc après ce poste, vous avez obtenu…

Donc en fin d'année… tous ces gens que j'ai rencontrés… des gens… <silence> Bon, et le système de la notation, avec le rapport, avec le barème, d’accord ? Je me suis rendu compte qu'on travaille bien ou qu'on ne travaille pas bien, de toute façon… On m'a expliqué le système de notation pondérée, tout ça, je me suis rendu compte qu’on était tous à un quart de point d'écart. Je me suis rendu compte que ça, ce n’était pas vraiment motivant… Il faut bien le dire, quoi, ça n’incite pas vraiment. Le fait de voir aussi les collègues un peu plus âgés qui devenaient vraiment… usés Et quelque part, ils sont là dedans et que faire d'autre ? <silence>

C’est un côté un peu inquiétant ?

Oui, un peu inquiétant, clairement inquiétant même. Le fait que j'étais loin, etc. donc, à la fin de l’année, j'ai demandé au mouvement… J’ai tout fait pour me rapprocher de A., en fait. Donc j'ai demandé des postes en… –comment ça s'appelle ?– en IMPRO, enseignement spécial, c'était la seule possibilité, grosso modo. Donc aller voir les gens, les responsables pour se présenter, prendre contact etc. Et puis en fait ce qui s'est passé ? Il y a des gens qui étaient eux-mêmes en IMPRO, dont les classes étaient susceptibles d'être supprimées, donc ces gens là demandaient d'autres postes disponibles, d’accord ? Nous, on passait au mouvement, au premier mouvement, donc, ils nous passaient devant, d’accord ? Ensuite les CTP, –les décisions qui sont prises pour ces classes– décidaient de ne pas les supprimer, donc ils gardaient leur poste. Mais le problème, c'est que derrière, nous on était déjà attribués. Donc ces classes là étaient données aux gens qui sortaient, comme moi l'année d'avant, des gens qui ne l'avaient pas du tout demandé, nous on avait fait la demande mais… Bon, ça… pff ! J’ai dit non, je me suis mis en dispo. Je repartais… sur les conditions précédentes. J’ai dit non, je ne voulais pas recommencer une année… <silence> comme la précédente… Donc, j’ai pris une disponibilité… pour être sur A. Et puis j'ai continué ma maîtrise, je me suis occupé de mon fils, je suis allé faire des cours du soir. Et, à la fin de l'année, j'ai refait le mouvement, en même temps j'ai cherché du boulot parce que j'étais un peu échaudé par l'expérience de l'année précédente. J’ai refait exactement la même démarche et… ça a donné les mêmes résultats. Et entre temps, j'ai trouvé du boulot, assez vite, dans le mois où j'ai eu mon diplôme, j'ai trouvé du travail. J'ai redemandé une dispo, j’ai prolongé ma dispo, voilà.

Et la dispo, vous l’avez toujours ?

Je suis toujours en dispo, je suis arrivé au bout, parce qu'y a différents types, mais je pense que l'année prochaine, ça va être terminé.

Vous avez eu combien d’années de disponibilité ?

J'en suis à dix, parce que ce n’est plus limité à six, il faut voir qu’il y a plusieurs titres : poursuite d'études, élever son gamin, pour convenance personnelle, suivre son conjoint, reprendre une entreprise…

Et vous avez épuisé tous les chapitres ?

Là j'arrive au bout, je crois, que, parce que bon, 86… 87… depuis 87 88 je suis en dispo, ça fait dix onze ans. Alors, la dispo, c’est tout bête, je me dis : « je ne coûte rien à l’Education nationale, ils ne me doivent rien, je ne leur dois rien, je ne démissionne pas ». Parce qu’on ne sait jamais : si jamais je perds mon boulot et que, vraiment, je ne trouve pas de travail, et bien simplement, je reprends un poste, moi ça ne me gênerait pas, c’est un métier que j’aimais bien, c’est vraiment… Je ne veux pas arrêter le travail que je fais actuellement, pour reprendre une classe, ça c’est clair. Mais je garde cette possibilité, parce que ça ne coûte rien à personne.

Vous n’avez pas d’engagement décennal ?

En ayant fait la formation d'un an, il n’y avait pas besoin de contrat Education nationale. Donc je n’étais pas du tout lié, je n’ai pas de contrat de dix ans.

<inaudible, changement de K7>

c'est vrai qu'avec cet IEN, on a fait un travail sur l’informatique, justement, informatique et mathématiques. Donc j'avais essayé en même temps de continuer là-dedans avec l’espoir de…

De devenir conseiller pédagogique ?

Ben, conseiller pédagogique, de toute façon, je n’étais pas parti pour passer le…. A ce moment-là, il y a eu quelques instits qui étaient détachés… mais bon, je n’ai pas eu de…

Vous avez fait des démarches ?

Je m’étais renseigné, oui, bien sûr, ça m'aurait intéressé, mais bon, les postes étaient pourvus, il n’y avait rien de prévu.

Et au niveau de l'emploi que vous avez trouvé ?

Je l'ai gardé pendant quatre ou cinq ans, je ne sais plus… J’ai travaillé dans une boite de transport, au service informatique, j'étais vraiment très content. En même temps, toujours en travaillant –là j'avais un niveau de maîtrise– et dans le même temps, je me suis inscrit au CUFA pour finir mon diplôme d’ingénieur, en cours du soir, en formation continue. En accord avec mon employeur, c'est lui qui me payait mon inscription. Et il s'est trouvé qu'on a été racheté à peu près au moment où je terminais cette formation et il y avait un an de stage en entreprise. C'est donc au moment où je devais partir en formation, que la boite a été rachetée, et j’ai été licencié. Non ce n’est pas ça, je dis des bêtises. En fait ils ne voulaient pas me licencier, ils voulaient me placer de telle manière que, à la fin de la formation, j’étais presque obligé de démissionner. Et j'ai quand même réussi à partir, c'était limite-limite, j’ai obtenu le congé formation, le CIF. Je suis parti en formation un an, et à la suite de ça, ils m'ont licencié parce qu’il n’y avait pas de poste correspondant dans la boite. Et donc, à la suite de ça j'ai re-cherché du travail. Si on n'avait pas eu ce problème, moi j'aurais pu rester dans la boite, et puis surtout les boites qui rachètent, elles n'ont pas envie de se casser la tête à gérer les carrières des gens qu'ils rachètent. Dès qu'on est un petit peu en dehors des cadres… Donc, je suis allé voir sur Marseille, mais de toutes façons j'avais aucune envie d'y aller, pas de problème. Au bout d'un mois, j’ai trouvé et depuis je suis dans la même société. <silence> Et qu'est-ce que je pourrais dire d'autre ? Et bien, je pense que le fait d'avoir été instit, ça m'a servi dans mon boulot. Actuellement, il m'arrive de faire des formations… de rédiger des documents : on a des préoccupations, on essaye d’être clair, c’est des choses qu'on garde.

Vous le ressentez comme un plus ?

Ah oui, complètement. Je n'ai vraiment pas de regret, ça m'a beaucoup appris. Je ne suis pas resté très longtemps mais ça m’a été bien utile. D'une part, j'en ai de très bons souvenirs, mais pas de regret d’avoir arrêter, en fait. Parce qu'on me dit : « Oui, quand même, tout ce que tu as perdu, les vacances… » Au niveau salaire, je ne sais pas ce que gagnerais maintenant, mais je pense que ça serait nettement moins que ce que je gagne actuellement. Ce n’est pas négligeable non plus. Et puis finalement les vacances c'est un peu la tarte à la crème parce que, d’expérience, je me souviens les vacances durant l'année scolaire, on en avait vraiment besoin pour récupérer. On ne se rend pas compte, mais moi, j’arrivais complètement lessivé. Alors c'est vrai qu'il y a deux mois de vacances l'été, ça c’est clair. C'est sûr que là où je travaille, j’en ai moins. Cela dit, ça se fait, il y a des gens qui se mettent à 80%, peut-être que je le ferais, ça fait plus de temps pour soi.

Depuis que vous êtes parti; le recul que vous avez pris par rapport au métier d’instituteur, est-ce que ça a changé votre perception du métier, est-ce qu'il y a des choses sur lesquelles votre avis a évolué ?

Moi, il y a une chose, pour terminer, parce que ça me revient maintenant, je pense aussi dans les déclics… Le problème, le gros problème, c’est qu’il n’y a pas d'évolution dans le métier. On a une classe et quelque part on va faire le même métier jusqu'à la fin, pas moyen de faire autre chose. Peut-être changer de classe, je pense qu'au bout d'un moment on en fait le tour aussi, et ça je crois que c'est une chose qui m'a beaucoup retenu. Justement parce que j'ai vu des gens… Je me suis dit : « je ne veux pas faire 25 ans la même chose ». Et même maintenant… Et ça, je pense que c'est un vrai problème, à mon avis. Moi, ça m'a poussé. Et je me dis quelque part que c'est un problème de la profession parce que je vois beaucoup de gens qui font… Voila, je pense que c'est un métier… Il faut le faire en ayant envie de le faire, parce que si on le fait sans avoir envie de le faire, on n’est pas bon, on n'est pas efficace.

Mais ce n’est pas vrai pour tous les métiers ?

Je pense que c'est encore plus vrai pour l'enseignement, à mon avis. C’est… bien sûr. Mais le problème c'est que là, on a des enfants en fait, et ce n’est pas… C'est important, quoi, je veux dire. Ce n’est pas des clients, quand on fabrique des trucs, bon, si on n’y arrive pas bien, tant pis : aujourd’hui, il y a des pièces qui ne sont pas bonnes, mais personne ne va en pâtir. En classe, c’est autre chose, il y a un enjeu : donc on n'a pas le droit d'être mauvais, c'est comme ça que je le vois. Et je trouve que… pour plein de raisons, il y a pas mal de gens qui le font pas très bien, qui le font trop longtemps, qui sont trop fatigués. De toute façon qu'on le fasse bien ou mal il n'y a aucune gratification, pour toutes sortes de raisons. Et moi, ça m'a fait un peu peur, ça. Parce que je me suis dit « t’aimes bien faire ça maintenant, mais est-ce que t'auras la même pêche dans quinze ans ? je sais pas »

C'est ce que plusieurs personnes m'ont dit : l'impression que, si on ne réagit pas, on va s'enfermer dans quelque chose…

Oui, cette collègue qui gardait les bouquins pour elle, elle était dans son truc, dans ses bouquins : « moi je suis dans ce CE1 et je vais y rester jusqu'à la retraite, et puis il ne faut surtout pas que je sorte de ça ». Moi je trouvais ça hallucinant. Et elle n’était même pas conscience de ça, même pas se dire : « c'est vrai j'ai un collègue, il arrive, on peut quand même lui donner… » Moi ça m'a laissé béat. <silence> « Je suis dans ma bulle et le monde peut s'écrouler autour, moi je reste dans mon truc » et puis voilà quoi.

Donc si un jeune qui veut devenir professeur d’école vous demandait conseil, vous lui diriez quoi ?

Je dirai qu’il faut… avoir envie de le faire, ça il faut en être conscient je crois. Si c’est juste pour… Bon, c’est sûr que maintenant on est dans un contexte, il y a plein de gens qui arrivent là-dedans, des gens qui ont bac+5. Alors, ça aussi, ça me rend un peu perplexe, parce que… Est-ce que ce n’est pas des gens qui vont être aigris ? Je ne sais pas. Certains font ça après des études longues, on peut se demander s'ils n’avaient pas pensé faire autre chose de mieux.. En tout cas, j’ai un contre exemple, un gars qui était dans ma promo : lui, il en avait ras le bol de… l’industrie, quoi. Je n’ai pas gardé le contact, malheureusement car il était très sympa, il était… vraiment… tout à fait bien dans son changement d'orientation, très heureux, il allait gagner beaucoup moins, mais avec d'autres compensations.

Pour les nouveaux arrivants, il n’y a pas cette inquiétude de ne rien pouvoir faire d’autre dont vous parliez tout à l’heure. Avec leur niveau de diplôme, ils ont moins l’impression de se sentir enfermé, ils peuvent préparer un capes interne, ou d’autres diplômes.

Oui, c’est vrai que c’est un plus. C’est peut-être une réponse à ce que je disais. Le fait d'avoir une formation, ça veut dire que derrière, ils peuvent… ils sont plus sereins quoi. Mais je pense qu’avant, c’était une promotion, de devenir instituteur.

C’est un peu une image d'Epinal, depuis très longtemps, ce n’est vrai qu’en partie.

Et bien quand même, je vois, la mère de mon amie, elle était fille de cheminot et je pense que c’était encore ce cadre là, ce schéma là. Et aussi pour les femmes, devenir autonome, devenir indépendante etc. c’était important. C’est vrai que ça a beaucoup changé, et je pense aussi que pendant longtemps, l'instit a gardé un certain prestige, une certaine autorité, c'est moins vrai maintenant, mais c'est sûr que quand moi, j'étais à l'école primaire…