Michelle

Ce qui m’intéresse c’est comment vous vous expliquez les choses qui sont arrivées et votre situation professionnelle actuelle.

C’est vaste !

La première chose, c’est peut-être comment on est devenu instituteur, parce que très souvent c’est lié avec la suite.

Bon alors, je vais revenir au début. Dans la formation initiale de base donc, j’ai fait un bac G, qui avait pour vocation de faire des secrétaires, un bac G1. Et ça ne me plaisait pas du tout, cette formation. Je me disais « jamais je ne serais secrétaire » parce que ce n’était pas mon truc, ça ne me plaisait pas. Par contre, j’étais beaucoup plus… j’avais plus d’attirance vers tout ce que j’avais découvert en fait en terminale, qui était la psycho et la philo. Ce qui n’était pas du tout l’orientation du bac que je passais puisque ce n’était pas un bac littéraire et on avait pas beaucoup d’heures de cours ni de psycho ni de philo, on en avait peu. Mais ce qui a été l’élément déclencheur, c’est les profs que j’ai rencontrés là et qui m’ont vachement séduit et qui m’ont orientée complètement dans cette direction là. Ce qui fait qu’après le bac, je me suis dit : « tu vas faire psycho ». C’est pour ça que j’ai commencé à faire psycho, ça m’intéressait, le sujet m’intéressait bien plus que d’être secrétaire. Et puis donc j’ai commencé cette année de psycho… je n’ai pas trouvé ça très emballant la première année, en tout cas le début de la première année. Et puis il y avait aussi le problème financier… C’est-à-dire, que mes parents, je me rendais bien compte que ça leur coûtait vachement cher que je fasse des études à la fac. Moi je suis issue d’un milieu très modeste, donc il y avait ce côté financier… qui était assez désagréable, parce que je n’avais pas de sous, parce que c’était dur pour mes parents.

Ils réagissaient, peut-être aussi, à la psychologie, qui avait peut-être déjà la réputation de ne pas déboucher sur grand chose ?

Non alors eux, ils étaient… ils ne savaient même pas ça, ce n’était pas l’argument qu’ils m’ont retourné. Ils m’ont toujours laissé assez libre, d’aller dans les directions que je voulais, ils ne m’ont pas orientée, ce n’est pas mes parents qui m’ont orientée dans telle ou telle direction. Quand j’ai dit que je voulais faire psycho, ils ont dit : « bon d’accord, tu fais ça, mais… tu fais ce que tu veux, mais il faut que tu arrives à quelque chose, quoi. » Ils ne pouvaient pas me payer des études, gratuitement pour la gloire, comme ça, il fallait que, à un moment ou un autre, je puisse subvenir à ma vie. <silence> D’ailleurs, je ne me rappelle pas comment j’ai fait pour….. Ah si, j’ai su à ce moment là, qu’il y avait un recrutement d’instit, que l’inspection académique recrutait des instits remplaçants. <silence> Peut être même en début d’année, en septembre ou octobre. Donc je suis allée passer cet entretien, c’était un entretien avec un inspecteur à <>, je crois. <silence> Voilà, et puis un beau jour, en janvier, j’ai reçu un télégramme qui me disait que le lendemain je devais me retrouver à l’école de B. pour remplacer un maître malade. Voilà… voilà comment je suis rentrée dans cette affaire d’instituteur. <silence> Vous écrivez en même temps ? Je parle trop vite peut-être ?

Non, avec la cassette je peux reprendre, ça va très bien.

Comme là, j’étais payée, on me proposait un truc où j’étais payée, je me suis dit : « tu vas voir, tu vas bien voir comment c’est. » Donc, je suis allée et puis j’y suis restée… pendant longtemps… <rire> pendant vingt ans <rire> Pas dans le CP à B., mais… C’était quinze jours à B. Alors, c’était rigolo, parce que moi en quinze jours, en sortant de la fac, j’avais fait l’addition, la soustraction, j’avais fait pratiquement tout fait… Alors les autres instits me disaient : « Ah bon, mais vous avez déjà fait… » Ils étaient éberlués, mais moi, pas du tout ! Moi j’étais assez fière, je trouvais que c’était plutôt bien, que j’avais des gamins vachement gentils, tout. Alors après, je me suis rendu compte de… et bien de l’horreur dans laquelle j’avais du plonger ces pauvres gamins pendant quinze jours, parce que… Remarquez ça n’a duré que quinze jours, ils n’ont pas dû être dans l’horreur pendant longtemps…. Franchement, je me dis que j’étais complètement à côté de la plaque. Je ne savais pas du tout, quoi. Je n’y étais pas du tout.

Et vous y êtes allée comme ça, pour voir, comme ça, ou vous aviez anticipé ? Ce n’était pas une décision qui engageait, devenir institutrice remplaçante, à la limite c’était comme de trouver un petit boulot ?

Non, car on n’avait pas de contrat, on n’avait rien. Donc on n’était pas… on pouvait partir du jour au lendemain.

Vous ne vous êtes pas posé trop de questions ?

Non. Non, parce que je m’étais dit : « si ça ne me plaît pas, je retourne. » J’étais toujours inscrite à la fac, je pouvais faire marche arrière.

Vous avez pris ça, pas seulement pour financer vos études, c’était pour devenir éventuellement instit ?

Non, non. Non là, je n’avais pas…. Je n’ai pas eu envie de mener les deux de front.

Donc c’était un essai pour devenir instit, pas pour avoir un boulot d’étudiant, comme on serait surveillant, ou livreur de pizza…

Non ce n’était pas pour continuer mes études, non, non. C’était vraiment pour bosser, c’était pour travailler, c’était quand même plus un choix… professionnel à ce moment là.

A ce moment vous avez fait le choix, au moins d’essayer d’entrer dans le métier ?

Oui parce que je n’avais pas d’a priori… tellement négatifs. Je me suis dit : « tu verras bien ». Et puis je me faisais assez confiance, si vous voulez. Je me disais : « Oui, ça, tu devrais pouvoir réussir », en fait. J’étais assez sûre de moi.

Vous aviez eu une expérience, en animation par exemple ?

Non aucune. Dites, j’avais dix-huit ans là. Je sortais de terminale pratiquement. J’avais à peine dix-huit ans et demi, puisque j’avais commencé en janvier 77.

Vous faites un premier remplacement, puis après vous avez enchaîné ?

Oui, j’ai eu tout le temps des remplacements.

Est-ce que vous avez suivi la filière remplaçant jusqu’au CAP ou vous avez eu une période de formation ?

Alors, j’ai eu une formation, j’ai eu une année. Je ne crois pas que ça s’est passé très souvent –deux ans je crois– cette année de formation pour remplaçants qui se faisait à l’EN. Donc j’ai eu un an de formation à l’EN… et je crois que c’est l’année suivante que j’ai passé le CAP.

Donc, là il y avait contrat à ce moment-là, vous vous êtes engagée.

Je sais pas si on peut parler de contrat…

Vous n’avez pas signé d’engagement décennal ?

Non.

Remplaçante, ça a duré longtemps ? une année scolaire ou plus ?

<silence>Plus d’une année scolaire, plus… Attendez, je vais aller chercher mon dossier. <elle sort et revient avec un gros classeur, elle consulte des documents> Je vais vous dire exactement, jusqu’en 79, donc quatre ans. J’ai été remplaçante quatre ans. Si je recherche la date de ma titularisation, en 79, et 76/77 l’année de formation… Voilà

Et globalement, quel souvenir vous en gardez ? A l’époque, comment ça s’est passé ?

<silence> Je crois que je n’aimais pas. Je crois que je n’aimais pas.

Dès le départ ?

<soupir> Je crois que je n’ai pas aimé, à partir du moment où l’on m’a dit que j’étais mauvaise. En fait. <rire>

Le « on », c’est qui ?

Le « on », c’est la brave… dame inspectrice qui m’avait fait passer mon CAP et qui –d’un air très méprisant, avec beaucoup de mépris– qui m’avait dit : « mais enfin, c’était vraiment nul ! ». En fait, pas dit comme ça, mais un peu comme ça, quand même. <silence> « Je vous mets huit, vous me repasserez ça l’année prochaine ». Et l’année suivante, elle me l’avait donnée avec neuf et demi. Elle avait dit : « je vous le donne, mais c’est vraiment par charité, hein ! »

Vous n’avez pas l’impression que c’était courant à cette époque, cette attitude, cette position des IEN, qui, pratiquement…

Je ne sais, parce qu’à l’époque, moi je n’en connaissais pas d’autre, je ne savais pas comment étaient les autres.

Et cette année de formation, comment ça s’est passé, vous en avez un bon souvenir ?

Oh, les souvenirs…

Vous avez complètement oublié, ça vous a paru constructif ?

Non, j’avais eu l’impression que c’était beaucoup de discours, pas tellement en relation avec la pratique, que ça restait très théorique. Ils restaient à des trucs très théoriques. <silence> Non, ça a été plutôt une bonne année de rigolade, avec des copains, j’ai connu plein de gens, mais pas vraiment… Je n’ai pas vécu ça comme une mise en œuvre. Pas quelque chose de… professionnalisant, je ne sais pas si ça se dit, mais voilà. Ce n’est pas le ressenti que j’avais eu, à l’issue de la formation.

Je pose la question parce que les avis sont très partagés. C’est curieux, parfois sur la même EN, des gens, me disent : « les profs étaient nuls, on s’amusait bien mais c’est tout » et d’autres me disent tout le bien qu’ils en pensent et des exemples de ce qu’ils y ont appris.

Parce que les attentes ne sont peut-être pas les mêmes, je n’en sais rien. Non, je n’en garde pas un souvenir impérissable. Je ne crois pas que ça m’ait aidée vraiment, parce qu’après je me suis retrouvée dans la même galère, dans les classes, je ne savais pas mieux faire après qu’avant.

Vous disiez tout à l’heure que, dès le départ, vous n’aviez pas aimé. Qu’il y avait un problème, c’était que vous étiez mal…

Si vous voulez… –et ça je le mets dans ce que j’ai écrit [dans le questionnaire]– j’avais des mauvais souvenirs, particulièrement d’école maternelle. Je me suis trouvée balancée dans des écoles maternelles et je m’étais dit : « ah ! ça va être bien, parce que tu vas pouvoir faire différemment de ce que tu as vécu quand tu étais môme ». Et pour moi, c’était bien : « tu vas pouvoir… » Pour moi, l’école maternelle, c’était avant tout permettre aux gamins de s’épanouir, c’était ça, moi je concevais ça comme ça. Mais en fait, très vite, je me suis rendu compte –avec les conseillères pédagogiques, avec la fameuse inspectrice là– que ce n’était pas ça du tout ! Qu’il fallait faire entrer les gamins dans un moule, et que notre rôle c’était ça : c’était de les conformer, de les rentrer dans le moule, avec des trucs très stricts, très rigides. J’ai trouvé que c’était extrêmement rigide et il m’a fallu me plier à ça, alors que je n’en avais pas du tout envie. Donc, si vous voulez, j’ai toujours été dans la contrainte de ce cadre-là qu’on m’a infligé. On m’a dit : « c’est ça et c’est pas autrement. C’est comme ça, madame, que ça doit se passer » (enfin mademoiselle à l’époque). Et ça, si vous voulez, je l’ai vachement mal vécu. Je l’ai vachement mal vécu, parce que je n’étais pas d’accord avec ces principes qu’on me demandait de mettre en place dans ces écoles maternelles.

Et vos collègues ? Vous parlez du côté officiel, conseillère, inspectrice… et les collègues ?

A cette époque là, il n’y avait pas du tout de travail d’équipe, c’était chacun pour soi, chacun dans sa classe. Moi, je ne savais pas du tout ce que faisaient mes collègues.

Même quand vous étiez remplaçante, il n’y a pas des gens qui vous ont donné un coup de main… ou au contraire mis des bâtons dans les roues ?

Alors, je vais nuancer, parce que ça n’a pas été tout le temps comme ça. Il y a eu des écoles où, effectivement, on était bien, où je trouvais que c’était sympa, mais il y avait des écoles… Et je trouvais que c’était un monde complètement différent, parce que sous le régime d’inspecteurs différents. Et les choses fonctionnaient complètement différemment. Mais j’avais l’impression que la ville de V. était coupée en deux, qu’il y avait les écoles terreur et puis les écoles plus… des écoles normales, quoi, où les choses se passaient à mon avis d’une façon plus… humaine. Et en fait, moi je suis toujours tombée dans les écoles terreur.

Et ça, vous l’analysez comme l’influence des deux circonscriptions, des deux IEN ?

Ah oui, absolument, oui. Absolument. <silence>

Donc, ça veut dire que les instits à cette époque acceptaient les diktats ?

Ah bien oui, complètement, aïe, aïe, aïe ! Alors ça c’était… Je trouvais ça… mais pff ! désolant ! Je me disais : « ce n’est pas possible que ces gens soient autant… ». C’était infantilisant ! Complètement ! Je trouvais que –dans la majorité– les instits étaient comme ça : complètement soumis, aucun regard critique, absolument pas… Même entre collègues, ils ne disaient pas : « C’est… je ne suis pas d’accord ». Ils ne pouvaient pas dire je ne suis pas d’accord. C’était : « il faut faire ce qu’a dit l’inspecteur ». C’était la parole… de Dieu, la voix.. et on la respecte. Moi j’ai vu ça comme ça, je vivais ça comme ça. Donc, ça m’a profondément dégoûtée, j’étais profondément dégoûtée du milieu, de ce milieu d’enseignants comme ça, qui disaient amen à tout ce qu’on leur demandait de faire, sans avoir la moindre parcelle de critique… par rapport à ce qu’on leur demandait de faire.

C’est ce qui vous a amené à prendre des postes, un peu en dehors…

Oui, après je me suis dit : « tout en restant "dans la maison", je vais voir comme ça se passe ailleurs ». Il me semblait qu’on avait plus de liberté d’action, plus de possibilités de faire différemment.

C’est sur cette base vous êtes partie dans l’AIS ? Vous êtes partie au hasard, ou vous avez fait des essais, vous avez rencontré des gens ?

Oui. C’est surtout des copines qui bossaient à l’EREA, qui m’ont : « mais, tu peux travailler à l’EREA, c’est vraiment différent. Déjà, tu peux être éducatrice, tu n’es plus instit ». Alors, bon. C’était "l’être sans l’être", là. Ou plutôt "ne pas l'être tout en l’étant". Enfin, vous le mettez dans le sens que vous voulez ! <rire> Donc après, que je regarde mon dossier, en septembre 79 non en 80… Je suis restée à l’EREA pendant cinq ans.

Sans suivre la formation ?

La formation ? Ah bien si là, entre temps, j’ai passé le CAEI. En 83, j’ai commencé en 80, et en 83 j’ai fait la formation. Alors là, ça a été une catastrophe ! Vraiment, ça a été le summum –en ce qui concerne la formation– de tout ce que j’ai pu avoir pendant ma carrière ! <rire> Du coup d’ailleurs, ils ont fermé le centre : je pense que c’était la meilleure chose qui puisse se passer, tellement c’était… tellement ça avait été indécent de nullité. Le centre de T. <silence>

La formation a débouché sur le CAEI et sur des postes différents. Sur cette période de votre carrière quel est votre bilan ? Ça vous a poussée vers la sortie ou permis de continuer plus sereinement ? Comment vous l’avez vécu ?

pff ! Toujours… Alors, ça a toujours été difficile pour moi, mais je crois que c’était parce que je m’étais engagée dans un truc difficile, je n’étais pas armée pour le faire. Donc, si vous voulez, ce n’était plus le même niveau de difficulté, là. C’était difficile, parce que j’étais confrontée à des problèmes qu’il fallait que je résolve dans mon quotidien… Avec des gamins difficiles, des gamins à problèmes et avec d’autres choses qui venaient se greffer là, qui m’intéressaient… Mais je n’avais pas plus les moyens de répondre aux attentes des gamins, qu’aux problèmes que ça me posait à moi.

Est-ce qu’il y a un lien avec l’absence de réelle formation ?

Oui, mais en même temps, l’autre côté de la chose, c’est que ça m’a permis de vachement me questionner, par rapport à moi, d’avoir une réflexion que je n’avais pas du tout en début, pendant mes années de remplacement. J’ai pu l’acquérir, ça, en étant confrontée à ces difficultés là. <silence>

Et donc pas en termes d’envie de partir, mais plutôt envie de trouver des solutions ?

J’avais envie de trouver des solutions, pour ma pratique, parce que ça ne me satisfaisait pas. Moi, j’ai toujours été… J’ai toujours trouvé que ce que faisais, ce n’était pas génial, je n’étais pas contente de ce que je faisais. Pourtant je passais vachement de temps, ça me… <soupir> ça me questionnait vraiment, mais je n’arrivais pas à trouver des solutions satisfaisantes. <silence> Mais toujours quand même derrière, je me disais : « si tu faisais autre chose ? ». Ce désir de partir, je l’ai eu au cours de cette période de travail là, puisqu’à un certain moment, j’ai passé le concours pour être conseillère d’orientation, au moins deux fois. Donc, j’ai eu des essais, j’ai fait des tentatives pour en sortir de ça, de ce métier. Mais comme ça n’aboutissait pas, et bien tant pis je continuais dans mon truc. <silence>

Vous parlez d’un concours de recrutement, et vous avez suivi des formations, vous avez postulé sur d’autres postes, vous avez fait des…

Non, non. J’avais préparé le concours de conseillère d’orientation par le CNED, mais je ne pouvais pas… Si vous voulez, j’ai toujours eu beaucoup de mal à mener deux choses de front, en même temps. Je ne pouvais pas faire à la fois et mon métier et m’engager dans un autre truc à côté, ça, ce n’était pas possible… Soit je quittais le métier, et puis je faisais autre chose… mais les deux en même temps non je n’ai jamais su faire. Je n’ai jamais pu m’organiser pour le faire.

Et à l’époque, il n’y avait pas de congé formation ?

Non, et de toute façon comme je n’avais pas de projet vraiment précis. Quand les congés formation ont été possibles, que cela a été mis en place, à ce moment je n’avais pas de projet précis pour me reconvertir. Il n’y avait rien qui… Donc, sur un papier, je ne pouvais pas dire : « je veux faire ça ou ça ». Et en plus ils prenaient essentiellement les gens qui voulaient faire des études supérieures, moi je n’avais pas de DEUG, je ne pouvais pas prétendre à ce type de congé là.

En somme, vous aviez l’envie de partir, mais pas l’envie d’aller quelque part. Est-ce que je résume bien ?

Oui, c’est ça. C’était… <silence>

Et après comment ça s’est enchaîné ?

Après il a fallu attendre… J’ai fait cinq six ans à la SES, je ne sais plus, et puis… Aussi, l’envie que j’avais tout le temps, c’était d’aller voir dehors comment ça se passait. Ce qui m’aurait intéressée, c’était d’aller dans un autre pays pour voir ce qui se faisait ailleurs. Et puis là, c’est pareil, je demandais depuis, je ne sais pas, peut-être dix ans ! Mais comme pour les formations professionnelles, ça marche à l’ancienneté : si vous n’êtes pas près de… si vous n’avez pas, je ne sais pas combien d’années derrière vous, vous ne partez pas. Donc, là aussi, j’ai été barrée tout le temps. Jusqu’en 91, où on m’a dit : « madame, dans deux mois vous serez à la Réunion ».

Vous aviez demandé pendant plusieurs années ?

Oui, j’avais même répondu à des annonces du Nouvel Obs, pour aller à Singapour, il y avait un poste à Singapour… Oui, j’ai fait plusieurs démarches.

Systématiquement, vous avez demandé tous les ans, un détachement d’enseignant à l’étranger. Et vous avez fini par avoir une réponse positive ?

Oui. <silence> En 91. <silence> Ce qui ne m’arrangeait plus spécialement à ce moment là, car j’avais un gamin de trois ans, et que le père de l’enfant… n’envisageait pas du tout lui d’aller s’expatrier dans les îles. Donc comme c’était quelque chose qui me tenait à cœur, aux tripes, je suis partie quand même. Mais… ça a été quand même douloureux : d’une part parce que ça supposait de laisser plein de choses autour de moi, qui me tenaient beaucoup à cœur et puis en même temps… J’étais prise entre deux feux, quoi. Et de réaliser un désir qui était quand même très fort et en même temps je ne voulais pas tout sacrifier non plus. Ce qui fait qu’au bout d’un an, je suis revenue parce que j’avais choisi la cellule familiale plutôt que mes velléités d’exotisme. Mais en étant assez frustrée, parce que je n’avais pas eu le temps de faire tout ce que je voulais faire à la Réunion.

Et à la Réunion, vous étiez institutrice ?

Oui en SES, comme je l’étais à V.

Rien de particulier, sauf les kilomètres ?

Voilà, on peut résumer comme ça ! <rire> Parce qu’au niveau professionnel c’était exactement la même chose ! Encore que j’ai trouvé que, pédagogiquement, on était plus en avance en métropole que là-bas. <rire>

C’était encore pire si je comprends bien ?

Non, je me suis sentie un peu mieux ! <rire> Parce que je trouvais qu’ils étaient dans une réflexion que nous on avait déjà dépassée, si vous voulez. Sur le plan des pratiques, ils découvraient <> eux là-bas, alors que nous ici, on en avait vu les limites, ou on était passé à autre chose. Bon, il y avait un temps de décalage, je ne sais pas si c’est la distance qui voulait ça. Il y avait un certain décalage par rapport aux pratiques là bas…

Quand vous dites que vous êtes revenue frustrée, ça veut dire que vous n’aviez plus du tout envie de travailler ? Vous avez repris votre poste ou…

<soupir> Je suis revenue. Alors là, il y a eu des éléments plus personnels qui ont joué dans mes choix. C’était des choses différentes… Il y avait des choses différentes, parce que je n’étais plus toute seule. Parce que j’avais mon gamin, il y avait le père qui était également en jeu. Je ne fonctionnais plus de la même façon que quand j’étais seule. <silence> Donc, là, quand je suis revenue, j’ai repris, je ne suis pas restée dans l’éducation spécialisée, j’ai pris un… Enfin, j’ai obtenu un poste CRI dans deux écoles élémentaires, où j’ai fait essentiellement du soutien scolaire avec des enfants en difficulté scolaire. <silence> Je suis revenue, en fait, sur les mêmes bases, parce je n’étais pas contente de ce je faisais. C’était très difficile à évaluer ce que je faisais. Donc, ça ne me satisfaisait pas vraiment et puis j’ai toujours pensé… Il me semblait tout le temps que dans cette fonction d’instit spécialisé, on me demandait de réponde à des difficultés qui n’étaient pas…. –à des difficultés des gamins– qui ne pouvaient pas se résoudre en termes de pédagogie. Je crois que ça m’a toujours profondément gênée dans mon travail. On me demandait de faire de la pédagogie, là où, à mon avis, il aurait fallu faire autre chose, pour aider ces gamins. Donc j’avais toujours cette espèce de malaise à naviguer dans des eaux où je ne me sentais pas vraiment bien, un peu à côté de la plaque. On me demandait de faire un travail, qui –au fond de moi, je le sentais bien– n’était pas la réponse adaptée.

C’était une situation de malaise où on ne peut pas faire ce qui est attendu ?

Oui, j’avais toujours l’impression de ne pas être dans….. le rôle qu’il fallait. Je n’y croyais pas, quoi, je ne croyais pas à ce que je faisais. C’est vachement dur de faire un boulot quand on se dit tout le temps : « ce n’est pas ça qu’il faut faire ». <silence> Moi, je crois que c’est ça, dans cette fonction, qui m’a toujours rendue… pas bien, quoi, pas bien dans ma peau.

Et ça, c’est l’élément central dans vos motivations, parce que tout à l’heure vous parliez de vos collègues, des inspectrices…

Alors, au début de ma carrière, il y a eu ça, ce rapport avec la hiérarchie que je trouvais complètement nul et très cassant. Mais les collègues, il y avait des collègues avec qui je m’entendais très bien. Il y avait des gens que je trouvais bien, des gens que je trouvais totalement nuls et complètement abrutis dans ce milieu. Mais je crois que c’est vrai partout ça, que c’est vrai dans tous les milieux. Ce n’est pas propre aux gens qui font ce métier-là. Je crois que c’est vrai dans n’importe quel champ d’activité, que c’est vrai partout.

Si on reprend –c’est peut-être artificiel– les choses qui vous ont décidée à partir, c’est ce bilan très frustrant, de se dire qu’on ne fait pas ce qu’il faut faire pour atteindre les objectifs ?

Oui, c’est ça : le boulot pour lequel on est payé, oui.

Donc, on pourrait dire que c’est ça qui vous a fait partir ?

C’est ça que j’ai voulu… C’est ça que j’ai voulu fuir. Je ne voulais plus être dans ce décalage, dans ce hiatus qu’il y avait dans ma perception des choses.

Le CRI, ça a duré deux ans ?

Non trois ans.

Et après, vous avez arrêté, sans congé formation, sans demander…

Non là, je me suis mise en disponibilité pour convenances personnelles. Parce qu’en fait, c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour pouvoir en sortir complètement… et essayer de faire autre chose, tout en gardant éventuellement un moyen de revenir si jamais j’étais… coincée, quoi.

Et maintenant, c’est ce que vous disiez au début, vous cherchez un travail, surtout pour l’aspect financier ?

Oui, pour l’aspect financier. Philosophiquement, le fond de ma pensée c’est que… le travail, c’est un truc complètement immoral. Donc… à moins de trouver un boulot où on puisse se réaliser complètement, chose que moi, je n’ai pas encore trouvée. Je persiste dans mon idée que pour moi, c’est quelque chose de contraint et forcé : je ne travaillerais pas, si je pouvais ne pas le faire, complètement. <silence> Donc ma recherche… Ma position maintenant c’est de trouver un boulot, où je sois quand même un peu payée, parce qu’autrement si c’était vraiment pour faire une activité, je me serais engagée dans une action humanitaire, si vous voulez. J’aurais fait du bénévolat, si c’était pour faire quelque chose de ma vie, je ne chercherais pas du travail. Donc là, je ne demande pas un niveau de rémunération… Mais j'ai surtout envie de faire un travail qui ne prenne plus la tête, comme celui que j’ai fait pendant vingt ans m’a pris la tête. Je ne veux plus un truc, où je suis sans arrêt en train de me questionner, en me disant : « est-ce que tu es dans le vrai, est-ce que… » Parce que j’estime qu’en pédagogie, il n’y a pas de vérité, donc c’est toujours une recherche, c’est toujours une remise en question de soi. Donc je n’ai plus envie maintenant de… me laisser envahir.

Ne plus avoir des objectifs que l’on ne peut pas atteindre avec les moyens dont on dispose, avec en permanence sa vie personnelle envahie par le métier ?

Oui parce que là ça ne s’arrêtait jamais, hein ! Le soir, quand on sort, quand on a fini son travail avec les gamins, ça continue tout le temps. Je rentrais le soir, j’y repensais : à ce que j’allais faire le lendemain, et comment j’allais faire et comment j’allais faire pour que ce soit mieux… C’était sans arrêt comme ça. Et jamais un jour où je pouvais me dire « ça y est, eurêka, j’ai trouvé ».

Vous n’avez jamais eu un rapport un peu serein avec le métier, même au fil des années ?

Non au contraire, parce que je trouvais, que plus le temps passait et plus je me rendais compte de mes failles, de mes lacunes, de là où ça n’allait pas, plus je devenais pointue, en quelque sorte. Au début, les quinze premiers jours de CP je n’avais aucun cas de conscience, je ne me posais pas de questions, en quinze jours j’avais bouclé le programme de l’année et j’étais contente de moi. Alors qu’au fil des ans… Et bien non, parce, tout de même, on a une autre perception des choses, on maîtrise mieux ce qu’on doit faire et on a plus de connaissances. Donc on perçoit d’avantage les manques, et ce qui ne va pas quoi. Plus ça allait, plus j’avais le sentiment de ne pas savoir faire ce métier. Au bout de vingt ans, quand je suis partie, je me disais : « je ne sais absolument pas mieux faire le métier d’institutrice que quand j’ai commencé ». Et en plus je me posais des questions, alors qu’au départ je ne m’en posais pas.

Et par rapport à la question du début, vous avez donné plusieurs éléments de réponse, mais quel bilan vous faites ? Par exemple en termes de rencontres ?

C’est très partagé, comme je le disais tout à l’heure, il y avait des gens que je trouvais complètement abrutis… Comment dire ? enfermés, dans une étroitesse d’esprit, dans une rigidité, qui étaient incapables de voir ce qui se passe à côté, des gens qui ont passé toute leur carrière là-dedans et qui sont toujours restés comme ça. Et d’autres personnes à côté de ça, des gens bien, quoi, des gens ouverts, des gens intéressants. J’ai rencontré des gens intéressants, mais… Le bilan des vingt années que j’ai fait dans ce métier est aussi pour moi vachement positif. J’en suis fière en même temps. Parce que je dis « les vingt ans de métier, ces vingt ans de métier, ils m’ont fait ce que je suis ». On ne sort pas indemne de vingt années d’activité professionnelle quelle qu’elle soit. Si je suis critique, je le suis devenue aussi à travers toutes ces années-là… Donc, pff ! Mais c’est peut-être aussi pour ça, que j’ai voulu en sortir, je n’en sais rien. Mais ce n’est pas qu’un bilan négatif. Pour moi c’est vachement important, le temps que j’ai passé dans l’institution.

Mais les choses qui vous ont incitée à partir, ce sont des choses spécifiques à l’enseignement ?

Mais je n’ai pas beaucoup de références ailleurs. Donc, ça m'est difficile de comparer avec autre chose. <silence> Je crois que c’est un milieu de gens particuliers, quand même. Les gens qui sont là-dedans… je trouve qu’ils sont coupés des réalités, d’une certaine réalité. Je crois que c’est un monde à part. C’est un monde à part, je le dirais comme ça.

Sur le thème des rencontres, il y a des gens qui ont eu de l’influence sur la décision de partir ?

Non pas vraiment des individus… Je crois que c’est plus… Je crois que ma problématique était plus à l’intérieur de moi, c’est plus une problématique personnelle. A la fin de la discussion je me rends compte que j’ai toujours essayé de résoudre un problème qui m’était propre. C’est peut-être plus ça finalement que l’entourage… Bon, l’entourage, j’ai fait avec. Il y avait des gens qui étaient positifs, d’autres qui l’étaient moins, mais j’ai fait avec. Les gens, j’ai pu m’en accommoder, tout le temps. Mais il n’y a pas eu d’individus qui m’ont révélé la voie magique.

Et sur les procédures pour essayer de trouver autre chose, quel est bilan de l’expérience d’institutrice, quand on essaye de la recycler ?

Alors, dans les tentatives pour essayer de faire autre chose, puisque là je suis encore en recherche, que ça n’a pas vraiment abouti. Pour moi, ça a été une ouverture, ça a été positif, parce que ça m’a permis de sauter d’un monde dans un autre. ça a été très bien, parce que j’ai rencontré des gens que je n’aurais jamais rencontrés si j’étais restée dans l’enfermement du milieu. <silence> Par contre je n’ai pas toujours dit que j’avais fait vingt ans. Enfin, ça ne m’a pas toujours servi quand je l’ai dit, ça n’a pas toujours été bénéfique pour moi que je dise que j’ai fait vingt ans dans l’Education nationale. Dans le secteur privé ce n’est jamais pris comme un plus, ça m’a plutôt desservie… A cause de tous les a priori de fonctionnariat, du fait que quitter la fonction publique pour le privé, c’est ressenti comme quelque chose de glauque, de pas net. Donc, il y avait toujours une suspicion où les gens se demandaient bien pourquoi j’avais franchi un tel… De quoi j’étais coupable en fait. Il me semble qu’il y avait toujours un fond de culpabilité par derrière, dans la tête des gens qui découvrent mon cursus.

Avec l’idée que si on sort de l’Education nationale, c’est forcément qu’on est poussé dans le dos ?

Oui. Il y a faute, on s’est fait jeter. Quand on annonce que c’est par un choix purement personnel, les gens ne comprennent pas, ça les gens ne comprennent pas. Surtout dans la conjoncture actuelle, avec le taux de chômage et tout le cinéma, ça passe très mal, ce n’est pas tellement recevable <rire> Alors, après j’avais compris : là où je sentais qu’il ne fallait pas que je le dise, je ne le disais pas. Je rayais vingt ans de ma vie purement et simplement ! <rire> Mais bon !

Certaines personnes m’ont parlé de dénégation : « ce n’est pas vrai, vous racontez des histoires ». Ou alors la suspicion : « vous avez blessé un gamin ? » Vouloir sortir de l’école, ce n’est pas imaginable pour beaucoup de gens, ils sont ébahis.

Ah oui, ça surprend toujours, ça dérange, ça questionne.

Dans toutes ces démarches, vous avez fait des bilans de compétences ?

Oui, j’en ai fait un, il y a déjà longtemps, juste avant de partir à la Réunion. Parce que là… c’est pareil. J’étais allée à l’ANPE pour faire un bilan de compétences, pour voir : j’étais dans une recherche, j’avais envie de quitter la SES. Je m’étais dit : « tu vas voir dans quoi tu peux t’orienter, pour faire autre chose ». Et c’est là que j’avais fait une semaine ou quinze jours de bilan des savoir-faire et des savoirs être et des potentialités de l’individu, pour voir où il peut accrocher. Mais bon, moi ça tournait toujours autour des mêmes eaux, c’est-à-dire tout ce qui était artistique, tout ce qui était littérature, tout ce qui était poétique et qui professionnellement intéressait très peu de monde. <rire> Donc, ça ne m’avait pas permis de beaucoup avancer et je m’étais dit que vraiment je ne savais rien faire, et que les branches qui m’intéressaient n’étaient absolument pas dans la logique du commerce, enfin du marché de l’emploi, pas du tout. Ça avait été… j’en étais restée là, ça s’est arrêté là, mon bilan de compétences.

Plus récemment, vous avez fait des formations depuis que vous êtes en disponibilité ?

Oui, une formation informatique, j’ai repris des cours d’anglais aussi, parce que ça me semblait incontournable, pour que je puisse trouver plus facilement, et puis le stage d’assistante de direction à la chambre du commerce pendant six mois.

Avec un projet précis ?

Non, c’est pour avoir un plus au niveau des compétences, pour être plus performant sur les candidatures.

Ce n’est pas le choix d’un domaine professionnel ?

Non, ça reste très flou. Je n’ai pas de passion. Je n’ai pas vraiment de branche qui m’intéresserait plus particulièrement, sur laquelle j’aurais voulu m’orienter. Ne sachant pas quoi faire… j’attends en fait de trouver un poste… J’ai un peu une démarche inverse des gens qui cherchent vraiment, qui cherchent un emploi. Moi j’attends, je fais un tri dans les propositions d’offre d’emploi pour trouver quelque chose qui me convienne, alors que les gens proposent eux leurs compétences, et puis cherchent dans n’importe quelle activité. Moi non, c’est le contraire je veux voir l’activité et je dis « bon, là, d’accord, je veux bien essayer ».