Objet de l’étude :

L’objet de l’étude est de contribuer à une réflexion sur la comparaison des modes de gestion des services publics locaux , en développant une thèse favorable aux régies en prenant pour champ d’étude : « la régie comme mode d’exploitation des remontées mécaniques ».

Ce secteur représente un poids économique important dans l’industrie nationale des loisirs hivernaux, et l’analyse particulière de la gestion des domaines skiables sous le mode d’exploitation de la régie rejoint les problématiques générales d’organisation et de gestion des services publics locaux.

Le parc français des remontées mécaniques est le plus performant du monde depuis quelques années 10 .

Ce succès global s’accompagne pourtant d’ écarts significatifs entre les massifs  comme cela ressort du tableau ci-après :

  Parcs des équipements évalués suivant leurs puissances 11 Répartition par massif des superficies enneigées artificiellement 12 Répartition par massif des investissements 13
Alpes du Nord 67% 59% 66%
Alpes du Sud 16.2% 21% 16%
Pyrénées 10.6% 13% 11%
Jura-Vosges-Massif Central 6.1% 7% 7%

La disparité n’est pas seulement géographique mais existe également dans les modes de gestion.

Tandis que seulement 120 stations de ski étaient recensées en France en 1985 14 , le Syndicat National des Téléphériques de France regroupe environ à ce jour 340 exploitants composés pour une première moitié de structures publiques et pour l’autre moitié d’exploitants privés, les sociétés d’économie mixte incluses dans cette catégorie représentant à peu près un tiers du total 15 .

Ainsi , quantitativement, les différents modes de gestion en régie représentent 50% des exploitations des remontées mécaniques et cette caractéristique justifie donc qu’une recherche aux fins de thèse soit entreprise en la matière.

Cette apparente réussite dans le secteur des remontées mécaniques doit être nuancée , et surtout ne doit pas conduire à conclure hâtivement que ce mode de gestion concourt pour moitié à la production du chiffre d’affaires de ce secteur économique qui s’est élevé en France à 812 millions d’Euros TTC pour la saison d’hiver 2001/2002 16 .

Pour calculer ce résultat, sur les 357 sites de ski alpin officiellement répertoriés en France, le Ministère du Tourisme prend en considération uniquement 250 sites qui fournissent la quasi totalité du chiffre d’affaires de ce secteur .

Sur un classement des cent premiers exploitants, les modes de gestion en régie ne représentent que 33 exploitations et cette proportion diminue considérablement sur un classement des trente meilleurs exploitants pour ne comprendre plus que deux régies 17 .

Au vu de ces derniers éléments, le doute s’instaure sur la pertinence du recours aux modes de gestion en régie comme solution d’avenir pour l’exploitation des remontées mécaniques, dans un secteur très concurrentiel qui connaît un phénomène de forte concentration des sites les plus performants entre quelques entreprises « majors ».

La question est donc de savoir si la faiblesse économique des régies dans le secteur des remontées mécaniques en France est imputable à ce mode de gestion publique, ou à d’autres facteurs.

Une étude comparative de la situation des domaines skiables des principaux pays de l’arc alpin ( Suisse, Autriche et Italie) dont la gestion ignore le mode d’exploitation publique en régie mais qui connaissent également des difficultés structurelles, tend à mettre en évidence que le mode de gestion (qu’il soit public, mixte ou privé) n’est pas en soit un facteur déterminant pour la réussite économique mais plutôt la taille de l’entité économique.

L’Europe représente 56.3% du parc mondial des remontées mécaniques. Ce chiffre se répartit entre les états européens de la façon suivante : 14,7 % en France , 11.5% en Autriche , 10.8 % en Italie , 7.9 % en Suisse , 4.5 % en Allemagne, 3.6 % en Slovaquie et 3.3 % en Suède 18 .

Malgré ce succès à l’échelle mondiale des remontées mécaniques européennes, celles-ci sont confrontées à des difficultés économiques .

Ainsi dans une réponse à un parlementaire 19 en Novembre 2000, le Conseil Fédéral Suisse reconnaissait que le secteur des remontées mécaniques dans ce pays, connaît un certain nombre de problèmes structurels importants. La situation économique est la suivante 20 :

  • 26 % des exploitations sont compétitives sur le plan international ;
  • 42 % des exploitations sont sur-endettées, mais vraisemblablement capables de survivre ;
  • 23 % des exploitations sont gravement menacées en raison d’un endettement élevé et d’une rentabilité insuffisante ;
  • 9 % des exploitations sont peu rentables mais peu endettées.

Les données sont semblables en Autriche puisque : « seul le tiers de ces entreprises sont fortes économiquement ; le deuxième tiers atteint des résultats équilibrés alors que le dernier tiers a des problèmes financiers » 21 .

Pour remédier à la crise dans ce secteur , le gouvernement italien a constitué, à partir de 2001, un fonds de subventions publiques de près de 142 millions d’euros à répartir sur 20 années, représentant un taux de subvention de 39% de l’investissement brut dans le secteur des transports par câbles 22 . Sur les 82 entreprises bénéficiaires de cette aide étatique, 23 relèvent du transport au sens strict et 59 des installations sportives destinées à la pratiques des sports d’hiver ( soit 72%) .

Dans les trois pays leaders du marché des remontées mécaniques en Europe en dehors de la France, tous situés de long de l’arc alpin ( soit l’ Autriche , l’Italie et la Suisse ), l’organisation générale et la gestion des domaines skiables relèvent « fondamentalement de la compétence du secteur privé » pour reprendre l’expression même du Conseil Fédéral Suisse en la matière 23  ; même si les autorités locales sont amenées à délivrer des autorisations techniques d’exploitation.

Le mode d’exploitation des remontées mécaniques en régie constitue une exception française en Europe. Cette situation trouve son fondement dans la loi du 9 janvier 1985 dite « Loi Montagne » qui considère le ski comme une activité de service public.

Ainsi, il n’est pas possible d’imputer à un mode particulier de gestion, en l’occurrence celui de l’entreprise publique sous sa forme d’exploitation en Régie qui n’existe pas dans ces pays, la responsabilité des problèmes structurels affectant le secteur marchand des remontées mécaniques en Europe.

Dans un rapport en date du 23 Avril 2003 intitulé « les remontées mécaniques en Suisse, quel avenir ? » 24 , l’association professionnelle des remontées mécaniques suisses établit un diagnostic de la situation dans son domaine d’activité . Très probablement, il s’agit de l’étude la plus complète sur le secteur des remontées mécaniques et ses éléments méritent d’être cités car caractéristiques de la situation européenne .

Au titre de l’état des lieux, ce rapport constate que la crise affecte principalement les petites et moyennes entreprises 25 . L’émiettement du nombre des entreprises est préjudiciable à la rentabilité des exploitations. Celles-ci sont en effet en Suisse au nombre de 586 26 .

Il existe ainsi d’abord un problème majeur de taille critique des entreprises dans ce secteur d’activité pour leur survie économique. Les besoins financiers sont importants en raison d’investissements nécessaires pour développer les domaines skiables ou renouveler le parc des équipements existants dont la durée de vie est raisonnablement de 20 ans, même si techniquement leur pérennité peut se prolonger jusqu’à 30 à 40 ans. Or, la faible solvabilité des entreprises remet en question des investissements nécessaires. Il n’y a donc pas que les autorités organisatrices des remontées mécaniques en France qui ont des difficultés à financer leurs investissements .

L’audit relève également que le management des petites et moyennes entreprises se caractérise par une carence de la gestion professionnelle laquelle exige des compétences multiples (techniques, comptables, commerciales, gestion des ressources humaines ), faisant défaut en raison de la taille de la structure 27 .

Face à cette situation de crise, les pouvoirs publics helvétiques ont réagi.

D’une part, la Loi Fédérale du 21 Mars 1997 sur l’aide aux investissements dans les régions de montagne (L I M) a permis l’attribution de subventions pour le secteur des remontées mécaniques à hauteur de 12 Millions de Francs Suisse 28 .

D’autre part, les collectivités locales se sont impliquées dans la gestion des remontées mécaniques en devenant actionnaires des sociétés d’exploitation, et de ce fait : « les intérêts des communes et du service public revêtent une grande importance » 29 . L’interventionnisme public n’est donc pas absent de la gestion du secteur des remontées mécaniques suisses eu égard aux effets macro-économiques positifs au niveau de l’économie régionale, soit sous forme de souscription au capital des entreprises 30 , soit sous forme d’octroi de subventions 31 .

En général en Suisse, ce sont les personnes originaires des stations 32 qui détiennent la majorité du capital des sociétés des remontées mécaniques et sont propriétaires de la sphère commerciale périphérique telle que restaurants d’altitude, hôtels ou magasins de sports 33 . C’est pourquoi, ils participent au comblement des déficits éventuels des sociétés d’exploitation des remontées mécaniques eu égard aux retombées économiques sur le plan régional. 34

Au titre des solutions, l’association professionnelle des remontées mécaniques Suisses recommande bien sûr un regroupement des entreprises pour une compétitivité optimale sachant déjà qu’actuellement 7% des stations suisses font 60 % du chiffre d’affaires national dans leur secteur d’activité 35  ; alors qu’ à l’opposé 42 % des entreprises réalisent seulement 2 % du chiffre d’affaires de toute la branche 36 .

Pour améliorer la performance des petites et moyennes entreprises dans leur gestion professionnelle, certains spécialistes du management préconisent également la création de cellules d’appui à ces stations regroupant des personnes compétentes 37 .

Si l’on compare cette analyse avec la situation françaises, il ressort que les petites et moyennes entreprises dans le secteur de la gestion des remontées mécaniques sont essentiellement des régies. Aussi, dans l’analyse critique de la gestion de ce mode d’exploitation, il y a bien souvent une confusion et une imputation, à tort, entre les problèmes de gestion inhérents à la taille de l’entité économique qui se retrouvent dans le secteur privé des remontées mécaniques en Europe , avec les caractéristiques d’organisation propres à ce type d’entreprise sous statut public.

Notes
10.

Site internet SNTF

11.

Statistiques STRMTG Novembre 2002 . site internet SNTF

12.

« Bilan des investissements dans les domaines skiables français en 2002 » sources site SEATM p25 et s.

13.

Etude précité SEATM p 7 et s

14.

Ouvrage précité « La Montagne, une loi, une politique », p.9.

15.

Compte rendu de la table ronde organisée par l’AMSFSHE le 3 décembre 2002 sur le thème : « délégation de service publics : quelle gouvernance pour les stations ? ». Archives AMSFSHE.

16.

« Bilan de la saison 2001/2002 des sports d’hiver ».Dossier édité par le SEATM.

17.

« Remontées mécaniques : 100 exploitants passés au crible », in Revue Aménagement et Montagne , Mai-juin 2002.p30.

18.

Statistique sur le site Web de G. Blanchi consacré aux remontées mécaniques ( sources initiales revue Aménagement et Montagne Septembre-Octobre 1999).

19.

site Internet Simonepinay.ch.

20.

Dossier : « Un hiver suisse à deux vitesses ? Managers et administrateurs au défi », Aménagement et Montagne Mai 2003 p.28 

21.

Aménagement et Montagne précité Mai 2003 p 29

22.

Communication de la Commission 2002/C172/02, point N°9 ( JOCE 18/07/2002)

23.

réponse parlementaire précitée .

24.

sources site Internet Seilbahnern schwiez.org

25.

rapport intitulé « les remontées mécaniques en Suisse, quel avenir ? » en date du 23 Avril 2003 p.4 :« Mais ce sont surtout les petites et moyennes entreprises pour lesquelles il existe un véritable besoin d’agir, celles qui sont obligées de satisfaire des exigences professionnelles tout en ne disposant que de ressources limitées » .

26.

Aménagement et Montagne , rapport op. cité. R.M.S p. 28

27.

rapport op. cité. R.M.S. p 4 : « En matière de préparation des pistes, d’entretien technique, de marketing et de gestion, les entreprises doivent être de plus en plus professionnelles et performantes, et bon nombre de petites et moyennes entreprises ne sont plus à la hauteur ».

28.

réponse parlementaire précitée

29.

Rapport précité R.M.S. p.27

30.

Rapport précité R.M.S. p.27 :« De nombreuses communes ont une participation financière plus ou moins importantes dans les entreprises de remontées mécaniques sur leur territoire. Par conséquent, elles influent sur la politique de gestion par le biais de leurs représentants au sein des conseils d’administration… ».

31.

Rapport précité R.M.S. p.4 : «  Bon nombre d’entreprises sont tributaires des participations des pouvoirs publics pour renouveler leurs installations de transport ou pour agrandir les dispositifs d’enneigement artificiel » .

32.

communément appelés « la bourgeoisie » selon l’expression suisse in Aménagement et Montagne Mai 2003 op. cité p. 36.

33.

Aménagement et Montagne Mai 2003 op. cité p. 28.

34.

Rapport précité R.M.S. p.7 .

35.

statistiques citées dans la revue Aménagement et Montagne Mai 2003 , op. cité, p. 36

36.

Rapport précité R.M.S. p.4

37.

Revue Aménagement et Montagne Mai 2003 op. cité p.32.