SECTION I – UNE INCERTITUDE SUR LE REGIME JURIDIQUE APPLICABLE AUX REGIES DES REMONTEES MECANIQUES

Dans le cadre de son rapport public 2001, la Cour des Comptes a consacré un chapitre à l’examen de la situation des stations des sports d’hiver en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Le Ministère de l’Equipement, des Transports et du logement ainsi que le Secrétariat d’Etat au Tourisme ont répondu conjointement aux observations formulées par la Cour des Comptes. A cette occasion, l’Administration centrale reconnaît qu’une « incertitude existe dans la détermination , en amont, du régime juridique applicable aux régies exploitant des remontées mécaniques » 46 .

De son point de vue, celles-ci ne relèvent ni de la loi N° 82-1153 d’orientation des transports intérieurs dite « L.O.T.I. » du 30 décembre 1982 , ni des dispositions du Code Général des Collectivités Territoriales. L’Administration centrale invoque les dispositions de l’article 4 de la loi N° 79-475 du 19 juin 1979 relative aux transports publics d’intérêt local dite « T.P.I.L » comme constituant le régime juridique applicable 47 .

Historiquement, il y a lieu de rappeler que la loi d’orientation des transports intérieurs dite « L.O.T.I. » du 30 décembre 1982, prévoit en son article 47 que « l’adaptation des dispositions de la présente loi au cas des remontées mécaniques fera l’objet de dispositions législatives spéciales dans le cadre de la loi d’orientation de la politique de la Montagne ».

C’est en vertu de ce texte législatif que le chapitre II de la loi N°85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la Montagne, instaure dans sa section II des dispositions spécifiques relatives à « l’organisation des services de remontées mécaniques et des pistes ».

Notamment en application de son article 46 48 , l’organisation des remontées mécaniques et des pistes est considérée comme une activité de service public dont l’autorité organisatrice de droit commun est la commune . C’est ainsi que  « ce SPIC, dont l’autorité de tutelle est la commune, intervient dans le champ de la concurrence, mais il est assujetti aux règles du droit public. Il peut être géré directement ou par un tiers, ce tiers pouvant être une personne de droit public ou une personne privée » 49 .

Pour ce qui concerne plus particulièrement les régies , l’article 51 de la loi «Montagne» 50 fait référence à l’article 4 de la loi N°79-475 du 19 juin 1979 relative aux transports publics d’intérêt local dite « T.P.I.L » ; laquelle est à ce jour abrogée dans toutes ses dispositions à l’exception de ses articles 4 et 9.

L’article 4 de ladite loi renvoie à un décret en Conseil d’Etat, pour l’édiction des mesures réglementaires spécifiques aux régies gérant des transports publics d’intérêt général 51 .

Au vue de ces éléments, l’analyse du Ministère de l’Equipement et du Secrétariat au Tourisme en ce qui concerne la définition du cadre législatif de référence est fondéepuisque l’article 51 de la loi «Montagne» du 9 janvier 1985 mentionne précisément l’article 4 du 19 juin 1979 dite « T.P.I.L » .

Comme cadre réglementaire d’application de la loi précitée du 19 juin 1979, l’Administration centrale invoque le décret N° 80-851 du 29 Octobre 1980 relatif aux modalités d’exploitation des services de transport public d’intérêt local.

Dans son application, cette analyse est confirmée par une jurisprudence du Conseil d’Etat 52 .La Haute Assemblée reconnaît que l’Etablissement Touristique et Sportif d’Orcières-Merlette (ETSOM), établissement public industriel et commercial, chargé notamment d’assurer la gestion des remontées mécaniques de cette station de sports d’hiver, entre de ce fait dans le champ d’application de la loi précitée du 19 juin 1979 et de son décret d’application du 29 Octobre 1980.

Toutefois à la date de la réponse du Ministère de l’Equipement et du Secrétariat d’Etat au Tourisme, soit courant année 2001, le décret cité N° 80-851 du 29 Octobre 1980 était abrogé depuis plus de 15 années et remplacé par le décret N° 85-891 du 16 Août 1985, relatif   aux transports urbains de personnes et aux transports routiers non urbains de personnes

En effet, l’article 48 du décret du 16 Août 1985 abroge totalement le décret du 29 Octobre 1980 sans aucune restriction selon la rédaction suivante : 

‘« Toutes dispositions contraires au présent décret sont abrogées, notamment - le titre Ier à l’exception de l’article 20, les articles 50 et 52 du décret N° 49-1473 du 14 novembre 1949 modifié, - le décret N° 62-1046 du 1er septembre 1962 relatif à l’organisation des services de transports de passagers des compagnies aériennes entre les aéroports et les points qu’ils desservent ,-et le décret N° 80-851 du 29 Octobre 1980.’ ‘Sont également abrogées les dispositions des articles 46 et 48 du décret du 14 novembre 1949 susmentionnés en tant qu’elles concernent le transport intérieur de voyageurs. »’

A la lecture de ce texte, il n’apparaît pas possible de partager l’affirmation de l’Administration centrale selon laquelle le décret du 29 Octobre 1980 continue à s’appliquer aux remontées mécaniques 53  ; n’étant abrogé qu’en ce qui concerne ses dispositions concernant le transport intérieur de voyageurs. Il est abrogé sans aucune restriction de rédaction 54 à la différence d’ailleurs avec le sort réservé au décret N° 49-1473 du 14 novembre 1949 .

Par contre se pose la question de l’applicabilité ou non du décret du 16 Août 1985 aux remontées mécaniques. Si les dispositions de son article 12 relatives aux «  Régies des transports  » ont de part leur rédaction 55 , un champ de compétence large susceptible d’englober les régies des remontées mécaniques, par contre son article 1er définissant son champ d’intervention est très limitatif car se référant uniquement  : «  aux transports urbains de personnes et aux transports routiers non urbains de personnes ».

Dans ces conditions , le décret du 16 Août 1985 n’a pas vocation à s’appliquer aux remontées mécaniques. Avec l’abrogation du décret du 29 Octobre 1980, il n’existe plus à ce jour de dispositions réglementaires spécifiques aux régies des remontées mécaniques.

Dans son argumentation pour écarter l’application des dispositions du Code Général des Collectivités Territoriales aux régies des remontées mécaniques, l’Administration centrale fait référence à un avis N°10/89 du 16/10/1989 du Tribunal Administratif de Marseille au Préfet des Hautes-Alpes qui écarte les dispositions du Code des Communes 56 . Celui-ci indique « dès lors qu’aucun texte n’est intervenu pour définir les modalités de constitution et de fonctionnement des régies de remontées mécaniques prévues par la loi du 9 janvier 1985 et notamment son article 47, il n’apparaît pas possible de soumettre les régies exerçant une activité d’exploitation de remontées mécaniques au droit commun… ».

Cet avis est discutable dans la mesure ou premièrement l’article 47 de la loi Montagne du 9 janvier 1985 ne prévoit pas de texte d’application. Secondement, il omet de prendre en compte l’existence de l’article 51 de la même loi qui renvoie à l’article 4 de la loi du 19 juin 1979 comme évoqué précédemment.

En vertu de ce dernier texte, à la date de publication de la loi «Montagne», le décret susmentionné N° 80-851 du 29 Octobre 1980 était en vigueur et contenait des dispositions spécifiques relatives aux régies. Ainsi, en l’espèce, ce n’est pas l’absence d’un texte spécifique qui écartait l’application du droit commun soit en l’occurrence le code des communes à l’époque des faits, mais bien son existence.

Cependant l’extrapolation par l’Administration centrale de cet avis du Tribunal de Marseille à la situation du Code Général des Collectivités Territoriales pour l’écarter , apparaît bien évidemment non justifiée actuellement du fait de l’abrogation intervenue du décret du 29 Octobre 1980.

Le droit commun des dispositions réglementaires du code des collectivités locales devient en conséquence le régime applicable aux régies des remontées mécaniques, à l’exception toutefois de la régie directe mentionnée à l’article 47 de la loi «Montagne» dont l’étude sera examinée en particulier.

Le décret N° 2001-184 du 23 février 2001, relatif aux régies chargées de l’exploitation d’un service public et modifiant la partie réglementaire du code général des collectivités territoriales, constitue ainsi le texte de référence des régies d’une manière générale et en particulier pour l’exploitation des remontées mécaniques.

Cette incertitude juridique se traduit dans la pratique  par une grande confusion administrative dans la rédaction des statuts des régies . C’est ainsi que certains statuts se réfèrent au décret abrogé de 1980 ou au code des Communes faute d’avoir procédé à une réactualisation . D’autres encore ont cru résoudre le problème du régime juridique applicable, en ne mentionnant pas de texte de référence dans la partie préliminaire de leurs statuts. Toutefois , c’est dans le corps du règlement qu’apparaissent des renvois le plus souvent au code général des collectivités territoriales.

Notes
46.

Rapport public de la Cour des Comptes 2001 , p. 830

47.

Rapport précité p 830 : « Les régies exploitant des services de remontées mécaniques de l’article 44 sont en principe soumises au régime antérieur applicable aux transports publics d’intérêt local prévu par l’article 4 de la loi N°79-475 du 19 juin 1979 maintenu expressément en vigueur par l’article 51 de la loi du 9 janvier 1985 qui renvoie à un régime spécifique ».

48.

1er paragraphe de l’Art 46 ( modifié L.N°95-101, 2 Février 1995) : « Le service des remontées mécaniques est organisée par les communes sur le territoire desquelles elles sont situées ou par leurs groupements ou par le département auquel elles peuvent conventionnellement confier, dans les limites d’un périmètre géographiquement défini, l’organisation et la mise en oeuvre du service… » in JNC Construction Urbanisme, Fasc N°11-80 :« Remontées mécaniques –Aménagement du domaine skiable », Rub N°600.

49.

A. Colson ASADAC in compte rendu « délégation de services publics : quelle gouvernance pour les stations » journée du 3/12/2002 organisée par l’AMSFSHE p 5.

50.

« La loi N° 79-475 du 19 juin 1979 relative aux transports publics d’intérêt local est abrogée à l’exception de son article 4, premier et deuxième alinéas, et de son article 9, deuxième alinéa ».

51.

« Les services de transports publics d’intérêt local ne peuvent être exploitées que dans les conditions suivantes :

- par une régie instituée par l’autorité organisatrice, selon des modalités juridiques, administratives et financières définies par décret en Conseil d’Etat ».

52.

CE 30/09/1988, Commune d’Orcières Merlettes, Req.N°71577.

53.

in Rapport précité Cour des Comptes 2001. p.831 : « Il résulte que les dispositions du décret N° 80-851 du 29 Octobre 1980 relatif aux modalités d’exploitation des services de transport public d’intérêt local pris pour l’application de l’article 4 de la loi du 4 juin 1979 et la circulaire du 8 mai 1981- abrogées seulement en tant que contraires au nouveau régime des régies de transport public routier de personnes mis en place par le décret du 16 août 1985 – continuent à s’appliquer aux régies de remontées mécaniques » .

54.

En plus, ce texte n’est plus disponible sur le site Legifrance  ( J.O.R.F) ; ce qui signifie qu’il n’est plus en vigueur.

55.

« Une régie de transport à pour objet d’exploiter des services de transports publics de personnes et, à titre accessoire, toutes activités de transport ou connexes à celui-ci, effectuées à la demande ou avec l’accord de l’autorité organisatrice… »

56.

Rapport public de la Cour des Comptes , Année 2001, p.831.