SECTION III – UNE AMBIGUÏTE SUR LA NATURE JURIDIQUE DU SERVICE PUBLIC DE CERTAINES CATEGORIES DE REGIES DES REMONTEES MECANIQUES

§ 1.- La Régie « des Pistes »

Certaines collectivités ont différencié l’exploitation des pistes de la gestion des remontées mécaniques.

C’est ainsi qu’ayant délégué l’exploitation des remontées mécaniques, elles ont conservé la gestion des pistes sous forme soit de régie directe ( cas de la commune de Val d’Isère avant le 1/01/2001) , soit de régie autonome ( situation actuelle de la commune de Val d’Isère) ou soit de régie personnalisée ( commune de Tignes).

Le fonctionnement hivernal d’une régie des pistes comporte 2 types d’activités bien distinctes 72  :

  • l’une de nature administrative , relative à la gestion des secours sur pistes et au recouvrement des frais de secours  ;
  • l’autre de nature industrielle et commerciale, concernant les missions de damage , de balisage et de sécurisation des pistes.

Le Tribunal Administratif de Grenoble, dans un avis du 22 Novembre 2002 répondant à la sollicitation de M. le Préfet de la Savoie , se prononce sur la reconnaissance du caractère industriel et commercial du service des pistes et de la sécurité de Val d’Isère.

Après avoir énoncé que l’article 47 de la loi «Montagne» a entendu qualifier de SPIC le service des remontées mécaniques , le Tribunal indique qu’il s’avère plus incertain de dire que cette qualification doit également englober le service des pistes . A l’inverse, il considère que de telles missions sont insuffisantes pour qualifier le service d’administratif 73 . C’est pourquoi, il recourt à l’examen des critères jurisprudentiels dégagés pour différencier un service public administratif d’un service public industriel et commercial , avant de conclure en faveur d’un SPIC. Sa démarche est plus pragmatique que doctrinale.

La problématique juridique consistait à étudier d’abord si la régie autonome des pistes relève ou non de l’article 47 de la loi «Montagne».

Dans la mesure ou la décomposition des activités des pistes de celles des remontées mécaniques correspond à une sectorisation de l’infrastructure par rapport au service de transport , comme cela s’est pratiqué avec la naissance de « Réseau Ferré de France » par rapport à la SNCF, la régie des pistes s’insère bien dans «  l’organisation des services de remontées mécaniques et des pistes » pour reprendre le titre de la section II du chapitre II de la loi «Montagne» . De ce fait, n’étant pas géré en régie directe mais en régie autonome, la nature industrielle et commerciale du service est juridiquement établie sans qu’il soit besoin d’examiner plus amplement le fonctionnement de la régie. Dans la poursuite de ce raisonnement, le recours par la commune de Tignes à une Régie Personnalisée, soit un établissement industriel et commercial, procède de la même logique.

Sous un angle doctrinal, J.F Lachaume parle d’établissement public « à double visage » et cite pour exemple « un EPIC gérant tout à la fois un SPA et un SPIC » 74 . Les ports autonomes en sont la parfaite illustration 75 .

Dans le cas d’espèce, il y a lieu subsidiairement de s’interroger si les activités relatives à la gestion des secours sur pistes et au recouvrement des frais de secours qualifiées précédemment de nature administrative, le sont effectivement ou non.

D’une part, suivant la forme juridique d’ exploitation, le juge administratif qualifie la même activité locale tantôt de service administratif , tantôt de service industriel et commercial. Ceci se vérifie en matière de camping municipal 76 et pour déterminer la nature juridique du service, le juge administratif se réfère à la volonté de l’autorité organisatrice manifestée lors de la décision institutive et au travers de l’exploitation 77 . C’est ce raisonnement qui a été suivi en déterminant au préalable le statut juridique de la régie susvisée de Tignes.

D’autre part, il n’est pas certain que l’activité matérielle de secours sur pistes soit une activité régalienne indissociable du pouvoir de police du Maire sur le domaine skiable, mais peut au contraire être considérée comme une simple prestation de service pour le compte du pouvoir de police du Maire. D’ailleurs, selon le Conseil Supérieur des Sports de Montagne 78 , les conventions de distribution de secours ont – d’après la circulaire du ministère de l’Intérieur du 4 décembre 1990 relative au remboursement des frais de secours pour la pratique du ski – pour unique objet l’exécution d’une prestation matérielle qui ne repose sur aucune prérogative de puissance publique.

Dans ces conditions, il n’apparaît pas antinomique d’associer à une régie des pistes gérant à titre principal une activité à caractère industriel et commercial, une activité connexe de distributions des secours sur les pistes.

La doctrine reconnaît qu’il puisse exister des établissements publics dont la mission principale est industrielle et commerciale mais qui peuvent exercer, à titre accessoire des activités administratives ; et vice versa 79 .

Notes
72.

CRC Rhônes Alpes Cne de Val d’Isère 11/09/2001 :« Les secours sur pistes et l’entretien des pistes sont des activités exercées directement par la commune et isolées dans un budget annexe dénommé service des pistes et de la sécurité. Ce regroupement au sein d’un même budget annexe de deux activités , de nature administrative pour la première, puisque relevant d’une prérogative de puissance publique, et industrielle et commerciale pour la seconde, apparaît cependant contestable ».

73.

« l’intitulé donné au service par la délibération qui crée la régie service des pistes et de la sécurité, ainsi que le statut applicable au personnel duquel il résulte que celui-ci comprend des pisteurs secouristes et des chauffeurs de dameuse, permettent d’affirmer que l’objet porte notamment sur l’entretien des pistes et le secours aux usagers.

Mais l’analyse du budget autonome de la régie autorise à considérer que le service englobe également les remontées mécaniques.

C’est plus particulièrement le fait que la régie a parmi ses activités des interventions afférentes à la sécurité et au secours des usagers sur le domaine skiable, lesquelles évoquent le pouvoir de police du maire, c’est à dire une activité par nature administrative, qui conduit à s’interroger sachant, en tout état de cause, que le maire ne pourrait déléguer ses pouvoirs de police selon une jurisprudence constante ( CE Ass. 17-06-1932 Ville de Castelnaudry N°12.045 L.p 595).

Mais, comme le relève le commissaire du gouvernement Arrighi de Casanova dans les conclusions qu’il a formulées à l’occasion de l’avis rendu par la section du Conseil d’Etat SARL Hoffmiller 10-04-1992 N° 132539, il ne faut pas confondre finalité avec objet. Des sociétés privées peuvent avoir des activités de prestations de secours sans pour autant que l’on puisse estimer que des missions relevant du domaine de la police municipale leur ont été confiées au delà de la seule exploitation du service public à caractère commercial ( c.0f par exemple l’affaire jugée par les 7 ème et 10 ème sous-sections réunies CE 20-03-1998 Société d’économie mixte de sécurité active et de télématique N° 157.586).

Ainsi, par un arrêt Consorts Jauzy 07-12-1998 N° 03126 le T.C considère que la société concessionnaire du service public de transports publics d’intérêt local par remontées mécaniques de la station de ski d’Alpe d’Huez s’était vu confier l’exploitation d’un SPIC alors que ladite concession de la commune avait notamment confié à la société, l’organisation, la mise en œuvre et la maintenance des moyens humains et matériels de sécurité et de secours , avec droit de contrôle permanent du maire, lequel pouvait à tous moments prescrire ce qui lui apparaîtrait indispensable en vertu de ses pouvoirs de police.

Par conséquent, au vu des éléments produits au dossier, le seul fait que la régie accomplisse de telles missions s’avère insuffisant pour identifier un service public administratif »

74.

J.F Lachaume in « Grands services publics », Ed Armand Colin , 2ème édition , p.183.

75.

Jean Dufau J.C.A Fasc. 150 Rub.N°106 : « Les ports autonomes qui assurent concurremment une mission de service public à caractère administratif en ce qui concerne notamment l’aménagement, l’entretien et la police des aménagements et des accès du port et une activité de nature industrielle et commerciale en ce qui concerne en particulier l’exploitation des outillages du port ( CE 17/04/1959 Abadie / CE 26/06/1974 Port autonome de Marseille . Rec. p.369) ».

76.

J.C.A Fasc.150 Rub N° 36

77.

TC 14/01/1980 – Le Crom c/Cne de St Philibert. Req 2141 , in JCA .Fasc126-10 Rub. N° 203 : « que de tels services créés dans l’intérêts général, n’ont le caractère industriel que dans le cas ou les modalités particulières de leur création et de leur gestion impliquent que la commune a entendu leur donner ce caractère ».

78.

CSSM , Guide méthodologique  en collaboration avec l’Etat : « cadre juridique des arrêtés de police municipale concernant les sports d’hiver », octobre 1999 p57.

79.

Jean Dufau in J.C.A 150 , Rub N°102 à 104 : « Il y a des établissements publics industriels et commerciaux qui exercent des activités de nature administrative. Il en va ainsi, par exemple, pour le Centre d’études marines avancées lorsqu’il s’occupe de la construction d’un sous-marin d’intervention expérimental ( CE 7/12/1984-Rec. CE p.413) » .