Section I – La régie d’exploitation d’un service marchand comme entreprise publique au sens du droit communautaire

Selon le « Livre Vert sur les services d’intérêt général » publié en mai 2003 99 par la Commission des Communautés Européennes, le concept communautaire des services d’intérêt général opère une triple différenciation entre 100  :

  • les services d’intérêt économique général fournis par les grandes industries de réseau ;
  • les autres services d’intérêt économique général ;
  • les services non économiques et les services sans effets sur le commerce.

Cette classification effectue une distinction nette entre services marchands et non marchands, sachant que la limite entre les deux notions est évolutive.

Ainsi, le service d’intérêt général est conçu d’abord comme une activité c’est à dire par son critère matériel ; et ceci indépendamment de la manière dont il est organisé et des organismes qui l’assurent. La traditions française insiste le plus souvent sur le critère organisationnel, ce qui constitue l’un des facteurs du mal-entendu entre la conception interne du service public et celle communautaire 101 .

L'article 2 de la directive communautaire n° 80/723 du 25 juin 1980 sur la transparence des relations financières entre les Etats membres et les entreprises publiques, définit comme entreprise publique :

‘«  Toute entreprise sur laquelle les pouvoirs publics peuvent exercer directement ou indirectement une influence dominante du fait de la propriété, de la participation financière ou des règles qui la régissent ».’

Cette définition rejoint les critères dégagés par la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes à propos de la notion d’entreprise 102 .

Ce faisceau d’indices fait dire à Achille Hannequart 103 que les formes juridiques de l’Entreprise Publique au sens du droit communautaire rencontrent trois formes principales : incorporation de l’activité à un ministère ,constitution sous forme d’organisme d’intérêt public pouvant prendre des formes variées depuis l’établissement public jusqu’à la société anonyme , et nationalisation.

Au regard de l’entreprise publique locale, cette classification recouvre les notions de  Régie sous ses différents modèles ( directe, autonome et personnalisée ) ainsi que les sociétés d’économie mixte.

Pierre Delvolvé fait observer que la notion communautaire du droit de la concurrence , sous- jacente au concept d’entreprise, comprend toute entité exerçant une activité économique indépendamment de son statut juridique 104 . A titre d’exemple, il cite la régie gérant un service marchand.

Cet éminent Professeur précise en outre que la conception communautaire du droit de la concurrence rejoint celle dégagée en droit interne par l’article 53 de l’ordonnance du 1er Décembre 1986  relative au droit de la concurrence 105 . Il conclut que cette définition de l’ordonnance en termes d’activités et non d’entité, couvre nécessairement les entreprises publiques quelque que soit leur forme : établissement public, société, voire régie non personnalisée d’une collectivité publique.

Ainsi, le mode d’exploitation des remontées mécaniques en régie  constitue indéniablement une des formes de l’entreprise publique locale exploitant un service marchand au sens du droit communautaire et du droit interne de la concurrence .

Le mode d’exploitation en Régie d’un service public à caractère industriel et commercial forme une des composantes de l’entreprise publique non seulement au regard de la définition donnée par l’article 2 de la directive communautaire précitée N° 80/723, des analyses susvisées de la Doctrine mais aussi en application de la Jurisprudence de la CJCE.

En effet, comme le rappelle Armand Bizaguet 106 en sa qualité de délégué du Centre Européen des Entreprises à Participation Publique et d’Intérêt Economique Général (C.E.E.P.), dans l’ arrêt Decoster du 27 Octobre 1993, la CJCE a estimé que « le fait que l’exploitation du service public et la commercialisation des appareils terminaux » soit confiée à des « entités intégrées dans l’administration publique » ne saurait soustraire ces dernières à « la qualification d’entreprise publique ». En conséquence, à coté des sociétés d’économie mixte, la notion d’entreprise publique locale au sens de la jurisprudence communautaire inclut bien évidemment les régies exploitant des services marchands quelle que soit leur forme ( directe, autonome ou personnalisée) .

La Cour de Justice des Communautés Européennes avait déjà eu l’occasion de considérer qu’un service administratif non doté d’une personnalité juridique propre de type régie d’une collectivité publique, pouvait constituer une entreprise 107 .

Dans ces conditions, il est étonnant que les milieux socio-professionnels en France ait tendance à ne pas reconnaître la qualité d’entreprise publique à la régie, contribuant de facto à dévaloriser l’image de ce mode d’exploitation pour la gestion des services publics locaux à caractère industriel et commercial.

Par exemple, dans son ouvrage « les Entreprises Publiques Locales dans les quinze pays de l’Union Européenne » , le groupe bancaire et financier DEXIA donne une définition restrictive de l’Entreprise Publique fondée uniquement sur l’actionnariat et écartant les Régies :

‘« La définition commune retenue de l’entreprise publique locale est la suivante : une entreprise à forme société, exerçant une mission d’intérêt général et dont au moins 50 % du capital est détenu par une ou plusieurs collectivités locales, par exception moins de 50 % si ces autorités disposent d’un contrôle réel sur l’activité de l’Entreprise » 108 .’

La raison de ce point de vue restrictif est rappelée à l’occasion de l’actualisation des données de cet ouvrage, par l’intervention d’ Axelle Verdier pour le compte de DEXIA lors de la 5èmeconférence européenne des entreprises publiques locales organisée le 29 Octobre 2002 par la Commission entreprises locales du CEEP. L’intéressée souligne que l’étude sur les entreprises publiques locales en Europe a été faite en collaboration avec la Fédération Nationale des SEM 109 .

Ce concours est tout à fait justifié , mais encore faut-il que la recherche menée n’aboutisse pas à tronquer la définition de l’Entreprise Publique locale telle que la donne précisément le droit communautaire qui ne la limite pas aux seules sociétés par actions avec participation publique au capital.

Dans ces conditions, l’affirmation selon laquelle « les entreprises publiques locales françaises sont obligatoirement des société d’économie mixte » comme le prétend la Fédération Nationale des SEM 110 , est juridiquement incorrecte . Cette organisation professionnelle fait référence à une définition de l’entreprise publique donnée il y a plus de trente ans par le Conseil d’Etat en opérant de plus une réfaction en supprimant les EPIC 111 .

Même au regard du droit interne qui a une conception moins extensive de l’entreprise publique que le droit communautaire, la doctrine n’exige pas la composition sous forme de société de capitaux mais seulement le critère de la personnalité juridique 112 .

D’ailleurs , le Conseil Economique et Social dans son rapport 2003 intitulé « L’investissement Public en France » cite les régies des services publics parmi les entreprises publiques locales et l’auteur regrette qu’il n’existe plus depuis la décentralisation d’observatoire national consacré aux régies suite à la suppression du Conseil national des services publics départementaux et communaux 113 .

Il est paradoxal de constater que le mouvement de décentralisation initié à partir de 1982 ait pu contribuer involontairement à la disparition des informations officielles sur le fonctionnement des régies au plan national. L’Etat assure donc mieux une fonction de contrôle que d’accompagnement au développement des collectivités locales.

Ce déficit d’informations économiques sur les régies françaises d’exploitation de services publics à caractère industriel et commercial ne peut évidemment que favoriser indirectement le discours idéologique qui présente la société d’économie mixte comme l’unique modèle d’entreprise publique locale en droit français.

Selon une étude de l’Institut de la Gestion Déléguée, si la gestion déléguée des services publics locaux toutes activités confondues est dominante en France, la Régie demeure encore fortement présente sur le plan de l’activité économique puisqu’elle représente actuellement 114  :

  • 42 % des modes de gestion en nombre de contrats ;
  • 38 % des modes de gestion pondérés par la population desservies.

Au niveau de l’union européenne, sous les réserves exprimées précédemment, il ressort de l’étude de Dexia que le modèle dominant de l’entreprise publique dans les quinze pays de l’union est en voie de devenir le statut de la société commerciale avec une participation publique prédominante voire même exclusive, ou à l’inverse dans une moindre proportion minoritaire dite à « action d’or ».

Toutefois, cette étude met également en évidence de façon subsidiaire que le modèle de la régie et des entreprises publiques assimilées de statut de droit public existe bien sûr en dehors de l’hexagone, dans différents pays de l’union européenne notamment :

  • les « Stadtwerke » en Allemagne 115  ;
  • en Autriche avec les « Regiebetrieb » ( régie de l’administration communale sans autonomie juridique ni organisation distincte) et les « Eingentrieb » ( régie non personnalisée, mais doté de l’autonomie financière ) 116  ;
  • « l’Intercommunale  dite pure » en Belgique 117  ;
  • « l’entreprise municipale dite pure » en Grèce 118
  • les « Aziende spéciali » en Italie 119 .

Comme en France, il serait nécessaire de créer un observatoire européen d’étude des régies et entreprises publiques assimilées de statut public pour connaître exactement les secteurs d’intervention, le poids économique de ce mode de gestion et ses évolutions.

Notes
99.

In Gazette des C-D-R du 8 /9/2003 , Cahier détaché Etudes et documents

100.

Point 3.2

101.

Pascal Lamy commissaire européen au commerce , intervention lors du débat « Europe et services publics »  à l’AMF le 20 mars 2003. archives AMF: « Il faut réduire ce décalage entre une perception, encore trop présente en France, que les services publics sont une notion exclusivement française , la réalité des services publics dans l’ensemble des Etats membres de la Communautés et la réalité de l’acquis communautaire en la matière. Il faut dépasser le stade des querelles historiques et sémantiques …Tous les pays de l’UE disposent de services publics qui s’inscrivent dans des traditions et des situations qui leurs sont propres. L’exemple des compagnies municipales d’électricité en Allemagne nous vient immédiatement à l’esprit. Les réseaux interurbains et locaux de transports publics en Irlande sont moins couramment cités. Les exemples pourraient être multipliés ».

102.

Arrêt de la CJCE du 6 Juillet 1982 : Républiques Française ,Italienne et Royaume Uni contre Commission N° 188 à 190/80, Rec 1982 p 2545.

Egalement CJCE 23 Avril 1991, Hoffner et Elser c/Macroton, N° C41-90, Rec.CJCE, p.1979, définissant la notion d’entreprise en ces termes « toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement ».

103.

contribution à l’ouvrage collectif réalisé en commun par les associations CIRIEC et TEPSA sur les Entreprises Publiques dans l’Union Européenne : «  Entre concurrence et intérêt général », Editions PEDONE 1995 p.90

104.

contribution à l’ouvrage collectif : « Quel avenir pour les Entreprises Publiques ». résultat d’un colloque tenu le 19 Mai 2000 sous la direction de Roland DRAGO. Edition PUF 2001 p53 : «  le statut juridique de l’entité importe peu. C’est pourquoi est retenue cette expression générale et approximative. Ainsi, une régie, qui s’insère dans la personnalité d’une collectivité publique, sans être dissociée juridiquement de celle-ci, n’en constitue pas moins une entreprise dès lors qu’elle exerce une activité de production ou de distribution de biens ou de services ».

105.

Ouvrage précité p 57 :« les règles définies à la présente ordonnance s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques » .

106.

Communication en date du 25 Juin 2001 , site internet CEEP : « En troisième lieu, la complexité des formes juridiques utilisées sous le nom commun d’entreprises locales, publiques ou mixtes, est souvent source de confusion, d’autant plus que ces diverses entités peuvent avoir des frontières floues. C’est ainsi qu’on trouve dans cette catégorie, tout à la fois des Sociétés d’Economie Mixte Locales (S.EM.L) ; des établissements publics locaux ; des régies personnalisées, qui possèdent une personnalité morale entière ; des régies autonomes possédant l’autonomie financière, mais pas la personnalité morale ; des régies directes, c’est à dire des services internes comptabilisés dans le budget même des collectivités locales… Dans ce dernier cas, la Cour de Justice Européenne a admis elle même qu’une « entreprise » était une « entité qui exerçait une activité économique », quel que soit son statut (arrêt Hofner du 21 Avril 1991) . L’arrêt Decoster du 27 octobre 1993 précise d’ailleurs … ».

107.

CJCE 16 juin 1987, République italienne, Rec. CJCE, p.2599.

108.

« les Entreprises Publiques locales dans les quinze pays de l’Union Européenne » Edition DEXIA Année 2000 p.8 .

109.

« La synthèse présentée ici de l’enquête succincte sur les entreprises publiques locales sous l’angle des partenariats publics / privés a été conduite par la Fédération des SEM et Dexia Crédit Local, et à l’initiative de la Fédération des SEM.

L’implication de Dexia aux cotés de la Fédération des SEM sur cette thématique s’inscrit pleinement dans le champ d’intervention du groupe DEXIA, présent à l’échelle européenne : groupe bancaire franco –belge spécialisé dans le financement des équipements collectifs et des services financiers aux collectivités locales dans le monde, Dexia est aussi partenaire des acteurs du développement local. Le groupe, qui opère dans la quasi totalité des pays de l’Union Européenne, a acquis par le biais de ses filiales et implantations, une connaissance approfondie du fonctionnement des collectivités locales en Europe. C’est à ce titre, et en tant que partenaire de longue date de la Fédération des SEM, que cette dernière nous a associés pour travailler à approfondir la connaissance des entreprises publiques locales à l’échelle européenne ».

110.

article : « les Entreprises Publiques locales en Europe » site Internet de la Fédération des SEM

111.

Denis Broussolle « Les privatisations locales » AJDA 1993 p.323 :« En l’absence d’indication du législateur sur le champ d’application de certaines dispositions spécifiques, le Conseil d’Etat avait, dès le 10 juillet 1972 (CE 10/07/1972 Air Inter Leb. P.537) considéré comme entreprises publiques : les EPIC, les entreprises nationalisées et les sociétés dans lesquelles l’Etat ou d’autres personnes de droit public ( donc aussi locales) détiennent séparément ou conjointement pus de la moitié du capital social, ainsi que leurs filiales majoritaires. » .

112.

A. Delion in « Le droit des entreprises et participations publiques » LGDJ Février 2003, p 29 :« Une entreprise publique est un organisme doté de la personnalité juridique, gérant une activité de production de biens ou de services vendus contre un prix et soumis organiquement au pouvoir prépondérant d’une autorité publique » .

113.

par Charles Demons , Supplément au M.T.P du 4 juillet 2003. p110 :« Les services de l’Etat ( et en particulier, la direction générale des collectivités locales du ministère de l’intérieur) ne disposent pas aujourd’hui d’une vue d’ensemble des services publics locaux et de leurs modes de gestion. Il n’est ainsi pas possible de connaître le nombre des régies, leur répartition par secteurs d’intervention ( énergie, eau, déchets, transports publics…) ou par nature juridique ( services à personnalité morale et autonomie financière, établissements publics locaux…). Les données synthétiques et exhaustives concernant leurs investissements sont à fortiori inaccessibles.

Cette information serait pourtant précieuse, non pour contrôler les collectivités locales – puisque leur libre administration est garantie par la décentralisation – mais pour mieux comprendre les évolutions en cours. La fin de la tutelle du ministère de l’intérieur sur les collectivités locales s’est ainsi traduite par la cessation de fait de l’activité d’un organisme tel que le Conseil national des services publics départementaux et communaux. Certaines informations sont recensées, pour le compte des collectivités adhérentes, par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies ( FNCCR) mais elles ne sont forcément que partielles puisque cette association ne regroupe que des services publics de réseaux dans le domaine de l’électricité, du gaz, de l’eau et de l’assainissement .» . Remarque : l’article L 1512 du C.G.CT prévoyant l’existence de cet organisme a été supprimé.

114.

Sources : Institut de la Gestion Déléguée, citées par Etienne Amblard in « associer les entreprises à la gestion des services publics locaux » , cahier détaché du 6/10/2003 de la Gazette des C-D-R , p 223.

115.

Ouvrage précité p70 : « D’une façon générale , l’ensemble des structures créées par la commune pour assurer la gestion d’un ou plusieurs services publics locaux emprunte l’appellation de Stadwerke. Cette notion regroupe aussi bien les entreprises publiques locales ( kommunale unternehmen) que les structures relevant d’un statut public de type régie ou établissement public ».

116.

Ouvrage précité p81 : « En 1998, 1450 entreprises publiques locales et structures assimilées ont été recensées, les régies ( regiebetrieb, eigenbetrieb) étant les plus nombreuses ».

117.

Ouvrage Dexia précité p 92-93 : « L’ Intercommunale est une personne morale de droit public empruntant les formes du droit privé ….les entreprises publiques locales peuvent être entièrement publiques ( intercommunales dites pures) ou mixtes ( intercommunales dites mixtes ) » .

118.

Ouvrage Dexia précité p 154 : « les entreprises municipales ou communales pures sont des personnes morales de droit public soumises aux règles du droit privé ».

119.

Ouvrage Dexia précité p168 : « A la différence des entreprises publiques locales, les aziende spéciali, première forme de gestion individualisée du service public local créée par le décret présidentiel du 4 octobre 1986, ne disposent pas de capital propre et fonctionnent par les seules dotations de la collectivité…Plusieurs collectivités peuvent s’associer dans des aziende spéciali qui prennent alors le nom de conzorzi » .