Section II. L’avenir de la régie des remontées mécaniques dans le cadre Communautaire en tant que service public touristique d’intérêt général

§1) La problématique Générale des SIEG

La notion de service public telle que l’entend le droit français n’est pas partagée par l’ensemble des pays de l’Union Européenne et plus particulièrement en matière de remontées mécaniques, puisque la France est le seul pays ayant dévolu la compétence première en la matière aux collectivités locales. Le droit étranger notamment au niveau des pays de l’Arc alpin ( représentant l’essentiel des remontées mécaniques en Europe que ce soit l’Italie, l’Autriche ou la Suisse), laisse l’organisation de cette activité à l’initiative privée. Ceci ne signifie pas pour autant que les collectivités locales ne sont pas participantes au développement des domaines skiables mais elles n’ont pas une compétence exclusive comme en France avec la Loi Montagne du 9 Janvier 1985.

Cependant, le principe du service public n’est pas étranger à la tradition juridique des autres pays européens et se définit sous l’appellation « d’activité économique d’intérêt général » (SIEG) ; et dont la définition est la suivante :

‘« Le service public est une activité économique d’intérêt général définie, créée et contrôlée par l’autorité publique et soumise à des degrés variables à un régime juridique spécial, quel que soit l’organisme, public ou privé, qui a la charge de l’assurer effectivement » 120 .’

A.S Mescheriakoff met même en avant la contribution de la notion de SIEG à la cohérence de la notion de service public à caractère industriel et commercial en droit interne 121 .

Dans ce contexte, courant Mai 2003, la Commission Européenne a publié un « Livre Vert » qui traite de l’avenir des services d’intérêt général en Europe dans l’optique de préparer une directive-cadre sur le sujet .

Ce débat s’inscrit dans la continuité du Sommet Européen de Nice de Décembre 2000 où fut adoptée « une charte des droits fondamentaux de l’union » dont l’article 36 reconnaît l’accès aux services d’intérêt économique général « afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’union ».

L’article 86 du traité 122 permet de déroger aux règles de la concurrence pour assurer des missions de service public. C’est ainsi que la Commission européenne autorise la prise en compte par les pouvoirs publics des surcoûts engendrés par les missions de service public. C’est à ce titre qu’une collectivité publique française, en sa qualité d’ autorité organisatrice de remontées mécaniques, peut subventionner le fonctionnement d’un service de secours sur pistes eu égard à la mission de service public exercée.

Mais comme le regrette le Comité des régions, l’octroi des aides des pouvoirs publics est actuellement limité à ces seuls surcoûts et sur le fondement du principe d’équité en faveur des régions les plus défavorisés et des zones de montagnes, il conviendrait de libéraliser les financements publics «  dans la perspectives de promouvoir non seulement la cohésion économique et sociale mais aussi le développement durable ( régional et local) et la création d’emplois » 123 .

Le commissaire européen au commerce Pascal Lamy est favorable à l’instauration d’une clause de sauvegarde en faveur des services publics leur permettant d’échapper aux règles habituelles de la concurrence 124 .

De l’actuel débat en cours sur les services d’intérêt général en Europe, il semblerait qu’un consensus se dégage pour qu’ en fin de compte  les services d’intérêt économique général fournis par les industries en réseau ( transports, services postaux, énergie et communication) soient organisés par le droit communautaire d’une part, et d’autre part que les autres services d’intérêt général ( marchands et non marchands) ne relèvent que des états membres selon le principe de subsidiarité 125 .

« L’aménagement équilibré du territoire » faisait d’ailleurs partie des conclusions des Conseils européens de Cannes des 26-27 juin 1995 et de Madrid des 15-16 décembre 1995 relatives aux missions d’intérêt économique général 126 .

Or en matière d’aménagement des zones de montagne en Europe , il existe une très grande disparité de situations. De plus, au sein de chaque massif, existent également des différences économiques très importantes entre les grandes stations de réputation nationale ou internationale et les petites ou moyennes stations de ski de réputation locale (départementale ou régionale).

Il ressort nettement de l’analyse des lettres d’observations des Chambres Régionales des Comptes en France que les stations de ski de réputation locale atteignent difficilement l’équilibre financier d’exploitation .

Eu égard à la faible ou l’absence de rentabilité directe des investissements de remontées mécaniques pour ce type de stations de ski , les collectivités publiques françaises sont amenées le plus souvent à assurer financièrement la charge de la maîtrise d’ouvrage des équipements de remontées mécaniques même lorsque l’exploitation est déléguée.

Néanmoins, il s’agit bien dans tous les cas d’espèce d’un service public touristique local dont les effets sont positifs en terme d’aménagement du territoire et de cohésion sociale. La juridiction financière  partage en général ce point de vue :

‘«  la réalisation d’équipements de sports d’hiver apparaît souvent pour une commune de Montagne comme l’unique chance de survie face au déclin de ses activités traditionnelles, le seul moyen de créer des emplois sur place, de valoriser les terrains et les activités locales, de financer et de rentabiliser les équipements et les services nécessaires à la population »  127 . ’

D’ailleurs, l’exploitation des remontées mécaniques a été reconnue par la jurisprudence administrative 128 , comme constituant effectivement un service public local en matière touristique et de loisirs bien avant la promulgation de la loi « Montagne » du 9 janvier 1985 ; de sorte que la construction d’un téléski a pu justifier une expropriation d’utilité publique. 129

Depuis, la loi N° 92-1341 du 23 décembre 1992 portant répartition des compétences dans le domaine du tourisme officialise d’une part l’association des collectivités locales ( régions, départements et communes et leurs organismes de regroupements) à l’Etat pour la mise en œuvre de la politique nationale du tourisme et d’autre part, donne compétence à ces collectivités territoriales pour définir à leur niveau respectif des politiques locales dans le domaine du tourisme 130 .

Cette coordination au plan local des actions dans le domaine du tourisme s’effectue dans le cadre du contrat de plan associant l’Etat et les collectivités locales ainsi que la Communauté européenne . En milieu montagnard , les politiques en faveur du tourisme peuvent être orientées en faveur des stations de ski par l’octroi de subventions pour des investissements structurants 131 .

« Le développement touristique est une forme de développement économique » comme l’expose Vincent Vlès qui rappelle à ce sujet que le code général des collectivités territoriales donne aux collectivités territoriales pour mission de contribuer au développement de leur territoire 132 . L’auteur précise en outre que le développement touristique en Europe n’est pas un champ d’action laissé au secteur privé mais relève le plus souvent de l’initiative publique. 133

Un récent rapport parlementaire sur les zones de montagne en France, plaide pour mettre en place des zones franches de montagne sur les modèles de ce qui existe en la matière dans les milieux urbains pour soutenir l’activité économique et lutter contre la désertification des massifs 134 . Ainsi, l’aide au développement de la Montagne , et en particulier des remontées mécaniques, constitue bien un service d’intérêt économique général au sens du droit communautaire.

C’est dans ce cadre de développement territorial et de cohésion sociale que les entreprises publiques locales de remontées mécaniques ont un avenir dans l’ Union Européenne ; et à ce titre, les régies d’exploitations des domaines skiables.

La Cour de Justice des Communautés Européennes dans un jugement récent du 24 Juillet 2003 - C 280/00 Altmark Magdeburg, reconnaît la légitimité du financement public pour les entreprises investies localement d'une mission d'intérêt général, en l'espèce de transport de personnes, sans que cela constitue pour autant une aide soumise à déclaration communautaire.

Là n'est cependant pas vraiment la nouveauté, mais plutôt dans l'extension par la Cour du bénéfice de cette mesure à une entreprise dont le choix par l’autorité publique n'a pas été précédé de mise en concurrence.

Néanmoins, la compensation accordée sous forme de subvention doit être fixée par rapport au critère de rentabilité d'une entreprise moyenne du secteur dans une situation comparable 135 .

Cette décision , prise à l’encontre des conclusions de l’Avocat Général M. Philippe Leger, s’inscrit dans la continuité à la fois de l’Arrêt Ferring 136 . et des conclusions de l’Avocat Général M. Jacobs dans l’Affaire GEMO 137 favorables à une conception compensatrice , en vertu de laquelle le financement public des services d’intérêt économique général ne constitue pas une aide au sens du droit communautaire dans la mesure où les avantages financiers conférés par les autorités publiques n’excèdent pas le coût engendré par les obligations de service public imposées à l’opérateur.

De plus, cet arrêt dispense de la procédure de notification préalable à la Commission ces aides publiques dite de compensation. Certains s’en réjouissent : « dans l’optique d’une simplification des procédures et d’une plus grande liberté des communes pour organiser la mise en œuvre de leurs services publics » 138 alors que d’autres estiment que l’absence de notification préalable peut à terme se révéler une source d’insécurité juridique 139 . Dans la mesure ou l’arrêt définit clairement les conditions pour échapper à la qualification d’aide publique, cette dernière crainte ne semble pas fondée.

Cette jurisprudence s’inscrit dans le sens d’une lente évolution du droit communautaire en faveur de la reconnaissance de la spécificité des services publics.

Initialement, le Traité de Rome a entendu à la fois considérer sur un pied d’égalité les entreprises relevant des secteurs privé ou public 140 , mais aussi prévoir par son article 90 ( devenu 86) une possibilité de déroger aux règles d’égale concurrence pour certains opérateurs exerçant une activité d’intérêt économique général 141 sous réserve de ne pas porter atteinte à l’intérêt supérieur de la Communauté soit l’unité du marché unique.

Cependant, par l’interprétation de ces clauses par le juge communautaire, l’assimilation de l’ entreprise publique à entreprise commerciale est devenue rapidement source de « discrimination » en ne reconnaissant pas sa spécificité 142 .

Depuis les années 1990, la Cour de Justice de la Communauté Economique a incliné sa jurisprudence vers une reconnaissance graduelle des activités de service public d’abord avec l’arrêt Corbeau du 19 Mai 1993 143 se rapportant au monopole postal belge , puis avec l’arrêt Almelo du 27 avril 1994 relatif à un monopole local de distribution électrique en Hollande 144  ; mais toutes les ambiguïtés n’ont pas été levées pour autant concernant la spécificité de l’entreprise publique.

Notes
120.

la série économie W –21 . Publications de la DG IV . année 1996. site internet Europarl.eu.int.

121.

in : «  Services publics industriels et commerciaux : questions actuelles » Ouvrage collectif LGDJ avril 2003, p23 :« On rappellera simplement ici le reproche de cohérence majeure fait à la notion de SPIC, à savoir satisfaire l’intérêt général en utilisant des méthodes du secteur privé qui sont précisément destinées à satisfaire des intérêts particuliers.

Sauf à poser en principe que l’intérêt général coïncide forcément avec la pluralité des intérêts particuliers, force est de constater qu’il existe là une aporie de la philosophie du droit public français.

L’approche communautaire du SIEG renverse la perspective.

Il ne s’agit plus de réaliser une mission d’intérêt général en utilisant des moyens conçus pour des intérêts particuliers. Il s’agit de poursuivre une activité économique, c’est à dire de satisfaire un marché mais en veillant à poser des règles spécifiques qui non seulement régulent ce marché mais qui en outre permettent de réaliser une mission particulière qui lui a été confiée par la puissance publique » .

122.

« Art 86 :les entreprises chargés de la gestion de services d’intérêts économiques général ….sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence , dans les limites ou l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ».

123.

Avis sur la « communication de la Commission européenne sur les services d’intérêt général en Europe » ( 2002/c19/04) point 2.5 publié au JOCE du 22.12/2002.

124.

Intervention précitée.

125.

« L’avenir des services publics en question » Gazette des C-D-R 14 juillet 2003 p 37.

126.

Rapport d’information de l’Assemblée nationale N° 2751/2000 p 12. « La défense et la promotion du service public dans l’Union européenne : une impérieuse nécessité » .

127.

C.R.C. PACA. Cne d’Isola 26/06/2000

128.

M. J.L LE BRAS  Thèse de Doctorat de: «  Essai introductif à l’étude des espaces de loisirs » Paris I. 1979. p 182 : « l’exploitation d’une plage, dans l’intérêt du développement de la station , constitue une activité de service public, de même, celle d’un remonte-pente dans une station de sports d’hivers  . conf. C.E. 23 janvier 1959. Cne d’Huez. Rec 67… »

Et aussi P. Neveu « Fonds de commerce et domanialité » , inTourisme et Droit N° 53, décembre 2003, p.6:

« Dès 1959, le Conseil d’Etat reconnaît l’intérêt général s’attachant à l’équipement d’une commune comme station de sports d’hiver, dans l’intérêt de son développement ( CE , 23 janv. 1959, Cne d’Huez). En effet, tout en soulignant la réticence du juge administratif à reconnaître l’existence d’un service public en matière de divertissements, le commissaire du gouvernement, Guy Braibant, relevait dans ses conclusions que : «  le développement touristique et sportifs des stations de montagne constitue une œuvre d’intérêt général  » ( in AJDA 1959, II, p.65). Et de conclure que se rattachait à cette œuvre d’intérêt général , la réalisation des ouvrages de remontées mécaniques, lesquels bénéficiaient alors de la qualification de service public  «  de transport se rattachant au développement du tourisme et à l’organisation des loisirs  » ( ibid) ».

129.

CE, 25 Nov. 1983, Donzel, req.N°40597

130.

« Art 3 – Les collectivités territoriales sont associées à la mise en œuvre de la politique nationale du tourisme. Elles conduisent, dans le cadre de leurs compétence propres et de façon coordonnées, des politiques dans le domaine du tourisme »

131.

« Des aides pour le tourisme en montagne » in Aménagement et Montagne Nov- Dec 1997 p 24 : « Pour le tourisme montagnard en région PACA , les aides européennes sont généralement mises au service d’une des procédures du contrat plan Etat/Région : les contrats d’objectifs. Il s’agit de pour une quinzaine de sites sélectionnés de définir, sur le moyen terme, un projet global de station impliquant l’ensemble des ses partenaires touristiques. Une démarche qui a permis aux acteurs de Super Dévoly/la Joue du Loup d’envisager un programme d’actions de près de 60 MF sur 5 ans . On y trouve de l’enneigement artificiel ( 18.5 MF)…

Pour Jean-Marie Bernard, président de la communauté de communes du Dévolu : sans ce sacré coup de pouce, nous ne serions peut être pas parvenus à convaincre notre concessionnaire d’investir 13.5 MF dans l’amélioration de son parc de remontées mécaniques »,.

132.

«  Service public touristique local et aménagement du territoire », L’Harmattan 2001 p11.

133.

Ouvrage précité p29 : «  La quasi totalité des expériences relevées en Europe occidentale montre que l’organisation touristique n’est jamais devenue une activité relevant pleinement du secteur privé ».

134.

Commission des affaires économique de l’Assemblée nationale sous la direction de François Brottes.Marie Christine Martineau : « Un rapport plaide pour le développement des zones de montagne » in La Gazette des C-D-R du 28/07/2003 p 14.

135.

Arrêt CJCE , 24 Juillet 2003 , affaire C 280/00 Almark Magdeburg , in MTP du 22/08/2003 p 230 : « Quatrièmement, lorsque le choix de l'entreprise à charger de l'exécution d'obligation de service public n'est pas effectué dans le cadre d'une procédure de marché public, le niveau de compensation nécessaire a été déterminé sur la base d'une analyse des coûts qu'une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée en moyens de transport afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes y relatives ainsi qu’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations" .

136.

CJCE 22 Novembre 2001 – C 53/00 , Rec p 9067

137.

conclusion présentée le 30 Avril 2002 , affaire C 126/01 pendante devant la Cour

138.

Bulletin Flash-info N° 5/2003 de l’Association Française du Conseil des Communes et Régions d’Europe ( AFCCRE).

139.

Stéphane Rodrigues note sous Arrêt Altmark, in AJDA du 29/09/2003 p 1741.

140.

L’article 222 du traité de la CEE : «  ne préjuge en rien de la propriété dans les Etats membres »

141.

Ces entreprises ne sont soumises aux règles de la concurrence que : «  dans la limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ».

142.

M. Debène, « Entreprises publiques et marché unique :entre assimilation et suspicion », AJDA 1992 , p 243.

143.

CJCE aff C-320/91, Rec CJCE I 2533, AJDA 1993 p 865

144.

in AJDA 1994 p 637.