§2) La problématique particulière des entreprises publiques

Comme l’indique Bernard THIRY 145 , la spécificité de l’entreprise publique réside avant tout comme « instrument des pouvoirs publics pour la prise en compte de l’intérêt général ».

C’est également ce qu’affirme très justement l’étude de Dexia, la finalité de l’ entreprise publique locale 146 ne poursuit pas un objectif de développement de l’entreprise pour elle-même en priorité, même si cette préoccupation n’est pas absente de son fonctionnement, mais vise au contraire le développement de son territoire 147 .

J.P Colson 148 résume les fonctions de l’entreprise publique en trois points : une activités de production ( de nature purement commerciale relevant de la poursuite d’une finalité propre à l’entreprise) , éventuellement l’exercice d’une mission de service public ( dans ce cas, les grandes règles qui constituent la raison d’être d’une telle mission doivent être respectées : continuité, adaptation et égalité) et le respect des contraintes d’intérêt général pour toutes ( ces contraintes doivent être distinguées des obligations spécifiques de service public et sont nombreuses : aménagement du territoire, développement ou maintien d’une filière industrielle , soutien à l’emploi, au tissus industriel des PME et PMI , etc).

Le recours à une entreprise publique constitue ainsi un moyen d’intervention au niveau macro-économique pour le développement d’un territoire et en particulier au moyen de l’activité des remontées mécaniques. En effet, si l’actionnaire est « une sorte de Roi qui privilégie nécessairement le court terme » 149 , les élus locaux n’ont par contre pas une recherche exclusive de profit, mais une meilleure logique de prise en compte d’objectifs de développement durable en matière d’infrastructure, de créations d’emplois directs et indirects .

Les effets macro-économiques sur l’aménagement du territoire ne sont pas négligeables puisqu’il est communément admis en matière touristique que le chiffre d’affaires des remontées mécaniques génère localement un chiffre d’affaires des commerces de proximité (hôtels, restaurants, magasins de sport, moniteurs de ski….) de l’ordre de 50 % de son montant.

Les effets induits sur l’économie locale sont tels que la Compagnie des Alpes, entreprise mondiale leader dans l’exploitation des domaines skiables, essaye dans sa stratégie d’implantation en Suisse de diversifier son activité principale de gestion des remontées mécaniques pour conforter son équilibre financier en investissant dans la sphère commerciale périphérique telle que restaurants d’altitude, hôtels ou magasins de sports 150 .

L’avenir de la Régie comme mode d’exploitation des services publics à caractère industriel et commercial est intrinsèquement lié à l’avenir des entreprises publiques locales dans le cadre communautaire d’une manière générale.

Poser la question de l’avenir des entreprises publiques il y a une dizaine d’années, aurait appelé systématiquement une réponse négative de fait du mouvement de privatisation en cours dans les différents pays européens sous l’influence des théories économiques libérales.

Au vu des résultats de ces politiques de privatisation 151 et des actions engagées par différents acteurs de l’économie publique pour défendre la notion organique du service public, la réponse aujourd’hui est plus nuancée.

Si le droit communautaire se caractérise par un principe de neutralité à l’égard de la nature juridique de l’entité économique, quelle soit de statut public ou privé, il encadre par contre fortement toute pratique pouvant porter atteinte à la libre concurrence érigée en principe d’intérêt général communautaire car constituant le fondement du marché unique européen.

Ainsi, l’ordre juridique communautaire influence fortement la capacité des entreprises publiques à poursuivre leur fonction instrumentale au service de l’intérêt général 152 .

Cependant, comme l’a rappelé récemment le président de la commission européenne Romano Prodi 153  : 

‘« avant tout, nous n’exigeons pas – nous ne pouvons pas exiger ( article 295 du traité ) et surtout, nous ne voulons pas – la privatisation des entreprises publiques ».’

Le droit communautaire avec sa règle de neutralité à l’égard des entreprises publiques ou privées ne fait pas obstacle en principe au libre choix du mode de gestion des services publics locaux 154 , sauf directives sectorielles en sens contraire.

Malgré cette déclaration de principe, le rapport du parlement français du 9 juillet 2003 sur ce Livre Vert estime que subsiste un flou juridique en matière de gestion des services publics locaux 155 et demande en conséquence que le principe de libre administration des collectivités locales soit mieux affirmé en la matière.

En mai 2004, la Commission européenne a publié un Livre Blanc sur les services d’intérêt généraux, dans lequel elle s’en tient à une approche sectorielle et repousse à plus tard l’adoption d’une directive cadre pouvant être adoptée dans le cadre du futur traité constitutionnel 156 .

Notes
145.

Ouvrage précité Edition PEDONE p.10.

146.

quelle que soit son statut de droit public ou de société commerciale mixte

147.

Ouvrage précité p 43 :« Contrairement à toute entreprise privée, le principe qui sous-tend la création d’une entreprise publique locale par une collectivité locale vise au développement de son territoire et non au développement de l’entreprise pour elle-même ».

148.

Droit Public Economique LGDJ avril 2001 p 111

149.

Armand Bizaguet intervention dans le cadre du colloque du 12 Novembre 2001 organisé par la section turque du CEEP et portant sur le thème : «  les Entreprises Publiques et d’intérêt économique général dans l’Union Européenne. Leur évolution et leur avenir ».

150.

« Un hiver suisse à deux vitesse ? Managers et administrateurs au défi », Aménagement et Montagne Mai 2003 p. 28.

151.

Bernard Cassen , « Feu sur les entreprises publiques en Europe », Le Monde Diplomatique Novembre 2002 : « Deuxième facteur défavorable : partout dans le monde le bilan des privatisations se révèle très négatif pour les usagers. On citera seulement ici quelques exemples : impositionde l’état d’urgence en Californie à l’été 2000 pour faire face à la pénurie d’électricité provoquée par les mesures de déréglementation ; augmentation brutale des factures d’eau et de téléphone, et parfois dégradation du service dans les pays d’Amérique latine qui s’étaient remis entre les mains de Vivendi, de la Telefonica espagnole ou de France Télécom. ; en douze ans, hausse de 36% en termes réels, du prix de l’eau en Grande-Bretagne ; bond de 60% du prix de timbre en Suède après libéralisation du secteur postal ; chaos du trafic et catastrophes en série ( plus de 60 morts) depuis la privatisation de British Rail, etc. » .

152.

Bernard Thiry ouvrage précité édition PEDONE p.14.

153.

lors d’une conférence portant sur le thème « services publics : un rôle pour l’Europe, une voie de convergence » à l’Université Paris Dauphine le 18 octobre 2002. archives AMF

154.

in Rapport Public du Conseil d’Etat 2002 , « Collectivités publiques et concurrences » , la documentation française p 252 :« Le droit communautaire laisse les Etats libres de créer des services d’intérêt économique général et de les confier, à leur convenance , à des personnes publiques ou à des personnes privées » .

155.

in Gazette des C-D-R du 8/09/2003 , cahier détaché p294 : « A cet égard, il conviendrait de réaffirmer le principe de libre administration des collectivités territoriales. La Conséquence directe de ce principe est que les collectivités territoriales puissent choisir entre différents modes pour l’exécution des compétences qui leur sont reconnues ( gestion directe, ou par une entreprise publique, mixte ou privée), ce qui exclut nullement les procédures de transparences et de mise en concurrence ».

156.

AJDA 17 mai 2004 , p 16.