§3) Absence de remise en cause de la régie dans le cadre d’une réglementation sectorielle sur les remontées mécaniques

La commission de Bruxelles a adopté en juillet 2000 un projet de règlement sur « les exigences de service public et la conclusion de contrat de service public dans les transports de voyageurs » 157 par chemin de fer, par route et par voie navigable soit en dehors du champ d’application des remontées mécaniques.

L’objectif de la Commission à travers ce nouveau règlement est de mieux assurer une interconnexion des réseaux de transports de voyageurs dans ces secteurs d’intérêt communautaire.

Ce texte ne mentionnait pas initialement la possibilité d’exploiter sous forme de régie 158 les transports de voyageurs mais uniquement un régime de contrats de service public. Si ce texte avait été adopté en l’état, il aurait porté atteinte au principe du libre choix de gestion des services publics.

C’est pourquoi des groupes de pression provenant des associations professionnelles des régies de transport concernées 159 et des usagers sont intervenus pour défendre la liberté d’exploitation en régie.

Face aux critiques, les députés du Parlement Européen ont amendé le 14 Novembre 2001 la proposition de règlement de la Commission pour réintroduire la possibilité  pour les autorités publiques d’exploiter elle même un service de transport de personnes au travers d’une entreprise publique sans mise en concurrence préalable selon le concept de l’auto – production.

L’obligation de recourir au seul contrat de service public après mise en concurrence, porterait atteinte non seulement au principe de libre administration des collectivités territoriales , mais également au principe de réversibilité des choix assurant aux délégants la possibilité de modifier le mode d’exploitation à l’échéance du contrat de délégation .

De plus, sur le plan de l’efficience, instaurer un monopole en faveur de la gestion déléguée est très critiquable . A cet égard, la FNCCR fait valoir à juste titre que la régie est un élément essentiel de stimulation de la concurrence 160 si l’on ne veut pas assurer la domination d’ oligarchies économiques au détriment des collectivités délégantes et des usagers.

Cependant, la Commission rejette fondamentalement l’idée qu’un monopole puisse être attribué pour gérer un service public par le recours soit à une régie, soit par une entreprise dont le choix n’aura pas été précédé d’une mise en concurrence.

Aussi, elle a présenté le 21 Février 2001 un projet de règlement rectifié. Celui-ci évolue sur deux points majeurs au regard du principe général de la concurrence : d’une part, en acceptant des attributions de marché sans mise en concurrence dans certains secteurs et sous conditions, et d’autre part en autorisant l’auto-production pour les opérateurs locaux du secteur public.

En ce qui concerne la dévolution directe de certains marchés dont la problématique juridique est différente de l’auto-production, la commission a limité cette possibilité : à tous les petits contrats de service public d’une valeur annuelle inférieure à 3 millions d’Euros , et à certains contrats concernant l’exploitation de métros ou de tramways.

Toutefois, les dérogations communautaires pour les petits contrats sont assorties des procédures d’encadrement connues aujourd’hui sous l’expression de « mécanisme de gestion directe challengée » 161 .

Par comparaison avec le droit interne, ces disposition au regard de la concurrence sont beaucoup moins exigeantes que celles de la Loi SAPIN de 1993. Aussi, la France fait figure en Europe « d’exemple en matière d’ouverture à la concurrence pour l’exploitation des services publics locaux de nature marchande » 162 .

Pour ce qui concerne l’auto-production, c’est à dire le mode d’exploitation en régie, la Commission dans l’exposé des motifs du règlement modifié « reconnaît qu’en règle générale, la législation communautaire laisse les Etats membres libres de décider s’ils souhaitent assurer eux-mêmes les services publics directement ou indirectement (via d’autres entités publiques) ou s’ils préfèrent confier cette charge à des tiers ».

C’est pourquoi, elle se rallie finalement au principe de liberté quant au choix du recours à l’auto-production dans les secteurs de transport de voyageurs mais sans l’assortir d’un monopole d’exploitation , sauf pendant une phase transitoire pour respecter les acquis en ce domaine . Ceci signifie qu’ à terme, d’autres opérateurs privés peuvent librement offrir en parallèles des services supplémentaires commercialement rentables aux habitants locaux.

Si par contre, la collectivité veut associer l’exploitation en régie du droit exclusif sur le réseau, sa décision relèverait alors de la réglementation concernant la dévolution des marchés directs. A delà du seuil annuel de 3 millions d’Euros, cela exigerait que la Régie de transports se soumette à la procédure de mise en concurrence du contrat de service public et obtienne le marché .

Cette obligation ne constituerait pas au demeurant un obstacle juridique insurmontable puisqu’en France, les SEM locales sont déjà soumises à cette procédure.

Par contre, cette disposition est de nature dans certaines circonstances à porter atteinte au mécanisme financier de compensation entre les activités rentables et non rentables au sein de l’exploitation d’un service public et dont l’attribution du monopole a précisément pour objet d’assurer l’équilibre financier de la prestation.

Cette notion de compensation dont le bien fondé a été reconnu par l’arrêt Corbeaudu 19 mai 1993 de la CJCE 163 , est interne à l’exploitation du service et se distingue en conséquence de l’aide financière extérieure apportée par l’autorité publique à l’opérateur à titre d’indemnisation des obligations d’exploitation mise à sa charge.

Cette clause restrictive excluant, sauf dérogations limitées, le monopole de l’auto-production conduit l’ association AGIR à revendiquer la liberté non conditionnée des choix dans les modes de gestion et à rejeter par la même toutes dispositions qui y portent atteinte.

Par ailleurs, le règlement rend obligatoire la conclusion d’un contrat de service public pour toute indemnisation financière de charges liées au respect des exigences de service public ou pour l’octroi de droits exclusifs d’exploitation ( par exemple, en dessous du seuil annuel de 3 millions d’euros)..

Cette exigence de contractualisation pour bénéficier d’aides publiques ne devrait pas en principe modifier les règles de fonctionnement de l’auto-production sachant que , dans la pratique, de nombreuses collectivités ont déjà conclu des conventions d’objectifs en interne avec leurs services 164 ou avec leurs régies au titre des « bonnes pratiques » managériales selon l’expression du droit communautaire.

Il est à noter que le projet de règlement prévoit que cette indemnisation peut inclure un bénéfice raisonnable pour l’opérateur, conforté sur ce point par la très récente jurisprudence précitée Altmark qui conforte une nette évolution de la CJCE à l’égard des aides attribuées en faveur des services publics d’intérêt général.

A part cette exception concernant les réseaux d’intérêts communautaires, « le Livre Vert » sur les services d’intérêt général réaffirme qu’il « incombe aux autorités publiques de décider de fournir ces services directement via leur propre leur propre administration ou de les confier à un tiers ( organisme public ou privé) » 165 . Il n’y donc pas une volonté communautaire de remise en cause générale du principe de l’auto-production.

Quant bien même ce règlement serait étendu aux remontées mécaniques, il ne signifierait pas pour autant la fin des régies pour les motifs suivants.

D’une part, le principe de non exclusivité ne constitue pas un obstacle au mode d’exploitation en Régie. En effet, certaines communes ont sur leur territoire deux domaines skiables, exploitées par des opérateurs différents. Cela dépend de la configuration des montagnes et de l’historique de la station.

D’autre part et plus fondamentalement , le projet de règlement prévoit que pour l’exploitation du métro ou du Tramway l'allocation d’un monopole d’exploitation sans mise en concurrence est possible « si l’attribution directe entraîne une utilisation plus rationnelle des fonds publics ou des éléments d’actif financés au moyen de ressources publiques  ». 166

Cette clause instaure en matière d’exploitation de métro ou de tramway la faculté de recourir sans restriction au mode de gestion en régie en raison des investissements réalisés directement par l’autorité publique.

Cette dérogation doit s’analyser au regard de la philosophie générale du projet de règlement dont l’objet est d’instituer une libre circulation entre les réseaux d’intérêt communautaire.

Or le métro ou le tramway n’ont qu’une vocation locale de transport et en aucun cas ne peuvent constituer un maillage de dimension européenne.

La dérogation instituée en faveur des régies de métro ou de tramway est transposable aux remontées mécaniques pour les mêmes raisons de ressources publiques et de sectorisation locale.

Notes
157.

JOCE 151 E du 25/6/2002 p 146

158.

B. Gelbmann-Ziv : « Cadre juridique et institutionnel du transport de voyageurs », édition CELSE 2ème trimestre 2001, p95 :« Un autre problème posé par ce règlement concerne la possibilité ou non d’exploiter un service de transport sous forme de régie, car les régies ne sont pas prises en compte en compte dans le projet… ».

159.

Notamment les organisations suivantes :

- U.T.P. : Union des Transports Publics

- GART : Groupement des Autorités Responsables des Transports

- AGIR : Association pour la Gestion Indépendante des Réseaux

- FNCCR : Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies

160.

site Internet FNCCR : « Livre vert sur les services d’intérêt général – observations et propositions de la FNCCR ».

161.

et qui consistentselonThomas Avanzata, in « Analyse Générale de la proposition de règlement communautaire sur les exigences de service public dans le secteur des transports », site Internet TUP. :

« dans des obligations de publicité et de motivation, au moins un an à l’avance (article 7 bis et1) ;

- dans l’ouverture d’une possibilité pour tout opérateur de proposer un projet alternatif dans les six mois qui suivent cette publicité ;

- dans l’ouverture d’une obligation pour l’autorité compétente de contrôler périodiquement l’efficacité et les performances des services attribués directement ».

162.

Hugues Vérité , «  Droit français et européen des services publics. Services d’intérêt économique général entre concurrence et cohésion  sociale», in MTP du 12/09/2003 p74.

163.

Cité par J.P Colson, ouvrage précité p49 « Dans cette affaire, la Cour reconnaît même que : La mission impartie à l’entreprise d’assurer ses services dans des conditions d’équilibre économique présuppose la possibilité d’une compensation entre les secteurs d’activités rentables et des secteurs moins rentables et dès lors une limitation de la concurrence …au niveau des secteurs économiquement rentables ».

164.

L.C.T. du 15 Septembre 2003 - p. 54 , à propos des contrats d’objectifs conclus récemment en interne par le Conseil Général du VAR  : « la démarche repose sur la signature officielle de trente contrats d’objectifs qui associent la direction générale des services à l’ensemble des directions et ce pratiquement sur tous les champs d’activités de la collectivité départementale. Quatre axes stratégiques servent de cadre à cet exercice :

- anticipation dans l’action publique,

- innovation

- démarche d’excellence

- optimisation et mutualisation des moyens

Des critères d’évaluation dynamiques ont été négociés pour chaque contrat. Ils autorisent l’évolution même du projet en fonction des résultats et du niveau de satisfaction enregistré par les usagers. Pour chaque contrat, un calendrier a été élaboré » .

165.

énoncé N° 79.

166.

Exposé des motifs du projet rectifié de règlement par la Commission en date du 21/2/2002.