SECTION I – UN STATUT PROTECTEUR DES INTERETS DE LA COLLECTIVITE ORGANISATRICE

§1. Un instrument juridique facile à mettre en œuvre

Le code Général des Collectivités Territoriales avec son article L 2221-1 pose le principe de la liberté du choix du mode d’exploitation des services publics industriel et commercial en ces termes : « Les communes et les syndicats de communes peuvent exploiter directement des services d’intérêt public à caractère industriel ou commercial… » ; dispositions confortées par ailleurs par l’article L 2221-3 du même code :

‘« Les conseils municipaux déterminent les services dont ils se proposent d’assurer l’exploitation en régie et arrêtent les dispositions qui doivent figurer dans le règlement intérieur de ces services ».’

Dans son principe le choix du mode d’exploitation constitue une décision d’opportunité de la part de l’autorité locale et donc insusceptible de recours  167  ; devant uniquement respecter les règles particulières régissant la création ou la suppression du service lorsque celles-ci existent.

C’est même l’expression du principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales fondé sur le 1er article de la loi N°82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, départements et régions 168  .

Ce principe interdit à une collectivité territoriale d’exercer directement ou indirectement une tutelle sur une autre collectivité publique notamment en imposant un mode de gestion plutôt qu’un autre.

En effet, loi du 7 1983, relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat, en son article 3 dispose que «  les décisions prises par les collectivités locales d’accorder ou de refuser une aide financière à une autre collectivité locale ne peuvent avoir pour effet l’établissement ou l’exercice d’une tutelle, sous quelque forme que ce soit, sur celle-ci ».

C’est pourquoi, la Cour Administrative de Bordeaux a cru pouvoir sanctionner un Conseil Général dans la mesure ou il majorait les subventions aux régies d’eau et d’assainissement 169 .

En cassation, le Conseil d’Etat a réformé cet arrêt estimant que les conditions de l’exercice d’une tutelle n’étaient pas réunies 170 et que la modulation du régime des aides n’était que l’expression par le département de son pouvoir d’attribution des concours financiers 171 .

Dans sa décision, la Haute Assemblée prend la peine de préciser que la modulation des aides est somme toute relative et de ce fait n’entrave pas la liberté du choix du mode d’exploitation 172  ; ce qui fait dire aux auteurs de la chronique précitée : 

‘«  le juge est donc conduit à s’interroger au cas par cas sur le point de savoir si un dispositif d’intervention financière conduit à supprimer toute autonomie de décision pour celui qui en bénéficie ».’

En conséquence de quoi, un système de concours financiers privant le bénéficiaire de la liberté du choix du mode d’exploitation de son service public local serait illégal.

La même règle s’imposerait à l’égard d’une collectivité territoriale qui aurait des dispositions discriminatoire à l’égard du mode d’exploitation en régie . Telle semble être la situation dans laquelle le département des Hautes-Alpes veut obliger la commune de St Chaffrey à renoncer à exploiter son domaine en régie , en transférant sa compétence en la matière à structure intercommunale pour unifier le domaine de Serre-Chevalier dans l’optique d’en faciliter la gestion déléguée comme la presse s’en est faîte l’écho :

‘« le conseil général a voté une caution d’emprunt de  1 575 000 d’euros ( soit plus de 10 MF) au bénéfice de la régie communale des remontées mécaniques de Saint Chaffrey….Cette fois, cependant, le département ne se lâchera pas des deux mains. L’octroi de la garantie est, en effet, subordonnée à l’adhésion de la commune de Saint-Chaffrey à la structure intercommunale responsable du domaine skiable de la vallée » 173 .’

Antérieurement, sous l’emprise de la loi du 19 Juin 1979 relative aux transports publics d’intérêt local dite « T.P.I.L. », l’article 3 subordonnait la création et la suppression d’un service de transport public à la prise « d’une délibération portant sur l’intérêt économique et social du projet, sur sa cohérence avec les documents d’aménagement et d’urbanisme et sur les modalités techniques, administratives et financières de l’opération », de sorte que faute d’avoir délibéré sur les points énumérés, la délibération du conseil municipal d’Orcières Merlette décidant la dissolution de la Régie Personnalisée d’exploitation des remontées mécaniques a été annulée par le Conseil d’Etat 174 .

La Loi N° 85-30 du 9 1985 relative au développement et à la protection de la Montagne dite loi «Montagne», n’impose aucun examen préalable au choix du mode de gestion du service des remontées mécaniques alors que par ailleurs, elle prescrit des règles techniques préalables à l’exécution des travaux et à la mise en exploitation. Elle simplifie donc l’adoption de la délibération institutive de la régie.

L’article 14 175 de la loi d’orientation des transports intérieurs n° 82-1153 du 30 Décembre 1982 dite « L.O.T.I. » , sans imposer un formalisme au niveau de la délibération décisionnelle, énonce seulement, des principes généraux gouvernant l’aménagement d’infrastructures et d’équipements  notamment : « l’efficacité économique et sociale de l’opération … les coûts économiques et sociaux dont ceux des atteintes à l’environnement. » .

Selon les dispositions du code général des collectivités locales, la délibération créant la Régie fixe les statuts 176 ( ou règlement intérieur du service 177 ) en fonction du choix opéré entre  Régie Personnalisée ou Régie Autonome.

Dans ces conditions, la procédure juridique de création d’une régie n’est pas du tout complexe et ne nécessite par de recourir à une procédure de mise en concurrence par rapport à la gestion déléguée . Sa simplicité de mise en œuvre constitue une sécurité juridique pour la collectivité de rattachement 178 .

Pour mémoire, le mode de gestion en régie directe ne nécessite pas d’approuver des statuts puisqu’il n’existe pas de différenciation de gestion par rapport à la collectivité de rattachement. N’ayant pas de statuts, les régies directes ne disposent pas en conséquence d’organes délibérants et exécutifs propres à la gestion du service.

Notes
167.

Juris-Classeur Coll. Territ. Fasc 740 , rub. N° 47 : « On notera que le juge administratif refuse d’exercer son contrôle, estimant qu’il s’agit d’une question d’opportunité et non de la légalité, sur le point de savoir si, pour la gestion d’un service public donné et dans l’hypothèse où l’organe délibérant de la collectivité a le choix entre plusieurs modes de gestion possibles, la régie personnalisée est mieux adaptée qu’un tel autre mode de gestion ( CE, 18 mars 1988, Loupias c/Cne Montreuil-Bellay : Juris-Data N° 1988-042170 ; Rec. CE, tables p.668 – 10 janv. 1992, Assoc. Des usagers de l’eau de Peyreleau : Rec. Ce , p13 ; Dr. Adm. 1992, comm. N° 76, 79, 81 ). On relève dans ces arrêts l’affirmation selon laquelle, le Conseil d’Etat , statuant au contentieux, n’a pas à se prononcer sur l’opportunité des choix opérés par l’administration lorsqu’elle choisit ou écarte, dans les limites des pouvoirs que les textes lui reconnaissent, un mode de gestion pour un service public donné ».

168.

«  les communes, départements et régions s’administrent librement par des conseils élus ».

169.

CAA Bordeaux 31 mai 2001, Département des Landes, Req N° 97BX00803. AJDA 2001 P 957.

170.

CE 12 décembre 2003, Département des Landes , N° 236442. AJDA 2 février 2004 p.198 : «  Elle n’a pas subordonné l’attribution de ces aides à une procédure d’autorisation ou de contrôle ».

171.

MM F. Donnat et D. Casas, Chronique générale de jurisprudence administrative française, AJDA 2 Février 2004 , P 198 : « Mais, écartant ces arguments, la décision prend le soin de préciser que le choix par le conseil général d’un tel critère s’est fait dans l’exercice de son pouvoir de détermination des modalités du régime d’aides auquel il avait décidé d’affecter une part des ressources de son budget ».

172.

Ibid : «  en retenant une modulation des subventions d’une amplitude égale à 10% du coût des travaux et en fixant le taux le plus élevé des aides à 40% de ce coût, la délibération attaquée n’est pas de nature à entraver la liberté de choix du mode de gestion de leur réseau par les collectivités bénéficiaires… » .

173.

« Saint-Chaffrey prend ses précautions », Dauphiné Libéré du 19/7/2003, édition des Hautes Alpes.

174.

C.E. 30 Septembre 1988, Cne d’Orcières Merlette, Req. N° 71577.

175.

Applicable en vertu de l’article 45 de la loi « Montagne »

176.

art. R 2221-1 du CGCT

177.

art. L 2221-3 du CGCT

178.

in « Place et rôle des régies communales et intercommunales – enquêtes auprès des collectivités locales » , CETUR Mars 1991 p 8 :«  Or il est plus facile de créer une régie que de démarrer une exploitation là où la demande est faible ; il est peut être aussi moins impérieux d’arrêter une régie , car la sanction économique est moins forte ».