SECTION III – UN STATUT JURIDIQUE NE FAISANT PAS OBSTACLE AU DEVELOPPEMENT DE L’ACTIVITE DE LA REGIE

§1. – Un statut compatible avec l’intervention de la Régie pour le compte de tiers

L’hypothèse d’une Régie délégataire d’une autre collectivité publique est tout à fait plausible juridiquement 225 mais de surcroît envisagée même par l’article L 2221-13 du CGCT 226 .

C’est d’ailleurs , la situation de la régie départementale des sports d’hiver du Haut-Jura qui a conclu des contrats de gérance avec les communes de Bellefontaine, Les Mousselières et Longchaumois 227 . De même, la Chambre Régionale des Comptes a invité la régie départementale des Remontées mécaniques dénommée EPSA à régulariser l’exploitation de la station d’ARTOUSTE en devenant délégataire de la Commune de LARUNS 228 .

Toutefois, le respect des règles du CGCT (art. L. 1411 –1 et s) issues de la « Loi SAPIN » concernant la procédure de passation de convention de délégation de services publics, s’imposent pleinement aux régies comme candidates à la délégation de services publics y compris en matière de gestion de domaines skiables. Il en va de même du respect des règles de procédure du code des marchés publics en matière de dévolution des marchés de prestations de service dont relève désormais le contrat de gérance. 229

Pour valablement se porter candidate, la Régie devra respecter le principe de spécialité de son action à laquelle elle est tenue. C’est pourquoi ses statuts devront prévoir impérativement qu’elle puisse intervenir comme concessionnaire ou exploitante pour le compte de collectivités territoriales en matière de gestion des domaines skiables.

Le principe de spécialité est entendu souplement 230 mais néanmoins, son respect n’est pas seulement formel . Selon J.M Peyrical la candidature d’une régie doit s’apprécier concrètement par l’intérêt qu’elle retire à gérer le service public d’une autre entité publique au regard de sa compétence institutionnelle. 231 Cet argument plaide en faveur de la création d’une régie à vocation départementale des sports d’hiver qui aurait ainsi un intérêt au développement touristique sur l’ensemble de son territoire 232 .

Néanmoins, J.P. COLSON relève que le principe de spécialité n'a pas valeur constitutionnelle 233 et qu'il constitue le pendant de la liberté du commerce et de l'industrie 234 en ayant pour objectif de limiter les possibilités de diversification économique des établissements publics à caractère industriel et commercial. Ce principe est évidemment discriminatoire par rapport à la liberté de diversification de l’entreprise commerciale ou même de l’entreprise publique sous forme d’actionnariat.

Or, cette règle édictée par le droit interne se trouve confrontée au principe communautaire de « neutralité » qui favorise une égale concurrence entre les opérateurs publics et privés 235 , ce qui hypothèque son avenir.

Un autre critère auquel doit répondre un délégataire à l’exploitation d’un service public, est sa capacité financière . A cet égard, une régie même personnalisée ne dispose pas de la possibilité de faire appel aux ressources de ses actionnaires comme le ferait une société privée 236 . Cet élément est de nature à écarter une régie d’une candidature lui laissant à sa charge les investissements à réaliser, comme dans le cas d’une concession de travaux et d’exploitation sauf dans l’hypothèse ou la régie candidate à l’assise financière suffisante comme par exemple une régie départementale. Par contre, le risque financier est beaucoup moindre en cas d’exploitation limitée uniquement au fonctionnement comme en matière d’affermage. Et le risque financier est quasi-inexistant en cas de recours à un marché public de gestion avec la gérance.

La candidature d’une régie comme délégataire d’une autre entité publique, s’insère dans un courant plus global de banalisation des activités économiques des personnes publiques avec celles des personnes privées sous l’effet du droit communautaire dont le principe de neutralité interdit toute discrimination entre les opérateurs fondée sur leur statut public ou privé 237 .

De ce fait, le principe du respect de la Liberté du Commerce et de l’Industrie qui initialement interdisait au secteur public de concurrencer les activités privées, s’est transformé pour ne conserver que l’interdiction de fausser le jeu normal du marché. Pour cela, il faut que les opérateurs publics ou privés intervenant sur un marché soient dans une situation d’égale concurrence .

C’est pourquoi, l’offre de la personne publique est tout à fait recevable 238 à condition de prendre en compte l’ensemble des coûts directs et indirects sans user des avantages découlant par ailleurs des moyens qui lui sont attribués au titre de ses missions de service public 239 .

Le Conseil d’Etat a d’ailleurs confirmé la validité du code des marchés publics issu du décret du 7 mars 2001 en tant qu’il permet d’attribuer des marchés publics à des personnes publiques 240 .

Dans la mesure où les Régies des remontées mécaniques relèvent d’une activité industrielle et commerciale, leur gestion est soumise aux conditions de charges sociales, fiscales et d’amortissement de droit commun . C’est pourquoi, leurs candidatures éventuelles à l’exploitation de domaines skiables s’effectueraient dans des conditions similaires de concurrence à celles des SEM locales ou des entreprises privées. Toutefois, conditions comparables de concurrence ne signifient pas pour autant identiques puisqu’ existent des différences notables entre les entreprises du secteur privé 241 .

Paradoxalement, l’égalité entre opérateurs publics et privés insufflée par le droit communautaire pourrait incidemment favoriser une socialisation de l’économie 242  ; et conforter l’intervention des régies d’exploitation des domaines skiables pour le compte de tiers.

Notes
225.

Eric Delacour , Gazette des C-D-R N° 1435 du 5/01/1998 p.27 : «  la possibilité pour une régie (quelque soit sa forme) d’une collectivité locale ou un groupement de collectivités locales, d’être délégataire d’une autre collectivité publique, a été reconnue après certaines hésitations par les pouvoirs publics » .

226.

 : « Lorsque les régies sont d’intérêt intercommunal, elles peuvent être exploitées :

1° Soit sous la direction d’une commune agissant, vis-à-vis des autres communes, comme concessionnaire ;».

227.

CRC Franche-Comté 24/06/1998 , régie départementale des sports d’hiver du Haut-Jura .

228.

CRC Pyrénées Atlantiques 12 Septembre 2002 EPSA ISESTE : « Il est indispensable qu’une action similaire soit entreprise pour la station d’ARTOUSTE et qu’une convention conforme aux dispositions de la Loi Montagne soit signée entre l’EPSA et la Commune de Laruns ».

229.

C.E 7 avril 1999, Cne de Guilherand-Granges, req N°156008 , AJDA 1999 p517

230.

A. Treppoz :, « Délégation de service public » , AJDA 2001 p. 662 :« L’établissement peut exercer des missions complémentaires présentant un intérêt direct pour l’amélioration des conditions d’exercice de la mission Principale ( Avis – section Travaux CE 15 Juillet 1992 relatif à la RATP, EDCE 1992, n° 44, p.435 ; Avis CE 7 Juillet 1994 relatif à la diversification des activités d’EDF, RFDA 1994, p.1156) » .

231.

J.M. Peyrical : « Les contrats de prestation entre collectivités publiques » ,AJDA 2000.P 581 : « Quel peut être l’intérêt pour une commune de gérer le service public d’une autre commune ? Il est tout de même paradoxal qu’une collectivité délégataire soit amenée à utiliser des moyens financiers, humains et techniques importants en vue de satisfaire les besoins d’une population qui n’est pas la sienne » .

232.

Par un jugement du 21 Nov 2002, C.G.E C/Cne de St Michel, le Tribunal Administratif d’Amiens a toutefois estimé que l’extension des missions d’un syndicat de communes au delà de sa sphère territoriale institutive n’était pas contraire au principe de spécialité ; cité par MM L. Richer, P-A Jeanneney et N.Charbit, in «  études d’ actualités du droit de la concurrence et de la régulation », AJDA 19 janvier 2004, p.73.

233.

in Droit Public Economique L.G.D.J. Avril 2001- P.71 :« Elément constitutif de la théorie des personnes morales, le principe de spécialité n’a reçu, à ce jour, aucune consécration constitutionnelle, bien qu’il soit constamment évoqué depuis plus d’un siècle »..

234.

J.P. Colson - ouvrage précité p. 65 : « Pierre Delvolve, prenant acte de la montée en puissance de la liberté d’entreprendre, estime désormais que celle-ci englobe la liberté du commerce et de l’industrie et non l’inverse. Cette approche est intéressante si l’on veut bien considérer que, alors que la liberté d’entreprendre concerne à priori tous les acteurs économiques , la liberté du commerce et de l’industrie n’est le plus souvent évoquée que de façon asymétrique, pour limiter les possibilités d’entreprise de la puissance publique. A ce titre, elle date en effet un peu et constitue plus au mieux, qu’un aspect un peu vieillot de la liberté d’entreprendre, tout comme le principe de spécialité, qui limite les possibilités de diversification des activités économiques des établissements publics ».

235.

J.P. Colson - ouvrage précité p.71 :« Mais il faut immédiatement souligner que le droit communautaire s’oppose certainement à ce qu’une éventuelle consécration nationale de ce principe aboutisse à une limitation à priori de la liberté des seuls opérateurs publics . Le droit communautaire consacre la liberté de la concurrence et à travers elle, l’égalité entre les opérateurs publics et privés dans l’accès au marché et non pas la liberté du commerce et de l’industrie, dans l’acceptation volontiers restrictive du droit positif national ».

236.

J.M Peyrical , article précité : « De même, en cas de difficulté financière liée à l’exécution du service, une régie financière autonome ne peut compter sur des ressources propres ou, à l’instar des entreprises, sur ses actionnaires pour y faire face. Et, dans le cas de la gestion des services publics industriels et commerciaux , les régies en question ne peuvent qu’exceptionnellement se faire aider par le budget de la collectivité dont elles relèvent … » .

237.

En ce sens, article de Armelle Treppoz « Délégation de service public » in AJDA 2001 p 662. Commentaire sur l’arrêt du Conseil d’Etat du 16 Octobre 2000, Req. n° 212.054, Compagnie Méditerranéenne d’Exploitation des services d’eau in AJDA 2001 p 662 ..

238.

Avis du Conseil d ‘Etat du 8 Novembre 2000 , N° 222 208 , Affaires Jean-Louis Bernard Consultants in AJDA 2000 p 1066 : « aucun texte ni aucun principe n’interdit, en raison de sa nature, à une personne publique de se porter candidate à l’attribution d’un marché public ou d’un contrat de délégation de service public ».

239.

En ce sens T.A. de DIJON , Jugement 20 Février 2002 , Sté Jean-Louis Bernard Consultants , Req N° 99 245, in AJDA 17 Mars 2003 p. 473.

240.

CE 28 AVRIL 2003 « Fédération nationale des géomètres experts et autres » Req N°233360 in MTP du 8/08/2003 p 47 avec le commentaire suivant : «  Le Conseil d’Etat, en admettant la validité du 1 er alinéa du I de l’article 1 er du code des marchés publics, confirme sa position émise dans l’avis contentieux du 8 novembre 2000 société jean louis Bernard consultants. Toutefois, cette solution de principe reste soumise aux conditions posées par ledit avis selon lequel une personne publique qui se voit attribuer un marché public doit être en mesure de démontrer qu’elle n’a pas bénéficié d’un avantage concurrentiel indu ».

241.

Conclusions de Mme Catherine Bergeal sur l’avis précité du Conseil d’Etat du 8 Novembre 2000 , cité par Pierre Collin et Mathias Guyomar, dans l’article : « les conditions relatives à la candidature d’un établissement public administratif à un marché ou à une délégation de service public », AJDA 2000 p 987 : « Les différences peuvent être grandes entre la petite entreprise artisanale et la filiale d’un grand groupe international, soumissionnaires au même marché et dont les obligations sociales et fiscales peuvent être différentes » .

242.

Réflexion en ce sens Olivier Berthelot : « Liberté du commerce et de l’industrie et transferts de compétences : socialisation de l’économie ou privatisation du service public ? » in AJDA 14/04/2003. p707.