§3) Evaluation des fonctions dévolues aux conseils d’administration et d’exploitation des régies

A première lecture, le décret du 23 février 2001 procède d’une conception relativement administrative du fonctionnement des conseils d’administration et d’exploitation des régies, se limitant à fixer à titre principal leur organisation et leurs attributions.

Les dispositions du CGCT n’évoquent pas explicitement la mission collective de ces organes délibérants, ni la responsabilité individuelle des administrateurs.

En ce qui concerne la mission collective des organes délibérants , celle-ci n’est pas clairement affichée par le décret du 23 février 2001 en terme d’objectifs mais cette lacune se retrouve également dans le statuts de nombreuses sociétés commerciales ; ce qui explique l’action des associations professionnelles en ce domaine pour améliorer le management des entreprises au travers de la publication d’études tendant à favoriser l’amélioration d’une bonne gouvernance 499 .

Néanmoins, des pouvoirs attribués réglementairement aux conseils d’administration et d’exploitation, il est possible de déduire le rôle assigné à ces instances.

L’obligation faîte à l’organe de direction d’une régie autonome de consulter le conseil d’exploitation sur «  toutes questions intéressant le fonctionnement de la régie » 500 , doit s’interpréter comme conférant à ce dernier prioritairement la mission de collaborer à la définition de la politique stratégique de la régie.

Pour sa part, le conseil d’administration de la régie personnalisée bénéficie d’une compétence largement définie par l’article R 2221-18 du CGCT qui lui garantit la même attribution.

Cette fonction d’orientation générale de la politique revenant aux instances délibérantes des régies, est comparables au rôle dévolu au conseil d’administration d’une société commerciale 501  ; et ceci est à mettre en parallèle avec les attributions réglementaires de gestion courante revenant à l’organe de direction de la régie ou de la société commerciale.

Le droit belge relatif aux régies communales autonomes, lesquelles s’apparentent au régime juridique des régies personnalisées de droit français, prévoit que : « chaque année, le conseil d’administration doit établir un plan d’entreprise fixant les objectifs et la stratégie à moyen terme de la régie communale autonome » 502 .

Cette fonction pourrait être précisée dans les statuts des régies .

Ce rôle primordial de fixer les objectifs de développement de l’entreprise de la régie, n’ôte pas à ces instances le pouvoir de surveillance de l’action menée par le directeur puisque le conseil d’exploitation dispose du pouvoir de procéder : « à toutes mesures d’investigations et de contrôle » 503  ; cette précision d’attribution n’ayant pas besoin d’être énoncée pour le conseil d’administration eu égard à sa compétence largement définie par l’article R 2221-18 du CGCT

Les instances délibérantes devront trouver un juste équilibrer entre la liberté d’action reconnue au directeur et leur intervention dans la vie de l’entreprise de la régie d’exploitation des remontées mécaniques tout comme cette question se pose également dans la gestion des sociétés commerciales. 504

Il reste aux instances délibérantes des régies a faire preuve de culture d’entreprise ce qui ne se décrète pas mais se pratique , d’où la nécessité peut être d’établir un statut d’administrateur des régies locales comme celui de l’élu municipal en prévoyant un droit à la formation.

La richesse de la composition des conseils d’administration et d’exploitation, par la présence d’administrateurs sans lien de subordination avec la collectivité de rattachement, est comparable à l’existence d’administrateurs indépendants existant dans les sociétés commerciales américaines et anglaises ; dont la justesse du principe est reconnue par de nombreuses études mais dont le Législateur n’a pas encore rendu leur présence obligatoire pour les sociétés de droit national.

La participation des « personnes …n’appartenant pas au conseil municipal » 505 au sein des conseils d’administration et d’exploitation sera d’autant plus forte dans le domaine d’exploitation de remontées mécaniques, qu’il s’agit de personnalités impliquées dans la vie de la station. Elles auront donc tendance à vérifier l’exactitude des données financières communiquées par la direction de la régie avec les autres indicateurs en leur possession sur l’activité économique locale.

L’objectif de la présence des administrateurs indépendants dans les sociétés commerciales est double . Il ne s’agit pas simplement de garantir la transparence des comptes fournis par la direction générale en raison de l’exercice par leurs soins d’un contrôle perspicace, mais aussi d’ assurer la prise en compte des intérêts financiers de l’ensemble des actionnaires lorsque la société commerciale comporte un actionnariat dominant 506 .

De ce point de vue, la participation d’acteurs de la station à la gestion des remontées mécaniques en régie, sera aussi d’avoir une vision globale du développement économique dépassant le strict intérêt commercial de la régie concourrant ainsi à lui maintenir sa spécificité d’entreprise publique poursuivant une mission d’intérêt économique général au service du développement d’un territoire.

De surcroît , en matière de gestion de domaine skiable, la participation de personnes qualifiées au sein des conseils d’administration et d’exploitation apporte également leurs pouvoirs d’expertise. C’est ainsi qu’un directeur d’office de tourisme verra au travers des manifestations sportives et de loisirs organisées par la régie pas uniquement la rentabilité immédiate comme le directeur , laquelle peut être aléatoire commercialement, mais surtout la notoriété de la station constituant un investissement sur le long terme pour son développement.

L’autre mission essentielle du conseil d’administration d’une société commerciale est désigner son directeur général 507 ainsi que de fixer de sa rémunération 508 .

Il ne faut pas concevoir cela en terme de pouvoir plus ou moins étendu, mais de contribution au bon fonctionnement de l’entreprise par l’établissement d’une lien managérial solide entre l’instance stratégique et sa direction opérationnelle.

Or, au regard des seules dispositions réglementaires, l’implication des conseils d’administration et d’exploitation des régies en matière de désignation du directeur est nettement en retrait par rapport aux exigences d’une bonne gouvernance ; mais les statuts particuliers peuvent néanmoins être aménagés dans le sens des usages dans les sociétés commerciales

En effet, c’est l’assemblée délibérante de la collectivité de rattachement qui procède seule à la nomination du directeur de la régie autonome sur proposition de son Exécutif 509 , et ce sans consultation du conseil d’exploitation. Ce dernier est cependant sollicité pour donner son avis en cas de remplacement du directeur 510 ce qui est paradoxal.

En ce qui concerne le directeur d’une régie personnalisée, il est désigné par l’assemblée délibérante de la collectivité de rattachement sur proposition de son Exécutif et nommé ensuite par le Président du conseil d’administration de la régie 511 . Ainsi, le conseil d’administration n’intervient pas non plus.

Cette lecture très fidèle du décret du 23 février 2001 peut aussi être associée aux autres dispositions du C.G.C.T donnant une large compétence à titre consultatif pour le conseil d’exploitation et à titre décisionnel au conseil d’administration, pour les faire intervenir dans le processus de désignation du directeur.

C’est l’option retenue par les rédacteurs de l’ouvrage déjà cité « Formulaires du Maire » , dans la rédaction de modèles de statuts de régie personnalisée 512 et de régie autonome 513 .

En ce qui concerne la détermination de la rémunération du directeur, le conseil d’exploitation est consulté avant son arrêt par l’assemblée délibérante de la collectivité de rattachement sur proposition de son Exécutif 514 .

Quant au directeur de la régie personnalisée, aucune disposition expresse n’est prévue pour la détermination de sa rémunération et cette absence de prescription réglementaire est interprétée comme relevant de la compétence générale du conseil d’administration.

Par ailleurs, pour certains 515 , en cas de régie autonome, l’existence du conseil d’exploitation ne serait pas justifiée dans la mesure ou sa mission consultative pourrait être assurée par une « simple commission municipale » en application de l’article L 2143-2 du C.G.C.T ; et qu’au demeurant, il existerait un doublon avec l’existence du comité consultatif sur le fonctionnement des services publics locaux créé en application de l’article L 2143-4 du CGCT

Cette critique n’est pas fondée.

D’une part, au delà de la dénomination «  commission municipale » ou « conseil d’exploitation » , l’important est que la fonction consultative pour la gestion du service industriel et commercial soit effectivement remplie. Le fait d’instituer un conseil d’exploitation avec des compétences définies réglementairement ne peut que renforcer la participation effective de ses membres à la gestion de la régie qui en matière de remontées mécaniques est d’intérêt général pour l’ensemble de la station.

D’autre part, même en cas de recours à la régie personnalisée ou à la gestion déléguée, l’existence d’un comité consultatif sur le fonctionnement des services publics locaux est obligatoire dans les collectivités de plus de 10 000 habitants 516 . En effet, les attributions de cet organisme ne consistent pas à participer à la gestion courante comme le fait un conseil d’exploitation, mais de s’assurer de la transparence de la gestion locale au regard des principes généraux applicables au service public et en particulier de la prise en compte des intérêts des usagers locaux rejoignant la notion de défense des consommateurs . Ainsi la mission attribuée à ce comité consultatif est beaucoup plus réductrice que celle assignée au comité d’exploitation et ne saurait donc être comparable.

Enfin, l’Institut Canadien des Comptables Agréés (ICCA) dans un rapport de Novembre 2001 intitulé : « Au delà de la conformité, la Gouvernance » relève que les dispositions récentes prises dans le monde anglophone des affaires pour responsabiliser individuellement les administrateurs a des conséquences négatives en terme de désengagement de leurs participation à la gestion des sociétés 517 .

Appliquée au rôle des administrateurs des régies, cette réflexion est d’autant plus pertinente qu’il ne s’agit pas d’administrateurs-actionnaires, mais de bénévoles en qualité soit d’élus ou de personnalités qualifiées .

Sauf « faute personnelle détachable de ses fonctions  d’administrateur» 518 , la sanction d’une mauvaise gestion ne sera pas civile et/ou pénale mais d’abord politique pour les élus de la collectivité de rattachement lors des échéances électorales.

Quant aux personnalités qualifiées, celles-ci sont normalement des représentants des acteurs de la station soit institutionnels ( office de tourisme) soit privés ( associations de commerçants ou d’hébergeurs). La sanction sera indirectement pour eux d’ordre économique du fait des répercutions négatives au plan local d’une défaillance de la régie d’exploitation des remontées mécaniques.

Notes
499.

P. Merle : « Sociétés Commerciales », Dalloz, 9ème édition, p277 : «  Dans la ligne des rapports Viénot I et II, le rapport Bouton a apporté en septembre 2002 sa contribution à une meilleure gouvernance des entreprises cotées. Il tente de préciser le statut des administrateurs indépendants, le rôle des comités nommés par les conseils d’administrations. Il présente également des suggestions pour une meilleure crédibilité des comptes sociaux, dont certaines ont été reprises dans la loi de sécurité financière du 1 er août 2003 ».

500.

Art. 2221-64 du CGCT

501.

Art L 225-35 C. Com issu de la loi NRE du 15 mai 2001 : « Le conseil d’administration détermine les orientations de l’activité de la société et veille à leur mise en œuvre » .

502.

Pascale Blondiau : « Intercommunales et régies communales autonomes », Janvier 2000 sur site de l’Union des Villes et Communes de Wallonie uvcw.be

503.

Art. R 221-64 du CGCT à comparer à l’art. L225-35 al.1er C. com , le conseil: “ se saisit de toute question intéressant la bonne marche de la société et règle par ses délibérations les affaires qui la concerne ».

504.

in rapport « Au delà de la conformité, la gouvernance », extrait du chapitre : « Améliorer l’efficacité du conseil d’administration », brochure novembre 2001, site de l’Institut Canadien des Comptables Agréés : « La relation du conseil d’administration avec la direction est vitale pour une saine gouvernance. C’est une relation qui exige sans cesse le maintien d’un équilibre délicat. Pour cela, il faut que la direction et le conseil comprennent bien leurs rôles respectifs, que chacun respecte la manière dont l’autre s’acquitte de son rôle, et qu’ils dialoguent et communiquent entre eux d’une façon continue et ouverte. Un solide leadership au sein du conseil est aussi essentiel ».

505.

Art R 221-4 du CGCT

506.

in Rapport Viénot II p 17, MEDEF : « Le comité confirme que la présence d’administrateurs réellement indépendants en nombre suffisant dans les conseils d’administration et dans les comités du conseil est un élément essentiel de la garantie de la prise en compte de l’intérêt de l’ensemble des actionnaires dans la décisions de la société ».

507.

Art. L 225-51-1 al. 1er C.com

508.

Art. L 225-51-1 al. 3 C.com

509.

in J.CC.T Fasc N° 740, rub N° 49 : “ Le directeur de la régie est nommé par l’organe délibérant de la personne publique locale, sur proposition de son organe exécutif » .

Ce mode de désignation résulte de la conjugaison des dispositions des articles R 2221-67 et L 2221-14 du CGCT.

A ce sujet, la circulaire ministérielle du 5 mars 2001 semble faire abstraction du renvoi de l’article R 2221-67 aux dispositions de l’article L 2221-14 en simplifiant les conditions de nomination du directeur en ces termes : «  Le directeur …nommé par le Maire ».

510.

Art. R 2221-68 du CGCT.

511.

Art R 2221-21 du CGCT

La rub N°74 du Fasc N° 742 du J.C.C.T indique seulement : « En application de l’article L 2221-10 du code général des collectivités territoriales, le directeur de la régie est nommé par le conseil municipal ( ou l’organe délibérant de la personne publique locale) sur proposition du maire ( ou de l’organe de la personne publique locale concernée) » ; et de ce fait oublie totalement les dispositions de l’article R 2221-21 qui après l’accomplissement de cette phase, prévoient l’intervention du Président du conseil d’administration comme le précise très justement la circulaire du 5 mars 2001.

512.

Le directeur de la régie est nommé par le conseil municipal sur proposition du maire et après avis du conseil d’administration ».

Toutefois cette rédaction omet l’intervention réglementaire du Président du conseil d’administration.. Aussi, il conviendrait d’écrire :

« Le Président du Conseil d’Administration nomme le directeur après désignation par le conseil municipal sur proposition du Maire. Sa décision est précédée de la consultation du conseil d’administration ».

513.

Le directeur de la régie est désigné par le conseil municipal sur proposition après avis du conseil d’exploitation ».

Le décret du 23 février 2001 ne prévoyant pas l’intervention du président du conseil d’exploitation dans la nomination du directeur, la rédaction proposée est donc acceptable à la condition de substituer le verbe « nommé » à celui de « désigné ».

514.

Art. R 2221-73 du CGCT.

515.

En ce sens, J.C.C.T. Fasc N° 740, rub° 46 et 47. 

516.

depuis la modification du seuil de population issue de loi du 27 février 2002 dite de « démocratie de proximité ».

517.

Extrait du chapitre : « l’importance de la transparence » in rapport précité ICCA : « Songeons , par exemple, à la modification de la réglementation qui a rendu les administrateurs personnellement responsables des obligations des sociétés, en leur donnant qu’un droit limité d’invoquer une défense de diligence raisonnable. Bien que le but recherché ait été d’imposer une responsabilité plus lourde aux administrateur, en pratique cette modification a eu pour effet de dissuader des personnes compétentes et qualifiées de devenir administrateurs, particulièrement au sein de petites sociétés. Dans certains cas, en outre, d’excellents administrateurs se sentent obligés de démissionner lorsque leur société se retrouve en difficulté, au moment même où, par une curieuse ironie, leur présence serait plus nécessaire que jamais .L’information est non seulement préférable pour modifier le comportement , mais elle est aussi plus appropriée ».,

518.

S’inspirant du droit administratif, la chambre commerciale de la Cour de cassation par un arrêt du 20 mai 2003 a défini la notion de faute séparable des fonctions du dirigeant social. En ce sens note de B. Dondero in ouvrage précité « Le droit des sociétés pour 2004 », p143.