§2. Les spécificités de la comptabilité publique

Si la comptabilité publique sous sa forme industrielle et commerciale avec la M4 a intégré les principes de bases de la Comptabilité privée (permanence des méthodes, indépendance des exercices, principes de prudence et de sincérité) ainsi que l’architecture du Plan Comptable général (nomenclature commune, classement par nature, documents de synthèse favorisant une meilleure information ), il n’en demeure pas moins qu’elle conserve des spécificités.

Il s’agit des mécanismes budgétaires fondamentaux de l’existence des deux sections de fonctionnement ( ou d’exploitation pour les SPIC) et d’Investissement, de la séparation de l’ordonnateur et du comptable.

Cette organisation de la comptabilité publique se démarque de la comptabilité privée.

Tandis que la séparation entre « ordonnateur et comptable » est présentée par la majorité de la Doctrine comme étant une source de rigidité comptable 585 et donc, comme un frein au développement économique, il est possible de revisiter cette appréciation au regard des déboires de la comptabilité privée suite à sa mise en cause résultant des scandales financiers récents illustrés notamment par la faillite de l’Entreprise Enron. 

L’enseignement de ce scandale a mis en lumière la « défaillance des gardiens » des normes comptables et la cause est en partie due par la subordination financière des cabinets comptables et d’audits envers leurs entreprises clientes 586 ;  ce qui n’existe pas dans la comptabilité publique puisque le comptable public du Trésor est financièrement indépendant de l’ordonnateur.

De même, la rigueur des mécanismes de la comptabilité publique constitue un garde-fou contre la manipulation des comptes par comparaison avec les scandales financiers affectant les entreprises commerciales et en particulier évite les sur-évaluations concernant l'actif.

Dans le cadre de la comptabilité publique : « le bien s’inscrit à l’actif pour son coût historique, c’est à dire le coût d’acquisition ou de réalisation auquel s’ajoutent les adjonctions qui y ont été apportées » 587 . Il en va de même pour l’évaluation des stocks. Cette insensibilité de la comptabilité publique aux cours du marché a été critiquée par les analystes financiers 588 .

Mais, il n’en demeure pas moins exact que le retraitement des valeurs de l’actif et des stocks pose plus de problèmes théoriques qu’il en résout 589 et ouvre en outre la porte à des manipulations comptables 590 .

Par sa rigueur, la comptabilité publique concourt à garantir une transparence de l’information financière faisant parfois défaut dans certaines comptabilités commerciales 591 .

D’ailleurs, à propos d’office de tourisme géré sous forme associative et donc relevant de la comptabilité privée, une chambre régionale des comptes a pu préconiser l’adoption d’un EPIC pour le motif suivant :

‘« cette solution offerte aux stations classées, présente une sécurité juridique supérieure en soumettant l’organisme aux règles de la comptabilité publique » 592 .’

Il résulte d’une enquête « qualité » réalisée par l’institut TNS- SOFRES à la demande du Ministre des Finances et du Budget au printemps 2003, que les collectivités locales affichent un taux de satisfaction globale de 86 % dans leurs relations avec leurs comptables du Trésor, le principe de la séparation ordonnateur – comptable n’est d’ailleurs pas vécu comme pénalisant : 49 % de très satisfaisant et 42 % de satisfaits 593 .

Notes
585.

J.P.COLSON, ouvrage précité, p. 316 : «l’adoption d’une comptabilité commerciale se vérifie dans toutes les entreprises publiques constituées sous forme de société. Elles échappent ainsi aux rigidités habituelles de la comptabilité publique, notamment la séparation des ordonnateurs et des comptables ».

586.

Jacques Mistral in : « Les normes comptables et le monde post-Enron » p. 16., site du Conseil d’Analyse Economique auprès du Premier Ministre : « Les firmes d’audit sont des entreprises qui mettent à la disposition de leurs utilisateurs une ressource particulière, leur capital réputationnel. Pour un auditeur, valider la pratique qualifiée plus haut de « comptabilité à haut risque », c’est mettre en péril sa réputation.

D’où est venu un comportement moins vigilant à cet égard ?

On peut trouver deux facteurs allant dans ce sens.

- Premièrement, on note un recul de la supervision que l’on retrouvera dans les dispositions de la Loi SARBANES – OXLEY. On a pu établir que la SEC avait régulièrement mis en cause des membres des cinq grands Cabinets d’Audit dans la décennie quatre vingt. Mais que ces actions s’étaient raréfiées pendant la décennie suivante (une seule ayant été alors amenée, déjà contre Arthur Andersen). Cette tendance réduit les risques – et donc les coûts – liés à l’effritement du capital relationnel.

D’un autre coté, les firmes d’audit ont considérablement diversifié les affaires menées au service de leurs clients. Et cela change la relation. Dans la situation antérieure, il est coûteux pour l’entreprise de se séparer d’un auditeur que manquerait de flexibilité en matière comptable. Dans le régime des années quatre vingt dix, au contraire, c’est l’auditeur qui résiste plus difficilement à une pression de son client à qui il est aisé de mettre fin à des contrats lucratifs ; l’auditeur se trouve dans la main d’un management dont on a caractérisé les motivations plus haut».

587.

M.T. Bidart et J.C. Morand : «  M14 : la Comptabilité des Communes » - Berger Levrault, 6ème Edition, p.192.

588.

M. Dohy, article précité : «  L’intérêt d’une juste évaluation du patrimoine, des actifs, paraît encore limité pour des entités devant assurer une mission de service public et qui ne sont soumises ni à la pression ou au contrôle d’actionnaires et aux arbitrages boursiers ».

589.

Ouvrage précité  « Les normes comptables et le monde post Enron » résumé p.141 : « le rapport examine en profondeur le concept de la fair-value, sans nul doute la pierre angulaire du projet IASB. Aucun économiste ne contestera le caractère à la fois plus utile et plus approprié de mesurer les actifs et les engagements à leur fair-value , plutôt qu’à leur coût historique. C’est vrai, dans un monde idéal, avec des marchés complets et efficients ».

Dans ce cas, on peut généralement se référer à une évaluation au prix du marché, c’est le Marked to market . Mais lorsque cette référence n’existe pas, on se réfère à une évaluation à partir de modélisations, c’est le marked to model. On est ainsi passé du concept de la fair value à celui de la full fair value, critiquable car s’appuyant sur les hypothèses ad hoc de modèles. Le principe de la fair value est ainsi critiqué car, faisant justement référence à la valeur instantanée du marché, devenue extrêmement volatile, il pourrait exercer des effets pro-cycliques très dommageables sur l’économie » .

590.

J.Mistral, in ouvrage précité, p.10 : «  Evaluer les actifs à leur coût historique, comme on le faisait traditionnellement, constitue une référence apparemment objective mais objectivement trompeuse. Qu’il s’agisse d’un bien matériel ou d’un titre financier, l’idée de « mieux » mesurer la contribution de cet actif à la richesse de l’entreprise s’impose assez naturellement. C’est ce que l’on appelle la «  fair value », laquelle sera d’autant plus correctement mesurée qu’il existe un marché profond et pas trop volatile auquel on puisse se référer pour procéder à cette évaluation. Mais ce n’est pas le cas général, la juste évaluation d’actifs peu liquides soulève de redoutables obstacles (cf.infra) et c’est elle qui peut grossièrement induire en erreur. C’est en inventant des transactions fictives avec des filiales cachées et en prenant ces transactions comme étalon de la « juste valeur » qu’Enron est parvenu à gonfler la valeur de certains de ses actifs peu productifs .. » .

591.

E. Cohen, in « Les normes comptables et le monde post- Enron » précité, p. 107 : « A la base de la règle du jeu passée, il y avait la croyance en la sincérité  des comptes publiés par l’entreprise, audits validés, consacrés par des professionnels intègres. Sur cette base , les investisseurs prenaient leurs décisions » .

592.

C.R.C. PACA 26 Juin 2000, Commune d’Isola.

593.

in site MINEFI , bulletin n° 13, 4 Décembre 2003.