INTRODUCTION

J’ai pour l’obtention de mon D.E.A. en Sciences de l’Education, travaillé sur les concepts de ‘ « Nature et de Connaissance dans le mouvement de l’Education Nouvelle  ’». Ce travail m’a amené à questionner dans un premier temps J-J. Rousseau, l’un des premiers a avoir interrogé ce lien entre Nature et Connaissance ; dans un second temps j’avais étudié les positions respectives de trois pédagogues à la fois complémentaires et très opposés sur ce sujet, à savoir Maria Montessori (1870-1952), Célestin Freinet (1896-1966) et Jean Piaget (1896-1980) ; pour aboutir dans un troisième temps à un questionnement plus précis sur ces concepts de Nature et de Connaissance dans le mouvement de l’Education Nouvelle. J’ai donc par ce travail, commencé à découvrir plus précisément Célestin Freinet sur ce sujet, en présupposant déjà dans ma réflexion une certaine dimension sociale de la connaissance chez ce pédagogue. C’est donc, notamment, à partir de ce premier travail de recherche sur ce pédagogue, que j’ai été encouragé à travailler et à poursuivre ma réflexion en vue de l’obtention d’une thèse.

Célestin Freinet, fut un éducateur au sens plein du terme, c’est à dire que pour lui l’éducation rassemble pratique, éthique et politique. Contrairement à la représentation actuelle, il ne parle jamais de ‘ « pédagogie Freinet  ’». Il emploie le plus souvent l’expression ‘ « techniques Freinet  ’», éventuellement ‘ « méthodes  ’» au sens de ‘ « stratégies cognitives naturelles  ’» ou de ‘ « la méthode  ’», et sur la fin de sa vie de ‘ « la technique Freinet  ’» en tant que pédagogie pratique ; pour insister sur la dimension qu’on dirait aujourd’hui praxéologique de son action. Celle-ci en effet est toujours incluse dans une perspective politique globale de construction d’une société plus humaine à partir d’une conception de l’éducation centrée sur la confiance dans les capacités créatrices de l’enfant. Mais un enfant qui n’est pas idéalisé ou sorti de son contexte social et culturel, comme peut se porter l’objection chez Maria Montessori.

A partir de l’étude des ouvrages et des différents articles de Freinet que j’ai pu recueillir, j’ai tenté d’analyser Le projet de socialisation de l’enfant dans la pédagogie de Célestin Freinet – Socialisation, Individualisation, Moralisation.

L’histoire des institutions pédagogiques manifeste un caractère social primordial en toute éducation. Il n’y a pas de société humaine sans un système pédagogique. Toute société en effet se renouvelle indéfiniment par l’accession de membres jeunes. Aucune prédisposition native, spécifique ou ethnique, ne prépare les jeunes à entrer dans une forme déterminée de groupement, et la société commence elle-même par regarder l’être naissant comme étranger à sa propre structure. D’où la nécessité, pour qu’il y soit admis, d’une série de rites appropriés qui ponctuent les phases de son développement physique et mental. On peut dire que les cérémonies d’initiation jouent ce rôle dans les sociétés dites primitives, comme les actes de l’état civil, les examens et les concours dans les sociétés civilisées.

Réciproquement, il n’y a pas d’éducation sans société. Aucun individu humain ne demeure voué, en effet à une existence purement biologique, c’est dire à l’isolement complet. Aucun non plus ne peut atteindre de lui-même et par ses seules forces aux degrés supérieurs de l’existence spirituelle. La vie sociale s’inscrit entre les deux, comme le moyen de se dégager de la première et d’accéder à la seconde. Pour réaliser cet affranchissement, dans la mesure où il est possible, l’individu dispose, non pas tant de ses propres forces qui sont au contraire toutes engagées dans les processus de la vie biologique, sa nature, mais de tous les moyens extérieurs que lui offre la longue suite des générations antérieures. Toute éducation se fait donc par l’intermédiaire de la génération qui, parce qu’elle est parvenue à l’état adulte, est actuellement dépositaire de cette expérience accumulée.

Ainsi la société s’incorpore l’être jeune dont elle a besoin pour se perpétuer, et l’être jeune s’assimile la société dont il a besoin pour se maintenir et se développer. Le système pédagogique de chaque société répond à cette double exigence.

Freinet a, à ce propos, établi des relations entre la société et le rôle de l’éducation. Il a développé une véritable pédagogie de la socialisation ou la nature de l’enfant va devoir être respectée, et a proposé aux éducateurs ‘ « un code des bonnes conduites éducatives  ’» que sont les invariants pédagogiques. Ces derniers vont donner en effet aux éducateurs des orientations quant au respect de la nature de l’enfant mais également des conseils pour suivre le développement naturel de l’enfant au cours des âges. Freinet a alors tenté de développer une méthode naturelle de socialisation de l’enfant en prenant en compte le tâtonnement expérimental de l’enfant.

Il a véritablement développé une éducation et une politique du travail à l’école. Tous les partisans de cette pédagogie s’accordent pour proclamer indispensable la combinaison de l’effort collectif avec l’effort individuel et solitaire. Cependant Freinet n’apporte pas essentiellement une méthode mais des techniques qui supposent un matériel. C’est la découverte de l’imprimerie à l’école qui fut le point de départ de cet effort dans le domaine des techniques pédagogiques. Le procédé ne se limite pas à diriger le goût des enfants pour les exercices manuels vers la pratique rudimentaire de l’imprimerie. Il fait de la composition du texte, imaginé, écrit et ensuite composé en lettres d’imprimerie par l’enfant le centre d’intérêt de la journée scolaire.

Freinet va alors nous proposer de mettre en place un contexte scolaire social et coopératif, dans lequel il accordera une importance égale à l’individualisation des apprentissages qu’aux enseignements personnalisés. L’enfant va avec Freinet être socialisé par les apprentissages. En effet, lorsque l’enfant manipule, expérimente de façon individuelle et collective, il se socialise. Enfin et surtout, les enfants ayant contracté l’habitude de s’exprimer avec une entière liberté, dès l’âge le plus tendre, dans leurs petites compositions, le maître apprend à connaître chacun d’eux avec sa personnalité intuitive, sans imposer à aucun le moindre refoulement affectif. Tout l’effort éducatif peut être parfaitement adapté à chaque sensibilité individuelle. Freinet établit donc une personnalisation des apprentissages et développe des apprentissages individualisés. La socialisation va donc être pensée par Freinet comme un instrument de transformation de l’enfant.

La citoyenneté concerne la personne dans toutes ses dimensions. Le citoyen est conscient de ses droits et de ses devoirs, il s’implique dans la vie et la cité et coopère avec d’autres aux transformations nécessaires de la société. L’école selon Freinet va prendre en compte ces finalités, en développant la participation réelle des élèves à toutes les instances de gestion et de concertation.

La citoyenneté va se construire par la pratique, dès l’école maternelle. La classe coopérative considérant les enfants comme des partenaires actifs, associés à toutes les décisions qui les concernent, et se référant à un certain nombre de valeurs comme l’écoute, le respect de l’autre, le partage, l’entraide, la solidarité, la responsabilité, l’autonomie, la coopération, favorise cette construction. La réalisation de projets coopératifs qui finalisent et donnent du sens aux apprentissages et à l’école, favorisent les interactions et donc l’acquisition des compétences. Il ne peut pas yavoir d’apprentissages sans évaluation. La classe coopérative permet la mise ne place d’une véritable évaluation formative permanente, dans la mesure où elle s’appuie sur la pratique du contrat, instaure des pauses méthodologiques et des moments coopératifs de réflexion métacognitive. Autant de démarches qui, en excluant toute forme de compétition individuelle, visent à la réussite de tous.

L’organisation coopérative de la classe selon Freinet prend appui sur le Projet Coopératif d’Education, élaboré avec les enfants, pour répondre à la question ‘ « Comment allons–nous vivre, travailler et apprendre ensemble ?  ’» ; le Conseil de Coopérative, lieu de parole et de gestion des fonds, et aussi instance de décision, d’évaluation et de régulation ; la mise en place de groupes modulables favorisant l’individualisation, la socialisation, l’expression personnelle, la communication et la réalisation collective de projets et l’enseignant garant des objectifs éducatifs.

L’école constitue la seconde structure de l’organisation coopérative qui repose sur un conseil des délégués de coopérative, un projet d’école impliquant tous les élèves et la constitution d’une équipe d’enseignants mettant en application les principes et les valeurs auxquels elle se réfère et capable de coopérer avec les parents et d’autres partenaires, d’une façon pertinente et cohérente.

L’école devient ainsi selon Freinet, pour et avec les enfants, un lieu de vie démocratique où chacun pourra s’épanouir, apprendre, se former et réussir. Dans la classe Freinet on vise à permettre aux enfants de s’exprimer, imprimer, collaborer, correspondre. L’élément principal est la culture des moyens d’expression dans une atmosphère de spontanéité, l’exploitation du besoin de curiosité et d’activité de l’enfant. Tout en visant à instaurer dans la classe, par l’usage des techniques, les conditions qui doivent permettre à l’enfant de travailler et s’exprimer selon sa propre nature. Freinet est partisan, d’une discipline scolaire et de l’autorité du maître, sans lesquelles il ne saurait-y avoir ni instruction, ni éducation. C’est par la vie sociale elle-même que va s’effectuer la construction des règles morales ou, si l’on veut, la conceptualisation progressive des exigences constitutives de sa raison pratique, et c’est dans la vie sociale qu’elles prennent corps et forme. Mais cette vie sociale est, à chaque étape, celle qui répond aux tendances et aux possibilités de l’enfant et du groupe.

La classe Freinet est une société d’enfants, un lieu de travail, de droits, de devoirs et de vie. La classe étant un authentique lieu de vie, avec ses lois qui déterminent les droits et les devoirs de chacun, avec ses projets, ses réalisations, ses productions ; un chantier co–géré, ouvert sur l’environnement. L’enfant va se socialiser en situations réelles. Les rôles dans la classe, l’entraide pour la réalisation coopérative, la place de chacun dans l’organisation collective, responsabilisent l’enfant. A travers toutes les activités personnelles d’appropriation, de recherches, d’expérimentation et de création ; dans les possibilités de choix offertes, les possibilités de décider ; dans la gestion dans le temps du plan de travail ; l’enfant va également s’autonomiser.

Je vais donc tenter d’analyser Le projet de socialisation de l’enfant dans la pédagogie Freinet, Socialisation-Individualisation-Moralisation, en dégageant trois grandes parties.

La première partie de l’analyse porte sur les concepts de socialisation et d’éducation. Quels liens faut–il établir entre ces deux concepts fondamentaux en situation scolaire ? Y a t-il un lien entre les concepts de Nature, Société et Education chez Freinet ? En quoi les invariants pédagogiques proposés par Freinet constituent-ils des outils pour une pratique pédagogique socialisante ? Qu’est-ce qu’une méthode naturelle de socialisation ? Quel est cette pédagogie de la socialisation développée par Freinet ?

Dans une seconde partie de l’analyse, j’ai ensuite essayé de comprendre quels peuvent être les liens entre la socialisation de l’enfant et le développement de techniques éducatives ? Un enfant actif est–il un enfant qui travaille ? Quelle politique du travail développe Freinet dans sa pédagogie ? Quelles sont les techniques Freinet socialisantes ? Quels liens établit-il entre le développement de la socialisation et celui des apprentissages ?

Dans la troisième et l’ultime partie de cette étude, j’exposerai la naissance du concept de citoyenneté dans l’histoire des pédagogies ; ainsi qu’une définition de la pédagogie de la citoyenneté développée par Freinet lui-même.

Quel lien établit-il entre la citoyenneté et la socialisation à l’école ? Comment envisage t-il construire le ‘ « vivre ensemble  ’» à l’école dans un esprit de socialisation démocratique ? Quels rapports établit-il entre l’éducation morale et l’éducation à la citoyenneté ? S’agit-il de former une personne morale, un citoyen autonome ?

L’ensemble de cette étude va articuler des éclairages théoriques d’ordre philosophique, psychologique, sociologique et pédagogique, appuyés par des références ; et d’une réflexion personnelle sur l’ensemble.

La problématique centrale de notre réflexion à travers cette articulation en trois parties, est la socialisation de l’enfant à l’école. En effet, j’ai essayé de saisir et de comprendre le projet de socialisation de l’enfant dans la pédagogie développée par Célestin Freinet en mettant en avant les articulations présentes autour des trois concepts de socialisation, d’individualisation et de moralisation.

Les sources documentaires sont présentées dans une bibliographie qui répertorie l’ensemble des œuvres et articles de Célestin Freinet que j’ai pu avoir en ma possession ainsi que ceux qui ont nécessité une consultation sur sites (Centres de Documentation, Musée National de l’Education à Rouen, le Conservatoire du Patrimoine et des Traditions Freinet à La Garde Freinet). Les œuvres et articles de Célestin Freinet que j’ai choisi d’aborder et d’étudier m’ont semblé incontournables pour comprendre la pensée du pédagogue et du mouvement dans lequel il s’inscrivait. Il s’agit donc pour la plupart des œuvres principales de Célestin Freinet mais également d’écrits moins diffusés parce que trop engagés.  Les œuvres d’Elise et de Madeleine Freinet sa femme et sa fille ; les ouvrages et articles de plusieurs auteurs qui ont écrit sur Célestin Freinet et sa pédagogie ; les ouvrages et articles abordant plus précisément les concepts de coopération et de citoyenneté ; les ouvrages plus généraux utiles au travail de recherche sur les concepts ; des références d’autres formes de supports (CD audio, CD Rom, Vidéo) présentant Freinet et son œuvre ; ainsi que des sources internet diverses.

La plus grande difficulté rencontrée dans cette recherche documentaire a été de trouver les sources Freinet et de pouvoir les obtenir ou les approcher. La prise de contact avec certains de ses anciens compagnons ou partisans du mouvement Freinet lui-même n’a pas toujours pu être envisagée.