B – NATURE ET SOCIETE

Historiquement, l’école a fourni un cadre et un modèle culturel et national d’intégration. L’école a joué un rôle de régularisation d’homogénéisation par normalisation. Avant et après la Révolution, les initiatives étaient multiples, l’école pouvait même être considérée comme un lieu d’éducation secondaire par rapport à la famille et aux institutions religieuses.

L’école perçue et conçue comme un lieu de socialisation et d’enculturation, un lieu de premières «mises en forme» du social et du culturel dans une perspective normative, s’est, dans le passé, accommodée de la diversité. Si l’école a indéniablement son rôle et sa place dans une perspective collective de création sociale, encore faut–il en déterminer les conditions et les limites. Lieu privilégié d’intégration, l’école n’est qu’un élément du puzzle et se situe au carrefour de plusieurs instances et institutions de socialisation : famille, quartier, association, média… Les lieux de socialisation et de normalisation se sont multipliés et déplacés, il n’est plus sûr que l’école soit située au premier plan comme on a tendance à le croire.

Un des objectifs de l’école est effectivement d’apprendre aux enfants et adolescents d’origines diverses à participer à une ‘ « société démocratique et plurielle  ’», c’est à dire leur faire découvrir et vivre les principes de la démocratie au sein d’une institution où les différences sont alors considérées comme des richesses. Enseigner, éduquer, c’est transmettre des connaissances, c’est aussi susciter des pratiques elles–mêmes soutenues par des valeurs. L’éducation des valeurs doit en outre se traduire dans le quotidien et surtout dans le quotidien scolaire. Le développement d’une éducation civique constitue le lieu privilégié d’une telle formation.

Il y a une coupure entre l’école et les autres lieux de socialisation. Tout le problème de l’Education consiste à harmoniser la dynamique du développement personnel et la dynamique de l’environnement social. L’enfant et le jeune s’épanouissent vraiment quand sont reliés entre eux les différents lieux de leur vie individuelle et sociale. L’éducation a trop souvent été considérée comme un ensemble d’activités morcelées et pas assez comme une action appréhendant l’individu dans toutes les dimensions de son existence.

Donner aux enfants une vie moins ‘ « unidimensionnelle  ’», moins conditionnée, plus ouverte à la pluralité des lieux et des expériences de vie constitue l’un des projets de Freinet pour résoudre ce problème. C’est la condition pour exploiter au maximum toutes les possibilités créatrices et cognitives qui existent chez eux :

« J’ai abouti à une école vivante, continuation naturelle de la vie de famille, du village, du milieu. C’est cette vie – là que je retrouve dans toutes nos écoles modernes. Mais, parce que fondées sur la vie de l’enfant dans son milieu, elles sont nécessairement diverses, selon ces milieux et ces enfants ; différences selon les âges, les saisons, l’aspect du pays, l’originalité des cultures et des travaux, avec tout à la fois cette part d’individuel et d’universel qui devrait être aujourd’hui une marque de culture et de civilisation. Elles sont comme de beaux jardins qui puisent dans un sol riche la même sève mais où s’épanouissent selon leur nature et leur fonction les légumes utiles, les arbres généreux et les fleurs de poésie et de beauté, aussi nécessaires parfois que les nourritures fondamentales » 62 .

Le système scolaire et l’ensemble du champ éducatif sont peu marqués par un savoir qui intègre les valeurs du monde du travail et de la production et les règles qui déterminent le fonctionnement de la société. Cette coupure entre instruction, éducation et société, produite par ‘ « les éducateurs  ’» qui ont intérêt à élaborer des connaissances abstraites de toute réalité économique, sociale et politique, a des conséquences dont on ne mesure pas les enjeux. Dans le domaine strictement scolaire, l’absence de perspectives sociales dans l’enseignement n’aide pas les enfants et les jeunes à aborder, de manière réaliste, leur insertion dans la société.

Le développement social et culturel n’est pas asservi au développement économique, il en est à la fois la condition et la finalité.

Il en résulte une réorganisation nécessaire de l’appareil éducatif et plus particulièrement une recherche à réaliser sur le concept de ‘ « société éducative  ’» à partir des notions d’utilité sociale et d’intérêt public afin de rassembler toutes les forces qui agissent dans cette direction.

La fonction sociale consiste finalement à déterminer comme objet de recherche les finalités éducatives qu’une société se donne pour gérer le présent et déterminer les conditions de son avenir. Cette fonction sociale va se traduire par une utilité sociale.

Il s’agit pour l’école, et en premier lieu pour l’école élémentaire, de développer une éducation permettant aux futurs adultes d’être des acteurs d’une nouvelle culture, maîtrisant au mieux dans leur vie personnelle, sociale et professionnelle divers modes d’expression et d’information, et non pas des consommateurs de technologies nouvelles successives.

Dans ce but, la pratique éducative de techniques nouvelles tel que celles de la pédagogie de Freinet, ne peut être isolée d’un contexte social, technologique et éducatif global.

C’est un ensemble de techniques éducatives que Freinet a mis en œuvre pour transformer l’école de l’intérieur. Les plus importantes sont : le texte livre, le journal scolaire, la correspondance interscolaire, et la coopérative scolaire. Il s’agit de ‘ « rattacher l’école à la vie  ’» et de former ‘ « un technicien  ’». Freinet, par ses techniques éducatives, a offert à l’enfant la possibilité de manipuler et de découvrir des outils. La socialisation est véritablement appréhendée ici comme un ‘ « instrument de transformation  ’» de l’homme, du citoyen. Freinet a souhaité remodeler cet enfant. Freinet a véritablement développé une pédagogie de l’expression, de la communication, de la coopération et de la socialisation.

L’idée d’introduire l’imprimerie et le journal scolaire dans l’école chez Freinet, n’est pas une technique nouvelle. Historiquement, Jacques Collombat fut appelé à diriger en 1718, ‘ « l’imprimerie du cabinet du roy  ’», qui était le jeune Louis XV. Il imprimait des textes, des maximes et des sentences morales sur des feuilles volantes. L’une d’elle devient célèbre puisqu’elle reproduisait les dernières paroles de Louis XIV à son petit fils. Charles Rollin, élu en 1664 recteur de l’université de Paris, puis appelé en 1699 à la cour pour l’éducation des ‘ « enfants de France  ’», avait déjà mis en valeur l’imprimerie au service de l’éducation des enfants. Dans le  Traité des études ou de la manière d’enseigner et d’étudier les belles lettres , paru en 1726, il décrivait le bureau typographe et ses avantages. L’imprimerie à cette époque était rarement utilisée pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, c’était surtout un moyen privilégié de diffuser ses idées ou de faire connaître ses problèmes particuliers : c’est ce qui intéresse très tôt les jeunes. En 1882,  Les Droits de la Jeunesse, organe de la jeunesse des écoles, revendique la volonté des jeunes de participer aux grands débats.

On y lit ‘ « Camarades, ce n’est pas la révolte que nous venons prêcher. Nous voulons simplement vous donner un organe. Pourquoi n’élèverez–vous pas la voix pour faire entendre vos revendications ? Vous savez combien vous êtes exploités par les concierges ; vous savez combien, dans la plupart des lycées, la nourriture est mauvaise, vous savez quelles sont les défectuosités du matériel scolaire… Voilà pour les petits côtés de nos réclamations. Mais il en est d’autres encore, plus importantes, dont nous avons à saisir l’opinion publique. Le gouvernement a décrété la liberté de conscience dans les lycées et collèges ; mais jusqu’à présent cette liberté est demeurée dans le domaine de la théorie  ’».

Le congrès général des lycées se réunit le 16 avril 1882 et une organisation nationale se met en place pour vendre Les Droits de la jeunesse, où l’on trouve des rubriques humoristiques, des critiques de théâtre et de concert, des analyses de règlements des lycées et surtout des revendications.

Mises à part quelques initiatives de lycéens ou d’étudiants, ce sont surtout les pédagogues de l’Education Nouvelle qui vont promouvoir l’expression des jeunes, et en particulier des plus jeunes, par le journal scolaire.

Paul Robin (1837 – 1912), qui prônait une coéducation, l’éducation intégrale et une attitude antireligieuse,a mis en œuvre à Cempuis ses principes d’éducation 63 . Les relations sociales entre les pairs et avec les aînés y sont prioritaires, les élèves fixent en assemblée les lois de leur organisation, et les jeunes servent d’aides aux aînés et les aînés de guides aux jeunes. Il développe les randonnées, les excursions, les exercices physiques, la pratique des arts, les sciences, l’utilisation des technologies éducatives et particulièrement celle de l’imprimerie avec la publication du Bulletin, journal de l’institution.

Les premiers journaux scolaires produits par des enfants avec l’aide d’enseignants sont nés aux Etats-Unis, dans les ‘ « progressiv schools ’» avec John Dewey (1859–1952). Pour Dewey, l’imprimerie, sans être centrale dans son projet pédagogique, permet l’attitude active de l’enfant et fait partie du travail manuel, important à ses yeux 64 . Il définit ainsi sa philosophie : ‘ « L’éducation traditionnelle, parce qu’elle habitue l’enfant à la docilité et à l’obéissance, convient à un état autocratique… Dans une démocratie, ce sont là autant d’obstacles à la prospérité de la société et du gouvernement… Les enfants des écoles doivent jouir de la liberté, afin que le jour où ils contrôleront le pays, ils sachent faire usage de cette liberté ; il faut développer en eux des qualités actives d’initiative, d’indépendance, d’ingéniosité si nous voulons voir disparaître les abus et les erreurs de la démocratie » 65 .

La  Gazette scolaire  et l’actualité sont au centre du projet ‘ « démocratique  ’» de Janus Korczak(1878-1942). C'est ainsi qu'il écrit : ‘ « Les avantages de la gazette ? Enormes ! Elle apprend avec conscience un devoir non imposé mais librement choisi ; à planifier un travail appelé à s’appuyer sur un effort fourni en commun par tout un groupe de gens différents ; à apprendre ses convictions en public ; à mener un débat avec des arguments à l’appui au lieu de le transformer en dispute ; à rendre publique toute chose qui tournerait autrement au potin ou à la médisance ; à enhardir les timides, à rabattre leur caquet à des trop prétentieux. En un mot, la gazette règle et dirige l’opinion, elle est la conscience du groupe » 66 .

Korczak s’intéresse plus à l’information qu’à l’expression libre de l’enfant. Un seul exemplaire est imprimé car pour lui, la calligraphie est un art qui magnifie la pensée alors que pour Freinet, c’est l’imprimé qui lui donne l’immortalité : ‘ « La relation entre un texte écrit à la main et un texte imprimé est la même qu’entre un portrait peint et la photographie, qu’entre une broderie manuelle et mécanique, qu’entre une partition chantée en directe ou enregistrée. Une belle écriture c’est un don… » 67 .

Ovide Decroly ( 1871–1932) conçoit l’école de la vie par la vie : ‘ « C’est vers l’enfant que tout se dirige, c’est vers l’enfant que tout rayonne » 68 . Il axe donc largement sa pédagogie sur les intérêts de l’enfant, mais en s’adressant à son affectivité et en excitant sa curiosité.

Son influence est très importante, notamment sur Freinet en matière de lecture globale 69 ,mais comme Dewey, le journal scolaire et l’imprimerie ne sont pas au centre de son projet pédagogique. Ils sont intégrés aux activités collectives : comités d’enfants, sports, jeux, théâtre, orchestre. L’école de l’Ermitage a publié six fois par an une revue, Le courrier de l’école.

Le journal est associé à la pédagogie active et à une place plus centrale de l’enfant dans la classe. D’autres pédagogues pourraient être cités et associés à la naissance de l’imprimerie à l’école, mais c’est à Célestin Freinet que l’on doit son développement à grande échelle. Son apport a été à la fois de placer l’imprimerie au centre des activités de la classe et d’entraîner des milliers d’instituteurs dans un même mouvement. L’imprimerie de Freinet permet le travail de lecture sur des textes semblables à ceux des livres, mais plus proches de l’intérêt des enfants, l’échange avec une autre classe par la correspondance scolaire et la production d’un écrit social finalisé : le journal scolaire. Nous analyserons de façon plus approfondie les autres vertus socialisantes de l’imprimerie dans un point qui tentera de définir ce que Freinet entend par éducation du travail.

A la fin des années vingt, le bulletin  L’imprimerie à l’école  regroupe les partisans de cette pédagogie. En 1927, le ‘ « Mouvement des imprimeurs  ’» se rencontre au Congrès Syndical de la Fédération de l’Enseignement. En 1932 paraît le premier numéro de la Bibliothèque de travail.

Ce premier outil pédagogique transforme le climat de la classe où désormais le matériel va prendre une place très importante. Freinet invitera ses élèves à imprimer leurs textes eux-mêmes. Mais de quels textes s’agit-il ? Il s’agit des textes libres : ‘ « Le texte libre doit vraiment être libre. C’est à dire qu’on l’écrit lorsqu’on a quelque chose à dire, lorsqu’on éprouve le besoin d’exprimer, par la plume ou le dessin, ce qui bouillonne en nous  ’» 70 . Partir des intérêts véritables de l’enfant, de sa nature, et non du désir ou de la pensée de l’adulte.  L’idée à exprimer doit être absolument libre.

Freinet est persuadé que la possibilité d’être imprimé et lu par un public varié ne peut qu’inciter l’enfant à écrire : ‘ « Les enfants apportent ( …) les textes qu’ils ont rédigé librement à la maison, au retour d’une visite, ou pendant les heures de travail libre ; avec ou sans la part du maître  ’» 71 .

Les enfants, dans un premier temps, les lisent de leur mieux à toute la classe, c’est le temps de l’expression. Le maître ou un élève  inscrit les titres au tableau. Le maître fait ensuite voter pour choisir le meilleur texte, c’est à dire celui qui  exprime le plus profondément l’intérêt de l’enfant  ; en général, le vote se fait  à main levée, à la majorité absolue au premier tour ; si l’un des textes s’impose et s’il obtient plus de la moitié des voix, 18 sur 30 votants par exemple, le choix est fait (…) ; le maître peut, selon les cas, émettre un vote aussi . Ce texte qui a été choisi démocratiquement, tous les acteurs de la classe, y compris le maître, vont le mettre au point  pour en faire une page qui garde la pensée enfantine dans tout ce qu’elle a d’unique, d’original et de profondément humain. Les élèves illustrent ensuite le texte et procèdent enfin au tirage à la presse.

Le texte libre favorise l’expression personnelle et naturelle de l’enfant. Il assure la base d’un enseignement naturel fondé sur la vie de l’enfant dans son milieu. Il rétablit l’unité de la pensée et de l’activité enfantines, c’est à dire l’activité intellectuelle et le travail manuel chez l’enfant. Le texte libre permet à l’enfant de s’exprimer librement, d’extérioriser sa pensée et ses sentiments, de raccrocher  sa vie d’écolier à sa vie naturelle. Il est donc à la fois un moyen d’expression et un analyseur de la situation actuelle de l’enfant. L’enfant, dans ces classes Freinet, raconte et, plus tard, écrit librement ce qu’il éprouve le besoin d’exprimer, d’extérioriser, de communiquer à son entourage ou à ses correspondants. Il n’écrit pas n’importe quoi..

L’enfant s’exprime dans le cadre d’un milieu qu’il appartient au maître de rendre au maximum éducatif, pour des buts qu’il doit inscrire dans ses techniques de vie. L’expression de l’enfant se trouve ici alors socialisée par la motivation que valent le journal scolaire et la correspondance.

Maintenant que l’enfant sait exprimer ses idées personnelles, il socialise son expression à travers la communication avec autrui 72 .

Freinet a eu dès le début l’intuition que le travail scolaire était indissociable d’un processus de communication entre les acteurs de l’école. Cette communication est encore limitée, parce qu’elle ne dépasse pas encore, ou très peu, le seuil de l’école. D’où l’importance de deux autres dispositifs pédagogiques : le journal scolaire, et la correspondance interscolaire.

« Le journal scolaire méthode Freinet est un recueil de textes libres réalisés et imprimés au jour le jour selon la technique Freinet et groupés en fin de mois sous couverture spéciale à l’intention des abonnés et des correspondants » 73 .

Les enfants communiquent à partir de leurs textes libres, avec le monde extérieur. Ces textes libres, tout en restant l’expression naturelle de l’enfant dans son milieu, sont à présent moins centrés sur sa vie personnelle. Désormais, d’après Freinet, l’enfant n’écrit plus seulement ce qui l’intéresse lui ; il écrit ce qui, dans ses pensées, dans ses observations, ses sentiments et ses actes est susceptible d’accrocher ses camarades d’abord, ses correspondants ensuite.

C'est ainsi que la petite presse Freinet va maintenant, à travers la  correspondance interscolaire,  l’ouvrir à la globalité. La correspondance interscolaire cesse alors d’être personnelle pour devenir fonction des demandes des correspondants. Il ne s’agit pas d’une tâche scolaire mais il s’agit de répondre aux demandes ou aux désirs de leurs camarades. Voilà comment Freinet déborde le cadre étroit de la classe pour plonger dans le milieu social. Voilà comment il surmonte la dualité : vie scolaire /vie sociale en mettant l’enfant à l’écoute du monde, à l’écoute de la vie.

Tous ces points sont liés, les uns dépendent des autres : la coopération dépend d’abord de la communication, et celle-ci passe nécessairement par l’expression. C’est grâce à des techniques éducatives favorisant l’expression et la communication des enfants que la coopération scolaire est devenue enfin possible.

Le travail de chaque élève, d’après Freinet, fait partie d’un tout qui nécessite diligence, application et perfection. Une ligne mal composée compromet toute la page. Le reclassement des caractères, quoique fastidieux en apparence, n’en est pas moins accepté avec une discipline consentie qui est une preuve sociale. Si les caractères sont mal reclassés, l’équipe suivante ne pourra pas composer. L’individu est ici dans l’obligation de se plier à cette règle sine qua non du travail de l’équipe. Dans l’équipe de 3 ou 4 élèves qui opèrent le tirage, chacun doit remplir correctement son rôle. L’encreur qui néglige l’automatisme de sa fonction sera rejeté par l’équipe, ce qui est en l’occurrence la plus grave des sanctions.

La vente elle-même du journal scolaire se fait par les élèves qui s’initient ainsi à la gestion sévère des fonds collectifs. Tout acte qui risque de gêner le bon fonctionnement de l’imprimerie est sanctionné par le groupe ou l’équipe qui tient à mener à bien son travail.

Le texte libre, le journal scolaire et la correspondance interscolaire imposent plus qu’ils ne supposent la coopération. Il n’est plus qu’un citoyen parmi d’autres, un des acteurs actifs de la classe. C’est l’indispensable coopérative scolaire et son conseil, eux-mêmes conséquence d’autres dispositifs pédagogiques, qui vont imposer ce changement.

Le journal mural : Je critique, je félicite, je voudrais, j’ai réalisé. Format 60 X 40, 4 colonnes. Sur une feuille de papier fort, sous un bandeau en couleurs dessiné par les enfants. Il est affiché tous les lundis, dans le couloir, à la portée des enfants.

La coopérative scolaire a son conseil de coopérative. Il se réunit une fois par semaine, le samedi après-midi. Le président passe en revue les critiques, les félicitations, les doléances et les réalisations, invitant les élèves à se présenter devant le bureau de coopérative. Le bureau de coopérative et l’assemblée générale des élèves n’est pas un ersatz de tribunal comme on a voulu en instituer parfois dans certaines associations d’enfants, avec étude des affaires et prononcé officiel des jugements. Ils ne sanctionnent jamais, sauf pour faire éventuellement réparer les dommages causés : celui qui est passé par la fenêtre devra le lendemain nettoyer les vitres ; celui qui a dit des gros mots sera employé par le responsable pour le nettoyage des cabinets.

Freinet, en mettant en place les dispositifs pédagogiques, a voulu surmonter ces dualités anti-pédagogiques : L’individu et le groupe, le groupe et la société, le local et le global, l’école et la vie. En effet, par le travail d’imprimerie, l’enfant est amené à travailler en groupe de travail, la classe devient alors ‘ « une petite société  ’» dans laquelle il va falloir distribuer les tâches. Certes, il s’agit de l’éducation d’une personne, mais également et surtout d’un individu au sein d’un groupe. Un groupe a beaucoup plus d’impact, de poids, dans une société, qu’une seule personne. Tout comme Freinet s’est entouré de militants pour se faire entendre, il prépare les enfants à vivre, à travailler et à se défendre ensemble. Le groupe doit alors constitué une unité. L’imprimerie peut être considérée comme une technique intéressante lorsqu’il s’agit de produire et de laisser une trace de nos idées. L’ensemble des techniques proposées par Freinet vont être au service du développement de la socialisation de l’enfant, mais à quelle société ici Freinet aspire t’il ? Ne veut-il pas simplement former l’enfant, l’adulte qu’il aurait aimé être, où celui qu’il est devenu ? militant ? communiste ? Nous questionnerons alors dans notre troisième partie les concepts de socialisation, d’individualisation et de moralisation, à ce sujet.

Notes
62.

- FREINET. C., Les Techniques Freinet de l’école moderne, Carnets de pédagogie pratique, Armand Colin, Collection Bourrelier, 1975.

63.

- BREMAND. N., Cempuis, une expérience d’éducation libertaire à l’époque de Jules Ferry, Editions du monde libertaire, Paris, 1992.

64.

- DEWEY. J., L’école et l’enfant, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1970.

65.

- Sous la direction de Jean Houssaye, Quinze pédagogues, Armand Colin, 1997, p. 124-134.

66.

- KORCZAK. J., La gazette scolaire, CLEMI, 1988.

67.

- KORCZAK. J., La gazette scolaire, CLEMI, 1988.

68.

- DECROLY. O., La fonction de globalisation et l’enseignement, Lamertin, Bruxelles, 1925.

69.

- Freinet reprend le travail et les idées de Decroly à plusieurs reprises, ici dans la méthode naturelle de lecture. « Le Docteur Decroly », dit-il « eut l’audace de penser et de dire que la scolastique pouvait se tromper et quec’était peut-être bien la tradition qui avait raison. Que dit la tradition ? Que dit la vie ? Elle dit que la scolastique pouvait se tromper et que c’était peut-être bien la tradition qui avait raison ».

70.

- FREINET. C., Le texte libre, 1960, Editions de l’Ecole Moderne Française, CEL, Cannes, 1967, p. 13.

71.

- FREINET. C., Les techniques Freinet de l’Ecole Moderne, Armand Colin, Collection Bourrelier, 1975.

72.

- Freinet a anticipé sur les découvertes qui seront faites après la deuxième guerre mondiale quand on essaiera d’introduire dans l’école la psycho–sociologie et la dynamique des groupes.

73.

- FREINET. C., Le journal scolaire, Editions Rossignol, Montmorillon (Vienne), 1957, p. 15.