A – LES TECHNIQUES EDUCATIVES

Au sens le plus ancien, le substantif technique désigne l’ensemble des procédés d’un métier ou d’un art, codifiés et transmissibles qui permettent d’obtenir un effet jugé utile. Dans le langage moderne, la technique évoque plutôt un ensemble de procédés déduits d’une connaissance scientifique et permettant d’en opérer des applications.

Plus spécifiquement, c’est en esthétique, l’ensemble des procédés relatifs à une certaine forme d’art ou à un artiste. Parallèlement, l’adjectif s’applique à ce qui est relatif à un métier, en particulier manuel, par opposition à la connaissance théorique ou, en esthétique, au sujet de l’œuvre. Il qualifie également ce qui dans le langage se distingue du vocabulaire courant.

Dans la pédagogie Freinet, il faut relier le terme technique aux termes d’outil et de travail. En effet, les ‘ « techniques Freinet  ’» vont permettre aux enfants d’appréhender des outils, de les maîtriser et de les utiliser dans une activité de travail. La technique ici répond aux besoins, aux désirs de l’enfant, elle va contribuer au développement de sa connaissance tout en suivant sa nature.

Enfin, les techniques Freinet vont donner à l’enfant du pouvoir pour s’imposer et faire évoluer la société. En effet, par technique Freinet entend savoir-faire, mais aussi ensemble de procédés pédagogiques et mécaniques, appliqués plus ou moins méthodiquement et visant à atteindre un objectif, la socialisation de l’enfant.

Freinet est un instituteur sincère et spontané qui trouve dans sa culture de paysan provençal les références aux valeurs de la nature, de l’expérience et du concret, en opposition à l’artificialité et à la suffisance des savoirs institués, réputés abstraits et coupés du réel.

Freinet n’est pas un inventeur solitaire. La vogue de «l’Education Nouvelle» avait dès avant la guerre un rayonnement incontestable, et même une organisation internationale. L’éducation nouvelle prônait depuis le début du siècle des objectifs autrement plus ambitieux qu’une simple réforme pédagogique, si on en juge par les trente critères établis par le pédagogue genevois Ferrière en 1912 pour mériter le titre d’Ecole nouvelle. Pour mériter la qualification d’école nouvelle, il faut, selon Ferrière, que cette école soit un laboratoire de pédagogie pratique. La vie intellectuelle doit être associée aux activités matérielles et sociales : plein air, travail manuel, en particulier agricole et horticole, gymnastique naturelle, randonnées…. 215

Cette école doit mettre en place une différenciation de l’enseignement et elle donne priorité à l’initiative individuelle. Elle doit prendre en compte les centres d’intérêt des enfants, compter sur la spontanéité et la curiosité, naturelles des enfants. L’éducation morale s’y pratique au sein du groupe où se pratique le ‘ « self – government  ’» entendu comme autonomie relative aux écoliers. L’expérience des enfants y est importante. Le partage des tâches et des responsabilités permet de mettre en place une entraide.

Le projet de Freinet est de ‘ « rendre l’école vivante, et pour cela, faire pénétrer dans la classe aride la vie extérieure de la famille, de la rue, de la campagne ; intéresser ainsi l’enfant profondément et non d’une façon factice et passagère ; rendre de ce fait la classe active et intéressante pour le maître lui – même, c’est là le grand problème de l’éducation  ’» 216 .

Ses techniques ne peuvent alors être réduites à une dimension instrumentale, il s’agit de les considérer comme des outils prenant leur sens dans une logique globale de l’éducation, fondée sur la reconnaissance des potentialités de l’enfant. Les techniques peuvent donc s’entendre dans deux perspectives : d’une part en tant qu’éléments d’étayage de la dynamique de créativité de l’enfant, d’autre part comme formes construites dévoilant du sens potentiel.

Il y aurait donc un contresens majeur à utiliser les diverses ‘ « techniques Freinet  ’» comme de simples recettes, éventuellement utilisables pour rendre le quotidien de la classe plus agréable ou même plus efficace, hors du contexte de la conception optimiste, à dimension philosophique, du rôle de l’éducation. L’imprimerie à l’école, ce n’est pas donner comme tâche aux élèves le travail manuel d’imprimer des textes, c’est une démarche globale de pédagogie alternative. Il n’est pas utile d’utiliser telle ou telle technique Freinet si on ne partage dans sa globalité la pédagogie Freinet.

Aucune technique ne se suffit à elle-même, et perd tout sens si elle n’est pas mise en relation avec toutes les autres techniques, dans la perspective d’une pédagogie globale. Et réciproquement, l’idéologie pédago-centriste reste illusoire, elle ne s’ancre pas dans des pratiques non strictement pédagogiques, mais aux résonances d’emblée sociales. C’est en ce sens que la pédagogie Freinet s’affichera toujours comme moderne et populaire : elle n’est jamais une didactique réductrice de l’acte d’apprendre, mais, même dans ses productions minuscules, une conception générale de l’éducation.

On peut entrer dans la pédagogie Freinet par n’importe quelle porte. Le fil rouge est partout. Si vous commencez par l’imprimerie vous rencontrerez la correspondance, si vous commencez par le conseil vous rencontrez le texte libre, si vous commencez par la classe-promenade vous rencontrerez la coopérative… Telle technique d’apparence trivialement pratique (l’imprimerie, le journal mural, la correspondance) renvoie toujours à une philosophie de la vie, et c’est bien la spécificité de la pédagogie Freinet.

Les techniques elles – mêmes, à l’inverse des doctrines qui se présentent comme sophistiquées, sont faciles d’utilisation, faciles à apprendre, et aussi (Freinet y insiste beaucoup) peu onéreuses. Les techniques Freinet sont populaires également parce qu’il n’est nul besoin d’être grand sorcier en pédagogie pour les faire fonctionner. Nul besoin des interminables stages de formation.

Ainsi, on considère généralement que la première des techniques Freinet est l’imprimerie. Mais en réalité, sa technique principale est la classe - promenade.

Notes
215.

- FERRIERE. A., L’école active, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel et Paris, 1946.

216.

- FREINET. C., Chacun sa pierre, une expérience d’adaptation de notre enseignement : l’imprimerie à l’école, Ecole Emancipée, n° 8, 15 novembre 1925.