2 – Le texte et l’expression libres

Le texte libre presque unanimement recommandé aujourd’hui, même s’il n’est pas toujours judicieusement pratiqué, n’en consacre pas moins officiellement cette aptitude de l’enfant à penser et à s’exprimer, et à passer lui aussi d’un état de mineur mental et affectif, à la dignité d’un être capable de construire expérimentalement sa personnalité et d’orienter son destin.

Le besoin de création et d’expression est une de ces idées fortes sur lesquelles peut se bâtir un renouveau pédagogique incomparable.

Il se présente comme une technique assez banale, et pourtant Freinet y attache une grande importance. Ecrire et communiquer, telle est peut-être la base de toute existence sociale. C’est pourquoi le texte libre est également très significatif de la nécessité de prendre la pédagogie Freinet comme une globalité, sous peine d’en réduire le sens.

Freinet se moque ainsi, en 1960, alors que les Instructions Officielles ont institué la pratique des textes libres à l’école primaire, de ceux qui en pratiquent une caricature, à heure fixe et dans le cadre d’un exercice figé. Les élèves, dans cette situation, n’ont plus que le choix du sujet, pour faire des rédactions à sujet libre, ce qui dénature totalement selon Freinet, cette technique.

Un texte libre, c’est comme son nom l’indique, un texte que l’enfant écrit librement, quand il a envie de l’écrire, et selon le thème qui l’inspire. Il ne suffit donc pas de laisser l’enfant libre d’écrire, il faut lui donner l’envie le besoin de s’exprimer. Ce besoin est indispensable à sa bonne socialisation selon Freinet.

Si le texte libre, oral ou écrit, est naturel et spontané avec des enfants non encore marqués par les pratiques scolaires d’immobilisme, il n’en est malheureusement pas de même avec ceux qui sont déformés par les méthodes traditionnelles scolastiques.

L’essentiel est que l’enfant ait à la base le sentiment de ses propres richesses, bien à lui, à la portée sans cesse de son élan. La part du maître, c’est de sentir cet élan, d’aider plus ou moins intuitivement parfois, plus ou moins objectivement dans certains cas, à libérer les émotions, les connaissances encore prisonnières. Le texte libre n’a de valeur qu’autant qu’il est document authentique, qu’autant qu’il est socialisé, qu’autant qu’il est prétexte et argument d’un enrichissement vers la culture et la connaissance.

Le texte libre devenait page de vie, qui était communiquée aux parents et transmise aux correspondants. Dans toutes les matières à enseigner incluses dans un programme dont le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas intégré à la vie, dans toutes les disciplines, calcul, sciences, histoire, géographie, morale, c’est la leçon du manuel, reprise et commentée par le maître, qui supplée à l’expérience de l’enfant, à sa vision des choses.

La leçon faite, automatiquement surgissent les exercices qui doivent confirmer les règles expliquées, alors qu’il aurait été si facile de mettre à la disposition des enfants le matériel et la documentation leur permettant d’arriver par eux–mêmes à la connaissance. L’intelligence manuelle, artistique, scientifique, ne se cultive pas par l’usage des seules idées, mais par la création, le travail et l’expérience.

Le texte libre comme dispositif va dans trois directions, la situation communicative de productions d’écrit ; le contrôle, par le groupe classe, à la fois interne (rédaction) et externe (lecture publique et commentaire) de l’activité langagière ; la régulation du fonctionnement de la classe (production interne de la réalité).

C’est pourquoi, à l’inverse de la caricature instituée, si le texte libre est vraiment libre, c’est à dire que l’enfant écrit s’il a quelque chose à dire et envie de l’exprimer, c’est toute la dynamique cognitivo-relationnelle qui se met en route.

Mais immédiatement, la technique du sens de Freinet déborde la stricte pédagogie. Elle ouvre sur les réalités du monde, les réalités sociales qui sont la vie de tous les enfants et alimentent leur désir d’expression.

Le texte libre permet donc à l’enfant de s’exprimer librement, d’extérioriser sa pensée et ses sentiments, de ‘ « raccrocher  ’» sa vie d’écolier à sa vie naturelle.

Le texte libre est donc à la fois un moyen d’expression et un analyseur de la situation actuelle de l’enfant. Mais ce n’est pas là sa seule fonction.

« L’enfant, dans nos classes, explique Freinet, raconte et, plus tard, écrit librement ce qu’il éprouve le besoin d’exprimer, d’extérioriser, de communiquer à son entourage ou à ses correspondants. Il n’écrit pas n’importe quoi. La « spontanéité » sur laquelle on a tant discuté ne saurait être, à nos yeux, une formule pédagogique. L’enfant s’exprime dans le cadre d’un milieu qu’il nous appartient de rendre au maximum éducatif, pour des buts que nous devons inscrire dans nos techniques de vie » 219 . ’ ‘« L’expression de l’enfant se trouve chez nous automatiquement socialisée par la motivation que nous valent le journal scolaire et la correspondance » 220 .’

L’expression libre de l’enfant est une des idées de base de Freinet. La pratique pédagogique part de ce que chacun a envie de dire, sachant qu’il a toujours envie de le dire à d’autres.

D’où deux dimensions essentielles : d’une part une grande tolérance vis à vis des fautes dites d’orthographe, voire d’expression, au sens où n’est pas stigmatisée la formulation fautive. Celle-ci est, en termes plus modernes, médiatisée. Pas de points retirés dans une improbable dictée, mais à l’inverse un re-travail avec les pairs dans une production du texte toujours discutable. L’autonomie de l’expression individuelle est toujours respectée.

Elle se confronte à des instruments, tels le dictionnaire auquel l’enfant est toujours renvoyé, voire aux livres de grammaire, et plus généralement aux célèbres fiches de bibliothèque de travail.

Freinet est un instituteur, il s’adresse à des instituteurs et à des élèves, il travaille dans le cadre de l’école, et sa méthode naturelle débouche sur des apprentissages sur le mode d’une activité socialisée qu’il nomme le travail. Qu’il s’agisse des apprentissages de la langue, de la lecture, du dessin, du calcul, l’évolution de l'enfant est naturelle.

Freinet se situe toujours dans une relation entre l’école et l’environnement. L’enfant est un citoyen ‘ « libre  ’» qui va pouvoir exprimer ses pensées, ses opinions, ses droits, aux autres.

Il s’agit ensuite, maintenant que l’enfant sait exprimer ses idées personnelles, de socialiser son expression à travers la communication avec autrui. Ici, deux dispositifs sont importants, le journal scolaire et la correspondance interscolaire.

Notes
219.

– FREINET. C., Le texte libre, Editions de l’Ecole moderne française, Cannes, 1967, p. 117.

220.

- Ibid.