3 – Le journal scolaire

La circulation de l’information est un puissant moteur de vie d’une société. Donner du pouvoir aux apprenants sur leurs apprentissages, cela suppose aussi de partager avec eux le pouvoir de l’information. Vouloir diffuser un journal commence par la reconnaissance, l’autorisation d’une liberté de parole.

« Le journal scolaire méthode Freinet est un recueil de textes libres réalisés et imprimés au jour le jour selon la technique Freinet et groupés en fin de mois sous couverture spéciale à l’intention des abonnés et des correspondants » 221 .

Cette définition du journal scolaire nous fait passer de la fin d’une étape au début d’une autre : la communication des enfants, toujours à partir de leurs textes libres, avec le monde extérieur. Mais ces textes libres, tout en restant l’expression naturelle de l’enfant dans son milieu, sont à présent moins centrés sur sa vie personnelle.

L’expression libre de l’enfant se trouve avec Freinet automatiquement socialisée par la motivation que lui vaut le journal scolaire et la correspondance.

L’enfant qui compose un texte le sent naître sous sa main ; il lui donne une nouvelle vie, il le fait sien. Il n’y a désormais plus d’intermédiaire dans le processus qui conduit de la pensée ébauchée, puis exprimée, au journal qu’ils postent pour les correspondants : ‘ « Tous les échelons y sont : écriture, mise au point collective, composition, illustration, disposition sur la presse, encrage, tirage, groupage, agrafage  ’» 222 .

Désormais, l’enfant n’écrit plus seulement ce qui l’intéresse lui ; il écrit ce qui, dans ses pensées, dans ses observations, ses sentiments et ses actes, est susceptible d’accrocher ses camarades d’abord, ses correspondants ensuite. 

Si la classe est riche dans un milieu scolaire et social fécond alors, le journal scolaire est varié, profond et original. Dans le cas contraire, sa dispersion et sa superficialité sont à l’image des insuffisances du milieu.

Dans les classes maternelles et enfantines, l’enfant est d’abord préoccupé par les éléments naturels et journaliers de sa vie neuve. A ce degré, les textes sont ordinairement courts, composés en lignes bien détachées, sans préoccupation de justification typographique, mais comportant en général une idée ou une proposition par ligne, ce qui facilite la compréhension et donc la lecture.

De temps en temps, un texte plus long, conte d’enfant, vie d’animaux, événements de la classe, occupe tout un numéro de journal et donne éventuellement matière à un de ces albums d’enfants, merveilleusement illustrés. Ces journaux scolaires sont très appréciés pour la correspondance interscolaire qui, à ce degré là, développent la motivation de l’enfant.

C’est au cours préparatoire et élémentaire que le journal scolaire est le plus précieux. L’enfant à ce degré commence à s’intéresser au monde qui l’entoure et à la vie de ses correspondants. Il apporte des documents révélateurs sur sa propre vie.

Au cours moyen et à la fin des études, le journal scolaire prend une allure plus adulte avec des textes qui sont le reflet de l’activité sociale ambiante : ‘ « Un journal scolaire n’est pas, ne peut être, ne doit pas être au service d’une pédagogie scolastique qui en minimiserait la portée, mais à la mesure d’une éducation qui par la vie prépare à la vie  ’» 223 .

C’est parce que l’enfant sait que son texte, s’il est choisi, deviendra page du journal scolaire, et lu, de ce fait, par les parents et par les correspondants, que l’enfant éprouve le besoin d’écrire, qu’il sent la nécessité de magnifier sa pensée par une forme et une expression qui en sont l’exaltation.

Avec le journal scolaire, par la méthode naturelle, sans rédactions formelles, sans rabâchage grammatical, les éducateurs parviendront à une expression correcte et vivante, à une orthographe naturelle et à un désir, à un besoin d’écrire, de lire, de communiquer.

La production d’un journal devient un acte pédagogique socialisant, et notamment à la prise en compte de l’ensemble des étapes de la production dans lesquelles chaque élève peut trouver une compétence indispensable à l’aboutissement du projet et où il est reconnu. Le journal modifie totalement la place de l’apprenant qui devient acteur et producteur de ses propres apprentissages :

« Comment préparer à l’avance des leçons qui répondent vraiment aux désirs et aux besoins des enfants ? Les textes les meilleurs ne seront jamais que fort médiocrement adaptés. Et quel progrès, quel renouveau d’activité et d’intérêt si nous pouvions imprimer nous–mêmes ce que nous aurions composé ! Dès octobre dernier, j’ai réalisé cette utopie. J’ai fait l’acquisition d’une petite presse à imprimer à la main, imprimant avec des caractères d’imprimerie ordinaires. Les élèves composent eux–mêmes les lignes dans des composteurs particuliers, en prenant les caractères dans la boîte de classement. On assemble et on imprime. Et parce que j’ai deviné tous les services que pouvait rendre cette méthode, nous avons depuis octobre, imprimé régulièrement deux textes par jour, d’une longueur variant entre quatre et huit lignes. Nous composons le texte en commun, mais sans en imposer le sujet. Condition essentielle pour que les élèves intéressés parlent et fassent effort. On s’occupe naturellement de ce qui passionne le plus la classe : la fête patronale, un accident, un jeu original, une observation particulière. On choisit ce qui mérite d’être imprimé et voilà notre lecture prête. Ou bien nous copions simplement une bonne rédaction d’élève, ou encore un morceau choisi de récitation. Les enfants s’initient mécaniquement à l’orthographe des mots, à leur séparation, à la ponctuation. Ils s’habituent aussi à faire un travail parfait, sans une faute, car toute faute nécessite correction. Le travail scolaire devient un travail vivant » 224 .

L’apprentissage de l’écriture sous ses différentes formes (journalistique, critique) ; l’apprentissage de la socialisation dans un ‘ « comité de rédaction  ’» ; l’apprentissage des techniques spécifiques et de leurs contraintes et l’apprentissage de la responsabilité individuelle (de ce que l’on écrit) et collective (de ce que l’on produit et diffuse).

C’est en produisant que se mettent en œuvre ces apprentissages qui sont bien sûr fortement soutenus par la motivation naturelle à s’exprimer, à communiquer :

« Le journal scolaire est, au degré primaire surtout, l’outil indispensable à l’échange interscolaire. Par le journal scolaire, l’école sera désormais liée à plusieurs écoles semblables à la vôtre, situées aux divers coins de France et du monde. Par l’échange des textes imprimés, vous vous familiarisez avec les milieux familiaux, industriels, commerciaux, agricoles, folkloriques, artistiques, et cette connaissance sera un élargissement bénéfique de votre horizon scolaire. Vous échangerez par la suite lettres, photos, colis, produits du terroir. Vous aiguiserez votre commune curiosité et amorcerez ainsi une forme d’école totalement différente de celle à laquelle on vous a habitués et asservis. Le journal scolaire aura été l’instrument vivant de cette rénovation » 225 .

Mais le journal modifie aussi le rôle de l’enseignant qui devient un médiateur, notamment au sein du comité de rédaction où vont être adoptées les règles de fonctionnement et décidées les prises de responsabilité. L’enseignant va favoriser la prise de conscience du sentiment de compétence chez l’apprenant, faciliter l’autocritique de l’équipe, développer l’acceptation de la critique des autres, faire expliciter des bilans, permettre l’évolution du journal à partir des bilans et mettre en garde contre toute tentation de démagogie dans l’évolution de celui–ci.

Le journal scolaire va conduire à développer chez les apprenants l’autonomie, la responsabilité, la découverte et le développement de ses propres compétences.

Le comité de rédaction va permettre de comprendre et d’adopter collectivement des règles de vie et de fonctionnement, des prises de responsabilités et le respect de l’engagement individuel dans le cadre d’un travail de groupe qui a un intérêt commun : produire.

Le journal scolaire est comme une permanente enquête qui place l’éducateur à l’écoute du monde. Il permet de déborder le milieu scolaire pour atteindre le milieu social. L’enseignement en sera alors plus riche. Le journal scolaire constitue en quelques sortes, les archives vivantes de la classe.

Il s’agit d’une production, qui amène les éducateurs sur la voie d’une formule nouvelle d’école, cette école du travail qui opère non plus sur des normes intellectualisées, mais à même l’activité sociale. L’école doit désormais, comme l’artisanat et l’usine, avoir des créations à mettre en valeur, des chefs-d’œuvre à exécuter, des productions qui légitiment les méthodes employées et les efforts communs pour y réussir.

Le seul fait d’harmoniser, par les techniques Freinet, vie scolaire et vie familiale et sociale est sans nul doute d’une grande portée dans la formation psychique et psychologique des enfants.

« Cette transformation des individus, cette ouverture qui est libération, cette socialisation, vous les amorcerez, puis vous les atteindrez dans vos classes par la méthode d’expression libre dont le journal scolaire est l’instrument » 226 .

Le journal scolaire est donc un travail d’équipe, chacun y met sa touche, qui prépare pratiquement à la coopération sociale des enfants. L’imprimerie conditionne une activité sociale dont toute la classe sent la nécessité. Le travail de chaque enfant fait partie d’un tout qui nécessite diligence, application et perfection.

Le reclassement des caractères, n’en est pas moins accepté avec une discipline consentie qui est une épreuve sociale.

L’individu est ici dans l’obligation de se plier à cette règle du travail de l’équipe. Dans l’équipe de trois à quatre élèves qui opèrent le tirage, chacun doit remplir correctement son rôle. La vente elle-même se fait par les élèves qui s’initient ainsi à la gestion sévère des fonds collectifs.

Tout acte qui risque de gêner le bon fonctionnement de l’imprimerie est sanctionné par le groupe ou l’équipe qui tient à mener à bien son travail. A toutes les étapes de son processus, l’édition et la diffusion du journal scolaire sont la meilleure des préparations aux responsabilités sociales.

Le journal scolaire suppose la coopération scolaire. La technique traditionnelle de travail scolaire, sur la base du manuel individuel, des devoirs à faire seul et des leçons à réciter, est par principe anti-coopérative. Elle préconise, entretient et renforce les formes individuelles de l’économie et donc de la culture. Le journal scolaire ne peut lui, qu’être coopératif.

Notes
221.

- FREINET. C., Le Journal scolaire. Editions Rossignol, Montmorillon (Vienne), 1957, p. 15.

222.

- Ibid, p. 25.

223.

- Idem, p. 65.

224.

- FREINET. C., Chacun sa pierre, une expérience d’adaptation de notre enseignement : l’imprimerie à l’école, Ecole Emancipée, n° 8, 15 novembre 1925.

225.

- FREINET. C., Le Journal scolaire. Editions Rossignol, Montmorillon (Vienne), 1957, p. 66.

226.

- Idem, p. 86.