A – L’ENFANT CITOYEN DE FREINET

L’être humain doit nécessairement élaborer ses propres schémas de représentations et les outils, dont il a besoin, se trouvent dans ses rapports à l’Autre mais aussi dans ses rapports aux institutions et à ses représentants.

C’est donc dès le plus jeune âge et d’une manière structurée que l’importance des Droits de l’homme peut être expliqué aux enfants et dès lors prendre forme. Les pédagogues s’accordent pour dire que l’éducation désigne un ensemble d’influences, celles des hommes et celles des choses, émanant de l’environnement et aboutissant à une transformation du comportement des sujets qui les subissent. Il s’agit de l’influence d’une génération sur des enfants, des jeunes adultes pour en faire des êtres insérés dans une société. C’est la raison pour laquelle l’éducation comme un passage obligé de toute réflexion sur lacitoyenneté. Si l’on considère que l’éducation représente le vecteur principal qui permet d’entretenir ce qu’Aristote appelait ‘ « l’âme de la cité  ’», alors on doit admettre que l’éducation est la seule en mesure de tendre à transmettre au citoyen les compétences requises et, d’abord, le désir même de les acquérir, comme de lui redonner confiance en lui, face à son sentiment d’être débordé par la complexité croissante des questions.

L’éducation peut selon Freinet rendre les hommes responsables, les mettre en face de vrais problèmes, de vrais choix. Le but de l’éducation n’est pas de faire des enfants sages, c’est de permettre à chaque enfant de devenir un adulte responsable. Donner du sens à l’école c’est en conséquence préparer l’individu–élève à la citoyenneté. L’école est chargée de préparer l’enfant à devenir citoyen, c’est à dire lui permettre de développer un sens des responsabilités à l’égard du groupe, de la collectivité et des biens communs, de développer le goût d’innover et la capacité d’entreprendre, alors, pour tout cela, l’école ne peut être seule devant cette tâche.

La fonction de l’école et la fonction de l’Etat en matière d’éducation ne sont ainsi que des fonctions auxiliaires à l’égard du groupe familial, puisque la première sphère éducationnelle est celle de la famille.

Au fil de l’histoire, Platon, Aristote, Rousseau et Kant ont, chacun à leur manière, montré à quel point l’éducation du citoyen fonde sa capacité à juger des affaires communes. Le thème de l’Education civique est lié, dans son apparition historique et institutionnelle, à la Révolution française, c’est à dire à son projet de transformation démocratique et égalitaire de la société. Toutefois, bien avant la Révolution, ce thème est déjà présent chez les philosophes. Platon comme Rousseau développent l’idée d’une transformation de la société dans et par l’Education. Chez Rousseau, les deux finalités possibles de l’Education sont dissociées, il faut choisir entre la formation de l’homme ou celle du citoyen. La formation du citoyen ne saurait jamais former que des individus adaptés à une société donnée pour une époque donnée ; en ces temps mouvants et incertains qui sont les nôtres, il vaut mieux opter pour l’éducation de l’homme, c’est ce que fera Rousseau en écrivant l’Emile.

On peut noter les premiers liens entre l’éducation civique comme éducation pour l’exercice de la souveraineté, c’est à dire une éducation au politique ; et l’éducation civique pour remplir des fonctions dans l’Etat, c’est à dire à dominante intégrative et fonctionnaliste.

  • L’éducation civique de la Révolution à la IIIème république 255

Dans les projets des deux assemblées révolutionnaires, on relève la volonté d’instaurer un enseignement à caractère civique, c’est à dire de développer une éducation morale et sociale se substituant à l’éducation religieuse, dans un contexte de lutte entre l’église et l’Etat républicain. Le projet Talleyrand présenté en 1791 prévoit des instructions simples et claires sur les devoirs communs à tous les citoyens et sur les lois qu’il est indispensable de connaître. Par la suite, deux conceptions vont s’affronter. Celle de Condorcet repose sur l’instruction, la liberté. Il s’oppose donc à l’enseignement de la constitution républicaine comme une doctrine. Lepeltier de Saint–Fargeau prêche au contraire pour une éducation du citoyen. Il insiste sur la discipline et la soumission aux lois. Il privilégie l’acquisition de contenus. Il prône une prise en main totale des enfants, avec la création de maisons d’éducation qui seront des internats.

L’œuvre de la Révolution Française ira plutôt, dans le sens de l’instauration d’un catéchisme républicain. Seul de décret Lakanal du 17 novembre 1794, prévoit de compléter l’instruction civique par différentes visites, une éducation non plus seulement doctrinale mais en prise directe avec la réalité sociale. Après Thermidor et l’avènement du premier empire, le thème de l’instruction civique s’efface et disparaît au profit d’un retour de l’instruction religieuse.

  • L’éducation civique sous la IIIème République

La IIIème République marque un retour en force de l’instruction et de l’éducation civiques. La loi du 28 mars 1882 l’introduit officiellement dans les programmes. Il se produit alors ce que Mougniotte 256 appelle, un ‘ « processus de didactisation  ’» de l’instruction. Plusieurs manuels seront publiés entre 1872 et 1914.

Trois axes ont pu être relevés dans ces manuels ; un axe informatif portant sur l’ensemble des institutions républicaines, la morale civique n’apparaît pas séparée de la morale tout court ; un axe affectif qui se développera essentiellement par des récits destinés à provoquer l’émotion et un axe critique. L’évolution de l’instruction civique sous la IIIème République se fera par rapport à trois types de difficultés rencontrées par les enseignants.

Une difficulté technique ; une difficulté éthique, les valeurs que défend et dispense l’instruction civique sont–elles légitimes ? ; une difficulté pédagogique, y a t’il une didactique des valeurs ? L’instruction ou l’éducation civique apparaît aujourd’hui sous le nom d’éducation à la citoyenneté. Comme précédemment c’est dans les périodes de crise, de malaise et de consensus menacé que ce thème revient sur la scène pédagogique.

  • L’éducation à la citoyenneté

Autrefois, l’élève ne devenait citoyen qu’après la fin de la scolarité obligatoire ; maintenant il a le droit de vote avant son intégration dans le tissu économique et social, Freinet a notamment participé à cette reconnaissance.

L’émergence de la notion de ‘ « droits de l’enfant  ’» témoigne de cette évolution ; la Convention de 1989 a pour conséquence que l’élève n’est plus seulement un futur citoyen à former, c’est déjà actuellement un citoyen détenteur de droits non plus seulement passifs mais aussi actifs, Freinet soutenait déjà cette idée.

Des changements institutionnels, socio–culturels, socio–politiques, socio–économiques et pédagogiques sont intervenus. La démocratie ne doit désormais pas seulement avoir un contenu et une signification politiques, elle doit aussi avoir une signification socio–économique. Non seulement il y a un apprentissage de la démocratie, mais aussi une gestion plus ou moins démocratique des apprentissages.

Notes
255.

- GALICHET. F., L’éducation à la citoyenneté, Anthropos, Ed. Economica, Paris, 1998.

256.

- MOUGNIOTTE. A., Eduquer à la démocratie, Editions du Cerf, Paris, 1994. Les débuts de l’instruction civique en France, Presses Universitaires de Lyon, Lyon, 1991.