3 – Le modèle réaliste

Dans le modèle analogique, l’enfant n’y est plus considéré uniquement comme un être mineur, susceptible seulement de recevoir des savoirs, des influences ou d’acquérir des aptitudes et des savoir–faire. Il est invité à exercer des responsabilités, à pratiquer la démocratie en acte et non pas simplement en théorie. Mais il s’agit toujours d’une quasi–citoyenneté, d’une démocratie en miniature et non en vraie grandeur. La pédagogie nouvelle est ce courant qui a hautement et vivement affirmé la spécificité de l’enfant contre la conception réductrice de l’adulte en miniature, ou encore le puerocentrisme contre l’adultocentrisme. L’enfant est exclu de la ‘ « vraie  ’» politique et par conséquent de la citoyenneté.

Les deux modèles mimétique et analogique envisagent l’éducation à la citoyenneté essentiellement comme une éducation individuelle. Il s’agit de former ou d’instruire un homme libre et responsable, capable de participer au débat démocratique à partir de son propre jugement ; l’ autonomie est personnelle, et c’est seulement dans un second temps que la réflexion et le jugement autonomes peuvent conduire l’individu–citoyen à s’intégrer dans des collectifs par lesquels les exigences de ceux–ci pourront être réalisées.

Certes, dans la perspective analogique, l’accent est davantage mis que dans la perspective classique sur les capacités de socialisation et de coopération au sein d’un groupe ; mais il ne s’agit là que d’un élargissement de compétences qui restent toujours foncièrement individuelles.

Le citoyen est toujours un concitoyen, une personne qui vit avec d’autres. Cette collectivité se définit principalement à deux échelles, d’une part le local, la société, dans laquelle la personne vit, à laquelle elle appartient, d’autre part l’Etat, qui appelle une appartenance nationale qui confère la plénitude des droits accordés aux membres de cet Etat. Citoyen et citoyenneté appellent toujours la délimitation d’un territoire et d’un groupe, territoire où les droits sont applicables, groupe comme ensemble de personnes titulaires de ces droits ; ils s’ancrent donc, en premier lieu sur le politique et le juridique.

Enfin, selon les traditions, l’accent est mis plutôt sur le local comme premier niveau d’appartenance et espace suffisamment limité pour que la personne puisse y être commune et se construit l’identité collective publique. Dans aucun Etat, l’un ou l’autre niveau n’est exclusif ; il s’agit plutôt d’une priorité accordée à l’un ou à l’autre, d’une manière de se situer qui a des conséquences sur les conceptions de l’éducation à la citoyenneté démocratique.

La finalité de l’éducation demeure la formation d’un homme capable de tenir sa place de citoyen où que ce soit, c’est à dire de transférer ou transposer les qualités acquises au sein des divers groupes composant l’institution scolaire dans les collectivités auxquelles il sera amené à participer une fois adulte. Freinet considère également que le groupe est fondamental pour le développement de l’homme. Dans un projet de socialisation comme le sien, il accordera autant d’importance au travail individuel qu’au travail collectif, à l’individu qu’au groupe.

« Fini le temps où les élèves emportaient dans leur sac tous les instruments de travail, y compris même leur encrier. Des techniques nouvelles, le matériel nouveau qu’elles nécessitent, ne sont jamais propriété personnelle des élèves. Ils sont encore trop souvent hélas ! à l’exclusive disposition du maître ; mais celui-ci est, de plus en plus, poussé à la collaboration, à la coopération » 277 .

Nous pouvons alors dire que selon la classification élaborée par François Galichet, Freinet pourrait se positionner à la fois dans les modèles analogique et réaliste.

Notes
277.

- FREINET. C., Notes de pédagogie nouvelle révolutionnaire : les coopératives scolaires, Ecole Emancipée, le 5 mai 1929, p. 506-507.