B – PAROLE ET CITOYENNETE CHEZ FREINET

Accueillir quotidiennement et faire grandir des paroles qui s’énoncent et énoncent l’être, dans une démarche globale de communication et de coopération, tel est le choix pédagogique de Freinet.

Un concept très important chez Freinet, l’expression, de l’enfant. En effet, ce concept a véritablement une finalité sociale démocratique. L’expression constitue un droit pour l’enfant. Cette expression va donc être reconnue et être encouragée.

« Il est un autre genre d’outils, plus subtils certes et plus immatériels, dont nous ne saurions négliger l’exaltant emploi. Ce sont ceux qui permettent à l’enfant d’entrer en contact avec ses semblables, d’extérioriser et de formuler ses besoins, de développer et d’approfondir la conscience qu’il a des relations entre les éléments et leurs manifestations, de dominer progressivement la nature par le langage qui, après les mains, est le premier et le plus éminent des outils, par le dessin, l’écriture, l’imprimerie et la lecture » 278 .

Freinet va montrer l’importance de la prise de parole chez l’enfant dans la structure école. Il ira jusqu’à développer la pratique du débat en classe, lors des temps de conseil d’enfants.

Historiquement, la pratique du débat est liée, sur l’agora grecque, à l’émergence de la démocratie. Plus tard, la philosophie des Lumières établira un lien étroit entre la naissance de l’Etat démocratique moderne et l’existence d’un espace public assurant droit d’expression et confrontation des opinions.

Dans ce contexte individualiste actuel, où explosent les incivilités et où les consensus sont toujours à renégocier, l’école républicaine se doit de faire du débat une base de l’éducation à la citoyenneté, tel que l’avait pensé Freinet. Les institutions de démocratie représentative comme les représentants d’élèves, les conseils de classes, d’école, ne prendront sens et vie que par des débats effectifs.

Savoir débattre est une compétence fondamentale de l’éducation civique, une façon pour les élèves de faire l’expérience, en classe et dans l’école, d’une parole publique et responsable. Débattre suppose une éthique de la communication sans laquelle on peut basculer dans la violence physique ou l’injure verbale, il faut rester avant tout des êtres civilisés. Débattre permet donc à l’homme de se civiliser.

C’est pourquoi Freinet a placé le débat au centre du fonctionnement de sa classe et de son école, c’est ce qu’il appelle la réunion de la coopérative, qui se déroule tous les samedis. Tout l’art est ici, à travers l’institutionnalisation du débat, de construire une démocratie scolaire qui n’est pas encore celle de la Cité mais qui n’est plus celle de la cité. On se situe dans une relation éducative où il y a nécessairement asymétrie des âges, des statuts, des compétences et des droits.

« Rien est aussi moral et aussi profitable que cet examen commun, à la fois critique et constructif, de la vie de la classe. Les conditions mêmes de cet examen collectif excluent toutes tendances à la médisance, à la calomnie, à la méchanceté mesquine. Car la mauvaise intention serait bien vite démasquée et ridiculisée. Après une courte pratique-le temps naturellement de purger la classe des habitudes de passivité, de stricte obéissance et de camaraderie hypocrite qui en étaient naguère la loi-, les enfants font preuve, dans cette autocritique, d’une loyauté, et surtout d’un courage étonnants. La camaraderie elle-même ne joue que dans une faible mesure. On peut se critiquer et rester pourtant excellents camarades si on est loyal sincère et bon » 279 .

L’éducation civique juridique et sociale a mis au centre de cet enseignement une méthodologie du débat argumenté. Il s’agit selon Freinet d’apprendre aux enfants à discuter, et ce le plus tôt possible, dès le primaire. Puisque le débat n’est pas seulement une relation de pouvoir partagé mais une forme élaborée du rapport au savoir. L’apprentissage de la discussion aidera à construire un discours sociologique et philosophique, puisque les enfants posent dés la maternelle les questions existentielles. Par ailleurs, dans une école largement dominée par le primat de l’écrit, l’oral s’affirme désormais dans les programmes, en français particulièrement, et notamment à travers la notion de débat argumenté. Il faut cependant considérer le débat comme un travail langagier et conceptuel qui vise un rapport non dogmatique au savoir et à la vérité. La classe devient alors une communauté de recherche et le débat peut ainsi contribuer à la structuration identitaire de l’élève comme sujet.

« L’heure de sortie a parfois sonné depuis longtemps que nous sommes encore là, en passionnante camaraderie, pour mettre au point la vie de la classe qui devient ainsi, dans une large mesure, la chose même de chaque enfant. L’école devient son école » 280 .

Le débat doit selon Freinet devenir un outil et un support d’enseignement. La psychologie sociale et les didacticiens de discipline ont montré l’importance, dans le processus d’apprentissage, de la confrontation des idées entre pairs qui favorise l’évolution des représentations. L’interaction sociale verbale, le conflit socio–cognitif, la coopération interactive, facilitent un rapport constructif au savoir. D’où l’intérêt, dans toutes les disciplines, de moments de débats, en groupes ou en classe plénière. Il s’agit de faire apparaître la démocratie au cœur même de l’acte d’apprentissage.

Il s’agit de socialiser l’enfant par la mise en commun, confronter les idées et les hypothèses émises sur un problème posé, dans un cadre de communication et de validation garanti par le maître.

« Nous ne sommes ni pour ce silence de mort qui doit suivre, selon certains, le tintement de la cloche, ni pour cet alignement militaire où les uns crânent orgueilleusement, tandis que d’autres se crachent pour se faire oublier ou pardonner. On se tait ainsi, le cœur battant, quand on heurte à la porte de quelque inconnu intimidant. Mais quand on retourne à la maison maternelle, on entre joyeusement, l’esprit et la bouche tout pleins de confidences qu’on a hâte de faire ou des questions qu’il nous tarde de poser. Nous voulons que notre école soit la maison familiale où s’épanouit le cœur et s’extériorisent les pensées. Nous n’en barrerons donc pas l’accès par un formalisme desséchant qui n’est qu’une parodie de discipline. Ce qui ne veut pas dire que nous soyons indifférents à la propreté et à la politesse dont se préoccupent au même titre les parents intelligents et dignes » 281 .

Au cours de ces débats l’enfant apprend à s’exprimer, à se justifier, à débattre ses idées, mais il apprend également à penser par soi–même. Il s’agit selon Freinet d’une véritable obligation éducative, aider l’enfant à développer sa capacité à penser par lui–même, à exercer la liberté critique d’un jugement rationnel, à comprendre le sens de son rapport au monde, à autrui, à lui–même, pour agir en connaissance de cause et de valeur et assumer son humaine condition.

Le système scolaire doit préparer les hommes de demain et par conséquent, il doit accueillir dès le plus jeune âge cette pensée réflexive.

Face à la crise scolaire du sens, la discussion philosophique à l’école primaire, innovation en lien direct avec la pensée de Freinet, pourrait faire converger d’une part, un rapport non dogmatique au savoir, par le primat dans la démarche de la question et de la recherche sur le résultat ou la réponse. D’autre part, elle permet de développer un rapport coopératif à la loi, par l’éthique communicationnelle du débat, forme démocratique des échanges par les procédures des tours de parole et la régulation socio–affective des processus, écoute et respect d’autrui…. Discuter philosophiquement à l’école et ce dès l’enfance, c’est fournir un cadre d’apprentissage à l’éveil de la pensée réflexive. Parler non pour parler, mais pour penser ce que l’on dit, et pas seulement dire ce que l’on pense ; parler pour savoir ce dont on parle et si ce que l’on en dit est vrai, avec un fonctionnement démocratique de la parole, et des exigences intellectuelles de ‘ « problématisation  ’», de conceptualisation, d’argumentation.

La seconde légitimation de l’enseignement de la philosophie à l’école, est l’action d’exercer dans une perspective citoyenne, l’usage éclairé de sa raison, pour comprendre les enjeux économiques, sociaux, culturels, éthiques d’un monde complexe ; contribuer avec rigueur au débat public nécessaire à des choix politiques décisifs et participer activement aux différents niveaux de la vie démocratique : ‘ « Ainsi sera atteint le double but de notre internationale : perfectionnement pédagogique et rapprochement social  ’» 282 .

Montaigne dans Les Essais invitait déjà à pratiquer la philosophie auprès des enfants. L’enfant en était capable selon lui. L’éducation préconisée par Montaigne offrait à l’enfant les moyens de se posséder lui–même, et par la même de ‘ « s’autonomiser  ’». Elle refusait avec force une adaptation aux exigences du présent qui installaient l’enfant dans un ‘ « moule préfabriqué  ’» en vue d’une efficacité strictement conjoncturelle. Il s’agissait ici de développer une éducation morale mais également et surtout l’autonomie ou l’autoconstitution de soi.

La discussion permet alors de développer une éducation démocratique. On ne naît pas démocrate au sens où l’est celui qui peut reconnaître l’intérêt de tous et universaliser sa position individuelle. Apprendre en effet à un enfant qu’un des moyens pour voir si sa position est bonne d’un point de vue éthique est de lui faire voir si sa maxime ou sa position peut être universalisée. L’enfant doit d’abord trouver un sens propre à sa vie pour s’intéresser ensuite au monde. Il doit pouvoir se forger une identité, trouver un sens à ce qu’il fait, à ce qu’il est, qu’il comprenne le monde et lui donne un sens. C’est seulement lorsqu’il aura le sentiment d’y avoir une place qu’il s’intéressera à la gestion de ce monde. Tous les enfants sont des philosophes, ils questionnent très tôt le monde. Tout petit, l’enfant se pose des questions qui concernent le sens de la vie, qui concernent le temps.

Dans les structures de parole, instituées dans les classes Freinet, la réflexion ‘ « philosophique  ’» affleure souvent lorsque les enfants abordent, en toute liberté, des thèmes qui les touchent profondément. Mettre en place des moments de philosophie, bien distincts des autres moments de parole, c’est être convaincus du fait que les enfants ont une capacité à questionner le monde qui, lorsqu’elle est accompagnée, leur permet d’acquérir la faculté de penser par eux–mêmes.

Les ateliers philosophiques qui se sont inspirés de la pédagogie de Freinet trouvent alors toute leur place à l’école, lorsqu’ils sont en cohérence avec les autres pratiques de la classe : respect de la parole de l’autre, de la confidentialité des propos tenus, éducation citoyenne reposant sur une pratique quotidienne de la coopération. Le savoir–faire des enfants, acquis par la pratique des temps de parole tels que le ‘ « quoi de neuf ?  ’» et des conseils permet alors d’articuler pratique philosophique et pratique démocratique.

L’école a une responsabilité particulière dans l’éducation à la citoyenneté, tant pour l’insertion politique de l’individu dans la Cité, que par les conditions du lien social à réunir pour fonder ce lien politique, il s’agit du processus de socialisation démocratique évoqué par Freinet.

« Quand un pédagogue de talent désire fonder une école nouvelle, il part à la recherche de quelque coin ensoleillé, au flanc d’une montagne majestueuse, au milieu d’une nature belle et saine. Là, il fait construire des locaux adaptés aux fins qu’il se propose, et les meubles également pour ces fins. Il veille ensuite à ce que les enfants qu’il reçoit soient convenablement nourris, qu’ils aient un sommeil réparateur, qu’ils profitent du plein air. Et après, mais après seulement, il s’occupe des méthodes et des techniques ; car, sans ces préparatifs, et malgré tous les efforts des pédagogues, il ne pourrait pas y avoir d’école nouvelle. On fait le contraire chez nous. On feint de croire que les méthodes et les techniques constituent tout l’essentiel de l’éducation. Si le local est mal situé et mal divisé, si la classe ne possède aucun matériel d’enseignement, si les enfants sont mal nourris, s’ils s’étiolent dans des taudis, tout cela, dira-t-on, ne dépend plus de l’école mais de la société ; c’est affaire sociale et politique ! Mais n’est- il pas du devoir des pédagogues de montrer aux profanes par quels liens intimes l’Ecole est rattachée au milieu social, pour leur prouver qu’il est illogique de parler de progrès scolaires ou éducatifs maximum là où les conditions matérielles indispensables ne sont pas réalisées » 283 .

La discussion ‘ « philosophique  ’» apparaît comme une garantie de la qualité du débat démocratique, en ce qu’elle tente de le préserver de ses dérives démagogiques, telles que la doxologie, où l’on se contente d’exprimer ses opinions sans exigence de leur validation rationnelle, et la sophistique, où l’on cherche à vaincre l’autre plutôt qu’à se convaincre soi–même, en rabattant l’exigence de vérité d’une communauté en recherche sur l’assentiment du simple nombre.

Apprendre à penser par soi-même pour assumer son humaine condition et pour s’insérer de façon critique dans le débat et l’action publics, voilà deux raisons de développer la philosophie à l’école.

Cependant avant d’apprendre à philosopher, il faut apprendre à parler, apprendre la médiation. Il faut donc selon Freinet donner à l’enfant les moyens d’échapper à la sensation, à l’immédiateté, apprendre à surseoir, à différer, à mettre à distance, parce qu’on peut en parler, parce qu’on a appris à en parler et parce qu’il y un temps et des lieux pour le faire. La démocratie exige que, si nous ne sommes d’accord sur rien, nous soyons au moins d’accord sur les procédures qui permettront de parler de nos désaccords. Le parlement, c’est étymologiquement, l’endroit où l’on en parle. C’est donc bien comme médiation que la parole se donne et se prend.

Or toute la socio–linguistique qui examine les attitudes langagières en situation de communication, nous montre que les usages sociaux de la parole sont très inégaux et recouvrent des enjeux de pouvoir et de reconnaissance sociale. C’est à ce niveau, me semble t’ il, qu’une pédagogie de l’oral rencontre la question de la citoyenneté. Si l’école a pour objet la formation des citoyens, elle ne peut pas négliger cet aspect de la communication et de l’échange verbal qui nécessite bien plus qu’un usage spontané de la parole. L’échange verbal nécessite des stratégies de communication, des compétences langagières, des schèmes de pensée. Enfin, l’accès à la parole est une dimension de la construction du sujet, une dimension dans laquelle se négocie l’image de soi et des autres. Le ‘ « je  ’» est en même temps un ‘ « tu  ’» qui est pris dans cette réalité ‘ « dialogale  ’» de la parole où les autres interagissent avec moi. Lorsque je lis un texte je suis dans une relation solitaire avec un sens qui peut être appelé ‘ « orphelin », ’puisque l’auteur n’est pas là pour soutenir le sens de ce qu’il a voulu dire. A l’inverse, dans un dialogue, le sens est ‘ « négocié  ’» par l’interaction des locuteurs. Il est négocié mais en même temps traversé par un face à face. Lorsque je parle, je mets en jeu une représentation de moi–même et, dans le même temps, je me rends vulnérable au jugement d’autrui.

Dialoguer c’est à la fois s’entretenir d’un sujet et confronter deux personnalités qui ne peuvent pas ne pas essayer d’imaginer ce que chacun pense de l’autre, et qui se conduisent à partir de l’idée qu’ils se font de ce que pense l’autre. Parler, c’est bien communiquer, mais il ne se joue pas dans la communication qu’une affaire de transmission d’informations parce que la parole est aussi fondamentalement une rencontre. La parole est un mouvement de déportation de soi vers l’autre. Un mouvement dans lequel il y a, à la fois, une affirmation du sujet et une recherche d’autrui. L’enfant parle, à la fois, pour se faire entendre et, dans une visée de communication, pour aller aux autres. Cette double fonction de la parole ne va évidemment pas de soi. Tout langage est en effet d’abord reçu. L’enfant le reçoit tout fait du milieu, comme il reçoit son alimentation. C’est toujours dans la parole des autres, avec les mots des autres, que l’on apprend à parler.

« L’enfant qui arrive à l’école maternelle sait ordinairement parler à peu près correctement. Mais son langage, surtout dans les milieux populaires, reste essentiellement pauvre parce qu’il est l’expression exclusive d’une prospection et d’un aménagement laborieux. Les méthodes actuelles s’attardent à cet aménagement lorsqu’elles insistent sur les mots et les noms des choses qui conditionnent moins qu’on ne croit la richesse verbale. Nous orienterons de préférence les enfants vers le langage global, de relation et d’expression selon le processus naturel. D’ailleurs, les travaux que nous leur offrons les incitent au langage vivant : dans les champs, autour des animaux qu’ils soignent, ils sont entraînés à parler pour exprimer les réactions complexes auxquelles ils ajustent comme ils peuvent les mots et expressions qui leur sont familiers. Lorsque l’enfant bêche ou sème, lorsqu’il soigne la chèvre ou les lapins, lorsqu’il construit une cabane, un garage, un chariot, qu’il créé des marionnettes, c’est toute une vie nouvelle qui l’agite et qui a son expression naturelle dans le langage spontané et sensible » 284 .

Ainsi, s’établit ce qu’on peut appeler le pacte social du langage. Pour que l’enfant prenne la parole, il faut qu’elle lui soit, d’une manière ou d’une autre, donnée par autrui. La parole est, en ce sens, la fonction humaine d’intégration sociale. Si je veux être compris de tous, je dois parler le langage de tout le monde, je dois accepter d’en passer par la parole des autres.

Le contrat linguistique est un des aspects fondamentaux du contrat social chez Freinet, avec ce paradoxe inhérent à la communication orale ; parler consiste à se faire entendre de tous pour se faire reconnaître comme personne, c’est à dire comme unique ! Or, c’est cette fonction humaine d’intégration sociale qui semble la moins bien prise en charge par l’institution scolaire.

Freinet c’est alors interrogé sur comment donner la parole aux élèves de telle sorte que la classe soit un espace de communication et d’expression de soi, c’est à dire un vivre–ensemble sur lequel nous pourrions gagner un travailler ensemble. A cet égard, la question de la parole a cessé d’être uniquement une question de didactique du français pour devenir une question qui touche toute l’organisation de la vie pédagogique dans la classe. Quelle place accorder au sujet, c’est à dire à ce qu’il dit ?

Par conséquent, le problème n’est pas de substituer à un enseignement de la langue orale, une pratique de la communication orale ; il s’agit de mieux apprécier ce qui se joue dans la parole, de mieux apprécier le contexte, pour pouvoir faire de l’apprentissage de la parole, une ressource pour la citoyenneté. Or, pour cela, il faut dépasser les conditions linguistiques et cognitives de la communication et leur adjoindre un savoir être sans lequel il n’y a pas de dialogue. La prise de parole suppose la constitution d’une image de soi comme interlocuteur de plein droit, comme quelqu’un qui a quelque chose à dire et qui assume les risques de l’intervention.

Il ne suffit donc pas, selon Freinet, de solliciter l’expression verbale des enfants pour qu’ils se saisissent de cette occasion de prendre la parole. Il y a dans la prise de parole, une prise de risque qui a besoin d’être étayée. Un lieu institutionnalisé, comme le ‘ « Quoi de neuf  ’» en pédagogie Freinet, n’a, au moins dans un premier temps, pas d’autre fonction que de ritualiser cette prise de parole en créant un espace d’expression sécurisé, réglé, dans lequel se construit progressivement ce savoir être qui fait de l’enfant un interlocuteur de plein droit.

Mais, selon Freinet, la parole ne passe pas seulement par desconditions linguistiques, cognitives et psychologiques ; elle passe aussi par une meilleure connaissance des outils de la communication. Elle est inséparable de la formation d’un esprit critique qui suppose que l’on entraîne l’élève à ne pas prendre pour argent comptant tout ce qu’on voit, à ne pas croire n’importe quoi sous prétexte que quelqu’un l’a dit ou qu’on l’a entendu.

On voit donc que les conditions d’une pédagogie de la parole à l’école sont nombreuses et complexes. Mais, après avoir précisé le sens d’une pédagogie authentique de la parole et avoir contextualisé cette pédagogie et définit ses enjeux, il nous fautmaintenant réfléchir aux problèmes que pose, à l’école, la mise en place d’une telle pédagogie. Freinet souhaite faire de l’expression et de la communication orales, non pas simplement une affaire de correction de la langue orale mais un problème de pédagogie générale, c’est à dire un problème d’expression et de communication des enfants dans la classe, dans tous les domainesde la classe. Il s’agit de faire de la prise de parole et des conduites langagières en situation de communication, pour décrire, expliquer, choisir, décider, argumenter, négocier, la priorité des apprentissages. Il s’agit de privilégier la communication publique, c’est à dire celle qui touche aux transactions avec le monde et avec les autres, plutôt que de vouloir codifier l’expression de la vie subjective. Privilégier la fonction d’intégration sociale de la parole en rendant familières les règles de l’échange verbal.

Un lieu de parole comme le ‘ « Quoi de neuf  ’» dont on a déjàparlé, constitue un dispositif où chacun peut parler de ce qu’il souhaite ou présenter un objet et répondre aux questions qu’on lui pose. C’est un dispositif léger, facile à mettre en place et à conduire qui permet de s’exercer à la prise de parole, au questionnement et aux règles de l’échange verbal. Il peut alimenter dans un deuxième temps, la vie de la classe en débouchant sur des enquêtes, desrecherches, des débats, des exposés, assurant à l’enfant que saparole a été prise en compte et qu’il en retrouve l’écho dans les activités de la classe. Mais, ces différentes situations orales ont leurs règles propres et nécessitent chacune, qu’on en fasse l’expérience répétée. Enfin, la réunion de coopérative ou le conseil, déjà évoqués, constituent un autre lieu de parole concernant la vie de la classe, les projets, éventuellement les conflits. Dans tous les cas ces lieux de parole sont institutionnalisés. Ils reviennent régulièrement dans l’emploi du temps et se déroulent toujours de façon identique, avec le même dispositif.

Notes
278.

- FREINET. C., Oeuvres Pédagogiques, L’école moderne française, Tome 2, Editions du Seuil, 1994, p. 32.

279.

- Idem, p. 60.

280.

- Idem.

281.

- Idem, p. 61.

282.

- FREINET. C., Appel aux internationalistes, Ecole Emancipée, le 18 juin 1921, p. 150.

283.

- FREINET. C., Notes de pédagogie révolutionnaire : l’école organisme social, Ecole Emancipée, le 11 décembre 1927, p. 189.

284.

- FREINET. C., Oeuvres Pédagogiques, L’école moderne française, Editions du Seuil, 1994, p. 32-33.