A- D’un régime spécial à un droit plus commun

La consécration législative en 1968 de l’indépendance du régime de protection civile des modalités du traitement médical "notamment quant au choix entre l’hospitalisation et les soins à domicile"315, répond à une préoccupation ancienne des psychiatres des hôpitaux comme en témoigne le rapport préliminaire à la séance du 25 mars 1952 de la Commission des Maladies Mentales du Conseil Permanent d’Hygiène sociale, remis par Xavier Abély, Lucien Bonnafé et Georges Daumézon316, alors qu’un projet élaboré par le ministère de la Justice sur la capacité civile est en cours d’élaboration. Les arguments des psychiatres des hôpitaux sont alors au nombre de cinq :

  • la diversité des situations des malades mentaux est considérablement augmentée par l’introduction des thérapeutiques modernes 317 ,
  • le consentement aux soins est facilité par la conservation du maximum d’exercice des droits du malade,
  • les procédures de l’interdiction et du conseil judiciaire instituent une "condamnation" 318 du malade,
  • la protection issue de l’administration provisoire est restreinte au temps de l’internement (les services ouverts et la post-cure ne sont pas favorisés) d’une part et aux seuls patients des hôpitaux publics (par rapport au privé faisant office de public),
  • les antagonismes sont possibles entre les intérêts de l’administration et ceux du malade imposant une compétence judiciaire et non administrative pour la gestion des biens.

En 1963, le Ministère de la Santé prend contact avec le Ministère de la Justice qui constitue alors une commission spéciale constituée par arrêté du 23 octobre 1963319. La présidence est confiée à Monsieur Aydalot, Procureur Général près la Cour de Cassation, la Vice-présidence à Monsieur Gerthoffer, conseiller du gouvernement pour les affaires judiciaires. Trois groupes de travail sont constitués en décembre 1963 : un groupe de médecins, animé par le Professeur Dechaume320, un groupe de juristes, et un groupe animé par Monsieur Gerthoffer. Le Garde des Sceaux scinde le projet de réforme en deux : un texte porte sur la protection de la personne, un texte sur le droit des incapables majeurs. Lors des débats à la commission de réforme, l’accord se fait sur la compétence du juge des tutelles, malgré le problème de l’accroissement des tâches que cela représente, sur la non-exclusivité de la saisine du juge par la famille, la dissociation des mesures relatives à la personne et celles concernant la protection des biens, le principe d’une gradation des mesures de protection selon le degré d’incapacité321. Tout le monde s’accorde enfin sur la nécessité de former les administrateurs des biens des malades mentaux. La loi de 1968 consacre les principes contenus dans le projet de loi élaboré avec le corps médical, et du même coup les revendications des médecins des hôpitaux psychiatriques322.

Notes
315.

Article 490-1 du Code Civil : “ Les modalités du traitement médical, notamment quant au choix entre l'hospitalisation et les soins à domicile, sont indépendantes du régime de protection appliqué aux intérêts civils. Réciproquement, le régime applicable aux intérêts civils est indépendant du traitement médical".

316.

X. Abély, G. Daumézon, L. Bonnafé, "Des dispositions à inclure dans le Code Civil concernant les malades mentaux", L’information psychiatrique, n°4, 1952, pp. 146-154.

317.

Les auteurs du rapport insistent sur la diversité dans le temps de l’état du malade mental, et sur la variété même des états mentaux d’un patient à l’autre ou des situations de placement. X. Abély, G. Daumézon, L. Bonnafé, "Des dispositions à inclure dans le Code Civil concernant les malades mentaux", op. cit., pp. 148-149.

318.

X. Abély, G. Daumézon, L. Bonnafé, "Des dispositions à inclure dans le Code Civil concernant les malades mentaux", op. cit., p. 150.

319.

Journal Officiel, 24 octobre 1963.

320.

On compte le Docteur Bailly-Salin, médecin des hôpitaux psychiatriques de la Seine, Mr Dechaume, Professeur à la Faculté de médecine de Lyon, le Docteur Mignot, médecin des hôpitaux psychiatriques de la Seine, et le Docteur Henne. Le Professeur Dechaume est Président de la Commission des Maladies Mentales dans les années 1960.

321.

Procès verbal de la réunion de la commission de réforme de la loi de 1838, 16 décembre 1964, p. 35 et p. 32 (Archives DGS).

322.

L’indépendance du régime de protection et du traitement médical, le rôle pivot du juge des tutelles, le rôle décisif du médecin dans la décision de protection et son rôle consultatif dans son application, l’individualisation de l’incapacité par la diversité des régimes de protection.