Chapitre II – D’un lieu à un milieu

L’exigence d’un droit commun portée par les médecins des hôpitaux psychiatriques requiert son lieu. Mais plus qu’à un lieu comme environnement, c’est à milieu qu’il est fait appel, au centre duquel doit se trouver le patient. Ainsi, il ne suffit pas que le caractère exorbitant du statut du malade mental soit juridiquement consacré, encore faut-il qu’il ne se reporte pas sur les institutions qui prennent en charge le patient. Mais à quelle topologie se réfèrent les initiateurs de l’intégration des lieux de soins psychiatriques à un droit commun ?

Dans sa définition pauvre, la despécification territoriale de la psychiatrie désigne le processus par lequel l’exercice de la psychiatrie s’est vu progressivement désolidarisé du lieu unique de l’asile. Dans sa définition dynamique, elle répond à un objectif de prise en charge du malade dans et avec son milieu social. La définition dynamique de la despécification du lieu de la psychiatrie publique nécessite donc une topographie mais ne s’y réduit pas : la «psychiatrie de secteur", qui est l’objet de ce chapitre, est ainsi pensée par ses pionniers selon une perspective essentiellement fonctionnelle.

Ainsi, la loi de 1838, qui fonde l’existence de l’asile comme lieu de soins spécifique, va subir une remise en cause intervenant dans les faits bien avant son abrogation en 1990, par la mise en oeuvre d’une pratique dite "de secteur", initiée par les médecins des hôpitaux psychiatriques. Il s’agira de montrer comment l’idée même de secteur est fondée sur des motifs thérapeutiques et légitime un changement de statut du praticien lui-même. Nous montrerons qu’une nouvelle organisation des soins, désignée par le terme de "secteur" puise d’abord ses principes dans des expériences issues des conditions de la guerre, elles-mêmes productrices d’une théorie de la pratique connue sous le nom de psychothérapie institutionnelle, dont nous aurons à analyser les fondements. Au lendemain de la guerre, les traits d’une doctrine de secteur sont formulés : le secteur comme idée s’énonce aussi en en terme d’organisation territoriale des soins psychiatriques. Comme pour la despécification pénale et civile du malade mental, nous verrons qu’une culture psychiatrique nourrie de diverses influences se construit autour de la restitution d’une vie collective dans et au-delà de l’institution asilaire. Enfin, après avoir retracé l’histoire proprement juridique du secteur, nous analyserons les critiques qui furent formulées à l’endroit de ses dérives pratiques par les partisans de son développement.