B- La justification thérapeutique du secteur

La question des origines du secteur fait l’objet de controverses464. Tantôt l’on retient la date de la première circulaire qui lui donne une existence officielle en 1960, tantôt l’on situe ses débuts dans les pratiques de psychothérapie institutionnelle ayant débuté avant-guerre, pratiques valorisées en 1945 par des psychiatres désireux de mettre fin à l’aliénisme465. Il nous semble indéniable que l’idée du secteur apparaît bien avant 1960. Sa réalisation, quant à elle, n’a cessé de s’échelonner dans le temps, et à différents degrés dans l’espace.

Il n’existe pas de définition univoque de la notion de secteur : tantôt elle désignera une méthode héritée de la psychothérapie institutionnelle466, tantôt la psychiatrie hors les murs au sens strict, tantôt le territoire rattaché à une même équipe soignante. De même, la notion de "santé mentale" qui connaît un usage politique flagrant actuellement467, connaît un usage ancien468. Nous allons donc tenter de restituer ce que recouvre l’idée de secteur à partir des discours des représentants de la médecine des hôpitaux psychiatriques depuis la fin des années 1930.

Notes
464.

En 1978, Lucien Bonnafé critique le discours commun selon lequel la psychiatrie de secteur daterait de mars 1960 et se réjouit du fait que, l’histoire officielle de la psychiatrie de secteur soit de plus en plus critiquée. Pour Lucien Bonnafé, le mot secteur est apparu dans le discours public sur l’organisation des services de santé mentale, en réponse aux préoccupations des médecins des hôpitaux psychiatriques privés faisant fonction de public "posant le problème de leurs dépendances par rapport à la direction de l’établissement" (Lucien Bonnafé,"Thèses 1978 sur la "psychiatrie de secteur"", L’Information psychiatrique, vol. 54, n°8, octobre 1978, p. 876).

465.

Circulaire non parue au journal officiel signée par le Ministère de la Santé Publique et de la Population relative au Programme d’organisation et d’équipement des départements en matière de lutte contre les maladies mentales, Direction Générale de la Santé Publique, 7ème bureau. Cf. Annexe.

466.

Tout un monde formé à Saint Anne et ailleurs (Daumézon, Tosquelles, Bonnafé, Balvet...), marqué par la guerre et la résistance, souhaite retenir la place prépondérante donnée à la parole et à l’écoute ainsi qu’à la possibilité de donner un sens à l’étrangeté du discours du psychotique. François Tosquelles, directeur de l’hôpital psychiatrique de Saint Alban dès 1941, pionnier de la psychothérapie institutionnelle se réfère à la thèse de Lacan sur la personnalité paranoïaque (éditée clandestinement par l’imprimerie du Club des malades) et lui emprunte sa démarche compréhensive favorisant les rencontres, les échanges et les réunions privilégient tant la parole des soignés que des soignants. L’effervescence intellectuelle et une volonté créative, marquées par la psychanalyse permettent l'émergence de la psychothérapie institutionnelle, méthode consistant à utiliser au maximum l’institution hospitalière comme lieu de vie communautaire. Georges Daumézon oppose cette méthode au secteur qui consiste à être hors de l'hôpital et à n'être pas maître de l'institution. Yves Bernard, directeur d’hôpital, comprend cette proposition comme la preuve qu'une des dérives provenant du modèle psychanalytique conduit à négliger les contraintes externes et aboutit à maintenir les structures asilaires, de sorte que la sectorisation se développe "à côté et non pas au lieu de l'intra-hospitalier […] le personnel de la sectorisation est recruté en plus et non par redéploiement des équipes hospitalières", (Yves Bernard -pseudonyme, "L'évolution de 1938 à aujourd'hui", in Raymond Lepoutre et Jean de Kervasdoué (dir) La santé mentale des français, Odile Jacob, mars 2002, p. 48).

467.

Jean-Pierre martin, praticien hospitalier médecin-chef à Paris, rappelle que le fait de donner un contenu conceptuel à la santé mentale est un enjeu politique et s’interroge sur les différents contenus réels d’une telle expression : "habit neuf d’une psychiatrie discréditée ? Redéfinition de l’Etat Providence adaptée aux nécessités des logiques économiques libérales ? Forme de gestion des risques des populations déviantes ?..." (Jen-Pierre Martin, "Critique de la santé mentale", Perspectives psychiatriques, volume 41, n°4, septembre-octobre 2002, pp. 253-254).

468.

Cette expression, qui émerge dans le discours politique et juridique entre 1985 et 1990 à titre de notion centrale, est présente dès 1945 dans les circulaires ou les articles de la revue L’information psychiatrique. On la retrouve dans d’autres revues spécialisées de psychiatrie ou les synthèses de colloques des années 1960 à aujourd’hui.