A- Soigner, un impératif catégorique

Il semble que la psychiatrie ait toujours été prise dans une position contradictoire : son appartenance à la médecine en temps que spécialité et sa spécificité en tant que soin du psychique ayant à assumer une fonction sociale se trouveront en tension systématique chaque fois que les professionnels du secteur craindront que l’on supprime l’une ou l’autre de ces caractéristiques identitaires. Henri Ey défend ainsi en 1970 le caractère spécifique de la psychiatrie en arguant du fait que les jeunes médecins voulant devenir des spécialistes en Psychiatrie "choisissent une spécialité médicale qui ‘n’est pas comme les autres’". Henri Ey dénonce alors toute volonté politique visant à réduire la psychiatrie à l’un de ses aspects comme conduisant à enfermer le problème de la psychiatrie comme celui de son objet même dans un dilemme : "ou les Psychiatres veulent vraiment être des médecins comme les autres […] ou bien les Psychiatres ne veulent pas être des médecins"835.

La querelle anti-psychiatrique fut l’occasion pour les psychiatres de secteur de lutter contre une définition sociale de la maladie perçue comme renvoyant au psychiatre l’image d’une identité médicale définie en référence à une pure technicité. Le développement de l’antipsychiatrie dans les années 1960 suscite en effet une réaction syndicale virulente de la part des médecins des hôpitaux psychiatriques. Un aspect de l’identité psychiatrique se dévoile ici, qui correspond à la volonté de ne pas confondre le caractère social de l’exclusion des malades mentaux et l’origine partiellement sociale de la maladie mentale. Aujourd’hui, les psychiatres de secteur continuent de se définir en référence à la médecine, non pour revendiquer une technique mais bien plus pour défendre une posture.

Notes
835.

Henri Ey, préface, in Charles Brisset, L’avenir de la psychiatrie en France, op. cit., pp. 13-14.