A-1- Maladie et société

Les psychiatres publics français, depuis la Libération, ont remis en cause l’hôpital psychiatrique comme univers concentrationnaire et ont cherché à guérir l’institution pour guérir un malade qui s’identifie à elle836. Robert Castel, dans sa présentation de l’ouvrage d’Erwin Goffman Asiles parle en 1961 de contradictions thérapeutiques et sociologiques en psychiatrie : il reconnaît alors le mérite du groupe français à l’origine de la "psychothérapie institutionnelle" d’avoir formulé le problème avec une parfaite clarté en soulignant l’immense distance qui sépare l’idéal de l’hôpital comme "milieu thérapeutique" des pratiques réelles commandées par la pénurie des moyens matériels et humains, mais aussi par les insuffisances de la législation relative aux malades mentaux, par l’héritage des structures carcérales et par les contraintes que les représentations sociales de la maladie mentale font peser sur le malade, le médecin et l’hôpital837. Qu’y a-t-il de contradictoire a priori en fait entre une description sociologique et une visée thérapeutique ? C’est que le thérapeute doit comprendre le malade dans son historicité, donc d’une certaine manière suspendre une critique sociologique à prétention révolutionnaire. L’antipsychiatrie refuse en quelque sorte ce que la psychothérapie institutionnelle a démasqué838. Cependant, on aurait tort d’opposer radicalement, du moins en France, deux visions du monde (antipsychiatrie et analyse institutionnelle) attendu que la critique sociologique de l’institution psychiatrique a pu s’inscrire dans la compréhension globale d’un système bio-politique contre lequel le mouvement désaliéniste luttait déjà. En quelque sorte, la réception spécifiquement française de l’anti-psychiatrie a précipité, au sens chimique, la généralisation des thèses désaliénistes.

Notes
836.

Philippe Rappard, La folie et l’Etat, op. cit., p. 93.

837.

Erwin Goffman, Asiles, Etude sur la condition sociale des malades mentaux, Editions de Minuit, Le sens commun, 1968, p. 26.

838.

Philippe Rappard, La folie et l’Etat, op. cit., p. 93.