II. Un droit qui voudrait bien fondé le recours à la contrainte

Le droit qui abroge en 1990 l’ancien texte de 1838 se réfère largement aux recommandations européennes pour justifier de la nouvelle économie des rapports entre l’administratif, le judiciaire, le médical, en matière d’hospitalisation psychiatrique contrainte. La loi de 1990 maintient le caractère administratif de la décision d’hospitalisation sans consentement. Pour traduire au niveau national les recommandations européennes, la valorisation de la compétence médicale en amont et en aval de l’hospitalisation contrainte doit être d’après les rédacteurs de la loi compensée par des garanties quant aux libertés individuelles, garanties offertes par l’institution d’une commission de contrôle des hospitalisations psychiatriques au niveau départemental. Les textes et jurisprudences européens font de la nécessité du traitement psychiatrique un critère second par rapport au critère de dangerosité motivant une hospitalisation décidée par l’autorité publique.

Tout d’abord, notre développement visera à démontrer la reproduction législative des ambiguïtés normatives propres au droit européen : le choix entre la nécessité médicale de soins et la nécessité sociale de protection de l’ordre public n’est pas clarifié, ce qui peut expliquer les injonctions contradictoires faites au psychiatre de service public. Nous verrons ici comment un droit spécifique est introduit au niveau réglementaire.

Ensuite, il s’agira d’expliquer en quoi les résistances au nouveau droit révèlent la contradiction constitutive de l’identité actuelle de la psychiatrie publique. En effet, la revendication du statut de tiers médical vis-à-vis du pouvoir judiciaire ou administratif, traduite en droit, coexiste avec celle de la participation de la psychiatrie à la décision contrainte de soins. Autrement dit, le recours étendu à l’expertise médicale et le maintien d’un droit spécifique à la contrainte de soins révèlent une identité psychiatrique publique en tension entre des velléités d’indépendance et une instrumentation au service du maintien de l’ordre public. C’est ici que surgit la contradiction qui traverse historiquement l’identité de la psychiatrie publique : la position du médecin comme tiers est nécessaire à l’efficacité de la relation thérapeutique d’une part mais l’évaluation de la capacité à consentir aux soins doit se fonder sur la compétence du médecin. Autrement dit, la psychiatrie publique se défend d’être un auxiliaire de justice pour maintenir son statut de tiers médical vis-à-vis de l’autorité judiciaire ou administrative mais revendique un rôle décisif dans la décision de soins contraints1030. Le rapport d’extériorité que la psychiatrie souhaite entretenir avec les gestionnaires du social entre paradoxalement en contradiction récurrente avec la défense de leur compétence médicale.

Notes
1030.

L’association nationale des Présidents et Vice-Présidents des CME de CHS écrit ainsi : "qu’opposer à un psychotique non délirant manifestement ?…à un névrosé apte au consentement mais déniant la situation de danger où le placent ses tendances suicidaires ?…L’impossibilité pour un patient de donner son consentement ne saurait être assimilé à un refus, pas plus que son consentement ne saurait porté en lui même le garant de sa validité (malades débiles, confus ou délirants)", C. Barthélemy, J-M. Villon, "Proposition de mémorandum sur la loi du 27 juin 1990", (Association Nationale des psychiatres Présidents ou Vice-Présidents des Commissions Médicales d’Etablissement des Centres Hospitaliers Spécialisés, 1996, www.ch-le-vinatier/cme-psy).