III. Un droit formel face à des contraintes objectives

Parler de droit formel, c’est invoquer son indifférence à la matérialité de son objet. Et c’est cette matérialité que nous désignons par l’expression "contraintes objectives". Autrement dit, une loi, lorsqu’elle définit des procédures, doit être éprouvée dans une perspective sociologique par l’examen de contraintes diverses, qui sont autant d’obstacles ou de facilités à son effectivité. Jacques Commaille et Jean-François Perrin, dans un article écrit en 1985 soulignaient qu’une sociologie du droit pouvait se donner comme objet l’étude des "rapports entre faits sociaux et normes légales"1186 intégrant des préoccupations d’effectivité ou d’efficacité du droit. Une telle démarche implique selon nous de ne pas oublier ce que le caractère contraignant du droit produit lui-même. Autrement dit, ce n’est pas parce que l’on conclut à l’ineffectivité du droit que ce dernier doit être mis au rang de rubrique littéraire. Un droit, si formel soit-il, produit des effets par son formalisme même de sorte que son application n’est pas purement et simplement dépendante d’éléments matériels de nature non juridique.

Nous avons qualifié jusqu’à présent le droit applicable à la psychiatrie publique de naturel et de spécifique. Il nous faut désormais démontrer en quoi son caractère formel est mis en valeur par des dérives pratiques. La loi de 1990 voulait instituer des garanties en amont et en aval de toute hospitalisation contrainte afin d’éviter ou de mettre fin à ce qui était désigné comme des internements abusifs. Notre développement abordera dans un premier temps les contraintes objectives au fonctionnement des commissions départementales des hospitalisations psychiatriques mises en place en 1990, instances chargées de contrôler a posteriori les mesures d’hospitalisation sans consentement. Nous verrons que les garanties formelles imposées par la loi de 1990 en amont de l’hospitalisation sans consentement ont débouché sur des dérives issues en partie de l’oubli dans la loi des contraintes liées à la prise en charge sectorisée de la pathologie mentale.

Notes
1186.

J. Commaille et JF. Perrin, "Le modèle de Janus de la sociologie du Droit", op. cit., p. 104.