Chapitre II - L’institution au cœur d’un reseau contractuel

Le comité de rédaction de la revue Rhizome constatait récemment un décentrement dans le paysage psychiatrique opposant "une logique d'institution de la prise en charge, donc de programme, de savoirs constitués, de verticalité disciplinaire, de normativité, à une logique de dispositifs du prendre soin, donc de projet pluri-professionnel, de situations locales, d'horizontalité, de réseau, de savoirs bricolés et pourtant réflexifs"1279.

Notre premier chapitre interrogeait le modèle contractuel de la relation médicale. Ici, c’est la relation de l’institution psychiatrique aux autres institutions qui est l’objet de notre analyse : les représentations et les pratiques autour de la notion de réseau seront donc au cœur de notre travail.

Dans un dossier récent intitulé "santé mentale et société" édité par la Documentation Française, on pouvait lire dans le glossaire :

‘"Réseau : collaboration, sur la base du volontariat, dans une zone géographique donnée, de professionnels de santé appartenant à des disciplines différentes (médecins généralistes, médecins spécialistes, pharmaciens, infirmiers, psychologues, travailleurs sociaux…). Ces derniers se concentrent sur la prise en charge de patients souffrant d’une pathologie ou victimes d’un problème médico-social spécifiques, ou se coordonnent pour une prise en charge globale (toutes pathologies confondues) de leurs patients, axée sur la prévention. Ils s’engagent à assurer la continuité des soins et à améliorer leur qualité, avec des protocoles définis en commun, tout en mesurant les coûts engendrés" 1280 . ’

Nous ne choisirons pas de retenir cette définition comme un donné mais de supposer d’emblée que le terme de réseau est problématique tout comme peut l’être la notion de santé mentale. Son usage est l’objet de controverses et les pratiques qui sont désignées par ce terme apparaissent a priori multiples. D’après Luc Boltanski et Eve Chiapello1281, la récupération du terme de réseau s’est opérée à la faveur d’une conjonction historique particulière, marquée notamment par la recherche en sciences sociales de concepts pour identifier des structures faiblement voire pas du tout hiérarchiques, souples et non limitées par des frontières tracées a priori. Dans l’acception proposée par les textes législatifs ou réglementaires incitant au "travail de réseau", la généralité de la forme rhizomatique est déclinée au moyen d’expressions faisant référence à l’autonomie de chacun des acteurs du réseau inter-agissant dans un contexte déhiérarchisé, aux possibilités d’adaptation du réseau à l’existant sous sa forme institutionnelle ou associative, à la liberté laissée aux acteurs dans le choix d’une forme juridique appropriée à la demande locale.

Autrement dit, le réseau est présenté comme la forme la plus adaptée à une "démocratie sanitaire" qui impliquerait de manière égalitaire tous les acteurs d’un champ de la "santé mentale", champ redéfini de façon à briser l’ancien cadre de référence constitué par le secteur psychiatrique. Autrement dit, dans sa présentation politique et juridique, le réseau est aux institutions ce que le contrat médical est aux patient et médecin.

Une telle présentation suscite plusieurs questions. Tout d’abord, il nous faudra sociologiser les points de vue c’est-à-dire définir acceptions données au terme de réseau en fonction du statut du discours qui y a recours. Ensuite, puisque les représentations ne naissent pas ex-nihilo, il s’avérera utile d’étudier en pratique ce qui est désigné comme du "réseau". L’étude du réseau en mots et en actes nous permettra de saisir le rapport entre le secteur psychiatrique et le réseau dit de "santé mentale".

Notes
1279.

"La psychiatrie publique en chantiers", Comité de rédaction de la revue Rhizome, décembre 2002, p. 13.

1280.

"Santé mentale et société", dossier réalisé par Anne M. Lovell, Problèmes Politiques et sociaux, La Documentation Française, avril 2004, n°899, p. 116.

1281.

Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, Essais, 1999, p. 156.