Perspectives de recherche

Notre travail suscite de nouvelles questions. Nous en présenterons deux, susceptibles de constituer de nouvelles recherches.

Tout d'abord, puisque nous avons élaboré un modèle à partir d'un domaine empirique singulier, il est légitime de se demander dans quelle mesure les leçons que nous avons tirées sont transférables à d'autres lieux d'interrogation que la psychiatrie publique. Nous avons réfléchi à partir d'une culture très marquée, activiste même. Notre lieu d'investigation a joué comme un miroir grossissant du malaise d'une culture professionnelle qui comprend mal des propositions politiques d'insertion dans le social. Nous croyons que le cas de la psychiatrie n'est pas atypique parce que d'autres groupes d'acteurs se demandent aussi quelle invention institutionnelle pourra jouer le rôle de tiers, quel équivalent pourra opérer la fonction symbolique traditionnellement dévolue à l'Etat. Pour étudier un tel problème, nous pourrions par exemple nous intéresser aux lieux associatifs, et spécialement à leur vocation républicaine … avec l’inquiétude de savoir si l’associatif peut être le vicaire de l’institution.

Les psychiatres revendiquent une participation, à partir de l'intérieur de leur discipline, à la définition du statut de leur savoir et de leur fonction. Notre travail a moins apprécié le degré de participation actuel des professionnels aux décisions publiques les concernant que les contradictions culturelles que la pratique du droit révèle. L'une des questions adjacentes que notre étude suggère porte donc sur la dimension démocratique des processus de décision de l'action publique. La thèse de Sandra Philippe, nous l'avons vu, répond à cette interrogation en montrant les lacunes démocratiques de processus décisionnels publics dans le domaine psychiatrique.

Dès lors, il s'avère pertinent d'éprouver l'hypothèse d'un fonctionnement démocratique tendant à la rationalisation bureaucratique à l'endroit d'autres groupes professionnels. Nous pourrions ainsi savoir si d'une part, les conditions d'existence d'une culture sont les mêmes pour d'autres acteurs, et si d'autre part, la dimension publique des activités explorées nous informe sur les caractéristiques spécifiques des politiques actuelles.

Ces propositions valent pour d'autres domaines que celui de la psychiatrie publique. D'autres s'imposent à nous en raison de l'actualité juridique de la psychiatrie. En effet, depuis le début de l’année 2004, l’idée est acquise au Ministère de la Santé de modifier la loi du 27 juin 1990. Un nouveau "plan de santé mentale" est en cours d'élaboration Nous en retiendrons deux aspects qui paraissent liés, et qui pourraient devenir les objets d'une recherche poursuivant notre travail de thèse.

Tout d'abord, on propose une loi générale sur les obligations de soins plutôt qu’une loi spécifique aux personnes souffrant de troubles mentaux1868. La création d’une "obligation de soins en ambulatoire" suscite deux types de questions. La première, d'ordre pratique, concerne la possibilité de faire respecter l'obligation de soins, en cas d’absence d’observation du traitement1869 et pose un problème de responsabilité1870. La seconde, plus théorique, pose un problème de sens : l'expression même d'injonction de soins doit être analysée : relève-t-elle du champ pénal ou du champ médical ?

Ensuite, la judiciarisation des mesures d’hospitalisation, proposée par certains professionnels psychiatriques membres du Comité Consultatif de santé mentale, avec l'appui de nombreuses associations d'usagers1871, suscite le même genre d'interrogations. La Direction Générale de la Santé, qui considère toujours que le juge "n’est pas plus spécialiste que le préfet"1872 étudie aujourd'hui cette proposition. Quant au Ministère de la Justice, il demeure opposé à la judiciarisation, faute de disposer des moyens pour la mettre en œuvre1873. On voit bien ici que les projets de réforme, notamment sur la question de l'injonction de soin, sont autant de lieux pour la poursuite de l'interrogation qui fut la nôtre tout au long de notre travail.

Notes
1868.

Hélène Strohl en fait la proposition au Comité consultatif de santé mentale le 5 décembre 1996.

1869.

Le représentant de la Fnapsy remarque que la limitation des sorties d’essai risque de maintenir plus longtemps hospitalisés les malades notamment les hospitalisés d’office suite à l’application de l’article 122-1 du Code Pénal. Compte-rendu de la réunion du Comité consultatif de santé mentale du 5 décembre 1996, p. 4.

1870.

Dans les faits aujourd’hui, le traitement obligatoire sans hospitalisation existe avec les sorties d’essai, qui se prolongent parfois des années, puisqu’elles sont renouvelables indéfiniment. Dans une une telle configuration, le sort du malade reste sous la responsabilité du médecin ou du préfet.On peut dès lors se demander qui endossera la responsabilité du patient sous injonction de soin, et surtout, quel sera le rôle du psychiatre dans le suivi de celui-ci.

1871.

La Fnap Psy propose ainsi la judiciarisation de l’hospitalisation d’office (Cf. Revue Pluriels, septembre 2000, n°23).

1872.

Entretien avec Monsieur Chastanet, Bureau de la santé mentale, DGS.

1873.

Au Bureau de la santé mentale de la Direction Générale de la Santé, on envisage "la fusion entre hospitalisations d'office et hospitalisations sur demande d'un tiers" ce qui signifierait que le préfet est compétent pour le danger pour soi et pour autrui. Pour l’heure, la question n’a pas été encore approfondie par le groupe d’évaluation de la loi de 1990. Ibid.