D’après Habermas et d’autres chercheurs qui ont travaillé sur l’espace public, la citoyenneté est une attribution pertinente pour chaque public appropriant l’espace public ;
Dans quelle mesure peut-on parler d’une culture partagée dans le « projet urbain », voire une vision partagée, face à la complexité du « public », face à la diversité du « public » voire même face au « multiculturalisme » qui émerge chaque jour par sa présence…
Qu’est-ce qui fait que ce « public » est anonyme devant la loi, devant ses droits et ses devoirs ? Qu’est-ce qui fait que ce « public » soit à la fois attaché à sa famille et à son voisinage dans les limites du quartier, attaché encore à la ville où il « habite, travaille, se recrée et circule », où il se sente « citadin », et attaché en même temps au pays où il vit et « approprie » sa nationalité, où il se sent « citoyen » ?
En effet ce mot « public » semble recouvrir toutes les références sans les distinguer, sans préférer une sur l’autre : ce public semble être, pour ainsi dire, cet ensemble des « Hommes » qui vivent leur citoyenneté, et où chacun respecte l’autre et accepte de vivre avec lui malgré ses différences et ses références, où les valeurs civiques de « liberté » forment la base du règle du jeu. Ce « public-citoyen » semble « évoluer» sa citoyenneté tout en étant un vrai « citadin » qui approprie sa ville, ses espaces publics et ses quartiers. Ce public qui respecte et approprie chaque partie de la ville comme s’il était chez lui.
Cette première caractéristique du « public » semble en effet en train d’affirmer le « référentiel » du « public », le cadre qui va structurer son champ d’action et qui va déterminer par la suite ses principaux objectifs, voire son extension géographique et sociale.
Aujourd’hui, deux grands courants, presque opposés, présentent deux lectures différentes de la citoyenneté ; ces deux courants correspondent à deux modèles de gestion de la diversité culturelle d’un public78 :
Dans le premier modèle, à la française, les individus doivent se couler dans un moule socioculturel majoritaire par un processus d’acculturation unilatéral; dans ce modèle, les particularismes culturels doivent rester dans la vie privée et seront interdits dans l’espace public.
Dans le deuxième modèle, le pluralisme à l’anglo-saxon, la cohésion sociale et l’unité nationale sont recherchées par le biais d’une prise en compte de la diversité culturelle et identitaire qui structure l’espace public, où le degré de citoyenneté et les droits individuels sont définis selon l’appartenance communautaire.
Face à ces deux modèles, le Liban a choisi un modèle spécifique qui semble être un mélange entre les deux : le communauratisme politique où les communautés sont reconnues par la loi selon un consensus qui ne cesse de bloquer l’affirmation d’une vraie citoyenneté…
La question semble ainsi tourner autour de la reconnaissance du public et de ses spécificités :
Peut-on dire que la « citoyenneté » exclut une partie du « public » dans la mesure où elle ne l’accepte pas dans sa diversité, voire avec ses spécificités qu’elles soient religieuses ou culturelles ou ethniques…tant que ce « public » respectera la liberté des autres ? N’est-ce pas cela la vision de la liberté qui fonde même la citoyenneté, ce « Public » qui regroupe tous les « sous-publics » ? Peut-on dire qu’il y a un problème dans l’application et non pas un problème de fond ? Peut-on dire que le concept même de citoyenneté n’a jamais été figé et fermé dès sa naissance, mais au contraire, qu’il évolue chaque fois que « l’Homme » évolue, chaque fois que le « public » évolue » ?
Et d’autre part, dans quelle mesure peut-on parler « d’individuation » à Beyrouth, qui fait sortir chaque personne de la tutelle de sa communauté, qui semble l’emprisonner depuis des siècles ?
La citoyenneté peut-elle ainsi être simplement ce cadre général qui résume voire dissout toute spécificité sous le prétexte de l’englober, voire même de l’homogénéiser ?
Le « multiculturalisme », définit par la « coexistence de plusieurs cultures dans un même pays »79 essaie aujourd’hui de répondre à cette question, en particulier chez les philosophes : comment penser l’égalité aujourd’hui en la réconciliant avec les différences plus ou moins séparées des réalités concrètes ? Comment vivre ensemble avec nos différences, à la fois libres et égaux, sans pour autant renoncer au partage de références communes, voire de base ?
Et au Liban, comment vit-on aujourd’hui ces différences ? Y a-t-il une vie commune et un partage de références communes ? Et plus concrètement, comment se concrétise aujourd’hui le multiculturalisme libanais, et dans quelle mesure peut-on parler d’une « coexistence historique ou actuelle de plusieurs cultures » ?
D’où une première synthèse de ce public citoyen :
Ainsi, apprendre à vivre en pluriel nécessite deux exigences : la première celle d’accepter le principe d’égalité, et la deuxième celle d’accepter le principe de diversité qui vient renforcer et évoluer les rapports avec l’autre voire même les qualifier.
D’où la nécessité d’établir des références communes qui engloberont toutes spécificités sans les dissoudre. En un mot, ce savoir vivre ensemble est un sujet de renégociation continue, tant que l’homme évolue. Un travail de renégociation continue à la fois entre « individualisme » et « communautarisme », entre « général » et « particulier », entre « public » et « privé ».
‘« La citoyenneté est partout, mais elle ne se décrète pas n’importe où, car il ne s’agit ni d’un droit, ni d’un concept juridique, mais d’une qualité, d’une compétence reconnue à un moment donné et dans un espace donné à une personne, ou, peut-être à un groupe de personnes. Elle a ses conditions, ses espaces de référence, ses valeurs, parfois relativisées, ses inclusions et ses exclusions. Elle est inséparable de la référence au politique et à la démocratie, mais elle n’est pas acquise d’emblée : la citoyenneté, omniprésente et en perpétuel mouvement, s’inscrit dans un combat permanent ».80 ’Ainsi, parler d’espace public à Beyrouth nécessite à notre avis une lecture approfondie du public Beyrouthin en premier lieu, en particulier de ses enjeux historique, social, politique, religieux…Cette lecture sera pertinente pour comprendre et expliquer plus tard les signes et les essences des différentes pratiques quotidiennes.
FRED C., « Le multiculturalisme », Dominos ed. Flammarion, France, 2000, p.33,35.
FRED C., « Le multiculturalisme », Dominos ed. Flammarion, France, 2000, p.7.
WITHOL DE WENDEN C., « Synthèse », in KOUBI G. (dir.), « De la citoyenneté », ed. litec, librairie de la Cour de Cassation, Toulouse, 1995,p.163.