Section 1 :
Les politiques publiques ou « l’Etat en action » : des modèles imposés par l’Etat aux « systèmes locaux » construits avec la ville 

Longtemps perçue comme élément clé pour l’élaboration des politiques publiques en France, l’Etat en fut le premier responsable, voire même le seul.

On parle ainsi de «l’Etat en action » pour désigner les politiques publiques, comme si l’Etat est devenu un symbole qui pour ces derniers.150

L’Etat ainsi est le seul acteur capable de construire des politiques qui respecteront « l’intérêt général », voire c’est elle qui définit encore ce que c’est l’intérêt général.

Quand a Marx, au contraire de Hegel, il dit que c’est la société à travers la lutte des classes qui donne son sens à l’Etat : pour lui l’Etat n’est qu’un instrument utilisé par la classe dominante pour servir ses propres intérêts. Image marxiste de l’Etat négative.151

Toute la question semble tourner autour d’une question clé : « Qui définit l’intérêt général ? » ; comme si, l’intérêt général était une chose stable qui peut être définie par un acteur clé.

Ainsi , l’Etat, à travers sa bureaucratie, a essayé de définir cet « intérêt général », avec une logique descendante, de haut en bas, sectorielle et affirmant sa centralité : Avec le gouvernement urbain, les politiques publiques sont donc pensées au centre, par l’Etat, et appliquées au local, à la ville et ses habitants sans que ces derniers aient aucun rôle là-dessus.

Pour établir ses politiques, l’Etat s’est trouvé en train d’établir des relations avec des groupes d’intérêts selon des modèles variés.152

En effet, R.Rhodes et D.March153 résument ces relations entre les groupes d’intérêts et le gouvernement par deux grands modèles d’intermédiation : le pluralisme et le corporatisme :

‘«  Le pluralisme peut être défini comme un système de représentation des intérêts dans lequel les groupes constituants sont organisés en un nombre variable de catégories multiples, volontairement constituées, concurrentielles, dépourvues d’organisation hiérarchique et auto-déterminés (par type ou domaine d’intérêts), catégories qui ne sont pas spécialement autorisées, reconnues, subventionnées, créées ou contrôlées par l’Etat de quelque manière que ce soit dans le choix des dirigeants ou dans l’articulation des intérêts et qui n’exercent pas de monopole de représentation dans leurs catégories respectives »’

Quant au corporatisme, il ‘«’ ‘ peut être défini comme un système de représentation des intérêts dans lequel les éléments constituants sont organisés en un nombre limité de catégories singulières, obligatoires, non-concurrentielles, hiérarchiquement ordonnées et différenciées selon leurs fonctions, catégories reconnues, autorisées (voire même créés ) par l’Etat auxquelles on a considéré un monopole de représentation bien précis à l’intérieur de leurs catégories respectives en échange d’un droit de contrôle sur la sélection de leurs dirigeants et l’articulation de leurs revendications et de leurs soutiens ’ ‘»’

Deux modèles où l’Etat se trouve tantôt concentrée tantôt centrée à l’élaboration des politiques publiques.

Mais à travers les années, l’Etat s’est trouvé incapable, à travers sa bureaucratie aussi paradoxe154 et limitée, de gérer seule la complexité de la ville.

Les exigences sont devenues aussi multiples que les contraintes, et l’action de l’Etat s’est trouvée en situation handicapée pour répondre automatiquement et facilement aux nouveaux enjeux et situations sociales et économiques.

‘« « la cohésion d’une société ne se trouve pas dans une loi générale, abstraite et uniforme. Elle réside dans la singularité de ses structures sociales, dans la complexité des relations entre diversité de comportements, de manière de produire et de vivre ; elle réside fondamentalement dans la différenciation de ses membres… »155

Ainsi l’Etat avec ses politiques sectorielles pourrait bien gérer un secteur même en déclin, à condition qu’il n y ait pas de modification de ses frontières et de ses hiérarchies.

Mais quand les choses ont été complexifiées et que le problème a dépassé les secteurs, pour devenir essentiellement à leurs frontières, les politiques publiques avec leur vision sectorielle ont modifier l’Etat de « l’Etat en action » à « l’Etat en question » !

‘« Les décisions sont complexes parce qu’elles doivent choisir entre des données hétérogènes, qui relèvent de logiques fondamentalement différentes : comment intégrer des variables économiques, politiques, sociales, culturelles, idéologiques ? »156

Ainsi, l’Etat est obligé de « se critiquer » et de chercher à remplir son vide par des relations avec d’autres acteurs qui lui sont extérieurs, afin de comprendre les différentes représentations qui lui échappent : D’où la formation des systèmes de relations entre les différents acteurs, pour répondre à ces nouveaux besoins, et où l’Etat commence à devenir un acteur parmi les autres, chose qui s’est renforcée surtout avec les lois de la décentralisation qui a bouleversé les compétences urbaines : on parle ainsi de gouvernance urbaine au lieu de gouvernement urbain. Des relations de coopération finalisée ou le partage du pouvoir et implication matérielle commune des différents acteurs ; aux relations de coordination voire un simple accord sur une division du travail n’impliquant pas de partage de financement ou de délégation de pouvoir ; aux relations de concentration ou échange d’informations, réunions et participation entre techniciens sans aucun partage formalisé des tâches ou des dossiers ; enfin aux relations de coexistence ou relation limitée sans échanges entre les acteurs, mais avec un simple jeu de concurrences et des interdépendances locales…157

On a ainsi affaire à une multiplicité d’acteurs et de niveaux de décision, se combinant en divers sous-systèmes.

Pour rendre possible l’action publique, « le gouvernement des villes » doit dépasser le seul souci des instituts publics et de leurs instruments et chercher à construire de nouvelles négociations entre l’Etat et des différents groupes présents dans la ville, et favoriser aussi ces relations entre les différents types d’organisations, avec les autorités locales, le secteur privé, et tous les segments de l’Etat ;

Loin de s’humilier en devenant acteur comme les autres, l’Etat cherchera ainsi à construire le référentiel des politiques publiques avec les partenaires de la ville, à travers un projet collectif : Ainsi et avec cette logique, l’autorité locale, renforcée après la décentralisation ne peut plus continuer avec la même logique du gouvernement urbain.

Avec la gouvernance urbaine, on doit reconnaître en premier lieu qu’il y a une fragmentation et une incohérence dans la ville, et dans ses politiques publiques et par suite commencer à construire un nouveau référentiel, une nouvelle approche à gouverner :

on ne peut plus gérer la ville verticalement, par secteur, car les problèmes sont devenus à la fois « horizontaux » entre les « secteurs », et « verticaux » dans le même secteur ; il y a un problème entre le référentiel global et le référentiel sectoriel, voire un problème au niveau de la gestion de ce référentiel global/sectoriel.

Mais la gouvernance des villes, à travers la mobilisation des acteurs locaux sur la base d’un projet collectif semble être problématique, avec la disparition d’instances de médiations158 et l’affirmation des acteurs économiques qui on des visions fragmentées, cherchant toujours le profit personnel, sectoriel et immédiat.

‘« Cette forme de renforcement de l’organisation sociale et politique dans certaines villes, dont on essaie de rendre compte à l’aide du concept de gouvernance, n’est plus le politique défini en termes de domination légale et rationnelle. Le politique dont il s’agit ici, c’est avant tout la mobilisation de groupes sociaux, d’institutions, d’acteurs publics et privés qui bâtissent les coalitions, élaborent des projets collectifs afin, d’une part, de tenter de s’adapter aux transformations économiques et, d’autre part, de peser quelque peu (voire de se protéger ) contre les effets de marché »159

D’autre part, l’approche des réseaux d’action publique consiste à comprendre les relations entre groupes et gouvernement qui varient d’un cas à l’autre. Elle permet d’articuler l’étude de la représentation des intérêts avec celle de politiques en se cernant sur l’analyse et l’explication de l’interaction entre ses acteurs.

‘« Les politiques publiques sont le produit d’une configuration de réseaux au sein d’un secteur et d’une configuration de secteurs. »160

L’Etat est analysé ainsi de la même façon que les acteurs qui lui sont extérieurs, avec une nouvelle lecture de la conception de l’action publique, qui se construit à travers les représentations et les intérêts des différents acteurs, et non plus d’une manière linéaire, bureaucratique.

‘« Le changement dans l’action publique peut s’expliquer par des transformations internes au réseau d’action publique : remise en cause de coalitions d’intérêts intérieures, affaiblissement de certains acteurs, renforcement d’autres, émergence de nouveaux acteurs, changements stratégiques d’un ou plusieurs acteurs liés notamment à un processus d’apprentissage, modification des fondements de l’échange entre certains acteurs… »161

Or cette approche, loin d’être un modèle comme le pluralisme ou le corporatisme, n’est qu’une démarche qui tente expliquer voire englober les deux modèles tout en essayant de répondre à deux questions de bases :

  • Qui détient le pouvoir et qui produit les politiques publiques ?
  • Comment détiennent-ils le pouvoir et comment produisent-ils les politiques publiques ?

Alors que D.March162critique cette approche qui ne répond pas à d’autres questions aussi pertinentes ; en particuliers les deux suivantes :

Pourquoi certains acteurs bénéficient-ils d’une position privilégiée dans la formation des politiques publiques ? Dans l’intérêt de qui exercent-ils leurs pouvoirs ?

Ainsi, expliquer la fragmentation de la ville, et les réseaux de « la gouvernance » semble avoir recours à d’autres questions et à d’autres approches qui dépassent à mon avis l’approche « politique pure » ; ce projet collectif a besoin d’être plus construit, voire conceptualisé, cherchant une culture commune qui pourra regrouper et retisser la fragmentation de la ville ; cette nouvelle culture semble être déjà « née », cette culture commune semble ainsi s’incarner dans le « projet urbain », qui, plus qu’un concept, et plus qu’une simple approche, tente observer, comprendre et agir à la fois en pensant globalement et localement, hier, aujourd’hui et demain, mobilisant tous les secteurs à travers une approche multidisciplinaire.

A la fois un projet politique, social, économique, urbain, le projet urbain tente aujourd’hui reconstruire « le nouveau référentiel » de l’action publique, que j’ai déjà nommé « l’affaire publique ».

Mais avant de comprendre « ce nouveau référentiel », que représente « le projet urbain », il serait intéressant d’interroger la lecture du fonctionnement des politiques publiques, proposées par les sciences politiques. Pour ensuite passer au « projet urbain » et essayer de le « décoder » et ensuite de le « recoder ».

Notes
150.

JOBERT B.  , MULLER P., 1987, «  l’Etat en action- Politiques publiques et corporatismes », puf, paris.

151.

MULLER P.., « Les politiques publiques », Paris, que sais-je ? 1992.

152.

JOBERT B.  , Muller P., 1987, «  l’Etat en action- Politiques publiques et corporatismes », puf, paris

153.

RHODES R.A.W. , MARCH D. , « les réseaux d’action publique en Grande-Bretagne », in LE GALES P. , THATCHER M . , 1995, « Les réseaux de politiques publiques », paris, l’Harmattan, (définitions portées de Schmitter, 1970, p.85-86 et 93-94 ).

154.

JOBERT B.  , MULLER P., 1987, «  l’Etat en action- Politiques publiques et corporatismes », puf, paris

155.

AGLIETTA, BRENDER, « Les métamorphoses de la société salariale », Paris, Calman-Lévy, 1984, p.7

156.

JOBERT B.  , MULLER P., 1987, «  l’Etat en action- Politiques publiques et corporatismes », puf, paris.

157.

GAUDIN J.P., « La gouvernance moderne : Hier et aujourd’hui ? Quelques éclairages à partir des politiques publiques françaises », in revue internationale des sciences sociales, numéro 155, mars 1988

158.

LE GALES P., op.cit, fevrier 1995

159.

BAGNASCO A., P.Le GALES, les villes européennes comme société et comme acteur », dans BAGNASCO A., Le Galès P. (dir.), villes en Europe, Paris, La Découverte, 1997.

160.

LES GALES P. , THATCHER M . , 1995, « Les réseaux de politiques publiques », paris, l’Harmattan

161.

LE GALES P. , THATCHER M . , 1995, op.cit.

162.

MARCH D., in « LE GALES P. , THATCHER M . , 1995, op.cit. ».