Section 3 :
« Le référentiel indéfini » du projet urbain ou le « nouveau référentiel » des politiques publiques : lecture multidisciplinaire 

‘« Projet politique, projet économique, projet social doivent tous s’exprimer dans un projet urbain qui est un projet collectif ».170

En tant que projet collectif, global, le projet urbain s’oppose dès le début à toute pensée ou vision sectorielle qui a caractérisé les politiques publiques depuis plusieurs années ; cette nouvelle vision des politiques publiques sera traduite à la fois par une nouvelle représentation du système en question, de la ville en général, à travers ses spécificités, et par une série de démarches qui nécessitent une approche multidisciplinaire loin de toute méthode ou modèle préalablement finis.

Qu’est-ce qui caractérise cette nouvelle culture ? Quels sont les principaux éléments de son référentiel ? Est-il unique ou multiple ? Qui sont ses « médiateurs », ou bien qui l’élabore et qui le met en action ? Quel est le rôle des différents acteurs ?

En effet, plusieurs auteurs ont interrogé le « projet urbain » depuis quelques années, et les recherches continuent toujours pour trouver les principaux éléments de réponse :

« Le projet urbain »171, « Le projet urbain : enjeux, expérimentations et professions »172,« Projet urbain : ménager les gens, aménager la ville »173, « Place des habitants et leur participation aux processus d’élaboration des projets urbains »174, « Quelle politique pour quelle ville ? Le projet urbain dans tous ses états/ les habitants veulent retrouver la ville »175, « Prospective et projets urbains »176, « Evaluer les projets urbains »177, « Projets urbains et projets de ville. La nouvelle culture a 20 ans »178

Et les recherches continuent, pour comprendre et construire le « Référentiel » du projet urbain, voire le « nouveau référentiel » des politiques publiques, et tout le monde arrive à la même conclusion : Il est indéfini ! Oui le « nouveau référentiel » est le « référentiel indéfini », dans la mesure où il se crée chaque jour et dans chaque endroit selon le contexte social, spatial, économique, politique…C’est un travail de chaque jour, qui ne peut être défini au préalable par des « Médiateurs » eux aussi bien définis.

‘« A la question – Qu’est-ce qu’un projet urbain ? – peut-être faut-il s’interdire de répondre. Ce n’est pas quelque chose de fini, c’est une œuvre en gestation avec des zones d’incertitude à assumer…Peut-être cela explique-t-il le succès du vocable « projet urbain . C’est un peu comme le mot « urbanisme » en 1910 , et comme l’expression « développement durable » aujourd’hui. »179

Le « référentiel indéfini » ! Un terme bizarre…

Le référentiel indéfini ! Comment parler d’un référentiel, d’une représentation de base, d’une référence, sans la définir ? Deux mots qui semblent se contrarier dans leurs essences peuvent-ils former un seul terme qui porte en lui tant d’idées et de représentations, voire même toute une nouvelle culture ?

Impossible de le définir, j’essayerai ainsi de présenter les principales caractéristiques de ce « nouveau référentiel » que je nomme « le référentiel  indéfini » :

Il est contextuel et s’exprime de manières variées selon les cas de figure spatiaux et sociaux économiques.

Il ne se limite pas à une échelle ou à un périmètre strict ; il est peut ainsi interroger à la fois un quartier, une ville, voire une agglomération. A la fois un projet d’agglomération qui définit les grands objectifs et les grandes stratégies, il les reformule chaque fois qu’il est en question.

Plus qu’un projet limité dans le temps et dans le territoire, « le nouveau référentiel », dépasse ces derniers pour articuler leurs différents niveaux, tissant ainsi la ville à travers son passé, présent et futur, tout en pensant à la fois localement et globalement, tout en agissant à la fois ici et labà.

Il interroge plusieurs secteurs, voire plusieurs disciplines, à la fois à sa conception et à son élaboration, touchant ainsi le social, le spatial, l’économique…180

Mais tisser la ville à travers son passé veut dire qu’il respecte son histoire, sa mémoire collective et ses particularités, voire ses spécificités locales contrairement à la table rase des années du fonctionnalisme. Et aussi, toujours dans cette logique du respect de l’histoire, il enrichit même le concept du patrimoine où la population s’identifie à travers son passé hérité. 181

Il propose une remise en cause des acteurs de la ville, où « tout le monde » devient « médiateur « , chacun selon sa position et ses compétences :

‘« Avant tout un projet urbain est une démarche construite qui rassemble, mais parfois oppose différents acteurs sociaux. Acteurs professionnels, opérationnels ou chercheurs relevant de différentes disciplines : urbanistes, architectes, paysagistes, sociologues, géographes, acteurs institutionnels, mais aussi habitants-citoyens au sens de participant à la chose publique. »182

Et pour être plus réel, le projet urbain devient lui-même l’instance de médiation, sur une idée, une intention et un futur indéfini, voire infini.

Les habitants sont devenus un acteur essentiel dans ce  « nouveau référentiel », et ils n’ont plus besoins d’un « médiateur », « professionnel » qui va transformer leurs besoins en des « normes ».

Il est aussi un outil de débat183 car il regroupe plusieurs acteurs autour d’une représentation commune engageant ainsi des pratiques et des débats intellectuels.

Il s’exprime en premier lieu à travers les espaces publics, qui représentent dorénavant l’assise de toute opération physique, sociale, politique, culturelle, voire de toute nature.

Toutes ces caractéristiques soulignent la multidimensionnalité de ce nouveau référentiel « indéfini » :

Il est ainsi un projet politique qui pose aux élus la question des formes d’association et de relations entres les différents agents (habitants, entreprises…), de même que celle relative à l’établissement d’une propriété et d’une stratégie.184

Il est le lieu de la démocratie où les gens décident de construire ensembles leur ville, leur « citadinité » et même leur « citoyennneté » en revalorisant leur « identité » et en construisant l’image de leur ville.

Il est aussi un projet économique dans la mesure où il tend à consolider l’image de la ville pour être digne de son nouveau rôle, celui d’une ville dynamique, attractive, captant ainsi à la fois des habitants et des entreprises.

Il est aussi un projet social dans la mesure où il s’intéresse à la vie locale quotidienne des habitants et de leur devenir ; des quartiers en situations difficiles ; de leur travail ; de leur mode de vie ; de leur histoire, symboles, culture…en un mot de leur vie sociale.

Il est aussi et avant tout un projet « urbain » dans le sens physique du terme, mais qui diffère nettement du projet d’architecture :

Le projet d’architecture a un certain avenir ; il a une image figée et dessinée ; il est l’expression de l’architecte et sa signature finale ; son travail est linéaire : il commence par la conception et se termine par la réalisation.

Alors que le projet urbain a un avenir désirable ; il n’est jamais défini et dessiné à l’avance ; c’est un acte et une expression collective de longue durée, voire une négociation partagée des acteurs de la ville ; son travail se forge dans l’action ; il est la « création » de l’expression continue ; Comment ainsi représenter à travers des graphiques et des croquis une évolution continue ; Comment exprimer aux gens leurs idées et celles des autres acteurs, et les siennes.

C’est ici à mon avis que les architectes doivent « nourrir » leurs compétences en créant de nouveaux modes d’expression graphiques, voire bi-dimensionnelles et tridimensionnelles afin de rendre plus clair toute idée et toute intention.

Notes
170.

INGALLINA P., « Le projet urbain », édition Puf, Que sais-je ?, 2001,p.120.

171.

INGALLINA P., op.cit., 2001,p.

172.

INAMA, SHS-TEST,HVOT A., SAUVAGE A., « Le projet urbain : enjeux, expérimentations et professions », la Villette, 2000.

173.

TOUSSAINT J.-Y., ZIMMERMAN M., (sous la dir.), « Projet urbain : ménager les gens, aménager la ville », ed. Margada, 1998.

174.

« Projets urbains en DSU », Les cahiers du CR.DSU, N°13, 01-12-1996. HAGEGE C., MAYEH P., PICHERAL J-B., TOULOTTE M., « Place des habitants et leur participation aux processus d’élaboration des projets urbains », Recherche-Action, Paris, DAU, 1996.

175.

« Quelle politique pour quelle ville ? Le projet urbain dans tous ses états/ les habitants veulent retrouver la ville », urbanisme N°280, Paris, 1995.

176.

BERTHIER I., ALLAMAN M., LEMONIER M., « Prospective et projets urbains », in (revue) Diagonal, N°141, p.14-25, 2000.

177.

BOURDON D., « Evaluer les projets urbains », caisse des dépôts, cahiers de politiques urbaines N°3, 06-1991.

178.

TOMAS F., « Projets urbain et projets de ville. La nouvelle culture a 20 ans », annales de la recherche urbaine 12/25, N°68-69, p.135-143, 1995.

179.

TOUSSAINT J.-Y., ZIMMERMAN M., op.cit., 1998, p.192.

180.

RONCAYOLO M., « Mémoires, représentations, pratiques-réflexions : Autour du projet urbain », in INAMA, SHS-TEST,HVOT A., SAUVAGE A., op.cit., 2000,p.30.

181.

HUET B., « Quelle ville pour demain ? », in DIRECTION DE L’ARCHITECTURE ET DE L’URBANISME, op.cit., 1993, p.23.

182.

REGINENSI C., « Le projet urbain : Des mots pour le dire aux pratiques quotidiennes. Territoires intermédiaires, territoires partagés », in INAMA, SHS-TEST,HVOT A., SAUVAGE A., « Le projet urbain : enjeux, expérimentations et professions », la Villette, 2000, p.326.

183.

COGATO-LANZA E., « Entre savoirs experts et savoirs ordinaires : Traduire les pratiques sociales dans le projet urbain », in INAMA, SHS-TEST,HVOT A., SAUVAGE A., op.cit., 2000, p.219.

184.

COGATO-LANZA E., op.cit., 2000, p.232.