Chapitre 9 : Les vestiges archéologiques comme sens « idéologique » pour les nouveaux espaces publics du centre-ville ?

Figure 9. Le site des églises et les colonnes romaines
Figure 9. Le site des églises et les colonnes romaines Source : www.solidere-online.com

Depuis le début de la reconstruction en 1991, le projet de Solidere a été largement critiqué par plusieurs techniciens ou chercheurs : le souci du modernisme caractérisait ce projet au détriment du tissu urbain existant ; ceci se marquait par « l’imposition d’un nouveau réseau de voirie, qui entourait le centre et l’irriguait par un réseau de larges voies, de tunnels et d’échangeurs. »206

Suite à ces critiques, une nouvelle version fut proposée par Solidere, amenant des modifications remarquables en faveur de l’archéologie. Cette dernière représentait dorénavant la base d’un nouveau discours en faveur des spécificités locales, trouvant ainsi un équilibre avec la modernisation, largement prônée avec la première version :

‘« Ces différents plans se fondaient sur des représentations de Beyrouth oscillant entre la valorisation de son potentiel économique et celle de sa valeur culturelle »207

Parallèlement à ce nouveau plan, mis en œuvre en 1994, les démolitions avaient ravagé la majorité du centre-ville, laissant derrières elles des terrains libres, voire des surfaces potentielles pour toutes éventuelles fouilles archéologiques. Seuls quelques 289 bâtiments furent préservés : plus que 80% des bâtiments du centre-ville furent démolis entre 1991 et 1996.208

Bien que Solidere parle d’un changement stratégique vers le respect des spécificités locales, ces démolitions ont ravagé la totalité du tissu existant entre 1994 et 1995.

Ainsi, Solidere prôna de faire revivre plutôt la mémoire antique de la ville au détriment de son histoire contemporaine, cette dernière ne rentrant pas semble-t-il dans sa définition donnée au patrimoine.

Michael Davie explique cette vision minimaliste du patrimoine par une finalité idéologique claire, prônée par les occidentaux depuis le début du 210ème siècle : selon cette idéologie, ces sites antiques abritaient les sources de la culture occidentale :

‘« Le travail d’exploration de la région ( en Syrie, dans le Mont Liban, en Palestine ) a été effectué par des missionnaires, des archéologues et des militaires ; il rejoint la logique d’appropriation de l’espace de l’Afrique du Nord, par l’identitification des édifices et des sites emblématiques justifiant la colonisation. Il ne pouvait donc pas s’intéresser, dans le cas précis de l’actuel espace libanais, aux monuments islamiques de la période pré- ou post-croisée, ni aux vestiges byzantins ou ottomans. »209

Toujours dans le même article, Michael Davie constate que le patrimoine islamique au Liban est passé sous silence ( notamment le patrimoine ottoman) confirmant ainsi le choix idéologique à l’époque.

D’autre part, May Davie souligne que la question patrimoniale fut installée effectivement avec le Mandat français pour justifier l’occupation. Un notion reprise par les libanais – et toujours selon May Davie – pour couvrir les enjeux hégémoniques d’une partie de la société ou encore à consolider les vues identitaires de groupes particuliers.210

Face à ce débat ouvert sur la notion de patrimoine à Beyrouth, il serait intéressant de présenter les principaux vestiges archéologiques retrouvés qui retracent l’histoire de la ville, et la manière dont ils ont été traités.

Dans sa recherche sur l’archéologie à Beyrouth, Adeline Borde affirme que ‘«’ ‘ la mise en valeur de cette dernière relevait plus d’une stratégie de promoteurs dans le sens d’un faire-valoir à ce projet que d’une prise de conscience idéologique ’ ‘»’ ‘ 211

Ce constat contredit les propos tenus par Solidere sur sa manière d’intégrer le patrimoine archéologique pour retisser des liens avec les spécificités locales de la ville, se différenciant ainsi des autres métropoles de la région.

Dans ce même volet, Stéphane Loret212 constate une mobilisation forte de l’iconographie des objets patrimoniaux afin d’alimenter la représentation de la reconstruction du centre-ville de Beyrouth : la promotion d’une image culturelle ( symbole du respect des spécificités locales) en complément de sa vocation comme centre d’affaires voire comme métropole régionale. (symbole de la modernisation ).

Afin d’éclairer quelques éléments de ce débat, et en partant des fouilles actuelles, il serait intéressant de retracer cette mémoire antique de Beyrouth, une mémoire mobilisée pour donner sens pour une grande partie des nouveaux espaces publics du centre-ville.

Notes
206.

VERDEIL E., « une ville et ses urbanistes : Beyrouth en reconstruction », mémoire de thèse en géographie, université de Paris1, décembre 2002, p.59.

207.

BORDE A., « enjeux et mécanismes de l’intégration des vestiges archéologiques dans la reconstruction du centre-ville de Beyrouth », lettre d’information de l’observatoire de recherche sur Beyrouth et la reconstruction, n°14, CERMOC 2001, p.18.

208.

VERDEIL E., « une ville et ses urbanistes : Beyrouth en reconstruction », op.cit., p.54.

209.

DAVIE M.F., « le patrimoine architectural et urbain au Liban. Des pistes de recherche », in AKL Z., DAVIE M.F., « questions sur le patrimoine architectural et urbain au Liban », ALBA, URBAMA, 1999, p.11.

210.

DAVIE M., « enjeux et identités dans la genèse du patrimoine libanais », in AKL Z., DAVIE M.F., « questions sur le patrimoine architectural et urbain au Liban », ALBA, URBAMA, 1999, p.67.

211.

BORDE A., « enjeux et mécanismes de l’intégration des vestiges archéologiques dans la reconstruction du centre-ville de Beyrouth », op.cit., p.18.

212.

LORET S., « les objets patrimoniaux au service de la représentation de la reconstruction du centre-ville de Beyrouth », in AKL Z., DAVIE M.F., « questions sur le patrimoine architectural et urbain au Liban », ALBA, URBAMA, 1999, p.105.