Section 1 : l’époque arabe ( 636-1515 ) ou le patrimoine nostalgique

Cette époque est relativement absente des monuments et vestiges conservés à Beyrouth : seuls quelques éléments de l’époque des croisés représentent une parenthèse dans une époque qui a duré plus que six siècles.

Figure 20. Localisation des vestiges et monuments médiévaux et arabes
Figure 20. Localisation des vestiges et monuments médiévaux et arabes Source : www.solidere-online.com

En commençant par les vestiges et monuments croisés, des fondations d’un château ont été retrouvées d’une manière inattendue dans le site du Tell au nord ouest de la place des Martyrs. Un château qu’on croyait totalement détruit en 1890.235 Ces vestiges seront intégrés in situ dans le projet de musée prévu au nord de la place des Martyrs.

Un autre monument appartenant à cette époque a été restauré : la grande mosquée Al Omari. En effet, il s’agit de la cathédrale Saint Jean des croisés bâtie au 13ème siècle et transformée par les Mamelouks en 1291 en mosquée. Elle fut le premier bâtiment public du centre-ville à avoir été restauré après la guerre.

Figure 21. La grande Mosquée Omari ( ex- cathédrale St Jean des Croisés)
Figure 21. La grande Mosquée Omari ( ex- cathédrale St Jean des Croisés) Source : joseph SALAMON 2004

D’autre part, et dans la zone des souks, un fossé défensif médiéval taillé dans le rocher a été retrouvé dans la bordure ouest de la zone des souks.236

Ce fossé médiéval sera préservé suite aux interventions de Jade Tabet, urbaniste en chef du projet de reconstruction des souks, et un des militants farouches pour la conservation et le respect des lieux historiques et de leurs mémoires.

Quant aux autres époques arabes, il nous reste un dernier bâtiment mamelouke : la Zawiya de Ibn Iraq Dimashqui » ( appelé ainsi à l’époque ottomane et bâti par le théologien musulman Mohamed Ibn Iraq) . Sa restauration est prévue dans le nouveau projet de reconstruction des souks. Il a été dégagé des bâtiments qui l’entouraient pour être intégré dans le futur projet des souks. Son symbole religieux et confessionnel ( un des rares symboles chiites au centre-ville) a prôné sa préservation in situ.

Figure 22. Dernier bâtiment Mamelouk au centre ville : la Zawiya de Ibn Iraq
Figure 22. Dernier bâtiment Mamelouk au centre ville : la Zawiya de Ibn Iraq Source : Christine Khoury et Joseph SALAMON 2004

Ainsi, cette époque de l’histoire de Beyrouth est quasiment absente dans la ville actuelle. Pour cela, peu d’éléments nous restent de la ville arabe de Beyrouth et de ses espaces publics, hormis les recherches effectuées sur ce sujet. Ces dernières peuvent être classées en 3 catégories :

Une première hypothèse dite « néo-coloniale », prônée par la plupart des chercheurs occidentaux237 qui nient la présence des espaces publics dans les villes arabes, reportant leur création par la colonisation occidentale. Selon cette hypothèse, les espaces publics sont une création occidentale propagée dans les extensions coloniales des villes arabes.

Cette hypothèse est complétée par une autre hypothèse dite « orientaliste » qui parle d’une ville arabe traditionnelle marquée par la séparation des fonctions économiques et des fonctions résidentielles : dans cette hypothèse les espaces publics existé sous formes de souks.

‘« Ces deux zones correspondaient à une division de la ville en une partie publique, où se concentraient les activités économiques et les activités culturelles et religieuses, une partie privée où se développait la vie familiale, cette ségrégation correspondait si bien au caractère introverti de la famille musulmane, et au souci d’en protéger l’intimité, qu’on y a vu naturellement une conséquence de l’empreinte musulmane sur la vie sociale. »238

Enfin une troisième hypothèse prônée par May Davie qui confirme la présence d’espaces publics dans la ville arabe de Beyrouth sous d’autres formes que les souks :

‘« la centralité primatiale, entre le Sérail et la mosquée principale, englobait les principaux souks et des placettes, donnant l’espace public par excellence, celui qui maximisait les interrelations et favorisaient la négociation entre tous les éléments de la société ».239 ’ ‘Elle parle de places publiques désignées par « sahat » occupées par un café, des boutiques,une fontaine…’ ‘« C’étaient des lieux de côtoiement et de sociabilité entre les individus, les métiers et les communautés, et donc des vecteurs d’échanges d’informations concernant le quartier et le voisinage, ou encore le marché, les prix et la qualité des produits comme des nouvelles concernant l’état des routes, les villes ou l’empire ottoman de manière générale ».240

Sans oublier le Maydan, situé hors des murailles de la ville et qui servait à des fonctions de représentation du pouvoir en complément de ses fonctions comme lieu de promenade et de respiration pour la ville.241 Une autre remarque ressort de ces recherches, celle de la mixité confessionnelle qui caractérisait la vie urbaine de la ville, créant ainsi des groupes professionnels.

Ainsi, et selon ces recherches, le modèle orientaliste ou néo-colonial sont remis en cause : Beyrouth étant un contre exemple.

Sans vouloir approfondir ce débat sur l’existence ou non des espaces publics ) l’époque arabe, les visions orientaliste ou néo-coloniale semblent avoir servies ironiquement comme références pour Solidere qui su instrumentalisé ces théories pour ses besoins personnels.

Un élément qui s’ajoute aux argumentations idéologiques définies par Michael Davie et qui ont servis comme argumentation pour le choix sélectif du patrimoine beyrouthin.

Figure 23. La ville arabo-ottomane de Beyrouth.
Figure 23. La ville arabo-ottomane de Beyrouth. Source : M. Davie

Notes
235.

BORDE A., « aménagement et archéologie ; le cas de Beyrouth », op.cit. p.66.

236.

BORDE A., « aménagement et archéologie ; le cas de Beyrouth », op.cit. p.66.

237.

TOUSSAINT J.-Y., ZIMMERMAN M. ( sous la dir. ), « User, observer, programmer et fabriquer l’espace public », Ed. Presses Polytechniques et universitaires Romandes, 2001,p.269.

238.

RAYMOND A., « La ville arabe, Alep, à l’époque Ottomane », (16ème –18ème siècles ), Ed. Institut Français d’Etudes Arabes de Damas, Damas, 1998, p.65.

239.

DAVIE M.F., « L’Etat-Nation et les espaces publics dans les grandes villes du Levant , (1800-1995) », in colloque d’architecture de Languedoc-Roussillon « l’espace public dans la ville méditerranéenne, Montpellier, 1996, p.2.

240.

DAVIE M., « Beyrouth 1825-1975, un siècle et demi d’urbanisme », 2001,op.cit., p.30.

241.

DAVIE M., « Beyrouth 1825-1975, un siècle et demi d’urbanisme », 2001,op.cit., p.31.