Chapitre 11 : Les vestiges monumentaux du Mandat français : symbole d’une « création » - modernisation des espaces publics ? ( 1920-1943 )

Figure 27. Place de l’Etoile, Beyrouth, Liban.
Figure 27. Place de l’Etoile, Beyrouth, Liban. Source : www.solidere-online.com

Largement conservée comme ensemble urbain, l’époque du Mandat français est devenue un symbole patrimonial caractéristique de la ville actuelle de Beyrouth.

Une époque qui fut le symbole de la modernisation et de l’occidentalisation – à la tabula rasa – devient paradoxalement dans le projet actuel, le nouveau cœur historique de la ville.

De cette époque nous reste une grande partie des bâtiments qui ont été restaurés dans le cadre du projet actuel : le bâtiment de la municipalité, le siège du parlement libanais, et d’autres bâtiments conservés dans un ensemble urbain homogène : le quartier Maarad, la place de l’Etoile et celui de Foch Allenbye témoignent de cette époque. Des ensembles urbains restaurés avec une grande qualité architecturale accompagnée d’un mobilier urbain et d’espaces publics de qualité.

Figure 28. Municipalité de Beyrouth
Figure 28. Municipalité de Beyrouth Source : Joseph SALAMON 2004

La place de l’Etoile qui sera largement détaillée dans une étude de cas plus loin dans cette thèse représente l’espace public moderne du Mandat français : ou plus simplement, et selon la thèse néo-coloniale la naissance des espaces publics beyrouthins. Elle est devenue aujourd’hui l’espace public majeur du centre-ville.

Cette époque représente ainsi pour quelques-uns la modernisation des espaces publics beyrouthins – bien que ceci a commencé avec les Tanzimats – et pour d’autres la création des espaces publics beyrouthins.

En effet, avec le Mandat français, une constitution libanaise fut préparée donnant naissance à une république ayant un régime de pluralisme confessionnel. Une ségrégation au plan politique résuma dorénavant les règles du jeu : le confessionalisme.

Quant à l’urbanisme du Mandat français, il se caractérisait par une occidentalisation-modernisation à la « tabula rasa » : la vieille ville fut nettoyée, voire disparut au profit d’une nouvelle composition géométrique et esthétique. Voulant créer une nouvelle centralité, au détriment de l’ancienne, la place de canons « Sahat al Bourj », un nouveau centre, la place de l’Etoile prit place au cœur de la ville exprimant ainsi une rupture avec l’ancien tissu, où s’installe le nouveau parlement.

Un système radial d’avenues bordées de galeries et d’immeubles de rapports élevés convergents vers la place de l’Etoile fut créé à la place du secteur méridional de la ville intra-muros, ses ruelles, ses marchés et ses ateliers.245 Une place qui privilégiait plutôt une certaine classe sociale est née, contrairement à la place des Martyrs, livrée à toutes les couches sociales.

Parallèlement à ce projet mis en œuvre avec le Mandat français, deux plans d’aménagement pour la ville de Beyrouth, avec des concepts transportés de l’occident, ont été proposés au détriment des spécifcités locales de la ville :

Le premier fut établi par le cabinet Danger en 1931 ; il se résume par 3 concepts : l’assainissement de la ville en respectant l’hygiène, voire l’air, le soleil et la verdure ; ensuite la circulation qui devra préparer la ville future qui réclamera des voies ordonnées ; enfin l’embellissement à travers l’art urbain tout en aménageant des places, des jardins des grandes voies…( l’aménagement des Bois des Pins).246

Bien que ce plan n’ai pas été appliqué, il suscita en effet des débats sur la réglementation et sur le permis de construire…

Dix ans plus tard, (vers 1943), un autre urbaniste, Ecochard sera sollicité pour établir un autre plan pour la ville de Beyrouth :

‘« Contrairement à la démarche de Danger, la démarche d’Ecochard est empirique. La ville est dans la conception de l’architecte urbaniste un objet à saisir et à traiter dans sa globalité…Le législatif comme moyen de mise en œuvre figure parmi les instruments nécessaires à l’urbaniste. »247

Le plan Ecochard se résume en 3 grands objectifs : l’aménagement de grandes voies de circulation ; la création d’une ville nouvelle et la l’urgence des réalisations ; d’après ce plan, les fonctions de la ville seront séparées et les bâtiments publics seront regroupés dans un centre administratif.

‘« Ecochard, acquis aux idées du mouvement moderne, va aborder dans son plan trois thèmes principaux, le premier étant « le rapport avec le site », voire de penser la ville au-delà de ses limites administratives. Le second thème étant le zonage, il va proposer la division de la zone étudiée en 12 zones, ainsi qu’un réseau hiérarchisé de voies de circulation. »248

A son tour, le plan Ecochard ne sera pas appliqué, mais sera dorénavant une référence pour tous les autres projets d’aménagement qui vont suivre.249

Ainsi, cette époque qui représente un symbole politique fort ( la création de la république libanaise ) et un symbole urbanistique imposant ( la modernisation des espaces publics ) a été largement intégrée dans le projet actuel, conservant ainsi ces deux symboles : la symbole politique ( le parlement et la municipalité ) et le symbole urbanistique ( la place de l’Etoile ).

Notes
245.

DAVIE M., « Globalisation et espaces publics du centre-ville de Beyrouth : Une approche historique », in « De la ville à la civilisation urbaine, la réinvention du statut des espaces publics », colloque international, Sorbone Paris4, Paris, 1999, p.7.

246.

GHORAYEB Marlène, « L’urbanisme de la ville de Beyrouth sous le mandat français », in REMMM 73-74, 1994/3-4, p.331.

247.

GHORAYEB M., 1994/3-4,op.cit. , p.336.

248.

EL-ACHKAR E., « Réglementation et formes urbaines, le cas de Beyrouth », les cahiers du Cermoc N°20, Beyrouth, 1998, p.65.

249.

TABET J., GHORAYEB M., VERDEIL E., HUYBRETCHTS E., « Beyrouth », collection Portrait de ville, Paris, IFA, 2001, p.19.