Chapitre 12: Des espaces publics contemporains aux espaces communautaires ?

Figure 29. Beyrouth des années 50.
Figure 29. Beyrouth des années 50. Source : http://www.stgeorges-hotel.com/fr/photos.html

Loin d’avoir établi une politique globale pour les espaces publics beyrouthins, l’époque de l’indépendance a vu naître des espaces publics d’une manière naturelle : le quartier Hamra, devenu un quartier moderne, un nouvel espace public favorisant le mélange intercommunautaire.

La corniche de Beyrouth devenue aujourd’hui un espace public remarquable : un espace né « d’en bas ». La place des Canons laissée au « naturel » continua à favoriser le brassage social. Aujourd’hui, elle a été rasée complètement et attend toujours son réaménagement cadre du projet de reconstruction.

Cependant, quelques espaces publics fut aménagées durant ces années, à savoir des places publiques ( place Sassine ), ou des jardins publics ( jardin Siouffi ).

Politiquement parlant, le régime confessionnel caractérisé par le communautarisme politique, continua à définir les règles de jeux politique et social : la confession détermine les compétences, voire l’identité, car depuis, aucun travail n’a été entamé pour tisser une culture commune, voire même d’écrire une seule histoire et un seul futur…

La plupart des espaces publics se dégradaient devenant petit à petit des carrefours de circulation. Peu d’espaces publics sont aménagés par les autorités, et l’espace privé commença à prendre le relais de l’espace public : des cafés, des supermarchés, des cinémas, des hôtels de théâtre, des centres de loisir…250

Avec les années de guerre, le pays le pays fut divisé en plusieurs régions contrôlées par des milices chrétiennes ou musulmanes et peuplées majoritairement de chrétiens ou de musulmans.

Quant à la ville de Beyrouth, elle s’est divisée en deux parties : Beyrouth-Est presque exclusivement Chrétienne et Beyrouth-Ouest presque entièrement musulmane. Les quartiers mixtes ont été vidés de leurs composants minoritaires.

Les espaces publics se transformèrent en espaces communautaires et le centre-ville, symbole de la coexistence intercommunautaire, devint no man’s land avec des espaces et des bâtiments fantômes.

Durant cette époque de guerre, plusieurs tentatives de reconstruction ont été proposées pour reconstruire le centre-ville et ses espaces publics :

En 1977, l’APUR251 associé à des architectes libanais, proposa une première reconstruction du centre-ville, mais cette proposition ne put être appliquée à cause de la reprise des combats. En 1982-83 une deuxième tentative associée à OGER Liban, un bureau privé du Premier ministre actuel, proposa la réhabilitation du centre-ville, mais cette deuxième proposition sera écartée elle aussi à cause de la reprise des combats. Ce projet cherchait à faire reconstruire le centre traditionnel de Beyrouth avec ses espaces publics : il prônait la recomposition de la façade maritime, l’intégration des fouilles archéologiques dans des jardins publics ou à travers des cheminements paysagés et le dégagement des monuments et leur mise en valeur par des petits jardins.252

Ecarté durant les années 70 à cause d’autres priorités, un SDAU253 de la région métropolitaine de Beyrouth (RMB), - délimitée par Nahr el Damour au Sud, Nahr el Kaleb à l’est et par une ligne fictive à la cote plus 400m à l’est – fut établi entre 1983-1986.254 Ce SDAU était le résultat d’une collaboration entre le CDR255, la DGU, le gouvernement libanais et le gouvernement français représenté par l’IAURIF256. Ce SDAU - qui sera détaillé plus tard - définira la maîtrise de l’urbanisation du grand Beyrouth en indiquant des grands objectifs appuyés par des actions prioritaires ; il sera utilisé plus tard, dès les années 90 comme plan de référence pour le CDR et la DGU pour certains grands projets publics. Ce schéma de référence prônait le reboisement du bois des pins,, la création de parcs urbains et suburbains et la libération des plages publiques.

D’autre part, la ségrégation physique fut complétée durant la guerre par une ségrégation morale et sociale, excluant « l’autre », privilégiant ainsi les relations intra-confessionnelles au détriment des relations inter-confessionnelles :

‘«  La ségrégation physique se double d’une autre forme de ségrégation, plus profonde et plus dangereuse, ancrée dans le comportement, les attitudes. Un tel isolement a contribué au fait que chaque confession vive dans l’appréhension et la peur de l’autre, et lui prête de ce fait des attributs maléfiques… »257

En résumé, la guerre mis fin à toute intersection ou intégration possible entre les différentes communautés, en particulier musulmane et chrétienne, divisant la ville spatialement et socialement, et l’espace public qui existait au centre-ville ou dans la rue Hamra, bien qu’il se soit dégradé physiquement avant la guerre, sera le premier martyr de la guerre civile ; un autre espace pris sa place, l’espace communautaire qui refuse l’autre différent, l’étranger, physiquement et moralement, et malheureusement cet étranger n’était qu’un « autre libanais ».

Aujourd’hui, et après 13 ans de fin de guerre, le pays est toujours dans une phase intitulée de réconciliation et de reconstruction :

Une réconciliation toujours absente, où le communautarisme continue à définir les règles de jeux entre les libanais et les beyrouthins. Un pays régi toujours selon le communautarisme politique, favorisant ainsi l’appartenance confessionnelle au détriment de l’appartenance citoyenne.

Une reconstruction en cours, avec une politique d’aménagement des espaces publics ( une première innovation ) : une politique qui ne manque pas de mobiliser les vestiges archéologiques et les mémoires des lieux pour créer un sens idéologique, politique ou social à ses nouveaux espaces publics.

Notes
250.

DAVIE M., « Globalisation et espaces publics du centre-ville de Beyrouth : Une approche historique », 1999, op.cit., p.10.

251.

APUR ( Atelier Parisien d’Urbanisme )

252.

VERDEIL E., « une ville et ses urbanistes : Beyrouth en reconstruction », mémoire de thèse en géographie, université de Paris1, décembre 2002, p.464.

253.

SDAU ( Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme )

254.

FAWAZ M., « Le Beyrouth du 3ème millénaire », in Magazine N°2199, décembre 1999, p.55.

255.

CDR ( Conseil de Développement et de Reconstruction )

256.

IAURIF ( Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Ile de France )

257.

SAADEH S., « Les conséquences du sectarisme sur l’espace public de Beyrouth », 2001, op.cit.p.71.