a- Les espaces publics de l’avant-guerre : quand l’image définit les pratiques ! ?

‘« Les représentations, peuvent être une barrière à l’usage des lieux même s’ils sont concrètement aisément accessibles. En d’autres mots, la réputation associée à un lieu précis va influencer son usage. »289

Dans quelle mesure peut-on dire que l’image actuelle des espaces publics affecte-t-elle ou non sur les pratiques sociales des beyrouthins envers ces derniers ? Ou bien, quels sont les effets des représentations de chaque groupe sur ses différentes pratiques de l’espace public ? Qu’est-ce qui caractérise aujourd’hui la relation entre le public beyrouthin et cette première catégorie d’espaces publics ?

En effet, cette catégorie d’espaces publics regroupe la plupart des espaces publics urbains, en particulier les jardins publics, les places publiques et les corniches.

Dans ce qui suit, nous essayerons de répondre à ces multiples questions en interrogeant les différents usages, pratiques et représentations qui sont présents dans chacun de ses trois sous-types : mais comment déchiffrer ces représentations et quels sont leurs différents niveaux ?

‘« Soit trois types d’épreuves remarquables dans un espace public qui nous engagent toutes trois dans ce domaine du sensible. La première se situe au niveau d’une civilisation, de ses manières générales de voir et d’entendre. Le deuxième type d’épreuve se situe au niveau des relations interpersonnelles et, enfin, le troisième entend traquer l’efficace sociale au cœur même de la perception ».290

En effet, déchiffrer les pratiques de l’espace public à travers ces trois pistes semble pertinent en ce qu’il apporte comme éléments à la fois historiques et évolutifs d’un côté, et stables et dynamiques d’un autre côté.

La première piste d’analyse regroupe les représentations communes de « références » appropriées par chaque civilisation ou culture au niveau macro ou général, et par chaque communauté ethnique ou confessionnelle au niveau micro, en particulier dans le cas de Beyrouth.

D’après l’aperçu historique, la guerre a bien crée une grande déchirure entre les différentes communautés, en particulier à ce niveau là : chacun a fait évoluer des pratiques et des représentations mobilisant à la fois « ses » ressources historiques et « ses » appréciations extérieures ou sympathies envers d’autres pratiques arabes, occidentales ou mondiales. En un mot, c’est un travail d’équilibre entre histoire et futur, entre spécificités et références locales d’une part et modernisation importée de l’extérieur de l’autre part, qui semble définir les pratiques sociales et politiques des communautés envers les espaces publics.

‘« Au sentiment des uns d’être envahis répond chez les autres le sentiment d’exclusion…A la fois espace de tous et espace de personne, l’espace d’usage public présente la caractéristique, constitutive, d’une variation de la distribution des positions, d’occupation et d’appropriation, des usagers ».291

La deuxième piste d’analyse interroge les relations interpersonnelles où chaque personne commence à tisser des liens personnels avec d’autres personnes ayant d’autres références et d’autres pratiques ; à ce niveau micro, de nouvelles pratiques naissent, laissant place à de nouvelles représentations :

En effet, la classe moyenne qui a émergé à Beyrouth durant les années 50-60, synthétisait bien les interactions interpersonnelles ; de nouvelles approches sont nées, de nouveaux modes de vie ont commencé à voir le jour et à se concrétiser dans l’espace public en premier lieu. Mais dans quelle mesure peut-on trouver de telles pratiques aujourd’hui dans l’espace public beyrouthin ?

‘« L’espace public est ce lieu où la communauté se défait d’un peu de sa rigueur ; elle y laisse, au moins un peu, jouer l’autre qui est en chacun de nous ».292

Enfin, la troisième piste d’analyse « entend traquer l’efficace sociale au cœur même de la perception » : c’est le troisième niveau de perception, où les représentations communes et interpersonnelles commencent à devenir des représentations « collectives » en une construction et en une négociation continues : c’est là où les communautés commencent à se tisser des liens afin de construire une culture générale commune, afin de mobiliser leurs différents valeurs et symboles, pour une coexistence plus large, à la fois évolutive et pertinente.

‘« L’espace de la communauté impose des valeurs stables et des réseaux de légitimation locaux, en limitant la multiplicité et la portée, en les emboîtant dans une société plus large ; société qu’il symbolise par là-même. L’espace public, lui, connecte des trajets où transitent des acteurs anonymes, selon des formes de coexistence et des valeurs éphémères ; il met en place des processus d’évaluation variante et de test de réciprocité. »293

Ces trois niveaux de représentations de l’espace public semblent ainsi former cette représentation commune ou images collectives de K.Lynch déjà évoquée dans la partie conceptuelle. Ce travail ne semble pas assez évident, vu que la représentation elle-même est subjective par son essence, issue d’une éducation quelconque, d’une culture quelconque et de valeurs quelconques qui se confrontent avec une réalité quelconque.

Ceci est bien exprimé par R.Sennet294 qui définit le site du public comme étant « la frontière entre les communautés », où « la différence devient apparente », là où « se développe la reconnaissance de l’autre », là où les représentations communes commencent à voir le jour.

Notes
289.

BASSAND M., COMPAGNON A., JOYE D., STEIN V., « Vivre et créer l’espace public », ed. Presse Polytechniques et universitaires Romandes, Lausanne, 2001, p.77.

290.

AUGOYARD J.-F., « La compétence sociale du regard esthétique », in ISAAC J., op.cit., 1991, P.241.

291.

BARBICHON G., « Espaces partagés : variation et variété des cultures », in Espaces et sociétés, N°62-63, « espace public et complexité sociale », Paris, 1991, p.111.

292.

PELLEGRINO P., LAMBERT C., JACOT F., « Espace public et figures du lien social », in Espaces et sociétés, N°62-63, « Espace public et complexité sociale », Paris, 1991, p.18.

293.

PELLEGRINO P., LAMBERT C., JACOT F, 1991,op.cit., p.12.

294.

SENNET R., « La conscience de l’œil », in ISAAC J., op.cit., 1991,p.34.