c- Les nouveaux espaces publics de la ville : des embryons de réconciliation ?

Quant aux nouveaux espaces publics urbains, bien qu’il semble tôt de les juger, ils semblent regrouper des pratiques multicommuinautaires , où la pudeur et l’aventure semblent se concrétiser par un premier pas de co-présence intercommunautaire…

La ville de Beyrouth est en projet depuis plus de dix ans ; Plusieurs types d’espaces publics sont déjà aménagés et d’autres encore en cours…

Des espaces déjà aménagés, quelques-uns sont toujours fermés au public ( le Bois des Pins ) pour des raisons logistiques, techniques et politiques, et d’autres qui sont déjà ouverts au public. ( la place de l’Etoile, le jardin des Bains Romains…)

Et même des projets qui sont toujours en cours, sont déjà partiellement ouverts au public afin de l’apprivoiser…(la corniche de Dbayeh)

Tous ces projets d’aménagement d’espaces publics seront étudiés dans les parties qui suivent afin de déchiffrer les concepts et les objectifs qui les soutiennent…

Nous nous intéressons ici aux pratiques sociales qui commencent à voir le jour dans ces espaces déjà ouverts au public beyrouthin et même libanais…

Le jardin des Bains romains par exemple, récemment aménagé, et qui se trouve au centre-ville, près de la place de l’Etoile, est aujourd’hui un espace public et touristique, surtout qu’il regroupe dans son aménagement, des vestiges archéologiques très anciens : c’est un espace public, à caractère touristique et qui présente des caractéristiques architecturales qui rappellent à la fois au patrimoine et à l’ancienne histoire de la ville. Dans cet espace récemment aménagé, le public n’a pas une seule identité confessionnelle ou communautaire : c’est un lieu historique qui invite les gens de toutes appartenances à venir s’y réunir et se cultiver. C’est un lieu calme, où on peut rencontrer des amis ou lire un livre sous un arbre…On peut également apprendre l’histoire, l’archéologie et la culture ancienne à partir des vestiges exposés…

Ce sont surtout les jeunes qui insistent sur le fait qu’ils n’ont pas de tels espaces dans leurs quartiers, un vrai jardin public bien géré et bien entretenu… Ils semblent avoir assez des espaces publics fermés, comme les cinémas, les centres commerciaux…

Dans ce type de jardins publics, l’archéologie et l’histoire semblent remplacer les représentations communautaires, sinon les intégrer…Reste à voir ci ces nouveaux espaces resteront ouverts ou accessibles moralement et physiquement à toute la population Beyrouthine, une fois le centre-ville aménagé complètement…

Figure 58. Jardin des Bains Romains, Centre Ville de Beyrouth, Liban. Source : www.solidere-online.com.

La place de l’Etoile par exemple, et qui sera détaillée plus tard, représente aujourd’hui et pour la plupart des beyrouthins, le cœur historique de la ville, ou bien l’espace public de la ville, où plusieurs fonctions se mêlent avec plusieurs types d’usagers…des restaurants, des pubs, des magasins de vente, des cafés trottoirs, des enfants, des jeunes, des vieux, des chrétiens, des musulmans, des étrangers, des députés…comme si, la présence du Parlement comme représentant du peuple Libanais ( au moins théoriquement), affirme bien le caractère cosmopolite et intégrant de la place…récemment aménagée. Cette place publique pleine de représentations et de mémoires, semble redonner au centre de la ville sa dimension cosmopolite comme espace intégrateur : en effet, les différents enjeux de cette place formeront une étude de cas qui sera détaillée plus tard dans cette thèse.

Figure 59. Place de l’Etoile, place des cafés.
Figure 59. Place de l’Etoile, place des cafés. Source :Solidere.

Cette place qui fut dessinée et aménagée durant le Mandat Français à l’endroit même des souks arabes affirmant à l’époque une nouvelle identité : la ville moderne est ses nouveaux espaces publics. Tout le secteur médiéval de la ville intra-muros avec ses ruelles et marchés disparaissaient : il fut remplacé par un système radical d’avenues bordées de galeries et de commerce qui convergent vers la place de l’Etoile. Cette place qui représentait le modernisme de son époque s’affiche aujourd’hui comme le centre patrimonial de la ville.

Figure 60.Tracé historique de la place de l’Etoile.
Figure 60.Tracé historique de la place de l’Etoile. Source : Davie M.

Quant à la corniche de Dbayeh, récemment aménagée, et qui fait partie d’un grand projet d’aménagement en cours dans le nord de la capitale (le projet LINORD), elle est devenue, elle aussi un grand espace public pour la plupart des beyrouthins et même des habitants du Mont Liban…des enfants venus avec leurs parents pour jouer, pour faire du vélo…des hommes qui jouent au tric-trac, d’autres qui se réunissent autour des narguilés…des femmes qui courent avec leurs chiens…des voitures stationnées à côtés de la corniche et dans les ruelles, servant ainsi comme mobilier urbain ou comme un lieu intime…des groupes de jeunes venus pour faire du sport…des chiens de toutes sortes venus avec leurs maîtres pour s’exposer…Cet espace public plein d’usagers de toutes classes sociales, de toutes identités communautaires, est devenu à la fois un espace de rencontre, de loisir et de reconnaissance de l’autre…c’est un lieu de promenade gratuit…c’est un lieu de respiration à l’extérieur de la ville, où chacun y vient pour oublier ses soucis et ses problèmes quotidiens…

Les représentations communautaires dans ce lieu public existent à travers quelques groupes communautaires venus de quelques zones de la ville…

Les relations interpersonnelles existent dans ce lieu immense, comme le relations intercommunautaires, où le sens de « l’exploration » et de « l’acceptation de l’autre » semble bien définir les règles du jeu : tout le monde est admis dans cet espace neutre ; c’est un lieu neutre, nouveau, qui offre à tous les beyrouthins un paysage ouvert à la Méditerranée, un espace de contemplation, de loisir, de défoulement, vide de tout symbolisme politique, communautaire ou confessionnel.

Ce qui distingue ce lieu des autres types d’espaces publics, c’est que les gens viennent ici pour se rencontrer, pour se regarder et pour se mélanger, et non pas pour consommer seulement.

Dans ce lieu public, chacun s’expose devant les autres, laissant apparaître ses spécificités et son mode de vie, comme s’il acceptait de se trouver avec l’autre tout en lui reconnaissant ses coutumes, ses traditions, ses spécificités…

Ce début de reconnaissance du public, bien qu’il soit tendu par des références confessionnelles, semble avoir ouvert un petit premier pas vers la réconciliation, et même vers une construction d’une représentation collective, comme si les pratiques sociales ont été parvenues à faire ce que les politiques sociales n’ont pas fait jusqu’à maintenant…