b- La dimension cognitive 

Dans quelle mesure peut-on dire que ce plan a réussi à décoder la réalité de la ville, en particulier son histoire et ses propres contextes ?

Historiquement, et selon ce plan, la ville de Beyrouth a été toujours une ville multiculturelle croisant la culture orientale et la culture occidentale ;

aujourd’hui le paysage de la ville nécessite une revalorisation de son histoire et une affirmation voire une réinvention de son identité largement touchée durant les années de guerre.

Géographiquement, la ville de Beyrouth a été toujours la capitale du pays vert, caractérisé par son climat. Or depuis une cinquantaine d’année, le béton s’est installé dans toute la ville au détriment des espaces verts ;

aujourd’hui le paysage de la ville nécessite une réconciliation avec la nature tout en améliorant le cadre de vie des beyrouthins.

Ce plan explique ainsi la causalité des problèmes des espaces verts par une double crise, historique et géographique :

Comment peut-on retisser des liens avec la nature afin de rendre la tradition beyrouthine d’une ville à la campagne ?

Dans quelle mesure peut-on réinventer l’identité de la ville à travers un paysagement qui respecte son histoire et ses réalités sociales et culturelles ?

A première vue, les questions élaborées dans ce plan semblent former un outil de débat qui interroge la réalité du lieu à travers son histoire et sa géographie. Mais ce débat, bien qu’il soit important, semble avoir évité ou oublié quelques éléments pertinents :

Le premier, c’est le public du débat, ou les acteurs du débat : comme si c’était le rôle des techniciens seuls ( ici les paysagistes ) de trouver les solutions adéquates ; bien qu’ils prennent en compte les spécificités du lieu, dans quelle mesure peuvent-ils répondre seuls à de telles questions ?

Le deuxième c’est le « professionnalisme » des réponses : il me semble que ce plan attache beaucoup d’importance sur les capacités techniques de répondre aux problèmes posés ; comme si les autres dimensions étaient moins compétentes à répondre…

Le troisième c’est le sens de l’aménagement : ce plan semble avoir évité ou ignoré voire banalisé l’essence du problème des espaces publics beyrouthins : la crise politique et le communautarisme qui mettent en question l’existence même d’un lieu de socialisation commun, que ça soit un espace vert, une place publique ou un autre type d’espace public.

Pour cela, parler d’une politique ou d’un plan vert qui pourrait redonner à la ville des lieux de rencontre et de socialisation à travers une solution technique, paysagère, semble un peu simpliste :

Le mot « réconciliation » par exemple existe modestement dans les objectifs de ce plan comme si c’est une chose plutôt acquise…

« L’enjeu est non seulement que l’aménagement de la ligne de démarcation puisse souder une réconciliation historique mais que le site puisse également participer à une restructuration à l’échelle de toute la ville en contribuant à l’élaboration du paysagement de Beyrouth dans sa totalité. »344

Or, si après 10 ans de fin de guerre, cette ligne continue à exister dans les mentalités des gens et à travers leurs pratiques, pouvons-nous compter seulement sur un acte ou sur un plan de paysagement pour retisser des coupures socio-culturelles et politiques ?

Ne faut-il pas chercher le fond du problème à travers une vraie politique de réconciliation qui regroupera ainsi un plan vert, un plan bleu, des mesures sociales, des mesures culturelles… ?

Afin de comprendre le sens de ce plan, nous passons à l’analyse de ses valeurs et objectifs, voire de sa dimension normative.

Notes
344.

LENOBLE-PREDINE F., HUAU Th., op.cit., 2000.